M. François Bonhomme. Encore un effort !

M. Ronan Dantec. En effet, je relève une contradiction flagrante dans le discours de la droite : d’un côté, elle hurle à l’étranglement financier du bloc communal,…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Ronan Dantec. … de l’autre, ses dirigeants – tous candidats à l’élection présidentielle – se lancent dans une étonnante surenchère sur le montant des économies budgétaires à réaliser : 100 milliards d’euros, 150 milliards d’euros, on ne sait pas jusqu’où cela ira ! Il lui est difficile de s’ériger en défenseur des budgets communaux tout en préparant l’étranglement financier des communes. La position de la droite me semble totalement intenable et je crains vraiment le pire pour les années à venir !

Par ailleurs, je pense que d’autres pistes peuvent être explorées et qu’une alternative aux coupes budgétaires nettes dans les concours de l’État – même compensées, comme cela sera certainement annoncé tout à l’heure, pour ne pas dire rafistolées par quelques aides ponctuelles comme le fonds pour l’investissement local dont la création a été révélée en septembre dernier – existe.

Ainsi, la question d’une meilleure répartition des recettes de la cotisation foncière des entreprises qui crée actuellement d’importantes inégalités financières entre territoires devra certainement être posée.

Je profiterai du temps de parole qu’il me reste pour engager un débat sur plusieurs de mes propositions, qui permettra de ne pas nous limiter à la défense du statu quo.

Je pense que les communes et les intercommunalités doivent être perçues non comme des entités autonomes, mais comme des territoires s’insérant dans la République. À ce titre, elles doivent porter une part de la responsabilité collective et aider à relever les grands défis nationaux auxquels notre pays est confronté.

C’est le cas, par exemple – faut-il le rappeler ? –, de l’habitat : notre pays a besoin de logements, tout particulièrement de logements sociaux. Compte tenu de cette urgence, les dotations de l’État et le volontarisme des territoires ne devraient-ils pas être beaucoup plus nettement orientés vers le logement social, la mixité et la politique de l’habitat ? Voilà un débat que nous devrions conduire !

La question de la transition énergétique, sur laquelle je voudrais revenir, s’inscrit dans la même logique.

M. Jacques Mézard. Il y a déjà la COP 21 !

M. Ronan Dantec. Les territoires sont la clé de cette transition : sans eux, il sera impossible de tenir les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Je précise qu’il s’agit de mon couplet en faveur de la COP 21, sans quoi, monsieur Mézard, vous auriez été déçu ! (M. Jacques Mézard s’exclame.) Ce débat renvoie à celui qui s’est tenu hier soir dans l’hémicycle. Vous savez, mes chers collègues, qu’il s’agit d’une question à laquelle je tiens beaucoup et que j’aborde le plus fréquemment possible.

Aujourd’hui, si nous décidions de réduire les dotations de l’État, cela créerait une situation dans laquelle les collectivités territoriales n’auraient pas les moyens de créer les fonds qui leur permettront de s’engager dans la transition énergétique.

M. Raymond Vall. Très juste !

M. Ronan Dantec. Dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous avions pourtant créé les « tiers investisseurs », c’est-à-dire une mesure favorisant la capacité d’investissement des collectivités territoriales dans la transition énergétique. Si donc nous réduisions fortement les dotations aux collectivités, celles-ci ne pourraient que moins investir : on s’aperçoit bien qu’il y a une contradiction !

Nous devrions aujourd’hui réfléchir sérieusement à cette question de la mobilisation des finances locales au service de la transition énergétique. Il faudra peut-être faire preuve d’un peu d’imagination. Nous en avions d’ailleurs parlé dans cette enceinte même avec Ségolène Royal : ne pourrions-nous pas créer des budgets annexes, disposer de fonds dont les ressources n’entreraient pas dans le calcul de l’endettement des collectivités territoriales, parce qu’elles seraient à l’origine de retours sur investissement ?

M. Raymond Vall. Très bien !

M. Ronan Dantec. C’est ce genre de sujet que nous devrions étudier collectivement. Cela redonnerait des marges de manœuvre aux collectivités territoriales. Cela leur permettrait aussi de répondre à des défis essentiels et de créer un nombre important d’emplois dans les territoires.

Parfois, je me dis que les écologistes ne sont pas les plus décroissants – même si certains m’en ont encore fait le reproche cet après-midi – et qu’ils ont en vue, sans doute plus que d’autres, une véritable croissance économique ! (Mme la ministre opine.)

