M. Guy-Dominique Kennel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de la mission « Médias, livre et industries culturelles » est relativement stable, avec, néanmoins, des différences entre certains postes de la mission.

Ainsi, à l’image des rapporteurs, j’approuve le renforcement des aides au livre et à la lecture, aux médias de proximité ou au pluralisme de la presse et l’extension des aides aux périodiques.

En revanche, force est de constater que, dans le même temps, les aides à la presse diminuent globalement de 1,1 %, après avoir subi une baisse de 3 % pendant deux années, et qu’aucune solution n’est apportée au problème du transport postal, ce qui risque de fragiliser durablement le secteur.

Le Gouvernement a maintes fois annoncé une réforme des aides à la presse sans la réaliser et, qui plus est, en en diminuant les crédits. La situation est pourtant urgente, car le secteur de la presse est particulièrement affaibli par le développement du numérique et par la perte de recettes publicitaires : son chiffre d’affaires a baissé de plus de 6 % entre 2012 et 2013 et de 4 % entre 2013 et 2014. Nous vous écouterons attentivement sur ce sujet, madame la ministre.

Je souhaiterais également connaître votre point de vue sur les missions de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI, dont les crédits augmentent cette année, après plusieurs exercices chaotiques.

Depuis le changement de majorité, le sort de cette instance est devenu incertain. Le Gouvernement, qui avait prévu de la supprimer et de transférer ses missions au CSA, conformément aux préconisations du rapport Lescure, a réduit son budget. En 2014, la HADOPI a même dû puiser dans ses fonds de roulement.

Aujourd’hui, ce projet de suppression n’est plus d’actualité, et le présent projet de loi de finances rétablit une partie de ses crédits, qui passent de 6 millions d’euros à 8,5 millions d’euros.

Si ce chiffre demeure en retrait par rapport aux 9 millions d’euros que l’institution réclame pour pouvoir remplir l’ensemble de ses missions, du moins est-il révélateur d’une évolution : le Gouvernement reconnaît – enfin ! – l’utilité d’un contrôle et d’une riposte graduée, puisqu’il maintient le dispositif que nous avions mis en place.

Je me réjouirais réellement de ce soutien budgétaire s’il s’accompagnait de déclarations confirmant votre détermination, madame la ministre, à maintenir les actions de la HADOPI. Il est, en effet, nécessaire de rassurer la direction et les effectifs, et d’empêcher toute ambiguïté quant à votre positionnement.

Au 31 mai 2015, la HADOPI totalisait 4,6 millions d’envois de premières recommandations et 458 000 envois de secondes recommandations – elle a rarement besoin d’aller jusqu’à la transmission des dossiers au procureur de la République. L’intérêt du dispositif repose sur la crainte qu’il suscite chez les internautes peu respectueux du droit d’auteur.

Un récent et excellent rapport d’information de nos collègues Corinne Bouchoux et Loïc Hervé conclut à la nécessité de préserver la HADOPI, dont la « disparition constituerait un message démissionnaire incompréhensible à l’heure où le droit d’auteur et la création subissent des attaques répétées ».

Sans doute des réformes pourraient-elles améliorer le dispositif. Je pense à des recommandations telles que le retrait des contenus contrefaisants, la formation des futurs enseignants ou encore l’instauration d’une amende administrative, qui fait débat eu égard au nombre restreint de recours ayant abouti. Le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine sera débattu au Sénat fin janvier 2016, mais ce sujet ne figure malheureusement pas dans les multiples tiroirs de ce texte...

Mais j’en reviens à ce projet de budget, et plus précisément au compte d’avances à l’audiovisuel public.

Madame la ministre, la question du financement de France Télévisions justifie à elle seule le rejet des crédits par notre groupe.

Le Gouvernement précipite l’arrêt de sa participation au budget de France Télévisions, en l’avançant d’un an. Est-ce pour mettre en place un dispositif de financement alternatif, mûrement réfléchi ? Bien sûr que non ! Ou bien pour instaurer un dispositif s’inspirant des recommandations des différents rapports publiés sur le sujet, à l’instar du rapport de MM. Leleux et Gattolin ? Non, aucunement !

