M. Didier Guillaume. Mais il ne me semble pas que le Sénat soit dans le même état d’esprit. Je suis certain que ces deux semaines de discussion budgétaires, même si la confrontation est dure et parfois le propos virulent parce que nos projets et nos orientations diffèrent, se dérouleront dans l’unité sénatoriale, conformément à la tradition de cette assemblée.

Le contexte politique lié aux attentats a été évoqué par les membres du Gouvernement. Il conduit à une augmentation des budgets de la défense, de l’intérieur et de la justice. J’y reviendrai brièvement, avant que mes collègues n’en parlent plus précisément.

Le contexte du débat budgétaire au Sénat est également particulier. Les budgets pour 2013 et 2014 avaient été rejetés dès la première partie ; l’année dernière, neuf missions avaient été supprimées, parmi lesquelles celle de la défense.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous avons eu raison trop tôt !

M. Didier Guillaume. Pour 2016, le rapporteur général et les orateurs de la majorité sénatoriale nous ont annoncé 5 milliards d’euros de baisse des dépenses, alors que nous en attendions 95 milliards de plus – 80 milliards, si l’on ne prend pas en considération le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous avons pris connaissance de l’ensemble des orientations de la majorité sénatoriale et nous attendons toujours sa proposition de budget prévoyant 100 milliards d’euros de dépenses en moins !

M. Éric Doligé. Vous le verrez en 2017 !

M. Didier Guillaume. Vous parlez du Sénat comme d’un laboratoire de l’alternance, mais il semble que vous n’osiez pas présenter un tel budget cette année, de crainte, peut-être, qu’il ne soit trop dur pour être apprécié de nos concitoyens ! (M. Bernard Lalande applaudit.)

En écoutant le rapporteur général, qui semblait jouer les Cassandre, je me disais : « Non, pas lui, pas ce rapporteur général. Avec son honnêteté intellectuelle, son professionnalisme, il ne peut pas se prêter à ce jeu ! Souhaite-t-il vraiment que ces prévisions négatives se réalisent ? Non, son histoire politique, son amour de la France, sa vision des finances interdisent de le croire ! » (Rires sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Sapin, ministre. Quelle belle assemblée ! (Sourires.)

M. Didier Guillaume. Ou peut-être vous opposez-vous par dogmatisme ? Mais, là encore, nous savons, au travail que vous accomplissez au sein de cette assemblée, qu’il n’en est rien.

J’en conclus, monsieur le rapporteur général, que vous peinez à accepter qu’éventuellement un gouvernement de gauche parvienne à redresser les finances, à les remettre dans la bonne direction, et avec elles le pays !

M. Michel Sapin, ministre. C’est fort possible !

M. Éric Doligé. Faites-le donc, allez-y !

M. Francis Delattre. Il y a du travail !

M. Philippe Dallier. Il faut vous retrousser les manches !

M. Didier Guillaume. Nous allons donc essayer, avec ce budget et les initiatives que nous allons prendre dans les mois qui viennent, de vous en convaincre !

M. Philippe Dallier. Il va falloir y consacrer un peu plus de dix minutes ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Guillaume. Le budget se discute à partir de chiffres et non de fantasmes. Dans le passé, chaque fois que la gauche a été au pouvoir, les choses sont allées dans la bonne direction. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Francis Delattre. Malheureusement, les électeurs ne sont pas d’accord !

M. Philippe Dallier. En 2002, par exemple, c’était frappant…

M. Didier Guillaume. À mon sens, ce budget est le plus abouti et le plus complet. Les engagements relatifs aux priorités définies par le Président de la République y sont tenus.

C’est un budget qui affirme la souveraineté de l’État vis-à-vis de nos engagements et de la trajectoire européenne, et nous l’assumons.

Le pacte de sécurité, qui prend le dessus par rapport au pacte de stabilité, nous permettra ainsi, malgré tout, de maintenir le cap de nos engagements européens.

Ce budget respecte quelques grands équilibres. On nous annonçait une croissance atone, qui n’atteindrait jamais les prévisions du Gouvernement ; elle s’élèvera pourtant à 1,1 %. Nous avons entendu ce qui a été dit tout au long de l’année, et nous aimerions que ce chiffre soit plus important, mais la croissance est une réalité !