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite mettre une autre idée sur la table, afin de trouver des recettes pour le bloc communal. Pourquoi ne pas imaginer – comme cela a été défendu par les réseaux européens des collectivités territoriales voilà quelques années – une dotation globale de fonctionnement additionnelle climat qui serait alimentée par la mise en enchère des permis d’émission de gaz à effet de serre – il paraît que les recettes liées à ces permis qui tombent directement dans les caisses de l’État vont augmenter – ou par la contribution carbone que le Sénat a décidé de réévaluer ?

Dès lors que nous avons fixé dans la loi relative à la transition énergétique l’obligation pour toutes les intercommunalités de mettre en place un plan climat adossé aux engagements internationaux de la France – je ne suis même pas sûr que toutes les intercommunalités l’aient encore intégrée – et que nous avons créé, dans le cadre de cette même loi, des systèmes extrêmement simples de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre dans les territoires, nous pourrions très bien imaginer un mécanisme dans lequel ce sont les territoires qui s’engagent le plus en matière de réduction des émissions qui bénéficieraient de ces ressources.

C’est ce type d’idées qui permettraient d’obtenir des recettes, de la dynamique et de l’activité. Il s’agirait également d’un puissant levier pour mener à bien la transition énergétique.

Plus généralement, je crois que la lisibilité de la DGF et des dotations de l’État est aujourd’hui extrêmement faible. Les maires m’ont souvent fait part de leur véritable besoin de mieux comprendre le rapport entre les politiques qu’ils mènent et les recettes qu’ils perçoivent. Il importe par conséquent de réfléchir sur ce point : en ce sens, l’engagement d’une véritable réforme de la DGF afin de la rendre lisible et solidaire nous semble nécessaire.

Néanmoins, je rejoins Claude Raynal lorsqu’il déclare qu’il est difficile de conduire une telle réforme. Si tout le monde est favorable à la réforme, en réalité, au-delà des postures, le refus d’une véritable péréquation entre riches et pauvres réapparaît toujours assez rapidement !

Mme Sophie Primas. Ce n’est pas vrai ! Il existe bien une péréquation !

M. Ronan Dantec. Et je ne vous parle pas, mes chers collègues, de la réforme des bases locatives !

Nous manquons aussi d’une réelle vision de l’articulation entre les divers types de territoires. Quels sont les effets entre grandes métropoles et territoires ruraux ? Quelles sont les dynamiques entre ces territoires ? Je n’ai malheureusement pas le temps d’ouvrir un tel débat.

Je ne répéterai pas les propos qui ont été tenus auparavant : compte tenu de ce qui s’est passé ces derniers jours, nous en sommes aujourd’hui à la réponse aux enjeux de sécurité. Toutefois, il nous faudra répondre demain à la question des territoires et à celle de l’exclusion. Je n’ai pas besoin de développer ces sujets, car je rejoins tout à fait ce qu’a dit Marie-France Beaufils.

Pour conclure, je le rappelle, la dépense publique n’est pas une mauvaise chose ; elle est nécessaire à une société en état de marche dont elle constitue l’un des socles ! Il convient en effet de se souvenir que la plupart des pays de cette planète rêveraient d’une augmentation de leurs dépenses publiques et d’outils financiers pour leurs territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – M. Raymond Vall applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la ministre, vous avez raison de vouloir faire évoluer la DGF. Ce que nous contestons, c’est la méthode !

Si les élus locaux et a fortiori l’ensemble de nos concitoyens font face à des mécanismes strictement illisibles, qui sont d’ailleurs vécus depuis longtemps comme l’aboutissement de décisions bureaucratiques coupées des réalités de terrain, cela signifie qu’il est effectivement urgent de modifier les règles de cette dotation.

Pour couronner le tout, comme les mécanismes se sont superposés sans se substituer les uns aux autres, en gelant chaque couche de la « pâte feuilletée » des distorsions entre communes voisines, entre communes de mêmes caractéristiques, entre départements de même strate, ils se sont aggravés. Or tout cela est vécu aujourd’hui comme profondément injuste, contraire même au principe de l’égalité des territoires, mot d’ordre ou élément de langage dont la déclinaison pratique est si difficile à réaliser.