La seule proposition alternative consiste en l’augmentation de la taxe sur les opérateurs de télécommunications. Cette décision est contraire à la promesse du Gouvernement – nous y sommes, hélas !, habitués – de ne plus alourdir la fiscalité sur les entreprises et les ménages, puisque l’on sait pertinemment que l’augmentation sera répercutée précisément sur eux ! (M. le rapporteur spécial opine.)

Par ailleurs, malgré diverses déclarations au cours de ces derniers mois, la question de l’élargissement de l’assiette de la redevance, principale source de financement public, en sus de la taxe télécoms, reste toujours sans réponse. Alors que 80 % des Français sont désormais des internautes et que le nombre moyen d’écrans est de 6,4 par foyer, le Gouvernement ne pourra pas toujours échapper au débat lié au bouleversement des usages à cause du numérique.

Au final, le désengagement de l’État pour ce qui concerne l’année 2016 laisse France Télévisions dans une situation bancale : si les dispositions prévues permettent de combler une partie du déficit annoncé, elles n’assurent pas de ressources pérennes pour lui permettre de remplir ses missions de service public dans de bonnes conditions et, surtout, dans la durée. Le Gouvernement semble vouloir mettre en quelque sorte la charrue devant les bœufs, si vous me permettez l’expression.

Dans ces conditions, vous comprendrez, mes chers collègues, que le groupe Les Républicains suivra l’avis du rapporteur spécial et rejettera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette mission revêt une importance capitale pour notre démocratie, encore plus aujourd’hui au regard du contexte national et international.

Droit à l’information et droit à la confrontation d’idées sont en effet consubstantiels à l’exercice de la démocratie. Les industries culturelles jouent un rôle essentiel dans la compréhension des enjeux et des questions qui traversent notre société et, donc, dans l’émancipation humaine.

On ne peut ignorer le rôle qu’ont eu les industries culturelles dans la massification de l’accès aux œuvres. Il est toutefois regrettable que l’exception culturelle, qui a fait la force de notre pays, soit aujourd’hui de moins en moins valorisée. L’uniformisation de la production culturelle et artistique, conduite par les obligations du marché, n’a pu être empêchée, faute d’une ambition étatique suffisante.

De fait, s’il nous apparaît contre-productif de s’opposer à la production culturelle industrielle au nom d’un élitisme assumé et revendiqué, il convient de déplorer que nombre de créateurs dits « originaux » soient en difficulté pour présenter leurs œuvres, par manque de soutiens suffisants tant des géants du secteur que des pouvoirs publics.

S’agissant du programme 180 « Presse », mon collègue Patrick Abate a rappelé nos satisfactions et nos inquiétudes.

Si nous pouvons nous réjouir de l’augmentation des aides en faveur du pluralisme, le constat global doit être plus mesuré : la situation des messageries et de l’AFP est particulièrement bancale et fragile, nous avons des doutes sur la suite donnée aux accords Schwartz relatifs aux tarifs postaux. Nous restons inquiets et serons vigilants tant la presse, pourtant au cœur du processus démocratique, comme je viens de le rappeler, est affaiblie.

J’appelle le Gouvernement à une vigilance accrue quant à la dynamique de concentration des groupes de presse et à la situation des pigistes, des photojournalistes et de tous ceux qui sont au cœur de ce rouage si indispensable.

En effet, de plus en plus de titres se retrouvent sous la houlette de quelques grands groupes, ce qui n’est pas sans conséquences sur le pluralisme et les conditions d’emploi et de travail des salariés.

J’en viens maintenant aux autres programmes de la mission.

Concernant les crédits alloués au livre, ce budget nous interpelle une nouvelle fois, et ce pour plusieurs raisons.