La dette a été évoquée par beaucoup des orateurs précédents, je ne m’y attarderai pas, mais enfin, elle avait augmenté de 600 milliards d’euros durant le quinquennat précédent. Selon la Cour des Comptes, 200 milliards d’euros découlaient de la crise et 400 milliards d’euros des choix politiques que vous assumez, chers collègues, comme il revient à chaque gouvernement de le faire.

Enfin, nous avons montré, dans ce budget, que le déficit était en train de baisser. Soulignons, c’est important, que, pour la première fois, la charge de la dette n’est pas le premier budget de l’État. Cette place revient au budget de l’éducation nationale. Nous en sommes très fiers, car c’était une priorité du Président de la République.

M. Michel Sapin, ministre. Eh oui !

M. Didier Guillaume. Nous avons identifié trois grandes priorités : le soutien au pouvoir d’achat, le soutien à l’économie et le soutien à l’investissement, parce que nous voulons redresser le pays.

S’agissant du pouvoir d’achat, ne vous en déplaise, chers collègues, la baisse des impôts est bien là ! Elle concernera 12 millions de foyers fiscaux sur les 17 millions qui sont assujettis à l’impôt, durant ces deux années. C’est une réalité que nous assumons. L’année dernière, 9,5 millions de foyers fiscaux étaient concernés, ils seront 8 millions cette année, parmi lesquels 3 millions n’en bénéficiaient pas encore. Au total, ce sont donc bien 12 millions de foyers fiscaux qui vont voir leur impôt baisser.

M. Francis Delattre. C’est tout de même bien modeste !

M. Didier Guillaume. C’est peut-être modeste, mon cher collègue, mais nous baissons les impôts et nos concitoyens s’en aperçoivent ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je peux vous dire que, pour les personnes âgées, notamment les veuves, qui ne paieront pas la taxe d’habitation, et économiseront un mois de pension, un mois de retraite, cela compte !

Le soutien à l’économie a déjà été évoqué, avec le pacte de responsabilité, que nous mènerons jusqu’au bout, et avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. C’est par les entreprises que l’économie repartira, et nous constatons d’ailleurs que leurs marges se redressent. Est-ce suffisant, certainement pas, mais c’est une réalité que l’on ne peut pas nier. Lorsque l’on parle de budget, les chiffres sont têtus !

M. Philippe Dallier. Peu importe, donc, que nous soyons toujours les plus mauvais en Europe ?

M. Didier Guillaume. J’en viens à la troisième grande priorité, le soutien à l’investissement.

Je tiens à saluer à nouveau le Gouvernement, parce que le prêt à taux zéro élargi est une mesure formidable, qui va permettre, de relancer la construction et la rénovation et, ainsi, de soutenir les entreprises du secteur du BTP, dans l’ancien comme dans le neuf.

Quant aux collectivités locales, nous en parlerons.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Parlons-en !

M. Didier Guillaume. Nous sommes sénateurs et avons donc chacun les meilleures raisons de déposer des amendements pour revenir sur la baisse des dotations de l’État aux collectivités locales ! Mais je constate que, dans bon nombre des propositions formulées par les uns ou par les autres, il faut absolument diminuer le budget dans son ensemble, mais non moins absolument augmenter les crédits de toutes les missions ! (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Absolument ! Et baisser tous les impôts !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas ce que nous disons !

M. Didier Guillaume. Nous étudierons cela durant les deux semaines de débat à venir ; chacun assumera ses positions, c’est normal.

La sécurité a été évoquée par le Président de la République devant le Congrès. Les ministres nous ont annoncé qu’ils présenteraient les 600 millions d’euros qui y seront consacrés dans ce budget. Il est en effet très important de redonner des postes et des moyens à la justice, à la police, aux douanes et à la défense.

Permettez-moi un simple rappel : le budget de la police nationale était de 6,7 milliards d’euros en 2013, il est de 9,7 milliards d’euros en 2015. Avec ces 3 milliards d’euros supplémentaires, nous effaçons, nous corrigeons les effets de la baisse des effectifs pratiquée dans tous ces services.