Comme la question de la révision des bases locatives, la situation actuelle résulte d’une responsabilité collective, tous gouvernements confondus. Nous le savons tous, lorsqu’on touche aux revenus ou à la fiscalité, ceux qui bénéficient de la réforme restent silencieux de contentement, et ceux qui y perdent pleurent en poussant des cris d’orfraie. Telle est la dure loi de l’exercice du pouvoir !

La question de la dotation globale de fonctionnement est double. Premièrement, quelle est l’enveloppe budgétaire fléchée dans le projet de loi de finances pour les dotations de l’État aux collectivités locales ? Deuxièmement, comment répartir cette enveloppe et quels critères privilégier pour aller vers davantage de justice et de simplification ?

Pour répondre à la première question, il faut convenir que, parallèlement à la réforme de la DGF, l’engagement par le Gouvernement d’un plan drastique de réduction des concours de l’État aux collectivités territoriales ne facilite pas la tâche ! En dépit des indispensables mesures de lissage annoncées, le rapport que Charles Guéné, Philippe Dallier et moi-même réalisons au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur les conséquences de la baisse des dotations nous permet de conclure dès à présent que, sans tenir compte des effets de la réforme, un nombre considérable de collectivités locales sera touché d’ici à 2017 : certaines collectivités se trouveront dans une situation de grave déséquilibre budgétaire ; beaucoup d’entre elles seront obligées de réduire les dépenses d’investissement et d’augmenter l’impôt local. Et encore, pour certaines, cela ne suffira pas !

Il est clair qu’ajouter une couche à la situation financière déjà dramatique de ces communes ne serait pas raisonnable en l’état.

Je n’ai jamais contesté le principe d’une baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales, car, quel que soit le gouvernement en place – et l’alternance d’ailleurs –, cela est difficilement évitable. En revanche, il est primordial de répartir la charge de ces prélèvements en fonction de la richesse et du potentiel des collectivités territoriales car, madame la ministre, le bon sens populaire dit que l’on ne peut tondre un œuf. (Sourires.) C’est cela la vraie justice, la véritable égalité territoriale !

Réformer la DGF, nous y sommes quasiment tous favorables. Toutefois, plusieurs conditions doivent être réunies pour la réussite de cette réforme.

Tout d’abord, celle-ci implique le temps d’une vraie concertation avec le Parlement en utilisant les travaux déjà réalisés et en cours de réalisation. J’ai bien dit « avec le Parlement », car, bien sûr, si les associations d’élus font des observations souvent pertinentes, leurs intérêts sont fréquemment contradictoires pour répondre aux préoccupations des différentes strates et des divers types de collectivités qu’elles représentent. Heureusement, nous n’avons pas eu de Haut Conseil des territoires !

M. Albéric de Montgolfier. Quelle horreur ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Cela vous aurait compliqué la tâche !

M. Jackie Pierre. C’est exact !

M. Jacques Mézard. Vous le comprenez, madame la ministre, ce que je viens de dire est tout à faire contraire à ce que vous essayez de faire. Vous avez voulu intégrer la réforme de la DGF dans le projet de loi de finances sans concertation avec les groupes politiques…

M. Jacques Mézard. … ou avec la délégation aux collectivités territoriales, en créant un nouveau dispositif forcément en inadéquation avec votre réforme territoriale sur la fusion forcée des intercommunalités.

Comment faire des simulations crédibles sans connaître la nouvelle carte intercommunale, alors que les objectifs que vous défendez privilégient l’échelon des EPCI ? C’est contradictoire et, en tous les cas, très difficile ! (Mme Sophie Primas opine.) C’est même incohérent et surréaliste ! C’est d’ailleurs la raison que vous avez invoquée pour reporter la réforme d’une année sans – selon vous – en changer les grands principes.

L’autre raison que nous n’avez pas invoquée, madame la ministre, c’est que, sur la base des simulations qu’il a fallu vous arracher (M. Gilbert Barbier sourit.) – nous n’y sommes pas parvenus en passant par votre cabinet, si bien que nous avons utilisé des voies détournées (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.) –, les résultats étaient strictement inexplicables, ne serait-ce que par le jeu de la dotation de centralité prévue. Si le système était appliqué tel que vous l’avez envisagé, il serait absolument impossible à gérer !

De grâce, prenez le temps de la concertation, cela changera ! (Sourires sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Prenez le temps de la recherche du consensus, cela changera ! Et s’il est un dossier sur lequel une véritable étude d’impact est nécessaire, c’est bien celui-ci !