Rappelons tout de même que c’est la Bibliothèque nationale de France, la BNF, qui en capte l’essentiel. Il convient aussi de relever qu’une partie des dispositifs, notamment concernant le livre, se font en collaboration avec les collectivités territoriales. Je pense, entre autres, aux « contrats territoires-lecture » et au projet « Premières Pages ». Si l’on peut se réjouir de voir la participation de l’État presque doubler pour ce qui concerne ces dispositifs, je crains que cela ne soit pas suffisant, eu égard aux restrictions budgétaires imposées aux collectivités territoriales.

Par ailleurs, un certain nombre d’autres craintes demeurent. Le Centre national du livre, déjà fragile économiquement, voit les taxes le finançant plafonnées, alors même que sa contribution au plan de soutien aux librairies est accrue.

L’augmentation importante des crédits dans le domaine des industries culturelles ne doit pas nous faire oublier que le renforcement de la HADOPI en capte la moitié, ce qui laisse, de fait, les autres champs couverts insuffisamment nantis, comme la musique enregistrée, le cinéma et les jeux vidéos.

Sur ce dernier point, qu’en est-il, madame la ministre, de la mise en œuvre du dispositif de compensation et d’incitation via un crédit d’impôt pour faire en sorte que les studios de jeux vidéos restent en France ?

La situation du Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, pose aussi question. Si le Gouvernement a pris l’engagement, cette année, de ne pas ponctionner le fonds de roulement, faire reposer son financement sur le produit des taxes et les recettes des SMS et du replay représente un risque et une imprévisibilité majeure à nos yeux, une moindre consommation des usagers impliquant une baisse des recettes.

Sur le programme 313 « Contribution à l’audiovisuel et à la diversité radiophonique », le constat est tout aussi préoccupant.

Face à l’exigence de renforcer le pluralisme et le droit à l’information, vous répondez par une limitation des budgets et renvoyez les opérateurs à la « maîtrise de leur masse salariale » et à la recherche de ressources propres. Il faut donc que des opérateurs comme Radio France, l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA, ou encore France Télévisions, se lancent dans l’activité chronophage de recherche de fonds propres, bien souvent issus du privé.

Ce que vous proposez cette année pour France Télévisions, dont la situation budgétaire est déjà plus que précaire, aurait mérité un débat.

En effet, vous avez fait adopter par l’Assemblée nationale un amendement visant à anticiper d’un an la suppression des dotations budgétaires allouées à ce groupe pour ne faire reposer son financement que sur trois leviers : le produit de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, la TOCE, celui de la contribution à l’audiovisuel public, la CAP, et les ressources propres.

L’idée que ce mode de financement serait garant de l’indépendance et de la stabilité financière de France Télévisions, et plus largement des opérateurs publics, ne va pas de soi.

Nous pensons que cette question mérite un véritable débat de fond, en prenant le temps nécessaire, sur les réels acquis en termes d’indépendance et de continuité des missions de service public qui leur incombent et qu’elle ne doit pas être traitée à la hussarde, par voie d’amendement.

L’exemple de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, doit nous inciter à la vigilance : après avoir testé ce modèle de financement, vous avez dû faire marche arrière, en réinstaurant une subvention pour charge de service public !

Pour conclure, je souhaite souligner une nouvelle fois la nécessité pour notre société de bénéficier de médias libres, pluralistes et indépendants et de garantir un accès universel à toutes les formes d’œuvres culturelles.

Nous aurions aimé avoir sous les yeux un budget à la hauteur des ambitions des enjeux au regard de la situation actuelle. En l’état, notre inquiétude est grande. Et c’est pourquoi nous voterons contre les crédits de cette mission.

M. le président. La parole est à M. David Assouline. (M. Bernard Lalande applaudit.)

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Médias, livre et industries culturelles » est composée de trois programmes qui n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Aussi, il serait bon que Bercy mette en place une nomenclature plus cohérente, au service du vote des assemblées parlementaires. Car il est souhaitable que les choses soient claires et lisibles. Comment faire œuvre de pédagogie dans nos débats et auprès de nos concitoyens quand nous avons nous-mêmes du mal à comprendre les budgets ? Pourtant, ce sont nos concitoyens qui doivent comprendre.

