M. Roland Courteau. Exactement !

M. Didier Marie. D’un côté, se trouvaient déjà ceux qui considéraient que cette forme d’exploitation contribuait au dynamisme économique, à la compétitivité de nos entreprises.

M. Bruno Retailleau. C’est grotesque !

M. Didier Marie. Ils ont résisté à l’abolition de l’esclavage au nom de l’efficacité économique, au motif que la France s’affaiblirait si elle prenait cette décision avant les autres. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roland Courteau. Il fallait le rappeler !

M. Bruno Retailleau. Alors que vous vendez des armes à Riyad !

M. Didier Marie. De l’autre côté, dans la droite ligne de Montesquieu, Voltaire ou encore Rousseau, se rangeaient ceux, tels l’abbé Grégoire, puis Victor Schœlcher, qui plaçaient le droit humain au-dessus du droit du commerce et considéraient que l’économie était au service de l’homme, et non l’inverse, et qu’elle devait contribuer au progrès social et à un monde meilleur.

M. Roland Courteau. Excellent !

Mme Évelyne Didier. C’est évident, tellement évident !

M. Didier Marie. À chaque fois qu’il fut question de d’avancées en faveur des droits humains, il y eut des résistances ; on pourrait citer d’autres exemples, comme la protection des ouvriers face aux accidents du travail.

À chaque fois qu’il fut question de transparence, comme il y a un siècle, avec l’imposition d’une comptabilité certifiée, il y eut résistance. Pour autant, la France n’a pas hésité à montrer la voie, à agir, alors que l’Europe et le monde tardaient à le faire.

Plus récemment, ce fut encore le cas lorsque Jacques Chirac décida d’imposer une taxe sur les transports aériens pour venir en aide à des organismes internationaux de lutte contre le sous-développement et les financer.

M. Roland Courteau. Très juste !

M. Didier Marie. Ce fut aussi le cas lorsque notre pays, avec la loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques et la loi de 2010 portant engagement national pour l’environnement, ou Grenelle 2, imposa aux entreprises de communiquer sur les conséquences sociales et environnementales de leur activité, ouvrant ainsi la voie à l’adoption de la directive européenne sur le reporting extra-financier.

En posant le principe de prévention et en le rendant obligatoire, et donc sa violation passible de sanction, cette proposition de loi rappelle qu’il existe une autre voie, celle de la responsabilité et de la régulation, celle qui civilise, humanise et érige en modèle une économie saine qui concilie progrès économique, progrès social et développement durable.

Mme Évelyne Didier. Très bien !

M. Didier Marie. Ce texte s’articule autour de deux axes : d’une part, l’instauration d’un devoir de vigilance, couvrant l’ensemble des domaines de la responsabilité sociétale des entreprises, qu’elle soit sociale ou environnementale, qu’elle concerne la lutte contre la corruption ou le respect des droits de l’homme ; d’autre part, l’habilitation du juge à vérifier que ces obligations sont respectées et, le cas échéant, à sanctionner les violations par une amende civile d’un montant maximum de 10 millions d’euros.

Ainsi que cela a été souligné par les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune, beaucoup d’entreprises se sont déjà engagées dans cette voie. Cette nouvelle obligation ne pèsera donc que sur celles qui n’auront pas encore mis en œuvre ces bonnes pratiques et permettra, en cas de carence ou de non-respect, d’engager leur responsabilité si jamais une catastrophe survenait ou si des dommages étaient subis.

Ce texte est au service des entreprises, et beaucoup le soutiennent.

Mme Évelyne Didier. C’est vrai !

M. Didier Marie. Il permettra de soutenir la marque « France », de valoriser les entreprises vertueuses, de rétablir des conditions de concurrence équitables et plus justes entre les entreprises qui produisent sur le sol français et celles qui délocalisent pour pratiquer le dumping social et environnemental.

