Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard.

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, d’abord, à saluer le travail des rapporteurs de la commission des finances et de la commission des affaires étrangères et de la défense sur ce projet de loi.

Ce débat budgétaire s’ouvre dans un contexte sécuritaire inédit.

Longtemps mal comprise, son parc d’équipements vieillissant, ses effectifs rognés, la défense a souvent servi de variable d’ajustement : une solution de simplicité, peut-être, accompagnée parfois d’un certain angélisme vis-à-vis des questions de sécurité.

La dégradation de la situation internationale, la multiplication des attentats ont fait entrer la France et l’Europe dans une dure réalité.

Dans ces moments difficiles, c’est vers la nation, le drapeau, l’armée – des symboles parfois jugés « surannés » par certains – que les Français se tournent. Et l’on assiste aujourd’hui au retour en grâce de l’armée, que de nombreux jeunes souhaitent désormais intégrer.

Nos soldats, dont je salue l’engagement total, sont présents sur tous les fronts.

Dans un conflit asymétrique, je voudrais m’arrêter un instant sur le travail très difficile accompli par nos forces spéciales, dont je rappelle qu’elles paient un lourd tribut aux opérations : trois commandos parachutistes de l’armée de l’air ont été très gravement blessés en octobre dernier, et l’un d’eux est décédé hier.

Les récents événements ont montré le besoin de poursuivre les opérations militaires extérieures. Dans ce contexte, on comprend mal le mode de financement des OPEX, notamment leur surcoût toujours insuffisamment provisionné et les modalités de son financement par la solidarité interministérielle, qui pénalisent le ministère de la défense. Le rapporteur spécial l’a d'ailleurs très bien souligné.

Les opérations intérieures aussi coûtent cher et mobilisent de nombreux personnels, en particulier pour l’armée de terre, dont les effectifs vont quelque peu remonter – cela a été dit –, mais qui devra faire face au défi du recrutement et de la fidélisation.

L’engagement dans le cadre de Sentinelle érode aussi la préparation opérationnelle de l’armée de terre. Il y aura probablement encore une à deux années difficiles sur lesquelles il faudra être attentif.

Je voudrais dire également quelques mots plus spécifiques des problématiques de la marine.

En octobre dernier, nous avons pu, avec quelques collègues emmenés par le président Raffarin, embarquer sur le Charles-de-Gaulle et constater le professionnalisme de son équipage. Aujourd’hui, le déploiement de notre groupe aéronaval, en démultipliant nos capacités de frappe et de renseignement, par l’intérêt aussi qu’il suscite de la part des marines étrangères, valide la pertinence du maintien des capacités de premier rang au sein du modèle d’armée issu des Livres blancs et les lois de programmation militaire successives.

Il y a néanmoins des problèmes de disponibilité pour certains aéronefs de la marine et la nécessité d’accélérer le remplacement des plus anciens, singulièrement des hélicoptères légers.

Des difficultés existent aussi pour les avions Atlantique II, dont l’utilité opérationnelle n’est plus à démontrer, en particulier en matière de renseignement. Il y aura lieu de rester vigilant.

Par ailleurs, la France dispose d’un domaine maritime important, lequel s’est encore étendu récemment, qu’il faut surveiller et protéger. Certains patrouilleurs hauturiers qui participent à ces missions présentent des signes de fatigue après plus de trente ans de service. De plus, les patrouilleurs océaniques assurent la défense maritime du territoire au large, ce qui, dans un contexte sécuritaire dégradé comme il l’est actuellement, doit nous convaincre de l’importance d’anticiper le programme BATSIMAR, bâtiment de surveillance et d’intervention maritime.

Plusieurs bâtiments manquent déjà à l’appel outre-mer et nous arriverons à un déficit plus important en 2020, alors que le programme est prévu pour 2024.

Dans un contexte de globalisation des opérations maritimes, de globalisation économique et de retour en force des puissances maritimes, une marine française moderne est un atout majeur pour notre pays.

De plus, alors que nous peinons déjà à trouver des financements, nous ne pourrons pas toujours « courir » seuls après les effectifs et les moyens. « L’Europe désarme, mais le monde réarme », notaient dans un rapport nos collègues Jacques Gautier et Daniel Reiner, alors que la menace s’accroît.

Il faut aussi faire face à l’augmentation du coût des équipements militaires, qui rend indispensable un meilleur partage à l’échelle européenne.

Ainsi, en matière de sécurité et de défense, nous payons les atermoiements de l’Union européenne et de certains États membres.