Les crédits alloués à l’ensemble de la mission progressent de 0,46 %, ce dont nous nous félicitons. Cette progression est à l’image de celle du budget de la culture dans son ensemble : après deux premières années de baisse – nous l’avions déploré, et le Gouvernement a reconnu qu’il s’agissait d’une erreur ! – et une année de stabilisation, c’est reparti à la hausse. Bravo !

Cela est d’autant plus important que la culture, comme l’ont souligné d’autres orateurs, ainsi que, de manière générale, tout ce qui a trait aux médias et à l’industrie culturelle, est au cœur de la riposte que nous engageons sur le plan sécuritaire, mais aussi sur le plan culturel, qui est ô combien fondamental. Car c’est bien cela qui est menacé, attaqué. Nous devons donc être les premiers à faire rempart.

Mes collègues ont souligné les aspects positifs de cette mission : coup de pouce aux médias de proximité, aides à la lecture, un sujet que développera ma collègue Sylvie Robert, augmentation des aides en faveur du pluralisme de la presse.

À cet égard, permettez-moi d’évoquer le contexte.

Il faudra légiférer et prendre des mesures concernant les médias en général et la presse en particulier. On le dit depuis un moment, un mouvement de forte concentration détruit peu à peu le pluralisme fondamental de la presse. Je pense notamment à la multitude de titres de la presse quotidienne régionale, un acquis depuis la Libération, qui offrait non seulement un pluralisme d’idées et d’approches, mais aussi un maillage territorial, qui était à l’honneur de la France.

Cette concentration fait que de grands groupes possèdent plusieurs titres, mais le masquent – les lignes éditoriales, voire les articles, sont les mêmes ! – pour créer une illusion de pluralisme. Il n’est plus possible de rester sans rien faire : il faut assurer l’indépendance des rédactions, nous sommes revenus sur ce point plusieurs fois déjà.

Concernant l’Agence France-Presse, l’AFP, on note plusieurs points positifs.

Des efforts en faveur de la réduction des dépenses sont demandés, notamment dans l’audiovisuel, cela a été souligné par François Baroin.

S’agissant du Centre national du cinéma et de l’image animée, une critique récurrente se fait entendre dans notre assemblée. À l’inverse de ce que vous avez dit, monsieur Baroin, et de ce qui est parfois défendu ici par la commission des finances, le financement du cinéma français est vertueux. Il est ce qu’il est pour la France et le monde en vertu précisément de son mode de financement.

Le financement de cet organisme repose sur trois taxes affectées : la taxe spéciale additionnelle sur le prix des places de cinéma, la taxe sur les diffuseurs télévisuels et la taxe sur l’édition vidéo. Elles permettent un financement harmonieux d’un nombre de films toujours important, qui contribuent au rayonnement du cinéma français dans le monde. C’est l’un des atouts de notre pays, reconnu dans le monde, alors que, dans le reste de l’Europe, la production cinématographique s’est effondrée. Sur le marché mondial, nous sommes le deuxième pays dans ce secteur, si l’on exclut l’Inde, qui possède un marché intérieur particulièrement important. Aussi, je ne crois pas qu’il faille continuer à affaiblir, y compris politiquement, la promotion du cinéma français. C’est pourquoi je défends ici le fonctionnement de notre industrie cinématographique.

M. Baroin et d’autres intervenants ont expliqué qu’ils avaient décidé de voter contre ces crédits – pour ma part, vous l’aurez compris, je préconise, au nom du groupe socialiste, leur adoption – parce que le financement de France Télévisions n’est pas assuré et que la réforme a été reportée.