Il constitue aussi un facteur de sécurité pour les entreprises qui, en choisissant des chaînes de production de plus en plus complexes et de moins en moins lisibles pour le consommateur et les pouvoirs publics, ont l’illusion de contourner à leur avantage des contraintes qu’elles jugent trop rigides, alors qu’elles s’exposent en fait à de nouveaux risques financiers et extra-financiers : indemnisation de victimes en cas d’accidents, sous-traitance sauvage, réputation entachée.

Ces entreprises gagneront en compétitivité en raisonnant en termes de coût total de possession, en fiabilisant leur chaîne de valeurs et en se préservant d’éventuels accidents, de pollutions, de conflits sociaux qui, au final, impacteraient le coût produit.

La prévention coûte toujours moins cher que la réparation.

M. Roland Courteau. C’est certain !

M. Didier Marie. Avec ce devoir de vigilance, les entreprises gagneront la confiance des consommateurs, à l’heure où l’opinion publique est de plus en plus sensible au comportement des entreprises dans ses dimensions éthique et environnementale.

Monsieur le rapporteur, la France n’est pas seule. Elle est en pointe.

Ce texte s’inscrit dans le cadre des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme adoptés à l’unanimité en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, et s’inspire des préconisations formulées par l’OCDE, ainsi que des directives de l’Organisation internationale du travail. Il répond par ailleurs aux attentes de la Commission européenne, qui encourage vivement les États membres à transposer dans leur droit interne les principes des Nations unies.

Plusieurs pays avancent en ce sens : le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, la Suisse, mais aussi le Canada et les États-Unis.

Avec ce texte, la France ira plus loin, car il couvre la totalité du champ de la responsabilité, ouvrant ainsi la voie à l’élaboration d’une directive européenne, pour répondre aux souhaits exprimés par le Parlement européen en mai 2015.

Ces principes juridiques internationaux sont le socle de cette proposition de loi, et la notion de « mesure de vigilance raisonnable » transcrite dans ce texte figure à la dix-septième place des principes directeurs retenus par les Nations unies. Il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultat.

Cette proposition de loi est efficace parce qu’elle concerne plus de 20 % des cinquante grandes entreprises européennes, 80 % du commerce international réalisé par la France et les deux tiers des échanges avec les pays hors de l’OCDE.

Cette proposition de loi est solide juridiquement,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Didier Marie. … car elle s’appuie sur le droit commun, que ce soit pour la définition de ce que doit être une relation commerciale établie, l’engagement de la responsabilité civile ou l’intérêt à agir.

Ce texte prône un commerce des valeurs et non pas celui du moins-disant et de la dérégulation mondiale.

Trente ans après la catastrophe de Bhopal, vingt-cinq ans après le désastre pétrolier de Chevron, en Équateur (MM. les sénateurs du groupe Les Républicains s’impatientent.), seize ans après la marée noire provoquée par le naufrage de l’Erika et deux ans après l’accident survenu au Rana Plaza, il est temps de combler le retard du droit en matière d’encadrement des activités des multinationales.

M. Rémy Pointereau. Il a dépassé son temps de parole d’une minute !

M. Didier Marie. Je sais que nous pouvons compter sur le soutien des sénatrices et des sénateurs de gauche.

Mme la présidente. Vous avez épuisé votre temps de parole, monsieur Marie !

M. Didier Marie. J’en suis convaincu, il y a aujourd'hui, à droite et au centre, des élus,…

Mme la présidente. Monsieur Marie, il faut conclure maintenant !

M. Didier Marie. … par ailleurs investis dans des actions humanistes, qui considèrent que la valeur humaine est supérieure à celle de l’argent. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. Éric Bocquet. Très bonne intervention !

Renvoi de la suite de la discussion

Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je rappelle que la présente proposition de loi a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain, pour une durée de quatre heures.

Il est presque dix-huit heures trente, les quatre heures seront bientôt écoulées et M. le secrétaire d’État doit nous quitter. Aussi, avec l’accord du président Didier Guillaume, je me vois dans l’obligation d’interrompre l’examen de ce texte, dont la discussion reprendra le mercredi 18 novembre prochain.