Le Président français a choisi d’invoquer le traité de l’Union européenne pour demander l’assistance des autres États membres. Les ministres européens de la défense ont récemment exprimé leur soutien à la France. Je sais et je salue, monsieur le ministre, votre engagement sur ce dossier. Mais au-delà des mots, nous attendons de nos partenaires des actes concrets perceptibles par les personnels engagés sur le terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais à mon tour rendre hommage au sergent-chef Alexis Guarato, du commando parachutiste de l’air n° 10 – CPA 10 –, récemment décédé à la suite d’un attentat au nord du Mali. Je serai amené à présider l’hommage qui lui sera rendu par la nation au début de la semaine prochaine.

Je voudrais aussi en profiter pour saluer à mon tour l’engagement, le dévouement et le courage de nos forces, qui opèrent aujourd’hui sur le théâtre extérieur, à travers les opérations Barkhane, Sangaris et Chammal, au Liban et en prépositionnement sur un certain nombre de lieux, mais aussi sur notre sol, dans le cadre de l’opération Sentinelle – j’aurai l’occasion d’y revenir.

Je vous remercie, les uns et les autres, d’avoir pensé à leur rendre hommage, ce sentiment étant partagé, je n’en doute pas, par l’ensemble du pays.

L’examen de notre budget 2016 intervient dans un contexte d’une gravité particulière, que vous me permettrez d’évoquer pour commencer. Depuis l’adoption du projet de loi de finances pour 2016 en conseil des ministres, et son vote par l’Assemblée nationale, la France a basculé dans la guerre.

Vendredi 13 novembre, ce que nous redoutions, ce que nous appréhendions, en particulier depuis le 7 janvier dernier, s’est dramatiquement concrétisé : la France a subi une attaque armée sur son sol, perpétrée par les membres d’un groupe terroriste militarisé qui prétend s’ériger en État.

Un hommage national vient d’être rendu ce matin aux morts et aux blessés de cette agression, au cours duquel le Président de la République a exprimé la compassion et la détermination de la nation.

Au moment de conclure cette discussion, je voudrais saluer ici, mesdames, messieurs les sénateurs, votre mobilisation permanente, depuis trois ans et demi, en faveur des moyens de notre défense, plus que jamais sollicités par cette actualité tragique.

Au cours des différentes discussions que nous avons pu avoir dans cette enceinte, vous nous avez toujours soutenus, vous avez toujours apporté votre contribution, en particulier, tout récemment, lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire, qui nous permet aujourd’hui de disposer d’une base solide pour aborder le budget 2016.

Mes remerciements s’adressent en particulier à M. le président de la commission, à M. le rapporteur spécial et à l’ensemble des porte-parole des différents groupes qui se sont exprimés tout à l’heure.

Ce soutien est très précieux en cette période, et le vote que vous allez émettre, mesdames, messieurs les sénateurs, sera aussi une manière forte de lutter contre Daech, en montrant que l’effort en faveur de la sécurité et de la défense de notre territoire se poursuit et rencontre un consensus fort.

Je n’ai pas le temps de répondre à l’ensemble des observations qui ont été formulées.

Comme je vous le disais à l’instant, monsieur Raffarin, je pourrais peut-être, dans les jours qui viennent, fournir à la commission des réponses plus techniques sur un certain nombre de points.

Je me concentrerai aujourd’hui sur les éléments les plus directement en rapport avec le budget.

À la suite des décisions annoncées par le Président de la République le 16 novembre devant le Congrès, j’ai déposé un amendement qui prévoit, pour 2016, une hausse de 100 millions d’euros des crédits de paiement et de 173 millions des autorisations d’engagement par rapport au projet de budget qui vous était soumis initialement.

Cet amendement, dont je détaillerai tout à l’heure le contenu, vise en particulier à couvrir les besoins en munitions pour les opérations en Syrie et en Irak. Les flux de munitions peuvent être éligibles aux OPEX, au contraire des stocks. Il nous faut donc inscrire ces crédits au budget, de même que quelques moyens supplémentaires permettant de répondre aux orientations fixées par le Président de la République, en particulier le renforcement du renseignement, de la cyberdéfense et de la réserve opérationnelle dès l’année 2016.

Au-delà de cet amendement, qui s’inscrit dans le droit fil des orientations qui avaient été arrêtées au moment de l’actualisation de la loi de programmation militaire, je voudrais revenir sur quelques points relatifs aux effectifs, aux engagements financiers pour 2015 et 2016 et aux engagements capacitaires, pour répondre aux questions posées et lever toute ambiguïté.