Franchement, ne parions pas sur l’amnésie de nos collègues ! M. Leleux l’a dit, la crise du financement de France Télévisions remonte non pas à 2012, mais à la réforme de 2009, menée sous le précédent gouvernement, à un moment où ce groupe ne connaissait aucun problème de financement grâce aux ressources tirées, d’une part, de la publicité et, d’autre part, de la redevance. En une réforme, on a décidé de priver l’audiovisuel public de 400 millions d’euros de ressources ! Les taxes, notamment la taxe Copé, que vous ne voulez pas augmenter un petit peu aujourd’hui, n’ont pas permis de compenser une telle perte. À compter de cette date, on a augmenté cette taxe tous les ans de deux euros, voire quatre euros, afin de permettre un financement stable et harmonieux. Sinon, il aurait fallu réformer l’assiette de la taxe, ce que je préconise depuis trois ans.

Si vous rejetez ces crédits parce que cette réforme n’est pas en cours, pourquoi n’avez-vous pas proposé un amendement visant à remédier à la situation ?

Ayons un débat de vérité : si vous voulez élargir l’assiette de cette taxe cette année, pourquoi n’amendez-vous pas ce projet de loi de finances ? En réalité, vous ne voulez pas assumer vos choix devant nos concitoyens.

Pour ma part, je suis prêt à le faire, à condition qu’il n’y ait pas de francs-tireurs embusqués dans les coins ! Près d’un million de nos concitoyens devront de nouveau être assujettis à la CAP, la contribution à l’audiovisuel public.

M. David Assouline. Il faut l’assumer ! Vous déclarez être favorables à une telle mesure. Mais vous ne faites rien, parce que vous ne l’assumez pas !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. C’est la meilleure !

M. Loïc Hervé. C’est un procès d’intention !

M. David Assouline. Rendez-vous au prochain débat budgétaire ! Inscrivons cette question à l’ordre du jour du Sénat, discutons et essayons d’aboutir à un consensus ! Cela serait utile pour tenter de convaincre nos concitoyens. Moi, cela ne me pose pas de problème : je propose cette solution depuis trois ans ! Mais vous, vous ne pensez qu’à vous mettre en embuscade.

M. Loïc Hervé. C’est incroyable !

M. Guy-Dominique Kennel. Cela fait trois ans que vous êtes aux affaires !

M. David Assouline. Je le répète, le budget de l’audiovisuel public est très important. Aujourd'hui, la concentration à l’œuvre dans l’audiovisuel privé nécessite de stabiliser et de renforcer le financement de l’audiovisuel public. Le système a été déstabilisé sous la droite ; nous continuerons à le défendre, en assumant nos responsabilités.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous appelons, mes chers collègues, à voter ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Julien Green écrivait : « Un livre est une fenêtre par laquelle on s’évade. »

Actuellement, s’il est indéniablement nécessaire d’agir, de faire face et front commun, il est tout autant indispensable de préserver l’imaginaire et la création, ces moments où l’esprit se trouve transporté hors du tumulte pour mieux réfléchir ou rêver.

Le livre a cette force, capable à la fois de faire rompre instantanément avec le réel, mais aussi de plonger la conscience encore plus intensément dans le réel. Chaque livre a son univers et sa portée, comme chaque lecteur a ses goûts et sa sensibilité. Mais comme l’exprime Antoine Albalat avec limpidité, « un livre qu’on quitte sans en avoir extrait quelque chose est un livre qu’on n’a pas lu ».

Ce désir d’évasion, de réflexion et de compréhension est symbolisé par la dynamique du marché du livre. Après plusieurs années difficiles, dues, entre autres choses, à la percée du numérique, les ventes se sont stabilisées autour de 422 millions d’ouvrages en 2014, dont près d’un quart de littérature. L’année 2015 devrait être une année encore plus faste, grâce à l’accroissement des ventes d’essais politiques et philosophiques, voire de romans.

Il est évident que le climat présent, marqué par l’incertitude ou l’absurde, amplifie le besoin de comprendre ce qui est encore intelligible.

Dans ce contexte, le soutien à la filière du livre, composée de multiples acteurs, est absolument essentiel. Il convient, notamment, de veiller à la situation du Centre national du livre, le CNL. En tant qu’opérateur de l’État, il encourage la création, l’édition et la diffusion des œuvres.