Avant donc de passer à la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre
Discussion générale (suite)

13

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux
Texte de la proposition de résolution (début)

Déplacés environnementaux

Adoption d’une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de résolution visant à la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues (proposition n° 632 [2014-2015]).

Dans le débat, la parole est à Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de résolution.

Mme Esther Benbassa, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’actualité ne cesse de nous rappeler notre vulnérabilité face aux forces de la nature. Sécheresses, inondations, cyclones, tremblements de terre, glissements de terrain, crues glaciaires et fonte du pergélisol, fonte glaciaire et érosion du littoral sont autant de bouleversements environnementaux qui entraînent la dégradation des conditions de vie des populations humaines, jusqu’à menacer parfois leur survie.

L’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans un contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique, établi dans le cadre de l’initiative Nansen, projet lancé en 2012 par la Norvège et la Suisse et dont les parties prenantes se sont réunies à Genève pas plus tard que les 12 et 13 octobre dernier, fait apparaître que 184,4 millions de personnes au total ont été déplacées entre 2008 et 2014 en contexte de catastrophe, ce qui correspond à 26,4 millions de personnes nouvellement déplacées chaque année au cours de cette période ; le nombre des déplacés pourrait atteindre les 200 millions en 2050.

Sur les 26,4 millions de personnes déplacées en moyenne chaque année, 22,5 millions migrent en raison d’aléas liés à la météorologie ou au climat, tandis que les autres le font à la suite de l’élévation du niveau des mers, de la désertification et de la dégradation environnementale.

Les travaux scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, sont venus conforter ce constat.

Dès 1990, le GIEC avait averti la communauté internationale des mouvements de population qui pourraient découler du changement climatique. En 2012, puis en 2014, il a réitéré l’expression de ses inquiétudes, en assurant que l’augmentation de la fréquence et/ou de l’intensité des catastrophes compromettrait la survie ou les moyens de subsistance des populations, entraînant des déplacements susceptibles d’exercer de nouvelles pressions dans les régions d’accueil ; il a souligné la nécessité d’agir en faveur d’une protection de ces populations.

L’appréhension de ces flux migratoires n’est pas simple. C’est ainsi qu’une multitude de dénominations ont été adoptées, en particulier celles de « réfugiés environnementaux », de « réfugiés climatiques », de « migrants environnementaux » et de « déplacés environnementaux ». Au vrai, les expressions varient selon les chercheurs, les organisations non gouvernementales ou internationales et les responsables politiques, ce qui conduit à une confusion générale.

La qualification de « réfugiés environnementaux » a été vivement condamnée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui a fait valoir qu’elle ne reposait sur aucun fondement en droit international des réfugiés, contrairement au cas des « réfugiés politiques ». Pour leur part, les experts conviennent d’adopter l’expression « déplacés environnementaux », que préfèrent également les populations concernées.

En pratique, ces déplacements spécifiques ont lieu majoritairement à l’intérieur des États. Quant aux déplacements interétatiques, c’est-à-dire ceux qui conduisent au franchissement d’une frontière internationale, ils se déroulent essentiellement entre États du Sud. Ces deux faits s’expliquent notamment par la vulnérabilité particulière des populations du Sud et par leur manque de moyens, qui les forcent à gagner uniquement des régions proches de leur lieu de vie de départ.

De l’ensemble de ces considérations découle un constat inquiétant : les pays du Sud, victimes directes de la dégradation de l’environnement et de catastrophes naturelles toujours plus intenses, supportent et supporteront le fardeau des migrations environnementales, alors même que les pays développés ont été historiquement et demeurent les principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre et, par conséquent, du réchauffement climatique et de ses retombées, au nombre desquelles il faut compter les déplacements de populations.

Qui n’a pas entendu parler de ces petits États insulaires du Pacifique et des Caraïbes qui, menacés de voir leurs îles disparaître sous la montée des eaux, s’inquiètent pour l’avenir de leurs populations ?

Pourtant, il n’existe à l’heure actuelle aucun instrument juridique assurant aux déplacés environnementaux une protection globale et effective.