Cette somme d’environ 600 millions d’euros de dépenses supplémentaires, dont M. le rapporteur général rappelait qu’elle correspondrait à 0,13 % ou 0,15 % du budget global, pourra malgré tout, selon moi, être absorbée.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous y parviendrons !

M. Didier Guillaume. Si ce n’était pas entièrement le cas, cela ne remettrait pas pour autant en cause les équilibres, et le pacte de stabilité ne devrait pas être écorné.

Nous ne parlons que de 0,1 % du budget de l’État, nous arriverons peut-être à nous accorder sur ce point.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous sommes d’accord !

M. Didier Guillaume. Dans ce contexte particulier aura lieu la COP 21, pour laquelle un financement est prévu. Cette rencontre mondiale aura cette année deux objectifs : s’occuper du climat et de l’avenir de la planète, c’est indispensable, et, certainement, travailler contre le terrorisme, afin que l’ensemble des pays se disent : « On se serre les coudes et on y va ! »

Je ne serai pas plus long. Mes collègues du groupe socialiste et républicain interviendront sur des sujets précis concernant les recettes, les dépenses, les collectivités locales.

La protection des Français ne souffre aucun débat, nous sommes tous d’accord là-dessus. Ce budget sera, je le pense, suivi. Le groupe socialiste et républicain soutiendra de toutes ses forces le Gouvernement et les ministres, car ce budget nous semble être le plus abouti et le plus équilibré. C’est le budget des priorités, le budget des engagements tenus, qui va permettre de relancer l’économie.

Nous le soutiendrons, car nous avons besoin de protéger les Français, de leur accorder du pouvoir d’achat et de faire en sorte que notre économie redémarre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. Monsieur Guillaume, vous avez parfaitement respecté votre temps de parole : bravo ! (Sourires.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, faisant référence aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, avait dit que le monde était entré dans le XXIsiècle « par des portes de feu ».

Cette phrase résonne particulièrement aujourd’hui et nous trouble, alors que notre assemblée commence l’examen du projet de budget pour 2016, dans le contexte toujours dramatique des attentats d’une gravité sans précédent survenus vendredi dernier.

Nous savons déjà que ces événements tragiques auront des conséquences budgétaires non négligeables. Les nouvelles dépenses exceptionnelles annoncées par le Gouvernement pour faire face à la crise sécuritaire représenteraient, selon les premières estimations, un coût compris entre 500 millions et un milliard d’euros.

Ces mesures nouvelles seront, selon toute vraisemblance, examinées durant la discussion du projet de loi de finances au Sénat. En tout cas, elles ont d’ores et déjà rendu caduc l’équilibre général du budget voté mardi à l’Assemblée nationale.

Ces dépenses supplémentaires sont évidemment compréhensibles. La création de 8 500 emplois pour les forces de l’ordre et la justice, l’annulation de 9 200 suppressions de postes de militaires et le renforcement des moyens en matériel sont autant de mesures impératives. Critiquer l’impact négatif sur les finances publiques serait tout simplement incompréhensible pour la population.

Pourtant, à côté de la menace terroriste et des risques géopolitiques, les incertitudes économiques ne manquent pas. Le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,5 % l’an prochain, contre 1,1 % probablement en 2015. C’est une prévision prudente, selon l’avis même d’observateurs peu susceptibles de complaisance, comme l’OCDE ou le FMI.

Mais les incertitudes nationales, européennes et mondiales sont telles qu’au fond il semble difficile d’établir des prévisions fiables. C’est pourquoi nous mesurons toute la difficulté de la tâche qui incombe au ministre des finances et au secrétaire d’État chargé du budget.

La Commission européenne, en temps normal si soucieuse du respect des engagements budgétaires des États membres, a montré avant-hier qu’elle pouvait adopter « une approche intelligente et humaine des traités européens », selon les mots du commissaire aux affaires économiques et monétaires et ancien ministre des finances, Pierre Moscovici.

Dans ce contexte, notre groupe continue d’approuver dans sa globalité la politique économique menée par l’exécutif. Nous considérons que la trajectoire de redressement des finances publiques définie l’an dernier dans la loi de programmation pour 2014-2017, confirmée lors de la présentation du programme de stabilité en avril de cette année, reste la bonne. Les efforts d’économie sont sérieux et réels.