S’agissant des effectifs, nous devons avoir à l’esprit l’ensemble des chiffres.

Dans la loi de programmation militaire 2014-2019, 34 000 suppressions de postes étaient prévues, mais elles intégraient 10 000 suppressions de postes issues de la loi de programmation militaire 2009-2014 – sur les 54 000 suppressions de postes que celle-ci avait prévues, un peu plus de 40 000 avaient été exécutées ; il en restait donc 10 000, qui s’ajoutaient aux 24 000 suppressions découlant du Livre blanc.

Depuis lors, l’actualisation de la loi de programmation militaire a permis le rétablissement de 18 500 postes. Nous honorerons ces engagements en 2015 et en 2016, ce qui nous permet, au budget 2016, d’afficher un solde positif de 2 300 postes. S’y ajouteront 10 000 postes supplémentaires à l’horizon 2017, 2018 et 2019, qui seront sauvegardés en application de la décision du Président de la République et affectés à la cyberdéfense, au renseignement et aux forces opérationnelles.

Puisque la question m’a été posée par M. Lorgeoux ou par M. Reiner, je précise que 1 000 postes supplémentaires seront affectés au renseignement à l’horizon 2017, 2018, et 2019 par rapport aux chiffres contenus dans l’actualisation de la loi de programmation.

Cette orientation ne modifie en rien la nécessité de rationaliser, de réorganiser et de transformer nos armées, de nous adapter aux nouvelles menaces. Ainsi, les programmes prévus par les chefs d’état-major des différentes armées, notamment le programme d’adaptation « Au contact » pour l’armée de terre, seront mis en œuvre, avec toutefois un peu plus de souplesse et de moyens, ce qui les aidera à accomplir leurs missions. Cette adaptation de nos forces aux nouvelles menaces est nécessaire.

Dans ce contexte, pour tirer les conséquences des engagements pris par le Président de la République devant le Congrès, je précise aussi que nous allons renforcer notre capacité de réserve.

Plusieurs orateurs, en particulier Mme Garriaud-Maylam, ont parlé de cette perspective avec enthousiasme. Comme vous le savez, c’est l’une de mes préoccupations depuis que j’exerce mes responsabilités ministérielles. Les réserves, c’est vrai, servaient souvent de variables d’ajustement dans les choix budgétaires. De fait, les engagements passeront, pour la période 2016-2019, de 28 000 à 40 000 réservistes, en favorisant l’élargissement des recrutements.

Nous engagerons également une réflexion – j’insiste sur ce point – sur le lien opérationnel entre la garde nationale et la réserve territoriale. Comment faire pour que l’accroissement de la réserve puisse, en se territorialisant, devenir une forme de réserve-garde nationale ? Telle est la question à laquelle le Président de la République me demande de réfléchir, à la suite des engagements qu’il a pris devant le Congrès. Je souhaite bien entendu que vous soyez, les uns et les autres, associés à cette réflexion. D’ores et déjà, l’amendement présenté par le Gouvernement permet une montée en puissance de notre capacité de réserve à l’horizon 2016.

Je voudrais aussi prendre note avec vous – Mme Demessine, comme d’autres orateurs, a soulevé cette difficulté – des contraintes qu’entraîne l’opération Sentinelle.

En effet, cette dernière a été mise en œuvre très rapidement, et les recrutements prévus ne produiront leurs effets qu’en 2016. L’année 2015 contribue pour moitié au recrutement supplémentaire destiné à la force opérationnelle terrestre, mais il faut le temps de recruter et de former les nouveaux personnels. En 2016, la deuxième phase permettra d’aboutir au résultat escompté.

L’année 2015 est donc particulièrement difficile pour les soldats engagés dans l’opération Sentinelle. J’ai pris des mesures d’accompagnement indispensables dans le domaine de l’hébergement, des primes et des décorations, et je vais souvent à la rencontre de nos soldats. Il est vrai que nous traversons une période de forte tension à la suite des tragédies que nous avons vécues, mais l’horizon va sensiblement se dégager grâce aux inflexions qui ont été apportées et aux recrutements qui sont en cours.

Je voudrais encore ajouter deux choses à propos de l’opération Sentinelle.

