Mme Annie David. Très bien !

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. La question du financement de l’expérimentation est bien évidemment centrale, certains de nos collègues craignant des conséquences néfastes pour les finances locales.

Je rappelle que la philosophie de l’expérimentation est de réorienter des dépenses existantes liées au chômage de longue durée, en principe à budget constant. Au demeurant, le périmètre géographique de l’expérimentation est très restreint, et cette dernière est portée par des territoires qui sont d’ores et déjà volontaires : cinq d’entre eux se sont lancés sans attendre le vote de la loi. Cela étant, je ne préjuge pas de leur sélection dans le dispositif final, qui dépendra de l’arrêté de Mme la ministre du travail, faisant suite à la création du fonds.

Madame la ministre, vous avez pris l’engagement devant l’Assemblée nationale de consentir un effort exceptionnel de l’État pour amorcer et soutenir l’expérimentation, un engagement que vous venez de renouveler devant la Haute Assemblée. Sur la base du volontariat, les collectivités territoriales devront néanmoins, dès son lancement, confirmer leur engagement à cofinancer le projet, afin de garantir sa pérennité. Le sens de l’expérimentation est de mobiliser tous les acteurs locaux : l’État doit jouer pleinement son rôle, sans se substituer néanmoins aux collectivités territoriales volontaires.

De plus, l’articulation entre cette expérimentation et les structures d’insertion par l’activité économique semble désormais satisfaisante. Celles-ci gardent, bien entendu, toute leur utilité et toute leur place ; des entreprises d’insertion pourront même dans certains territoires être conventionnées par le fonds.

Enfin, il me semble pertinent et raisonnable de limiter le champ de l’expérimentation, du moins dans sa première phase, aux seules entreprises de l’économie sociale et solidaire, dont la définition a été clarifiée par la loi du 31 juillet 2014. Ce sont elles qui connaissent le mieux les publics et les problématiques concernés, et qui pourront être rapidement mobilisées pour assurer le succès de l’expérimentation dans les territoires. Par la suite, si l’expérimentation se révèle concluante, ce que nous souhaitons, il est tout à fait envisageable d’étendre ce projet à toutes les entreprises, quel que soit leur mode de gestion.

En conclusion, je forme le vœu que cette proposition de loi, assortie des amendements sur lesquels la commission a émis un avis favorable, puisse être adoptée à l’unanimité ce soir par le Sénat. Ce texte est attendu par l’ensemble des partenaires des premières expérimentations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – Mmes Élisabeth Doineau et Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a le mérite d’apporter une certaine fraîcheur au débat public sur la question du chômage qui est depuis trop longtemps sclérosé.

Madame la ministre, vous l’avez affirmé à juste titre : nous n’avons pas tout essayé !

Loin de restreindre ces enjeux à la seule question de la compétitivité des entreprises ou de la prétendue rigidité du code du travail, la présente proposition de loi prévoit de partir du concret, de la base, à savoir les territoires.

Ce texte se fonde sur un triple constat.

Tout d’abord, il est le fruit de la réflexion d’acteurs mobilisés sur le terrain, comme ATD Quart Monde, qui ont depuis longtemps compris que les chômeurs ont envie de travailler, qu’ils ne sont pas des assistés satisfaits de leur inactivité et qu’ils ne demandent qu’à mettre leurs compétences au service de la société.

Ensuite, il s’appuie sur le fait que beaucoup de travail utile à la société n’est pas réalisé, qu’il s’agisse des actions culturelles, assurant du lien social, des services à la personne ou de l’amélioration du cadre de vie ; les territoires et leurs habitants ont besoin d’activités qui, faute d’être suffisamment rentables, ne sont pas effectuées.