Ensuite, que voulons-nous ? Partir du constat que la DGF actuelle ne correspond plus à la réalité des charges de fonctionnement et des modes de gestion locaux, qu’elle est devenue une rente justifiée par l’histoire – avec des mécanismes de garantie et de compensation –, dont la sédimentation s’est bétonnée.

Pour nous, il convient certes de corriger la dotation forfaitaire pour davantage tenir compte des charges de centralité et des charges des communes rurales, mais il importe de le faire de manière plus progressive et en évitant tout choc collatéral trop brutal. Madame la ministre, votre projet est à ce titre un échec assuré !

Enfin, nous souhaitons une refonte des mécanismes de péréquation des communes, aujourd’hui marqués par un saupoudrage destructeur, des effets de seuil et une absence d’articulation avec les mécanismes de péréquation horizontale. De plus, l’absence d’articulation avec les systèmes de péréquation verticale crée un certain nombre d’effets contre-péréquateurs.

Vous voulez resserrer l’éligibilité à la dotation de solidarité urbaine – la DSU – et à la dotation de solidarité rurale et en simplifier l’architecture en supprimant la dotation nationale de péréquation : vous avez raison !

Vous voulez créer une DGF des EPCI distincte de celle des communes : l’objectif est louable, mais la réalisation est problématique.

Créer une DGF locale calculée à l’échelle du territoire intercommunal, intégrant des garanties portées par l’autonomie communale et versée directement par l’État reviendrait à mettre en place un mécanisme mal étudié, qui pourrait entraîner des conséquences catastrophiques. Jouer à l’apprenti sorcier en la matière est dangereux !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jacques Mézard. En fait, madame la ministre, vous voulez l’évaporation des communes sans la proclamer, comme vous voulez encore celle des départements !

M. Jacques Mézard. Pourtant, de manière générale, il n’est pas sain de construire des mécaniques financières en fonction d’une organisation territoriale future et incertaine.

En l’état, suspendez l’examen des principes de la DGF dans le projet de loi de finances et élaborons tous ensemble un texte consacré aux dotations de l’État ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Charles Guené.

M. Charles Guené. Lorsqu’on a été formé à la fiscalité des collectivités locales et que l’on s’adonne à la pratique depuis un demi-siècle, la réforme de la DGF constitue un challenge de choix. Je dois donc reconnaître, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que votre initiative pouvait me séduire, a priori. J’avoue y avoir cédé dans un premier temps, avant qu’un examen attentif ne m’en détournât.

Aussi me bornerai-je à l’exercice proposé, sans trop rentrer dans la technique – cela exigerait des développements exhaustifs, que le temps imparti nous interdit –, mais en me concentrant plutôt sur les corrections à apporter au niveau de la méthode et sur le cheminement à conduire pour que nous arrivions ensemble à bonnes fins.

Chacun l’admet aujourd’hui, la DGF doit être réformée. Elle est devenue illisible et souvent injuste à force de sédimentation. Elle est devenue insoutenable : le système a atteint ses limites !

L’importance de la dette et la nécessité de rendre de la compétitivité à notre économie ont d’abord – durant la dernière décennie – freiné la DGF jusqu’à la geler. Aujourd'hui, la dotation est mise à contribution, avec, pour seules variables d’ajustement, le contribuable, autrement dit les ménages, et l’investissement.

Dans le même mouvement, la mondialisation et la numérisation ont profondément modifié la géographie économique de notre pays, concentrant les ressources sur des territoires de plus en plus réduits et menaçant les équilibres qui sous-tendent l’aménagement de l’espace français.

Nous en avons tiré une partie des conséquences, sans toutefois rédiger une véritable feuille de route, ni en donner une projection lisible.

Aux exonérations de l’impôt mises à la charge de l’État, a succédé la réforme de la taxe professionnelle qui a réduit le poids de l’impôt économique, mais également validé la substitution constitutionnelle sans équivoque de l’autonomie financière à l’autonomie fiscale des temps heureux.

La péréquation horizontale a été mise en place pour tenter de ramener chacun à une philosophie du partage mieux comprise.

Si besoin était, la loi organique de 2012 a transposé le contenu du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, en posant les principes et les instruments d’un pilotage de la trajectoire, rappelant que les enjeux ne se limitaient pas au secteur « État » et ne s’arrêtaient pas non plus aux frontières nationales.