Or la baisse des recettes du CNL pourrait, à terme, fragiliser ses actions pourtant reconnues, en particulier en matière de numérique. C’est pourquoi la mission confiée à l’Inspection générale des affaires culturelles, l’IGAC, ainsi qu’au Contrôle général économique et financier est primordiale et pourrait permettre de dégager plusieurs solutions pour pérenniser le modèle économique du CNL.

Par ailleurs, les librairies indépendantes constituent un maillon caractéristique de la chaîne du livre, participant activement au rayonnement de la culture en France. La preuve en est un réseau singulièrement dense : 2 500 librairies, dont plus de 500 disposent d’un label de qualité « librairie indépendante de référence ». Elles jouent un rôle essentiel dans nos territoires et dans l’économie de proximité.

En difficulté depuis le début des années 2000 et l’explosion de la vente en ligne, les librairies indépendantes ont vu leur part de marché s’éroder : moins de 1 % des achats s’effectuait en ligne en 2000, contre 18,5 % en 2014. Cependant, le plan de soutien mis en œuvre l’an passé, qui vise notamment à faciliter l’accès au crédit bancaire et à conforter les aides directes versées par le CNL, a eu l’effet escompté, ce qui a permis d’endiguer cette tendance.

À l’avenir, en vue de renforcer le poids des librairies indépendantes dans l’économie locale et d’améliorer leur taux de rentabilité, des pistes pourraient être étudiées. À ce titre, la mission commune d’information du Sénat sur la commande publique, à laquelle j’ai participé, préconise de faire passer le seuil de mise en concurrence sur les marchés publics de 25 000 euros à 40 000 euros d’ici à trois ans. Les librairies seraient ainsi mieux protégées et leur place dans les circuits courts consolidée. Cette mesure constituerait déjà une avancée.

Outre le soutien à la filière du livre, le développement de la lecture publique est un axe majeur de la politique de l’État et des collectivités territoriales. Inciter à la pratique de la lecture, essayer de donner le goût du livre, lutter contre l’illettrisme sont des enjeux à la fois éducatifs et civiques, donc forcément démocratiques.

Dans cette perspective, le quasi-doublement de l’enveloppe allouée aux contrats territoires-lecture, les CTL, constitue une avancée. Ces contrats, qui prennent la forme de partenariats pluriannuels entre l’État, les collectivités et, éventuellement, des structures associatives permettent de mener des actions ciblées, surtout dans les quartiers prioritaires, mais aussi dans les zones rurales.

En essayant de combler les zones blanches et de toucher un public qui peut être empêché d’accéder aux espaces de lecture ou qui n’y a pas accès, les CTL sont un instrument important au service de la lecture publique et, par-delà, de l’éducation, de l’insertion et de la justice sociale.

En l’espèce, je suis convaincue que les bibliothèques – vous savez mon attachement à ces structures ! –, espaces modernes de libertés et de solidarités, lieux de vie, incarnations du vivre ensemble, ont un rôle croissant à jouer. Je ne peux que me réjouir de la création d’une part fonctionnement au sein du concours particulier de la dotation générale de décentralisation, la DGD, qui, espérons-le, favorisera la réalisation de projets ayant pour finalité d’améliorer l’amplitude horaire des bibliothèques.

Le programme 313, qui a trait à la contribution à l’audiovisuel et à la diversité radiophonique, est également un élément important de la vie culturelle des territoires. À cet effet, les crédits affectés au Fonds de soutien à l’expression radiophonique locale ont pour objet de contribuer au secteur radiophonique de proximité, qui fait vivre le débat, le pluralisme et le lien social. Pour 2016, le montant est maintenu à la même hauteur qu’en 2015, soit 29 millions d’euros. C’est une bonne chose. Toutefois, nous restons vigilants sur la question de la banque de programmes Sophia, mes collègues en ont déjà parlé, dont on ne connaît pas à ce jour l’avenir.

En parallèle, à la suite de l’expérimentation concluante menée cette année, un fonds de soutien aux médias de proximité a été créé et doté de 1,5 million d’euros. Ces médias, de taille modeste, souvent fragiles, dirigés vers un public jeune, sont de plus en plus nombreux. Ils sont très utiles à la démocratie locale. Veillons donc à les maintenir !