Enfin, la privation de travail d’une partie de plus en plus importante de la population active coûte très cher à la société, bien plus que les simples allocations versées. Ainsi, ATD Quart Monde estime qu’un chômeur de longue durée représente 15 000 à 17 000 euros de dépenses, chaque année, pour la collectivité. C’est un manque de recettes en termes d’impôts ou de cotisations sociales, mais c’est aussi un sinistre humain et social, dont la réparation sera très coûteuse : précieux savoir-faire perdus, déconsidération, liens rompus, couples fragilisés, santé précarisée, décrochage scolaire des enfants.

Partant de cette analyse, le député Laurent Grandguillaume, avec le soutien d’ATD Quart Monde, propose au travers de ce texte une expérimentation qui apporte des réponses concrètes.

Le dispositif proposé est simple : il suffit de réunir toutes les allocations et dépenses de l’État, des collectivités et de Pôle emploi à destination des chômeurs longue durée involontairement privés d’emploi dans un fonds unique. Ce fonds utilisera ces crédits pour créer des CDI à destination de ces personnes, au sein de structures de l’économie sociale et solidaire conventionnées, afin de répondre à des besoins locaux préalablement identifiés.

Cette proposition de loi est bénéfique à trois niveaux.

Premièrement, elle est bénéfique aux chômeurs de longue durée. Elle leur permettra de retrouver un vrai emploi et des perspectives, de mobiliser leurs compétences et d’en apprendre de nouvelles. Le fait que le contrat retenu soit le CDI est positif, car il s’agit d’un vecteur de stabilité pour des travailleurs habitués jusqu’alors à cumuler des petits boulots précaires.

Deuxièmement, elle est bénéfique aux territoires. L’identification de leurs besoins et l’utilisation de structures de l’économie sociale et solidaire vont leur permettre de satisfaire les besoins de leurs populations et d’aider à leur développement.

Troisièmement, cette proposition est bénéfique à la société tout entière. Elle permet de transformer des dépenses passives en investissements utiles, tout en diminuant les dépenses indirectes liées à la précarité.

J’ajoute, même si tel n’est pas son objet principal, que ce texte permet de pointer les insuffisances du secteur privé dès lors qu’il s’agit de satisfaire certains besoins sociaux de la collectivité. En effet, le marché privé concurrentiel délaisse des pans entiers d’activités dont la valeur lucrative est jugée insuffisante, alors même qu’ils sont créateurs de valeur d’usage. En mettant en avant les structures de l’économie sociale et solidaire, ce texte démontre toute l’importance qu’elles ont dans notre société.

En ce qui concerne la mise en œuvre, ce texte retient une bonne méthode, à savoir l’expérimentation. Les territoires qui se porteront volontaires permettront d’accumuler suffisamment d’expérience, en vue de songer, ensuite, à une généralisation du dispositif. Du reste, Mme la ministre l’a rappelé, une évaluation intermédiaire est prévue, à dix-huit mois de la fin de l’expérimentation, pour analyser véritablement les impacts en termes d’emploi.

Certes, seuls 2 000 chômeurs de longue durée seront concernés, mais il faut bien commencer, et l’échelle d’expérimentation retenue nous semble pertinente.

Concernant les publics cibles, nous soutiendrons l’amendement de Mme la rapporteur visant à inclure les personnes ayant signé une rupture conventionnelle dans la liste des bénéficiaires potentiels. Nous le savons, les ruptures conventionnelles sont souvent des licenciements déguisés. Il serait injuste de considérer que tous les salariés y ayant eu recours ont quitté leur précédent poste le cœur gai et volontairement.

En conclusion, les membres du groupe écologiste soutiendront avec enthousiasme cette proposition de loi novatrice et bénéfique pour toute la collectivité. Redonner une chance de travailler aux exclus, dynamiser des territoires en créant de nouveaux services et réduire le coût de la précarité pour la collectivité : les objectifs et la méthode de cette proposition de loi sont louables et même exemplaires. Voilà pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.

Mme Hermeline Malherbe. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je vous présente tous mes vœux pour cette nouvelle année, que je souhaite plus sereine et fertile au développement de l’emploi.