Lors de la seizième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui s’est tenue à Cancún en 2010, la thématique des déplacés environnementaux a été envisagée selon une approche particulière, celle de l’adaptation au changement climatique. En d’autres termes, la migration serait un moyen d’anticiper et d’éviter, dans la mesure du possible, les effets néfastes de l’évolution du climat.

À ce titre, les accords de Cancún invitent les parties à adopter des « mesures propres à favoriser la compréhension, la coordination et la coopération concernant les déplacements, les migrations et la réinstallation planifiée par suite des changements climatiques, selon les besoins, aux niveaux national, régional et international ».

Là-dessus, l’initiative Nansen a été lancée pour atteindre un consensus entre les États intéressés en ce qui concerne la meilleure manière de traiter les déplacements transfrontaliers dans le contexte des catastrophes naturelles, liées au climat ou à la géophysique. Lors de la consultation intergouvernementale globale qu’elle a organisée dans ce cadre voilà quelques jours, les États ont adopté un instrument non contraignant : l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans un contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique, qui regroupe et analyse les principes fondamentaux et les pratiques effectives des États en la matière.

Reste que le droit international n’indique toujours pas explicitement si les personnes déplacées en cas de catastrophe doivent être admises dans un autre pays, ni, dans l’affirmative, dans quelles circonstances elles doivent l’être, de quels droits elles doivent disposer pendant leur séjour dans le pays concerné et dans quelles conditions elles peuvent être rapatriées ou trouver une autre solution durable.

L’ensemble de ces considérations démontre la nécessité pour tous les États de coopérer afin de penser des mesures de prévention et de protection. Tel est précisément l’objet de la proposition de résolution que je vous invite, mes chers collègues, à adopter.

Si, comme je l’ai expliqué il y a quelques instants, les migrations environnementales ont lieu principalement entre États du Sud, il revient aux pays « développés », historiquement grands émetteurs de gaz à effet de serre, d’aider ces pays à protéger les personnes déplacées, compte tenu du principe des responsabilités communes mais différenciées, et de leur fournir un soutien financier et technique.

La vingt et unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dite « COP 21 », qui se tiendra au Bourget à partir du 30 novembre prochain, sera un cadre propice à la discussion de cette problématique.

En adoptant la présente proposition de résolution, notre assemblée inciterait la France, en lui donnant la primauté, à « promouvoir, dans le cadre de la COP 21 ainsi qu’au sein des institutions européennes et internationales, la mise en œuvre de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux présents ou à venir, qui ne bénéficient aujourd’hui d’aucune reconnaissance ». (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans quelques semaines, la communauté internationale aura la responsabilité historique de trouver un accord universel permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d’accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone. La protection des victimes du dérèglement climatique est l’un des problèmes auxquels la COP 21 devra apporter une réponse.

Les travaux menés dans le cadre de l’initiative Nansen, auxquels les auteurs de la proposition de loi font référence, en particulier le programme de protection, constituent sans aucun doute une base précieuse pour identifier des pratiques efficaces dans ce domaine.

Il est désormais reconnu que le dérèglement climatique et ses conséquences - sécheresse, accès à l’eau potable et réduction de la superficie des terres agricoles - aggravent la vulnérabilité des populations et la multiplication des conflits armés.

S’il est difficile de prévoir l’ampleur du phénomène à venir – on parle de 200 à 250 millions de personnes concernées en 2050 –, on constate d’ores et déjà les conséquences du dérèglement climatique dans nombre de territoires. Nous pensons bien sûr aux inondations au Bangladesh et dans le delta du Nil, à la submersion d’archipels comme les îles Tuvalu et Kiribati, à la fonte du permafrost des terres des Inuits d’Amérique du Nord, du Canada et du Groenland, et à la sécheresse de la bande sahélienne en Afrique de l’Ouest. Tous ces phénomènes climatiques ont et auront des répercussions sur les populations, les cultures, les modes de vie et, en définitive, la survie des peuples.

C’est pourquoi nous partageons la volonté des auteurs de la proposition de résolution de promouvoir « la mise en œuvre de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux présents ou à venir, qui ne bénéficient aujourd’hui d’aucune reconnaissance ».