Plus particulièrement en ce qui concerne la partie « recettes », nous saluons les mesures en faveur des TPE et des PME, ainsi que les mesures de simplification, comme la suppression de taxes à faible rendement.

Pour autant, nous estimons le texte encore perfectible. Il pourrait davantage prendre en compte les préoccupations des territoires, en particulier les territoires ruraux. Nous proposerons ainsi, dans la première partie du projet de loi de finances, de nombreux amendements qui, nous l’espérons, recueilleront l’intérêt de notre assemblée et du Gouvernement.

En dignes héritiers de Joseph Caillaux, nous tenons tout d’abord à réaffirmer notre attachement à un impôt sur le revenu acquitté par le plus grand nombre, chacun selon ses moyens. Il s’agit en effet d’un impôt citoyen. En cela, nous sommes fidèles à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Dans le même esprit, nous défendrons d’autres mesures qui nous semblent aller dans le sens d’une plus grande responsabilisation : défiscalisation des heures supplémentaires, relèvement du plafonnement du quotient familial, rétablissement de la demi-part supplémentaire des personnes veuves à revenu faible ou moyen.

Nous proposerons également un certain nombre de mesures propres à favoriser l’activité des entreprises, car il faut encourager le début de reprise économique en accroissant la confiance et en dégageant des marges de manœuvre pour permettre aux entreprises d’investir.

Nous proposerons aussi des dispositions dans le domaine du logement pour lutter contre l’habitat indigne, véritable fléau, et pour encourager la construction de logements, alors que l’objectif de construction de 500 000 logements neufs par an est difficile à atteindre.

Nous souhaitons améliorer le traitement fiscal des associations à but non lucratif dans le secteur de la santé et dans celui des services à la personne, car elles remplissent de véritables missions de service public et constituent un pilier du lien social dans nos territoires.

Les députés ont déjà adopté plusieurs mesures dans le domaine de la fiscalité écologique. Nous poursuivrons ce mouvement en faveur du développement des énergies renouvelables, mais en restant également soucieux de l’intérêt des usagers. Comme l’a dit Mme la ministre du développement durable, l’écologie doit être incitative et non punitive.

Certaines mesures auront des conséquences importantes sur les collectivités locales. La poursuite de la baisse drastique de la dotation globale de fonctionnement à hauteur de 3,7 milliards d’euros, soit près de 10 % du montant total, risque de mettre l’an prochain certaines collectivités dans une situation financière délicate. Même si nous admettons la nécessité, pour les collectivités, de participer au redressement des finances publiques, nous déplorons les conséquences néfastes sur l’investissement public, assuré à 70 % par ces collectivités. Nous proposons d’étaler la baisse sur quatre ans, au lieu de trois, afin d’amortir la dureté du choc et de permettre aux collectivités de mieux s’adapter.

De même, nous proposerons des amendements d’équité et d’efficacité concernant le Fonds de compensation pour la TVA, la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères et diverses autres mesures relatives à la TVA.

Comme chaque année, nous sommes attentifs à préserver et à favoriser le tissu d’entreprises locales, qui sont vitales pour l’activité économique dans les territoires ruraux ou faiblement urbanisés. Nous soutenons la montée en débit internet et de la couverture mobile sur ces mêmes territoires. Soucieux de l’équité et des deniers publics, nous proposerons de nouveau la suppression de niches fiscales.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, la quasi-totalité des membres du RDSE s’accordent sur l’économie générale de ce projet de loi, même s’ils proposent de l’améliorer en usant de leur droit d’amendement.

Nous le savons, mes chers collègues, le texte qui résultera de nos travaux sera remanié. Tâchons par conséquent de faire en sorte que l’apport du Sénat soit significatif et constructif. Il reviendra ensuite à chacun d’entre nous de se prononcer selon ses convictions et en toute responsabilité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Monsieur le ministre, vous nous avez présenté ce matin le dernier projet de loi de finances de la mandature du Président de la République. En effet, on peut considérer, comme l’ont souligné certains avant moi, que le prochain budget engagera, de toute manière, une autre équipe gouvernementale, même si le choix des Français dans le futur devait s’inscrire dans la continuité. (M. le ministre des finances et des comptes publics s’exclame.)