Je me réjouis de prendre part aujourd’hui à l’examen d’une proposition de loi visant à résorber le chômage de longue durée dans nos territoires. Ce texte tend à faciliter l’embauche en contrat à durée indéterminée par des entreprises relevant de l’économie sociale et solidaire de personnes durablement éloignées du marché du travail.

Ces emplois ad hoc, rémunérés au moins au SMIC, répondent, dans nos territoires, à des besoins de proximité, sociaux, économiques ou environnementaux non satisfaits. Leur financement serait assuré en partie par une réallocation à budget constant de dépenses publiques directes – les allocations comme le chômage et le RSA –, indirectes – les aides au logement, par exemple – ou encore induites, comme le sont celles que supporte la sécurité sociale. En d’autres termes – je fais mienne la formule pleine de bon sens de notre collègue Yves Daudigny –, « l’argent public est mieux utilisé quand il contribue à un emploi ».

À titre liminaire, permettez-moi de dire qu’il me semble bienvenu d’avoir modifié l’intitulé de cette proposition de loi, qui, à l’origine, évoquait des « territoires zéro chômage de longue durée », puis une « expérimentation visant à faire disparaître ce chômage de longue durée ». Si ces objectifs sont louables, nous devons, selon moi, être attentifs aux mots que nous choisissons afin de ne pas créer inutilement chez nos concitoyens de la frustration et de l’insatisfaction. Je salue donc le consensus trouvé en commission des affaires sociales autour de l’intitulé « expérimentation visant à résorber le chômage de longue durée ».

Certains se demandent si ce texte marque le retour, sous une nouvelle forme, de l’emploi aidé. Non, ce n’est pas le cas ! Le financement recherché est innovant, car il s’appuie sur la réallocation de dépenses d’intervention supportées par l’État, les collectivités, notamment les conseils départementaux, et les partenaires sociaux. En outre, l’aide versée par le fonds d’expérimentation aux entreprises n’a pas de caractère définitif. On parle à juste titre de « fonds d’amorçage » : cette aide vise à permettre l’émergence de nouvelles activités portées par le secteur privé de l’économie sociale et solidaire, qui devront, à l’issue de cette période d’amorçage, être financées dans les seules conditions du marché.

Il s’agit donc d’offrir aux entreprises la possibilité de se positionner sur de nouveaux marchés. Ce type d’initiative fonctionne, j’ai pu l’éprouver dans mon territoire avec l’association Bois Énergie 66, qui a développé une activité de conseil aux structures souhaitant s’équiper d’une chaufferie à bois – une énergie renouvelable –, laquelle a démarré grâce à une aide du conseil général de l’époque, dirigé par Christian Bourquin. Cette amorce a permis de développer la filière, qui n’a plus besoin, aujourd’hui, de financement de la collectivité. Je suis donc convaincue que ce type d’initiative permettra à des chômeurs de longue durée de bénéficier des potentialités offertes par ces nouveaux emplois.

Pour revenir plus en détail au texte de la proposition de loi, je me félicite d’abord de la méthode employée.

L’initiative est portée par l’association ATD Quart Monde. J’aime l’idée que les décisions émanent des acteurs du territoire, quotidiennement confrontés aux dures réalités du contexte socio-économique actuel, qu’ils soient issus du monde associatif, élus ou chefs d’entreprise.

En juin dernier, j’ai organisé dans mon département une grande conférence sur l’emploi et le développement économique, réunissant tous les acteurs économiques locaux, afin de les mobiliser, de les fédérer et de réfléchir à de nouvelles solutions pour les emplois locaux. Cette proposition de loi s’inscrit dans le même esprit. Elle requiert un large consensus, par-delà les clivages politiques, afin de faire la démonstration que la diminution drastique du chômage de longue durée est un objectif commun.

Les modifications les plus importantes me semblent avoir été réalisées en commission des affaires sociales, même si des améliorations peuvent encore être apportées au texte. J’aurais notamment souhaité revenir sur le nombre de collectivités territoriales pouvant bénéficier de cette expérimentation. Las, mes deux amendements en ce sens ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. J’en ai été très surprise, dans la mesure où ils ne nécessitaient pas de réajuster le budget global prévu dans le texte.