Il est urgent non seulement de prendre des dispositions pour atténuer le dérèglement climatique, mais également de mettre en place des outils d’adaptation pour répondre aux besoins de ces populations.

Dès la quinzième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui s’est tenue à Copenhague, l’alliance des petits pays insulaires avait souligné que l’objectif de limiter à deux degrés Celsius l’augmentation moyenne de la température sur le globe ne permettrait pas de protéger leurs territoires, en sorte que leurs populations seraient de toute façon obligées de quitter leur pays.

Parce que les conséquences du dérèglement climatique sont déjà là, la COP 21 doit absolument déboucher sur des engagements de nature à répondre aux défis qui s’imposent à l’humanité tout entière !

En ce qui concerne plus particulièrement les déplacés climatiques, les résultats de la conférence mondiale sur la réduction des risques de catastrophe, qui s’est tenue en mars dernier au Japon, donnent un premier aperçu de la difficulté. Lors de ces travaux, en effet, aucune demande de renforcement du droit international public n’a été faite en faveur de ces populations au niveau des Nations unies. Or, ne bénéficiant pas de la protection de la convention de Genève sur les réfugiés, ce que l’on peut comprendre, ces migrants n’ont ni statut ni protection juridiques.

Dans le même temps, plusieurs juristes s’interrogent sur la pertinence d’un élargissement de la protection garantie par cette convention de 1951 aux déplacés environnementaux : ceux-ci restant à l’intérieur de leur pays, un statut international serait finalement assez inopérant.

Le problème n’est décidément pas simple !

Au-delà du statut juridique, on se demande quelle protection humanitaire et quelles mesures d’accompagnement peuvent être mises en place.

La migration a-t-elle vocation à être considérée comme une stratégie d’adaptation climatique qui viserait à sécuriser les revenus des déplacés en leur permettant de ne plus vivre dans les régions à risque, d’aller voir ailleurs ? Cette stratégie d’adaptation a été reconnue notamment lors de la conférence sur le climat de Cancún, en 2010, qui a prévu la possibilité de recourir au Fonds vert pour le climat afin de soutenir, au titre du financement d’adaptation, des politiques de migration et de déplacements de populations.

En tout état de cause, il est nécessaire d’aboutir à un accord global multilatéral afin de répondre aux besoins des déplacés climatiques, un besoin déjà pressant et qui va s’amplifier. Cet accord aurait une portée plus large que les statuts régionaux spécifiques existants, comme l’accord trouvé entre l’État des Tuvalu et la Nouvelle-Zélande.

Cependant, la question de la protection des déplacés environnementaux ne saurait trouver de réponse satisfaisante si on l’isole au sein des causes de migrations. En réalité, les migrants sont contraints de quitter leur vie et leur pays en raison de facteurs multiples : la guerre, la faim, le climat, les persécutions, et tout cela s’additionne !

C’est pourquoi nous considérons que la COP 21 doit prendre en compte non seulement l’urgence écologique, mais aussi l’urgence sociale. En définitive, c’est un seul et même combat ! Les inégalités entre les riches et les pauvres, entre le Nord et le Sud, en sont les symptômes criants. Nous rejoignons d’ailleurs ceux qui dénoncent la dette écologique du Nord vis-à-vis du Sud.

Lors du sommet des Nations unies qui s’est déroulé à New York du 25 au 27 septembre dernier ont été adoptés de nouveaux objectifs mondiaux pour le développement durable. La lutte contre l’extrême pauvreté est au centre des préoccupations. Or tous les objectifs pour le Millénaire – on le sait bien – n’ont pas été atteints. Dès lors, parviendrons-nous à atteindre ces nouveaux objectifs ?

Les contradictions entre réalités économiques et impératifs climatiques n’ont pas été dépassées. Lutter contre le dérèglement climatique implique de lutter contre la pauvreté, l’exploitation humaine, et de changer de paradigme économique. On ne peut pas se contenter de dégager des solutions contraintes par une économie de marché mondialisée telle que celle qui est vécue aujourd’hui. Comme le disait Albert Einstein, nous ne pouvons pas résoudre les problèmes avec la même façon de penser que celle qui les a engendrés.