Dans des lois dites « territoriales », aux sigles aussi variés que MAPTAM ou NOTRe, ont été proposées une nouvelle organisation spatiale et la prise en compte d’une asymétrie, également nouvelle, qui bouscule un centralisme séculaire. Je veux parler de la reconnaissance des métropoles, qui s’affirment comme les nouveaux acteurs du XXIe siècle, venant bouleverser compétences, géographie et fiscalité.

De tels mouvements imposent, exigent leur traduction en termes de fiscalité locale, et cette réforme ne peut se limiter à la proposition que vous nous faites, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, ni dans sa construction ni dans sa formulation !

Votre réforme n’est pas à la hauteur de l’attente des collectivités. Elle ne correspond pas non plus aux enjeux d’une démocratie moderne. Elle se heurte à deux écueils : vouloir répondre à d’autres fins que son but initial et ne pas adopter un process et des outils susceptibles de lui conférer un caractère durable.

Elle s’inscrit, en effet, dans la logique d’atténuement temporaire de la contribution au redressement des finances publiques qui, si elle se justifie, n’en est pas moins d’une violence inouïe dans son quantum comme dans son calendrier – cela a été souligné – et exigeait certes un peu de cosmétique.

Dès lors, la copie souffre de ce péché originel : en tentant de satisfaire, l’espace d’un temps électoral, le plus grand nombre et les plus gros contribuables, elle s’éloigne de la recherche de l’équité, sacrifiant le gros des collectivités médianes sans distinction.

Ce jeu de bonneteau explique le fait que vous ayez livré les simulations au compte-goutte, et le désarroi de votre propre majorité, qui a tenté vainement de modifier la réforme à l’Assemblée nationale.

Tout cela n’est pas conforme à la dimension du sujet qui nous préoccupe !

La réforme de la DGF exige que nous posions le principe de la refonte complète du financement par dotations des collectivités locales, en embrassant non seulement la DGF, mais aussi les dispositifs de péréquation verticale et horizontale. Il faut surtout veiller à ce que chacun ait une vision à terme et une lisibilité complète du système adopté et, plus encore, y adhère.

La réforme nouvelle doit reposer sur une vision partagée de l’adéquation des ressources aux charges pesant sur les collectivités, dans leur diversité reconnue, et cela au plus près des réalités locales, en s’éloignant de canevas historiques souvent dépassés.

La péréquation doit figurer au rang de ces enjeux nouveaux. Sa nature, mais aussi ses mécanismes doivent faire partie du consensus, tout comme la durée de mise en place du processus de convergence.

Le lissage ne doit pas s’inscrire dans une nébuleuse, comme vous le proposez, et le « spontané » doit faire place à des objectifs identifiés et partagés.

Seconde faiblesse, cette réforme n’est pas à la hauteur d’une démocratie moderne.

Il aura fallu la double insistance du président du Sénat pour que, tout d’abord, vous nous transmettiez un premier jet, limité aux simulations pour 2016, puis que l’on assiste à l’« atterrissage » de la réforme en cours, qui ressemble d’ailleurs plus à un « touch and go ».

À cette heure, les chiffres du Grand Paris ne sont toujours pas calés, et nous peinons encore à décrypter les effets de cette « réforme à mèche lente ». Je n’évoquerai pas le caractère superficiel, voire anecdotique, du rapport sur le FPIC qui vient de nous être remis.

Dès lors, vous rangeant au fait que la nouvelle carte de l’intercommunalité rendait incohérente toute simulation de la dotation territoriale de centralité, vous avez bien voulu admettre un report à 2017 de l’application de cette réforme.

Nous pouvons, nous semble-t-il, mettre à profit les mois à venir pour travailler ensemble l’architecture d’une réforme globale des ressources des collectivités locales. Celle-ci ferait l’objet d’une loi spécifique, qui concernerait les dotations d’État, bien sûr, mais aussi les mécanismes d’ajustement des charges et des ressources, et la nécessaire rénovation de la péréquation, cela de manière corrélée à l’ensemble des ressources des collectivités.

C’est le sens de notre proposition de réécriture de l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016.

Nous devons fixer le calendrier et les modalités de ce travail au plus tôt, pour l’articuler avec l’exercice de modification et de finalisation de votre propre texte. Le Sénat, qui a toute légitimité pour intervenir sur la question, y est prêt.

Enfin, il serait dommage de ne pas profiter de cette réforme historique pour mettre en place les outils et mécanismes d’une nouvelle gouvernance des finances publiques.