Malgré le nombre limité de bénéficiaires, je forme le vœu que la candidature de qualité, dans mon département des Pyrénées-Orientales, de la communauté de communes Albères-Côte Vermeille, présidée par mon ami député Pierre Aylagas, reçoive toute l’attention de ceux qui évalueront les possibilités de mise en œuvre du dispositif. Cela redonnerait de l’espoir aux 2 000 chômeurs de longue durée que compte ce territoire.

En conclusion, mes chers collègues, j’espère que nos débats en séance se poursuivront sur la voie du consensus dessinée en commission des affaires sociales, afin que cette proposition de loi soit rapidement adoptée et mise en œuvre.

L’ensemble du groupe du RDSE soutient cette proposition de loi, dont l’adoption s’inscrirait dans la dynamique initiée en ce début d’année par le Président de la République et son gouvernement, qui présenteront lundi 18 janvier un plan d’urgence pour l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a presque un an, le 9 février 2015, le ministre du travail et de l’emploi de l’époque, François Rebsamen, présentait une liste de vingt mesures destinées à lutter contre le chômage de longue durée. Pourtant, avec plus de 2 447 000 personnes inscrites en novembre dernier, le chômage de longue durée a augmenté de 9,7 % en un an, touchant 215 900 personnes supplémentaires. Sa progression est plus rapide que celle de la moyenne générale du chômage. Plus inquiétant encore, dans la mesure où les chances de retrouver un emploi se réduisent avec le temps, 705 000 demandeurs d’emploi restent bloqués sur les listes de Pôle emploi depuis plus de trois ans. Cette courbe du chômage de longue durée n’a montré aucun signe de faiblesse depuis quatre ans.

Au début de l’année 2015, les propositions présentées visaient à « préparer le plus possible les chômeurs de longue durée à être prêts lors de la reprise de l’emploi ». Il s’agissait alors de faire bénéficier 460 000 d’entre eux d’un renforcement du suivi intensif par Pôle emploi d’ici à 2017, de leur accorder un droit réel à la formation qualifiante gratuite – ce qui rejoint les dernières déclarations gouvernementales dont il faut espérer qu’elles ne visent pas simplement à faire baisser les statistiques du chômage... – ou de lutter contre ce qu’on appelle « les freins périphériques à l’emploi » en développant par exemple l’ouverture des crèches aux chômeurs le temps d’un entretien d’embauche, la possibilité de recourir à la garantie de loyers ou à un bilan de santé, etc. Il s’agissait donc surtout de mesures sociales, qui sont sans doute loin d’être inutiles, mais qui peuvent apparaître dérisoires au vu de la gravité de la situation.

Notre groupe ne cesse de répéter qu’une politique efficace de lutte contre le chômage de longue durée passe d’abord par des politiques macroéconomiques favorisant la croissance et l’emploi. Ce sont des réformes de fond qui manquent à notre pays. Leur absence maintient nombre de nos concitoyens dans la précarité, alors que certains de nos voisins connaissent un redressement de leur économie.

En France, 43,2 % des inscrits à Pôle emploi dans les catégories A, B et C sont chômeurs de longue durée. Il faut donc intégrer l’expérimentation dont nous parlons aujourd’hui dans ce contexte. Toutefois, affirmer que celle-ci, qui repose sur une analyse d’éventuels besoins locaux dans le seul secteur de l’économie sociale et solidaire, vise à supprimer le chômage de longue durée est pour le moins « exagéré », comme l’indique avec plus de diplomatie que moi notre rapporteur dans un amendement.

Cette expérimentation présente l’intérêt de s’appuyer sur les territoires pour réinsérer des chômeurs de longue durée. Si quelques postes leur permettent de renouer avec une activité, ce dispositif aura rempli sa mission sociale. Si certains débouchent sur un emploi stable, ce qui nous semble bien aléatoire, ce sera encore mieux !