Il s’agit bien de changer de modèle.

Ces dernières années, on a pu mesurer les conséquences de la sécheresse sur la diminution des récoltes : elle entraîne des famines, des conflits et une exploitation de la misère par des mouvements extrémistes et terroristes.

La spéculation sur les matières premières agricoles aggrave la situation de manière indécente. Aujourd’hui, qui peut affirmer en conscience que cette spéculation fait partie du « business » normal et que l’on doit laisser faire le marché ?

Alors que des murs s’élèvent dans le monde pour repousser les peuples qui fuient la guerre, la pauvreté et la misère ou pour se protéger de ceux qui pourraient bientôt demander refuge, la question des déplacés environnementaux retentit avec plus de force que jamais !

Nous voyons combien il est difficile de régler la question de ces personnes qui se mettent en mouvement et qui cherchent un refuge ailleurs. Il va nous falloir prendre ce problème à bras-le-corps, et dès maintenant.

Si l’on devait résumer, il faut que tous ensemble nous réaffirmions ici la nécessaire solidarité entre les hommes et la fraternité qui doit prévaloir, solidarité et fraternité sans lesquelles nous perdrons notre humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question qui nous occupe est aussi vieille que la Bible. Pourtant, compte tenu de l’évolution de nos connaissances sur les conséquences des gaz à effet de serre, nous savons que la situation va s’aggraver.

En effet, malgré tous les efforts entrepris – cent cinquante pays responsables de 90 % des émissions de gaz à effet de serre ont déposé leur contribution à la COP 21 –, nous ne sommes pas en situation de garantir la baisse des émissions de CO2 à l’horizon de 2030 ou même de 2050.

C’est là tout l’enjeu de la COP 21 !

Pire, le niveau de la mer s’élèvera et la fréquence des catastrophes naturelles augmentera de plus en plus, ce qui est d’ailleurs notable depuis le début des années soixante-dix, ainsi que le montrent un certain nombre d’études. Outre le fait qu’elles sont plus fréquentes, ces catastrophes naturelles ont des conséquences de plus en plus graves puisque, aujourd’hui, elles font se déplacer deux à trois fois plus de personnes en moyenne qu’il y a quarante ans !

C’est dans ce contexte que nous sommes amenés à réfléchir à la situation des déplacés environnementaux.

Bien entendu, les catastrophes sont de plusieurs types. Certaines sont brutales et entraînent la fuite des individus, comme, par exemple, les inondations ou les tremblements de terre – ces derniers ne découlant pas directement du réchauffement climatique.

D’autres sont des phénomènes plus insidieux et conduisent à la désertification des terres, à des changements d’équilibre dans les secteurs de l’agriculture ou de l’élevage. Ce type de catastrophes ne permet pas de déterminer facilement les motivations des individus qui quittent un territoire. Il est parfois difficile de savoir s’il s’agit de motivations climatiques ou économiques. Dans ce dernier cas, la motivation naît simplement de l’impossibilité d’atteindre un niveau de vie suffisant. Certaines manifestations sont donc prévisibles et continues, quand d’autres se révèlent, au contraire, brutales.

Ces événements rendent également le monde plus imprévisible, pour les compagnies d’assurances notamment, mais aussi pour l’ensemble des acteurs économiques. En réalité, ces catastrophes peuvent tous nous toucher et peuvent se déclencher partout ! Ainsi, l’augmentation du niveau des mers concerne un certain nombre de mégapoles. Je pense, en particulier, à Tokyo, Hong-Kong ou New York. C’est dans un tel contexte qu’il faut examiner la question des déplacés climatiques et s’interroger sur la manière de l’aborder.