D’abord, notre pays compte une armée, et une seule. Il n’y aura pas une armée spécialisée dans les opérations intérieures et une autre spécialisée dans les opérations extérieures ; c’est le même ennemi, il sera combattu par la même armée, celle qui, aujourd’hui, intervient aussi bien dans les OPEX que dans les opérations intérieures. C’est un point majeur, et j’ajoute, comme je l’avais déjà annoncé au moment de l’actualisation de la loi de programmation militaire, qu’il nous faudra réfléchir ensemble au nouveau concept de « sécurité intérieure » et au lien qu’il entretient avec la sécurité extérieure.

Je serai amené à soumettre au Parlement, avant la fin du mois de janvier, des propositions qui nous permettront d’engager un débat sur ce point. Nous sommes confrontés à une nouvelle donne, nous avons fait le choix de la cohérence globale de l’action de nos forces armées sur les théâtres extérieurs comme sur le terrain intérieur, mais il convient de définir plus précisément le concept.

J’ajoute – ce point est peut-être passé un peu inaperçu à l’Assemblée nationale mercredi dernier – que le Premier ministre a décidé, à la demande du Président de la République, d’engager une réflexion commune sur l’articulation entre sécurité intérieure et sécurité extérieure. Cette réflexion, à laquelle chacun sera associé, permettra de définir plus précisément les concepts.

Nous avons donc une vraie question et une amorce de réponse, mais nous devons encore intensifier notre réflexion en vue d’aboutir, dès le début de l’année prochaine, à une élaboration conceptuelle plus forte.

À M. le rapporteur spécial, qui m’a interrogé à juste titre sur la validité et l’opérabilité de mes propos, je veux dire que les arbitrages budgétaires qui ont été rendus sont en tout point conformes aux engagements pris lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire et lors du débat que nous avons eu, ici même, pour l’exercice de fin de gestion et le budget 2016.

Pour l’exercice de fin de gestion, tous les engagements que j’avais pris sont respectés, grâce au décret d’avance et au projet de loi de finances rectificative de fin d’année, parfaitement conforme à la volonté du Parlement.

S’agissant des OPEX, leur surcoût pour 2015, au-delà des 450 millions d’euros inscrits en loi de finances initiale, s’élève à 625 millions d’euros et, conformément à la loi de programmation militaire, ce montant sera intégralement couvert par le décret d’avance.

Quant aux dépenses de l’opération Sentinelle, dont plusieurs sénateurs se sont souciés, notamment MM. Gautier et Reiner, qui, sur ce sujet comme sur d’autres, font front commun, elles seront intégralement financées par le décret d’avance, pour un montant de 171 millions d’euros.

C’est un engagement que j’avais pris.

Par ailleurs, le ministère de la défense va « autoassurer », au sein de la mission « Défense », les dépassements de crédits de masse salariale, dus, notamment, aux déboires de Louvois. C’était un autre de mes engagements, et nous avons réussi à le mettre en œuvre en interne.

En ce qui concerne, toujours, le budget 2015, la suppression des ressources exceptionnelles se traduit par l’ouverture de crédits budgétaires propres, à hauteur de 2,144 milliards d’euros, dans le projet de loi de finances rectificative qui a été présenté en conseil des ministres au matin du vendredi 13 novembre dernier. S’y ajouteront les 57 millions d’euros de charges induites par le remboursement à l’État russe des deux bâtiments de projection et de commandement non livrés, ce qui rend l’opération parfaitement blanche, monsieur le rapporteur spécial.

Enfin, une annulation de 200 millions d’euros, répartie entre le décret d’avance et le projet de loi de finances rectificative, constituera la contribution de la mission « Défense » à la solidarité interministérielle de fin de gestion – vous avez soulevé cette aspérité. Ce montant sera presque intégralement compensé par la reprise, en 2015, de 187 millions d’euros d’intérêts financiers accumulés sur les comptes de l’Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l’OCCAr, si bien que l’annulation « nette », pour la mission « Défense », ne portera que sur 13 millions d’euros.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avouez que l’ensemble présente, globalement, la forme d’une sanctuarisation de nos crédits !

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. C’est vrai !

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. C’est moins pire que cela n’a été…

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je veux que les choses soient très claires sur ce point.

Le budget pour 2016 connaît, quant à lui, une augmentation de 600 millions d’euros, auxquels s’ajouteront 100 millions d’euros, si vous adoptez l’amendement que je vous présenterai tout à l'heure. Les crédits de la mission seraient alors portés à 32,1 milliards d’euros, ce qui constitue une progression significative.