Tout cela ne nous semble pourtant pas très novateur et rappelle singulièrement les contrats aidés créés dans le secteur non marchand, plus particulièrement les contrats TUC, ou travaux d’utilité collective, mis en place par le ministre Laurent Fabius – c’était en 1984 ! – et qui n’ont malheureusement pas réglé le problème du chômage des jeunes. La nouveauté de cette expérimentation réside dans le mode de financement retenu, qui repose sur la redistribution des allocations auxquelles auraient eu droit les demandeurs d’emploi s’ils n’avaient pas participé au projet. Elle se ferait donc à « budgets constants ». J’en profite d’ailleurs pour saluer le travail de l’association ATD Quart Monde, qui a mis en lumière le fait que les dépenses publiques liées au chômage peuvent être mieux employées en offrant des services socialement utiles.

Au-delà de la mise en œuvre de ce principe, qui nécessite une stricte équivalence entre la baisse des dépenses et le financement du dispositif, il faudra que celui-ci réunisse de nombreuses conditions pour être efficace. Outre qu’il doit absolument reposer sur le volontariat des collectivités, qui ne sauraient se voir imposer des charges nouvelles, il devra bénéficier d’un appui financier constant de l’État. Le Conseil économique, social et environnemental a estimé dans son avis que l’expérimentation ne pourra être conduite sans un financement spécifique inscrit en loi de finances. Des amendements présentés par notre collègue Philippe Mouiller viseront à obtenir des assurances de votre part, madame la ministre.

Comme l’a relevé notre rapporteur, dont je tiens à souligner la qualité du travail et la rigueur des analyses, il faudra qu’une autorité indépendante effectue une évaluation de l’expérimentation le plus en amont possible et assure ensuite son suivi, afin, surtout, de garantir que celle-ci débouche sur une réinsertion durable.

Le dispositif devra pouvoir s’articuler avec l’activité des structures d’insertion par l’activité économique, dont la vocation naturelle vient recouper des objectifs identiques. Il devra également proposer un contenu en formation suffisamment important. Les évaluations de l’effet de ce type de mesures montrent en effet qu’elles ont un impact positif lorsqu’elles permettent d’acquérir une réelle expérience.

Ainsi précisé, le présent projet d’expérimentation aura le soutien de notre groupe, car, si nous regrettons l’absence de réforme d’ampleur, nous approuvons toute initiative rassemblant les énergies au niveau local et permettant aux chômeurs les plus en difficulté de renouer avec une vie « normale », une vie avec un emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un constat difficile, rappelé par chacun d’entre nous : le chômage de longue durée est, aujourd’hui encore, à un niveau très élevé – Alain Milon vient de rappeler les chiffres. En croisant ceux de l’INSEE et de Pôle emploi, on constate que 2,5 millions de personnes ne travaillent pas depuis plus de douze mois.

Au-delà des chiffres, qui sont édifiants, il faut bien avoir à l’esprit la situation de ces personnes. Éloignées depuis de longs mois d’un emploi, elles se sentent déclassées, inutiles voire exclues. Elles voient arriver la fin de leurs droits et s’isolent chaque jour un peu plus. Nous ne pouvons rester insensibles et surtout inactifs face à cette situation.

Depuis trente ans, des initiatives nombreuses ont été prises par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ainsi que par les parlementaires. Or nous sommes obligés de constater que ces différentes politiques se sont soldées par des échecs et que le nombre de chômeurs est toujours à un niveau très élevé et ne cesse de croître.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est donc intéressante à plusieurs égards pour réduire, à défaut de faire disparaître – ne rêvons pas, malheureusement ! –, le chômage de longue durée.