Nous ne pouvons poursuivre nos travaux mutuels dans le cadre actuel, qui laisse apparaître une approximation navrante, ainsi qu’une absence de partage d’objectifs et de confiance dans l’information échangée.

Le Parlement doit pouvoir disposer des bases et effets en simultané. Notre pays accuse, à cet égard, un retard considérable.

Nous devons sortir du manichéisme entretenu entre gouvernement et collectivités, pour rechercher, dans le cadre d’une responsabilité partagée, l’équilibre des comptes publics et relever les défis en termes de compétitivité de notre siècle.

Dans ces conditions, pour peu que nous ayons la volonté de travailler ensemble, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, la République, en particulier le Sénat, dont c’est le cœur de métier, apportera les réponses attendues par nos concitoyens et les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à ce stade du débat, et compte tenu des excellentes interventions de François Baroin et de Charles Guené, je limiterai mon propos à quelques observations.

Tout d’abord, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, nos positions ne sont pas si éloignées que cela. (Exclamations amusées sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Le Gouvernement a fait une concession en acceptant une réforme en deux temps. Quand le Sénat préconise de présenter les principes et modalités de la réforme en ayant une vue claire de ses effets, vous proposez de déterminer les principes, puis de vérifier les modalités, avant de constater les effets pour, peut-être, les corriger. Les points de vue peuvent donc être conciliés sur ce point, me semble-t-il, et nous formulons une proposition empreinte de sagesse.

Mais, comme nous allons le constater dans quelques instants, nos positions ne sont peut-être pas si éloignées que cela sur les principes mêmes, à quelques corrections de taille près, toutefois !

Nous pourrions voir dans le choix du Gouvernement une certaine forme d’habileté : le délai concédé sur la mise en place de cette réforme servirait, en définitive, à faire accepter et prospérer l’idée d’une baisse des dotations.

Cette diminution des dotations, comme l’a très bien expliqué François Baroin, constitue à nos yeux le sujet principal. Si tel est réellement votre calcul, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous devez aussi avoir la lucidité de comprendre que vous choisissez d’opérer un malade au pire moment, c’est-à-dire alors que la fièvre de la baisse des dotations est la plus forte.

Vous percevez toute la difficulté que représente le fait de réformer au moment où il y a moins à répartir, et tous les risques que cela fait courir. En particulier, vous risquez de nourrir la crainte d’une amplification supplémentaire de l’effort demandé aux collectivités. Surtout, j’y insiste, il n’y a rien de plus difficile que de réformer sans grain à moudre : il y aura des perdants !

Par ailleurs, vous voulez réformer la DGF sans vision globale.

La question de la DGF ne peut être traitée sans prendre en compte toutes les dotations – notamment les dotations de compensation –, sans envisager l’architecture du système de financement des collectivités dans son ensemble et sans avoir une vision, claire et établie une bonne fois pour toutes, des missions et moyens des collectivités.

Or cette vision n’a cessé d’évoluer au fil des textes – loi MAPTAM, loi NOTRe – et des variations nombreuses de vos projets, qu’il s’agisse de l’évolution de la clause générale de compétence ou du rôle des départements. D’où cette question : que reste-t-il de l’ambition initiale et où voulez-vous, en définitive, nous conduire ?

Il n’est pas sûr qu’une vision aussi peu architecturée – j’ai envie de dire « désarchitecturée » – des collectivités, vous amenant à traiter une part seulement de leurs financements, sans vision claire de leur avenir, vous apporte la réussite. Vous risquez précisément d’obtenir le résultat inverse.

L’effet défoliant de la baisse des dotations est toujours présent et voilà que, avant même que les conséquences ne soient connues, vous changez de nouveau les règles ! Après les évolutions du FPIC, il fallait oser prendre un tel risque, sachant que la question des bases locatives, repoussée, se posera inévitablement un jour et qu’il faudra peut-être aussi, à l’avenir, traiter l’ensemble de la problématique de la fiscalité locale.

Sur le fond, je retiens de votre réforme deux idées fortes.

Je citerai tout d’abord une aspiration légitime à plus d’égalité et de transparence dans le calcul de la DGF : c’est l’idée, qui, bien évidemment, apparaît tout à fait tentante, d’une DGF égale à la base.