J’ai déjà eu l’occasion de m’expliquer sur le coût des facteurs. Toutefois, je me tiens à votre disposition pour analyser leur évolution favorable et la réaffectation qui en découlera au profit des opérations d’armement à l’occasion d’une prochaine réunion de votre commission des affaires étrangères. Je n’entrerai pas maintenant dans le détail de ce dossier, mais sachez que la diminution du coût des facteurs sera bien au rendez-vous et nous permettra d’acquérir les équipements inscrits dans la loi actualisant la programmation militaire.

Je veux profiter du peu de temps qui me reste pour rassurer M. Gautier sur la question des drones : effectivement, nous avons engagé, avec l’Allemagne, puis avec l’Italie et, maintenant, avec l’Espagne – la Pologne manifestant à son tour beaucoup d’intérêt – une discussion extrêmement approfondie sur le drone Reaper de nouvelle génération à l’horizon 2025-2030, de manière à ne pas être dépendants de la technologie américaine, aussi performante soit-elle. Il serait tout à fait dommageable que l’Europe ne soit pas au rendez-vous sur ce dossier ! En tout état de cause, je peux vous dire que celui-ci avance bien et que je serai amené à signer, au premier semestre 2016, les études de définition du concept avec les industriels concernés.

J’ai également été interrogé sur l’A400M, le transport tactique et les discussions engagées avec Airbus à propos des trois avions qui doivent être livrés à la fin de l’année 2016 et des trois, déjà livrés, qui doivent être rétrofités. Disons, sur cette question très sensible, que nous avons des discussions « toniques » avec Airbus. M. Enders, avec lequel mes échanges sont directs, m’a écrit qu’Airbus devrait être en mesure de tenir l’engagement pris. J’espère que tel sera effectivement le cas.

Au reste, cela ne nous empêchera pas d’engager l’acquisition de quatre avions C130, pour compléter la flotte d’A400M disponibles. Nous discutons actuellement en interne du type de C130 qu’il nous faut acquérir. Quel que soit le choix qui sera fait au final – avion ultraperformant très récent ou avion d’occasion –, je peux vous assurer que nous serons au rendez-vous pour honorer le besoin existant en la matière.

Mme la présidente. Prenez le temps nécessaire, monsieur le ministre !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Mais, madame la présidente, on ne m’a alloué qu’un temps de parole de vingt minutes, et je l’ai déjà presque épuisé !

Mme la présidente. La souplesse est possible !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Vous connaissez la discipline militaire : quand on nous alloue un temps, on le respecte… (Sourires.) Et je ne voudrais pas faire attendre mon collègue Michel Sapin !

M. Roger Karoutchi. En plus, ce sera moins facile pour lui ! (Nouveaux sourires.)

M. Michel Bouvard. Il a beaucoup de choses à se reprocher ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Néanmoins, puisqu’il est possible de faire preuve d’un peu de souplesse, je veux en profiter pour porter à votre connaissance quelques éléments significatifs.

Tout d’abord, certains intervenants ont estimé que nous étions présents sur de trop nombreux théâtres d’opérations. Je ne peux pas les laisser dire, car j’estime que l’on ne se retire pas des théâtres sur lesquels on s’engage !

Aujourd'hui, nous participons à l’opération Barkhane ; je vois mal comment nous pourrions nous en retirer ! Nous prenons part à l’opération Chammal ; personne ne peut imaginer que nous puissions abandonner cette opération ! Nous sommes engagés dans l’opération Sangaris ; j’ai déjà indiqué ici que nous envisagions de réduire progressivement notre participation de manière très sensible, lorsque les conditions politiques auront été rétablies en Centrafrique.

De ce point de vue, dès lors que l’élection présidentielle est maintenant annoncée, qu’un calendrier a été défini et que les candidats sont en train de se manifester, il me semble que nous sommes engagés dans un processus vertueux, même si des tensions préoccupantes demeurent.

Nous avons estimé indispensable de rester présents en République centrafricaine pendant toute la période électorale, afin que l’autorité politique qui émergera des élections puisse être en situation d’assurer sa prise de fonctions dans les meilleures conditions.

Je rappelle, du reste, que nous nous sommes retirés d’autres théâtres. Je le dis aussi à l’attention de M. Perrin, qui s’interrogeait sur ce point. Ainsi, nous ne sommes plus engagés au Kosovo, et nous nous sommes retirés de l’opération Atalante, compte tenu de ses bons résultats. Nous intervenons au moment où notre présence est requise et, quand notre présence n’est plus indispensable, nous pouvons nous retirer.