Cette proposition de loi est d’abord intéressante par son origine, puisqu’elle repose sur une initiative portée par l’association ATD Quart Monde, que nous sommes nombreux ici à connaître et dont nous saluons l’action de terrain en faveur des personnes démunies, en détresse sociale. Elle est par ailleurs soutenue par d’autres associations reconnues, tels Emmaüs ou le Secours catholique. Ce texte ambitionne d’associer les acteurs locaux de l’emploi – les associations, l’État, les collectivités locales et bien sûr les entreprises –, et c’est là son originalité. Cette association est essentielle au bon fonctionnement du dispositif, car l’ensemble des acteurs doivent se sentir concernés.

Cette proposition de loi est ensuite intéressante par son fonctionnement. La question de l’activation des dépenses sociales liées au chômage est en effet fondamentale, surtout s’agissant des chômeurs de longue durée. Le texte conduirait ainsi à réallouer les dépenses publiques dont ils bénéficient, comme l’allocation d’aide au retour à l’emploi, l’allocation de solidarité spécifique ou le revenu de solidarité active, aux entreprises qui les recruteraient. Une partie de la rémunération d’un CDI serait ainsi prise en charge, facilitant le recrutement des bénéficiaires.

Cette proposition de loi est également intéressante par son caractère expérimental. L’un des maux français étant de vouloir légiférer sur tout, et surtout trop vite, l’expérimentation a ceci de précieux qu’elle permet de tester un dispositif avant de le généraliser. Il y aura nécessairement des évolutions, des réajustements pour assurer éventuellement une généralisation pérenne du dispositif. Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher de le consolider dès maintenant.

Pour que cette expérimentation soit significative, il nous semble nécessaire d’aller plus loin. En effet, la proposition de loi ne concerne que dix territoires – cela nous paraît un peu court comme échantillon – et ne vise que les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Dans le cas des chômeurs de longue durée, pour les raisons que j’évoquais à l’instant, on peut aisément comprendre ce choix. Ces entreprises connaissent particulièrement bien ce public et sauront lui assurer un retour adapté à l’emploi. Mais ne peut-on envisager d’élargir ce dispositif aux entreprises du secteur marchand ? Certaines pourraient être intéressées par ce projet, notamment celles pour lesquelles la qualification du chômeur compte moins que sa motivation.

J’ai longuement échangé avec le président du Mouvement des entrepreneurs sociaux, lui-même directeur d’un groupe qui emploie aujourd’hui 2 500 personnes dans quatorze sociétés sociales et solidaires. Il est tout à fait convaincu du bien-fondé de cette proposition de loi. Il se déclare même prêt à la mettre en œuvre dans son entreprise, mais il considère que le secteur de l’économie sociale et solidaire ne doit pas être la seule porte d’entrée dans l’emploi des chômeurs de longue durée.

Je souscris pleinement à sa position – je l’ai évoquée devant des chefs d’entreprise, qui se déclarent intéressés –, et je la compléterai même en y ajoutant ma crainte que cette ouverture à la seule économie sociale et solidaire ne conduise à une distorsion de concurrence – cela peut paraître paradoxal – avec le secteur marchand, même si les députés ont complété l’article 1er dans le but de l’éviter.

Par ailleurs, je crois que la durée de cinq ans prévue pour cette expérimentation est trop longue. Le bilan qui serait effectué dix-huit mois avant son terme donne un peu le sentiment d’une dilution du projet dans le temps, qui pourrait trahir un manque de motivation. Nous pensons que trois années peuvent suffire à déterminer si le dispositif est viable socialement et économiquement, avec la publication d’un bilan douze mois avant l’échéance.

Madame la ministre, je crois que cette expérimentation est une initiative qu’il faut accompagner. Elle a le mérite d’être le fruit de réflexions de terrain visant à chercher des solutions adaptées à une difficulté bien particulière et socialement désastreuse que nous tous ici connaissons bien. J’espère que vous saurez entendre nos suggestions tirées de notre expérience.

Pour être tout à fait franc et clair, je précise que certains membres du groupe UDI-UC ont émis des réserves vis-à-vis de ce texte et ne le voteront pas. De manière plus générale, ils regrettent le manque d’ambition des réformes visant à lutter contre le chômage.