Toutefois, ce souci d’équité cache des correctifs inévitables. Il faut tenir compte de la ruralité, de la centralité et d’un certain nombre d’autres correctifs prévus dans la réforme, le tout risquant de nous faire perdre le cap.

Reste un sujet épineux, on le sait : celui des villes moyennes situées dans des intercommunalités dont elles ne sont pas les villes-centres. Un certain nombre de réglages doivent maintenant être opérés sur cette question, la crainte, à ce stade, étant que ces villes ne deviennent les grandes perdantes du système. Des exemples récents confirment effectivement ce principe, connu, selon lequel, en matière de fiscalité, tout est dans les réglages.

Après les cinq premières années de la réforme, après les fameux 5 %, l’atterrissage n’est toujours pas assuré dans vos prévisions. Cela atteste, reconnaissons-le, d’un certain tâtonnement, voire d’une expérimentation sans filet et sans garantie.

Je n’insiste pas sur les simulations changeantes – Jacques Mézard les évoquait précédemment –, qui ne sont pas sans évoquer une sorte de miroir aux alouettes. Aux uns, on promet qu’ils seront gagnants ; aux autres, on explique qu’ils ne seront pas perdants. Ne cherche-t-on pas simplement à faire passer la réforme, en gratifiant ainsi chacun de quelques flatteries ?

Je reconnais bien volontiers que l’on a vu des contre-exemples dans les agissements des gouvernements passés et que, en définitive, chacun a le droit d’avoir recours à de tels procédés habiles. Cela étant, décider de changer toutes les règles en même temps, comme un savant fou, alors même que les dotations baissent, a quelque chose de très insécurisant aux yeux des élus.

Au surplus, territorialiser la DGF, faire des intercommunalités le nouveau pivot de la répartition, c’est bien sûr accentuer l’intercommunalisation. Dit plus brutalement, cette réforme de la DGF porte en elle le risque majeur, perçu par les communes elles-mêmes, d’attenter au devenir de celles-ci. Ce risque peut être, à terme, vital pour elles.

Je crois que le modèle intercommunal est essoufflé ; c’est pourquoi l’hypothèse de communes nouvelles doit être examinée. Or, avec cette réforme, vous choisissez clairement l’intercommunalité palliative et non stratégique. Pourtant, comme l’expliquent d’excellents auteurs, il ne faudrait peut-être pas écarter le modèle incluant une augmentation des villes nouvelles et la mise en place d’une intercommunalité stratégique. Cela pourrait être l’une des conditions du renouveau de la commune. Tenant ces propos, je reviens sur l’absence de pensée systémique qui sous-tend votre réforme, et c’est là que réside toute la difficulté.

En modifiant la DGF, on ne peut pas faire l’économie de la question : quel rôle pour les communes demain ? Au lieu d’intercommunalités intégratives avec carottes financières et des villes un peu affaiblies, il conviendrait plutôt de s’orienter vers des communes nouvelles plus fortes avec, au-dessus, des intercommunalités stratégiques. Ce n’est pas la voie que vous empruntez, je tenais à le souligner.

Parlant d’intercommunalités palliatives, je me permets d’y associer la métropole du Grand Paris, sans toutefois vouloir choquer. L’expérimentation financière en temps réel de cette métropole est telle que les effets du FPIC doivent être étudiés en totalité. Il faut garder cela à l’esprit. Le risque est qu’une loi récente adoptée sans véritable maquette financière ne se traduise par d’extrêmes difficultés pour les territoires comme pour les communes. Je sais que vous êtes attentifs à ce point, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mais nous devrons faire preuve de beaucoup de doigté dans le réglage de cette question lors de l’examen du projet de loi de finances. Sinon, nous encourrons de graves difficultés. Convenons-en, il n’est pas de très bon augure, compte tenu de l’avancement de la réforme de la DGF, que les réglages sur ces métropoles se poursuivent en temps réel, à quelques semaines de la mise en œuvre de ces dernières.

Pour toutes ces raisons, le Sénat est fondé à souhaiter un texte spécifique et un approfondissement de la réflexion sur la DGF. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait un premier pas. L’ambition de la majorité sénatoriale est une remise à plat du système et un début de mise en perspective de la réforme de la DGF. Nous convergeons, je le crois, sur l’idée qu’il faut traiter la globalité des financements des collectivités et des missions. J’ai la faiblesse de penser que, si vous suivez le Sénat, vous saisiriez une chance : celle de rétablir la confiance au centre de la relation entre l’État et les collectivités. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)