À ceux qui m’ont interrogé sur ce point, je veux dire que la France a les moyens d’être en situation de répondre aux différents défis et aux différentes menaces auxquels elle fait face, conformément à son rang et à ses capacités et contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, notamment dans la bouche de Mme Demessine ou dans celle d’un ancien patron de l’École de guerre, qui ne semble aujourd'hui plus tellement aux prises avec l’actualité militaire immédiate (Mme la présidente de la commission des finances opine.) – il se reconnaîtra… (Sourires.)

Une inquiétude a été exprimée à propos de la participation européenne à notre effort. Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’ai pris part, la semaine dernière, à Bruxelles, à la réunion des ministres de la défense de l’Union européenne. À la demande du Président de la République, j’ai sollicité l’application du 7 de l’article 42 du traité de Lisbonne, qui précise qu’un État membre victime d’une agression armée sur son territoire bénéficie de la solidarité de l’ensemble des autres États membres. Cette solidarité nous est acquise !

Je veux insister sur la participation de l’Allemagne, entre autres soutiens qui nous sont apportés. Cette participation, très récente, a fait l’objet de discussions entre le Président de la République et Mme Merkel. Pour ce qui me concerne, j’ai été plusieurs fois en contact cette semaine, jusqu’à ce matin, avec ma collègue Ursula von der Leyen, ministre de la défense de la République fédérale d’Allemagne. Notre voisin va soutenir la MINUSMA en envoyant 650 hommes au Mali, ce qui allégera d’autant la participation française. C’est un point très important. (Mme la présidente de la commission des finances approuve.)

Plus importante encore est sa participation sur le théâtre du Levant. D’une part, elle va mobiliser des avions de chasse de type Tornado pour effectuer des vols de reconnaissance en Irak et en Syrie. D’autre part, elle apportera un soutien dans le domaine du ravitaillement par la mise à disposition d’un A310 MRTT, un appui renforcé de conseil aux peshmergas du Kurdistan irakien et dépêchera une frégate d’accompagnement du porte-avions Charles-de-Gaulle dans le golfe arabo-persique à partir du début de l’année prochaine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, mesurez-vous l’ampleur de ce que cela représente sur le plan politique en l’Allemagne ? Si la décision du Gouvernement allemand n’a pas encore été validée par le Bundestag, elle a été rendue publique hier soir ou ce matin (M. Michel Bouvard applaudit.), et nous avons eu l’occasion de dire que nous nous en réjouissions. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam opine.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, des étapes importantes sont franchies. À l’heure où je vous parle, on trouve, autour du porte-avions Charles-de-Gaulle, en plus de notre propre frégate d’accompagnement et de notre navire ravitailleur de pétrole, une frégate belge et une frégate britannique, qui contribuent à la force que nous représentons.

Des évolutions très sensibles se manifestent. La décision du gouvernement allemand et la volonté, annoncée par le Premier ministre britannique David Cameron, de s’engager plus fortement dans le théâtre du Levant témoignent d’une prise de conscience européenne dont il faut se réjouir.

Je répondrai de manière plus détaillée à plusieurs questions techniques qui m’ont été posées à l’occasion d’une prochaine réunion de la commission des affaires étrangères.

Toutefois, je veux encore répondre à M. Lorgeoux sur la nécessité de la formation dans le domaine du renseignement, singulièrement dans le secteur de la cybersécurité. Je sais que cette question vous préoccupe beaucoup – moi aussi, du reste ! Comme vous le savez, j’ai annoncé un plan relatif à la cybersécurité il y a peu, avant même les événements tragiques du 13 novembre dernier.

Il est vrai que le ministère de la défense connaît un problème de recrutement et de qualification. Cela vaut également pour les grands groupes industriels, qui ont eux aussi besoin de compétences en matière de cybersécurité. À cet égard, je me réjouis que le nombre d’étudiants formés dans ce domaine dans le cadre du pôle d’excellence Cyber, que j’ai créé pour tenir compte des risques nouveaux, soit passé, en une seule année, de 2 000 à 2 800. Cela donne la mesure de l’intérêt que suscite ce secteur et des perspectives en la matière.

Enfin, Mme Demessine s’est interrogée sur le maintien en condition opérationnelle aéronautique, ou MCO aéronautique, sujet très compliqué, mais qu’il est tout à fait nécessaire d’aborder. Avant-hier, la réunion du conseil de surveillance du service industriel de l'aéronautique, le SIAé, a abouti à des décisions importantes, dont l’autorisation du recrutement d’ouvriers d’État. L’engagement que j’avais pris sur ce plan est donc tenu.