Enfin, la diversité culturelle est aussi fonction de la pluralité des acteurs. Je prendrai un seul exemple. Dans le domaine de l’industrie culturelle, et plus spécifiquement de la musique enregistrée, existent de nombreuses TPE et PME indépendantes, aux modèles économiques très différents, qui maillent nos territoires. Pour les soutenir, le crédit d’impôt est important. Il sera prolongé jusqu’à la fin de l’année 2018, ce qui est une bonne chose.

Pour conclure, je dirai que la volonté du Gouvernement de promouvoir la diversité culturelle en apportant des garanties aux divers acteurs et en stimulant le tissu économique local est vraiment à saluer, peut-être plus encore aujourd'hui qu’hier, face aux phénomènes importants de concentration observés dans le secteur des industries culturelles. Car la diversité, quelle qu’elle soit, ne se décrète jamais. Il faut savoir créer les conditions de son existence, mais aussi de son développement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions, très riches, comme toujours, qui donnent à notre débat l’ampleur qu’il mérite. Je tâcherai de répondre aux questions que vous m’avez posées sur la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

Permettez-moi simplement de rappeler ce qui est aujourd’hui en jeu.

Vous allez débattre des moyens que la puissance publique met à la disposition des médias pour garantir leur existence, dans un contexte où l’économie du secteur est en pleine mutation, vous avez été nombreux à le rappeler.

Ce qui est en jeu, c’est aussi la liberté de création, en particulier pour la musique et le livre. Là aussi, la mutation numérique a des effets profonds. Nous avons la responsabilité de l’accompagner, pour en tirer le meilleur et nous assurer que tous les Français continuent d’avoir accès à des œuvres d’une grande diversité et d’une grande qualité.

Enfin, ce qui est en jeu, c’est l’accès de tous à la culture, partout, sur tous les territoires, en particulier là où elle est moins présente qu’en d’autres lieux. Nos 16 000 bibliothèques forment un réseau formidable, et vous le savez mieux que personne, en tant qu’élus des territoires. À nous, là encore, de savoir tirer parti de leur présence et de leurs équipes, pour que tous ceux qui se sentent inhibés dans les lieux de culture, mais n’aspirent pourtant qu’à s’y rendre, puissent y avoir accès.

Pour faire face à ces trois enjeux, le Gouvernement prévoit de doter la mission « Médias, livre et industries culturelles » à hauteur de 600 millions d’euros, auxquels il faut ajouter les 3,8 milliards d’euros que l’État réserve pour les avances à l’audiovisuel public.

L’indépendance des médias – c’est la conviction du Gouvernement – passe par une sécurisation des outils de financement.

Pour ce qui est de l’audiovisuel public, après avoir rétabli, en 2013, l’indépendance des nominations, nous renforçons l’indépendance financière en supprimant les subventions budgétaires, pour y substituer des recettes sécurisées, pérennes, qui lui sont directement affectées.

S’agissant de la contribution à l’audiovisuel public, son produit augmentera mécaniquement en 2016, du fait de l’inflation et de la progression du nombre de redevables.

Quant à la taxe sur les télécoms, elle sera portée à 1,3 %. Une partie de son produit – à savoir 140 millions d’euros – sera désormais formellement affectée au financement de France Télévisions.

Permettez-moi de m’attarder un instant sur la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, puisque plusieurs d’entre vous l’ont évoquée.

Les modes d’accès au service public audiovisuel ont très fortement évolué depuis une dizaine d’années. Cette nouvelle réalité doit être prise en compte dans le système de financement de l’audiovisuel public ; certains d’entre vous ont ainsi appelé à une réforme de la contribution à l’audiovisuel public ; j’y reviendrai tout à l’heure. C’est ce que nous faisons en réalité, en affectant une partie de la taxe télécoms à l’audiovisuel public.

M. François Baroin, rapporteur spécial. C’est audacieux !