Un certain nombre d’études réalisées en 2013 sur des phénomènes climatiques ayant entraîné des déplacements de population montrent qu’il y a 27 millions de déplacés climatiques ou environnementaux en moyenne par an. En 2010, le phénomène a même connu un pic, avec 43 millions de déplacés en raison de catastrophes naturelles. En 2013, on dénombrait 5 millions de déplacés pour le seul archipel des Philippines !

Certaines zones sont particulièrement visées, comme la bande sahélienne, l’Amérique latine, les Caraïbes ou encore l’ensemble de l’Asie du Sud-Est.

Les dernières catastrophes naturelles nous obligent à tirer quelques enseignements.

Premièrement, les migrations liées à des catastrophes naturelles ne sont pas exclusivement provoquées par les catastrophes naturelles en tant que telles. Bien entendu, lorsqu’il s’agit de fuir devant une inondation, le déplacement est immédiat, rapide et s’effectue dans un lieu proche. Mais, sur un plus long terme, ces migrations dépendent aussi de phénomènes migratoires plus classiques qui précédaient l’événement.

Deuxièmement, la migration n’est pas toujours la conséquence de l’impossibilité de s’adapter à une nouvelle situation climatique.

Troisièmement, les migrations qui interviennent à la suite d’un phénomène climatique ponctuel ou d’une catastrophe naturelle peuvent s’inscrire dans la durée. Cela est vrai, en particulier, pour les jeunes, ce qui est source de difficultés pour les territoires concernés lorsqu’ils cherchent à se reconstruire.

Je formulerai une dernière remarque : les personnes qui fuient devant les catastrophes naturelles le font uniquement lorsqu’elles ont les moyens de fuir ! Les individus plus vulnérables restent sur place et rendent la reconstruction de leur pays encore plus difficile.

Il ne faut donc pas seulement s’intéresser à ceux qui fuient et qui s’installent ailleurs. Il faut également développer l’aide en faveur de ceux qui n’ont pas les moyens de migrer, de ceux qui restent sur place parce qu’ils sont les plus démunis. La question qui nous est posée n’est donc pas tout à fait la même que celle du droit d’asile.

Pour toutes ces raisons, il faut se poser la question de la nécessité d’un statut spécifique pour ceux qui sont contraints de quitter leur pays à la suite d’une catastrophe naturelle ou d’une évolution des conditions environnementales là où ils vivent. Ce problème mérite d’être pris en considération, tout en sachant que, vivre dans un État signifie avoir des droits. En effet, on ne parle pas de déclaration des droits de l’homme, mais bien de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen !

Sans État, sans patrie, vous ne pouvez pas exercer vos droits de la même manière ! Il est essentiel de réfléchir à tout cela, notamment dans le cadre de la COP 21. Je salue donc l’excellente initiative du groupe écologiste, qui a fait inscrire cette proposition de résolution à l’ordre du jour.

Il me semble difficile d’envisager une simple insertion des déplacés environnementaux dans la convention de Genève relative au statut des réfugiés. En effet, on a déjà bien du mal à faire respecter cette convention, comme on le voit quotidiennement, la nuit dernière encore, à la frontière entre la Slovénie et la Croatie. Il est donc préférable de ne pas mélanger les thématiques.

Ensuite, on ne peut pas non plus ajouter un simple protocole sur ce sujet dans le cadre de la COP 21, car la situation est plus compliquée. Il existe différents types de déplacés environnementaux, selon qu’il s’agit notamment de personnes fuyant des catastrophes ponctuelles ou des phénomènes qui, s’inscrivant dans la durée, rendent un territoire progressivement inhabitable.

Par conséquent, il me semble que la solution consiste probablement à élaborer une nouvelle convention, même si son adoption obéirait à des contraintes à peu près identiques à celles que l’on rencontre dans les négociations de la COP 21 : les États ont des responsabilités différenciées en matière d’évolution climatique – notre collègue Esther Benbassa l’a souligné – et ne peuvent donc pas être à égalité sur cette problématique du changement climatique. Il est important de prendre en compte l’exigence de protection des personnes déplacées dans le cadre de la COP 21.

Compte tenu de la priorité qui doit être donnée à la résolution de la cause,…