Ce dernier budget de la mandature nous offre donc l’occasion de dresser un bilan.

Un certain nombre d’intervenants ont exprimé leurs déceptions face à un budget qui n’apporte aucune réponse aux questions clés que se posent les Français. Notre économie a pourtant besoin de ces réponses pour essayer de retrouver le chemin de la croissance, du pouvoir d’achat et de la diminution du chômage.

Vous avez exprimé votre satisfaction, monsieur le ministre, mais en réalité ce budget traduit un triple échec.

En premier lieu, ce budget est celui des engagements non respectés, et Vincent Delahaye et Philippe Dallier les ont rappelés. Le Président de la République avait pris l’engagement que le budget serait maîtrisé dès 2013, puis votre prédécesseur, Pierre Moscovici, avait annoncé que cet engagement serait respecté avec un léger retard. Lorsque vous avez pris vos fonctions, vous vous êtes engagé à vous inscrire dans la continuité de vos prédécesseurs, et vous n’y êtes pas parvenu. Cet engagement sera tenu par d’autres au Gouvernement.

En deuxième lieu, il faut faire le constat de votre échec s’agissant des réformes de structure. Certains avaient reproché à la droite de ne pas avoir fait de telles réformes, mais le « premier » Premier ministre de cette mandature avait prétendument engagé la réforme et le Président de la République lui-même avait évoqué dans le passé la fusion de l’impôt sur le revenu avec la CSG. Pourtant, aucune réforme fiscale structurelle n’est intervenue.

Vous évoquez votre satisfaction, mais, lorsqu’on fait le bilan, on se rappelle des « pigeons » et des « bonnets rouges ». Cette année, presque toutes les professions en prise directe avec l’économie ont protesté – je pense notamment aux médecins et aux avocats. J’évoquerai le cas des policiers plus tard. Et je ne mentionne pas les retraités, qui ont subi les dysfonctionnements de Bercy. Bref, tous ceux qui font le lien entre les Français et l’économie ont eu l’occasion d’exprimer leur profond mécontentement à la suite des réformes engagées.

Sur la dette, beaucoup de choses pourraient être dites, notamment qu’elle n’a pas été contenue. Mais, au moment où l’on nous parle de l’importance de la sécurité, il faut prendre conscience d’une réalité : la France est en train de devenir dépendante financièrement de créanciers dont on sait que ce sont des pays riches, qui ont des moyens d’intervention au Moyen-Orient. Or la dette pose aussi une question de sécurité et de sécurité nationale. Nous ne pouvons accepter de dépendre de n’importe quel créancier.

Depuis les tragiques événements de vendredi dernier, nous découvrons, avec les massacres, que la sécurité est une priorité. Ce même vendredi, durant la séance de l’après-midi à l’Assemblée nationale, votre gouvernement traitait cette question en proposant un amendement de rabot de 20 millions d’euros…

Dans le projet de budget pour 2016 que vous avez présenté et qui, M. le rapporteur général le disait, a évidemment été modifié, la mission « Sécurités » croissait de 0,9 %, alors que vous proposez une augmentation de 4 % des crédits de la mission « Culture ». Telle est la réalité de votre perception de la sécurité.

Si vous aviez eu des marges de manœuvre, les événements exceptionnels auraient peut-être trouvé là une réponse adaptée. Mais, chose rare, vous êtes contraints par ce drame à modifier totalement la structure du budget et de sa discussion. Par conséquent, nous sommes dans l’impossibilité la plus complète de connaître les propositions que formulera le Gouvernement dans quelques jours, dans ce qui me semble relever d’un excès de précipitation.

Pourtant, pour les forces de sécurité, l’année 2015 a été marquée par deux crises d’exception : la crise migratoire et, dès le début du mois de janvier, le terrorisme. Vous aviez donc dix mois pour réagir, mais vous n’avez proposé une augmentation que de 0,9 %. Ainsi, la hausse des effectifs dans votre budget ne correspond même pas à ceux que vous avez dû déployer à Calais pour résoudre la crise migratoire depuis cet été. (M. Jacques Chiron proteste.)