Alors qu’est régulièrement affichée par le Gouvernement la volonté de simplifier les règles applicables au monde du travail, les politiques proposées ne nous semblent pas toujours être à la hauteur de l’enjeu. La question du chômage ne trouvera en effet de réponse pérenne que par la croissance de l’activité économique et la conquête de nouveaux marchés. Cela passe par la réforme du marché du travail, par l’investissement productif. Dans ce domaine, le rendez-vous du printemps, que nous attendons tous, sera certainement déterminant. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je vais moi aussi citer des chiffres, mais n’oublions pas que, derrière ces chiffres que chacune et chacun a énoncés, nous parlons de femmes et d’hommes.

À la fin du mois d’octobre 2015, la France comptait 5,7 millions de salariés privés d’emploi. Parmi ces femmes et ces hommes, le nombre de chômeurs de longue durée est de plus en plus important : en quinze ans, leur part est passée de 34 % à 43 % de l’ensemble des chômeurs. Selon l’INSEE, leur nombre s’est accru de 56 % entre 2008 et 2013, alors que le chômage augmentait globalement de 43 %.

Face à cette réalité, force est de constater l’impuissance des gouvernements successifs à trouver des moyens efficaces de lutte contre le chômage. Ainsi, la flexibilité accrue ou les exonérations accordées aux entreprises, mesures privilégiées ces dernières années, n’ont pas conduit à une baisse du taux de chômage ni empêché les plans de licenciement, même dans les entreprises qui font des bénéfices !

Au groupe communiste, républicain et citoyen, nous proposons depuis plusieurs années un tout autre projet pour lutter contre le chômage – je n’ai malheureusement pas le temps de le développer ce soir –, qui s’accompagne de la fin de la politique d’austérité menée depuis bien trop longtemps maintenant et qui permettrait de remplir les carnets de commandes et, ainsi, de favoriser l’emploi. Car c’est bien le secteur marchand qui doit être créateur d’emploi !

Compte tenu du constat que je viens de faire et nonobstant les préconisations que nous portons pour lutter efficacement contre le chômage, nous ne sommes pas insensibles à cette proposition de loi, qui permet d’ouvrir des « possibles ». Sous forme d’expérimentation, le dispositif proposé sort du cadre habituel ; en cela, on peut y voir la « plume » d’associations qui ont largement contribué à son écriture, et je les salue : ATD Quart Monde, Emmaüs, le Secours catholique ou encore la FNARS. Il s’agit en quelque sorte d’une coconstruction qui part du terrain pour arriver au Parlement, qui, je l’espère, enrichira encore le contenu du texte.

Aucune solution ne doit être négligée, d’autant moins quand il s’agit de s’attaquer au fléau du chômage de longue durée. En effet, pour les personnes concernées, il signifie la remise en cause des liens sociaux et familiaux, de la confiance en soi, il conduit à une sorte de résignation et s’associe parfois, et même souvent, à la précarité, qui rime, nous le savons bien, avec pauvreté. Aussi, nous ne pouvons envisager un « mieux vivre ensemble » en « laissant sur le carreau » des milliers de nos concitoyennes et concitoyens.

Cette proposition de loi permettra d’« essayer » une nouvelle option sans remettre en cause les dispositifs déjà mis en œuvre dans nos territoires. Elle permettra également d’apporter des réponses à des besoins sociaux qui s’expriment dans nos territoires, qui correspondent à des emplois non solvables et pour lesquels aucune entreprise du secteur marchand ne veut ou ne peut se positionner. De plus, la mesure proposée s’appuie sur le droit commun du travail, tant du point de vue de la rémunération que du temps de travail, et le CDI est la norme.

Cette expérimentation sera dans un premier temps centrée sur dix territoires, qui seront tous volontaires, et sera limitée dans le temps à cinq ans. Il nous semble que cela correspond à un juste équilibre. Puis, après une évaluation réalisée par un organisme indépendant – si l’amendement de Mme Emery-Dumas, que nous soutenons, est adopté –, et bien sûr si cette évaluation s’avère concluante, la mesure a vocation à être généralisée à l’ensemble du territoire national.