Telle est la réalité du budget que vous vous apprêtiez à présenter devant la représentation nationale et qui, manifestement, vous satisfaisait ! Vous parlez de sécurité, mais, en réalité, le Président de la République n’a fait que répondre à des demandes faites tout au long de l’année 2015 par notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, par la voix notamment de son rapporteur spécial pour la défense, M. Dominique de Legge : nous exigions que le minimum pour que nos armées puissent fonctionner, pour qu’un certain nombre d’engagements soient tenus et pour sécuriser des budgets par trop contraints.

Et aujourd’hui il faudrait tout arrêter au nom de la sécurité et d’une menace que vous n’avez pas anticipée, ce qui vous oblige à redéployer les moyens ? Pour autant, il y a peu encore, lorsque nous le demandions, vous nous expliquiez que le groupe Les Républicains ne pouvait pas créer à la va-vite des postes de formation au-delà de ce qui était possible ; le Gouvernement nous a encore fait cette réponse il y a à peine quinze jours !

Vous assénez par ailleurs le dogme des effectifs, que vous affirmez vouloir augmenter. Effectivement, vous le faites dans le domaine de la sécurité, avec 1 632 postes ; mais, dans l’enseignement, vous les augmentez de 11 851 postes, soit presque 15 % de l’effort en effectifs. Voilà la manière dont vous abordez le problème de la sécurité ! Depuis que vous êtes aux affaires, l’augmentation des effectifs dans le domaine de la sécurité a représenté 3 422 postes sur 244 000 ! Voilà la réalité !

Cela étant, compte tenu de la crise que nous traversons, vous avez raison d’augmenter les effectifs. Je souhaite pour ma part que ce gouvernement réponde à la crise sécuritaire, même dix mois trop tard – mieux vaut tard que jamais –, avec autant d’efficacité et de vivacité que celles qui ont été déployées par les gouvernements de M. Fillon sous la présidence de Nicolas Sarkozy pour répondre, par des mesures d’ordre économique, à la crise financière.

En effet, à crise financière, mesures d’ordre économique ; à crise sécuritaire, mesures sécuritaires ; et tant mieux s’il y a des effectifs supplémentaires !

Néanmoins, il ne faudrait pas que ce soient des augmentations d’effectifs « à votre manière », c’est-à-dire qui se traduisent par une détérioration du ratio des moyens de fonctionnement par rapport à l’investissement, ratio qui est passé de 84 % à 87 %. Vous augmentez donc les effectifs au détriment des moyens ; or, cela, nous ne le voulons pas !

Si, dans quelques jours, vous nous proposez des amendements pour renforcer la sécurité des Français, ce que nous souhaitons, il faudra alors aussi prévoir des moyens supplémentaires. La politique de votre gouvernement depuis trois ans n’a consisté qu’en de l’affichage sur les effectifs – 3 400 postes en trois ans pour plus de 247 000 agents chargés de la sécurité, au titre de la gendarmerie et de la police, vous reconnaîtrez que c’est peu… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jacques Chiron. C’est mieux qu’une diminution !

M. Richard Yung. Quelle amnésie !

M. Philippe Dominati. Or, à budget comparable, il y avait, en 2009, autant de fonctionnaires de sécurité, à 130 postes près, que dans votre prévision pour 2016. La différence, c’est que, à l’époque, il y avait 336 millions d’euros de crédits d’équipement et de fonctionnement en plus ! En contraignant ce budget à 0,9 % en 2016, vous n’avez pas affecté cette somme aux agents qui doivent représenter la force et l’autorité de l’État et assurer la sécurité de nos concitoyens.

Voilà la triste réalité de l’orientation que vous êtes obligés de prendre : en matière de sécurité, vous en venez enfin à des propositions que nous n’avons cessé de formuler, par la voix notamment du rapporteur spécial pour la défense, ainsi que sur le budget de la sécurité intérieure.

Enfin, dire que « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité » n’est pas une formule très heureuse. En effet, pour l’instant, avec vous, les Français, n’ont ni stabilité économique ou fiscale ni sécurité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)