Bien sûr, nous sommes conscients que ce dispositif ne suffira pas à résoudre à lui seul le problème du chômage de longue durée. Mme la rapporteur nous a d’ailleurs indiqué en commission que, à terme, il pourrait concerner environ 2 500 à 3 000 personnes dans les dix territoires volontaires. Néanmoins, nous lui apporterons notre soutien, car il met en œuvre un procédé très nouveau et qui, pour une fois, ne consiste pas à donner de l’argent public aux entreprises, soit sous forme d’exonération ou d’aide directe à l’embauche. Cependant, l’aspect financier reste le point qui nous questionne le plus.

Madame la ministre, vous vous êtes engagée à financer à hauteur de 10 millions d’euros ce dispositif la première année, un amorçage en quelque sorte ; mais, pour la suite, planent beaucoup d’inquiétudes, notamment parmi nos collectivités locales. Ces dernières ont bien conscience que seules celles d’entre elles qui seront volontaires seront concernées, mais, si elles s’engagent dans le dispositif pensant pouvoir y faire face et que les finances viennent à manquer, vers qui se retourneront les entreprises qui auront passé une convention avec le fonds de financement ?

À l’heure où les restrictions budgétaires s’abattent sur les collectivités locales, beaucoup d’élus s’interrogent. Peut-être pourrez-vous nous rassurer pendant le débat. Ce serait un bon signal envoyé à tous les acteurs du secteur de l’insertion sociale. Cela répondrait aussi à certaines des préconisations du CESE, qui demande justement des précisions sur les modalités de financement de l’expérimentation, avec notamment l’inscription de crédits spécifiques dans la loi de finances.

Je souhaite maintenant aborder nos travaux en commission et souligner ici le travail de très grande qualité de notre rapporteur. Mme Emery-Dumas a su présenter non seulement les avantages de ce texte, mais aussi ses défauts, dont elle a réussi à corriger une grande partie, en dehors du financement – l’article 40 ne lui en a pas laissé la possibilité... Cela nous a donc permis de retirer certains de nos amendements pour nous associer aux siens. Nos échanges en commission nous ont également permis d’en modifier d’autres. Je pense notamment à celui qui tend à élargir à tous les demandeurs d’emploi de longue durée présents sur le territoire concerné depuis plus de six mois le bénéfice du dispositif ; quand on sait qu’en 2014 le nombre de ruptures conventionnelles s’est établi à 333 000, soit 19 000 de plus qu’en 2013, il nous semble pertinent d’apporter cette modification.

De la même manière, la proposition de confier l’évaluation à un organisme indépendant, conformément à une autre recommandation du CESE, va dans le bon sens. En effet, la réussite de l’expérimentation dépendra pour une large part de l’évaluation du dispositif, de ses points faibles et de ses points forts, qui ouvrira la voie à une éventuelle généralisation.

Nous présenterons des propositions pour renforcer l’efficacité de ce texte et pour assurer la réussite du dispositif, notamment en matière de formation professionnelle. De même, nous défendrons un amendement visant à garantir une mise en œuvre du dispositif respectueuse de la parité entre les femmes et les hommes. Enfin, nous proposerons, suivant une préconisation du CESE, de revenir sur la disposition, contraire au droit du travail, aux termes de laquelle la rémunération des contrats s’appuie sur le niveau du SMIC.

Madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi donne corps à une idée novatrice en matière de lutte contre le chômage d’une durée supérieure à un an, un mal qui concerne 3 millions de salariés dans notre pays. Il est nécessaire que le dispositif qu’elle instaure soit expérimenté dans de bonnes conditions. C’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste, républicain, et citoyen la voteront, à condition qu’elle ne subisse pas de modifications qui leur déplaisent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)