Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, permettez-moi de me réjouir de ce débat préalable au Conseil européen, débat qui nous permet d’échanger avec le Gouvernement en ce début d’année 2016 sur des sujets majeurs et particulièrement délicats.

Les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne seront au cœur des discussions des chefs d’État et de gouvernement.

Notre commission des affaires européennes suit ce dossier depuis plusieurs mois, grâce notamment au travail de notre collègue Fabienne Keller. La commission a formalisé ses positions dans une résolution européenne, que la commission des affaires étrangères a entérinée sur le rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Quelles sont nos lignes directrices ? Disons-le tout net : nous voulons que ce grand pays reste dans l’Union européenne, et pas seulement pour des raisons affectives ou en raison des liens qui nous unissent.

L’Union européenne doit affronter des défis majeurs. La crise économique pèse sur sa croissance, sur sa compétitivité et sur l’emploi. Face aux menaces extérieures et au terrorisme, l’Europe doit replacer la sécurité en tête de ses priorités et Jean-Pierre Raffarin et moi-même travaillons sur ce sujet crucial. La crise migratoire appelle, elle aussi, une solidarité renforcée.

Dans ce contexte de crises multiformes, chacun voit bien les conséquences négatives d’une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Pour autant, le Conseil européen doit veiller au respect des principes fondateurs. Le Sénat est attaché à ces principes. Notre résolution le réaffirme, en soulignant également que les régimes dérogatoires ne sauraient devenir la règle.

Il ne saurait non plus être question de remettre en cause l’intégrité de la zone euro et son autonomie dans ses prises de décisions. L’euro – faut-il le rappeler ? – est la monnaie unique de l’Union européenne. En d’autres termes, la coexistence actuelle de plusieurs monnaies dans l’Union ne peut et ne pourrait devenir la norme.

Nous sommes attachés au principe d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples ». C’est l’un des fondements du projet européen. Il sous-tend une Europe unie et solidaire, mais il faut être clair sur sa portée juridique. En vertu des traités, c’est le principe d’attribution qui délimite les compétences de l’Union européenne. Ce sont les principes de subsidiarité et de proportionnalité qui régissent l’exercice de ces compétences. Le Sénat y est particulièrement attentif.

Nous disons oui à un rôle accru des parlements nationaux. Renforcer le poids de leurs avis au titre de la subsidiarité est une piste intéressante. Le droit d’initiative, ou « carton vert », est une autre piste pour leur permettre de peser davantage encore dans l’élaboration du droit européen.

Nous disons oui aussi à la libre circulation des personnes et à l’égalité de traitement des salariés occupant un même emploi. Ce sont des acquis majeurs sur lesquels nous ne pouvons transiger. J’ajoute qu’il est toujours possible, dans le cadre du droit dérivé, de combattre la fraude ou les abus et de faire face à des circonstances exceptionnelles.

Comme les Britanniques, nous disons oui également à l’approfondissement du marché unique. Pour cela, il faut poursuivre l’harmonisation des marchés de capitaux et créer un marché unique du numérique et de l’énergie. Nous avons dans le même temps besoin d’outils de régulation et de transparence efficaces. L’Europe doit être plus compétitive dans le respect d’une concurrence loyale. Elle doit aussi assurer une convergence sociale et fiscale.

La crise migratoire sera aussi à l’ordre du jour du Conseil européen. Nos rapporteurs Jean-Yves Leconte et André Reichardt suivent ce dossier complexe.

Le contrôle effectif des frontières extérieures de l’espace Schengen est une priorité. Nous soutenons les propositions de la Commission européenne. Le Sénat demande depuis longtemps un corps européen des gardes-frontières. L’agence FRONTEX, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, doit disposer de moyens permanents et intervenir en cas de défaillance d’un État. La révision du code frontières Schengen doit permettre d’effectuer des contrôles efficaces. Il faut aussi mettre fin aux activités criminelles des passeurs et aux trafics d’êtres humains.

La mise en place des centres d’enregistrement est une autre priorité. Ces hotspots doivent permettre d’enregistrer tous ceux qui arrivent sur le sol européen et d’identifier ceux qui peuvent prétendre au statut de réfugié.

Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi un aparté sur ce point. Si nous devions voir le rétablissement de certaines frontières intérieures au-delà d’une période circonscrite par les règles du code frontières Schengen, et dans l’hypothèse où nous signerions dans quelques années le traité transatlantique, le TTIP, ce rétablissement des frontières intérieures, ne l’oublions pas, représenterait dix milliards d’euros de charges supplémentaires annuelles pour l’Union européenne, fragilisant d’autant le marché unique et assombrissant notre horizon.

Nous devons aussi tenir un discours clair et responsable. Si l’Europe doit prendre toute sa part dans l’accueil des personnes persécutées, elle ne peut supporter des flux massifs de migrants économiques qui souhaitent la rejoindre en dehors de toute règle ; en clair, appliquons la convention de Genève de 1951, et rien que la convention de Genève de 1951.

Le soutien aux pays voisins de la Syrie est indispensable, mais on ne peut à ce stade qu’être sceptique sur la volonté de la Turquie de contribuer effectivement au règlement du problème. La situation dans ce pays nous trouble profondément. Nous attendons du Conseil européen qu’il envoie des messages clairs sur ce point. Il ne peut y avoir de soutien de l’Europe sans contrepartie.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. J’en viens enfin au dernier point. Monsieur le secrétaire d’État, il ne vous a sans doute pas échappé que de l’autre côté de la Méditerranée, l’Algérie est en ce moment le lieu de drames humains importants. Il ne serait pas impossible que, dans quelques mois, de nouveaux flux de migrants de ce pays viennent perturber l’Union européenne, d’autant que nous savons les difficultés particulières que cette population rencontre pour s’intégrer dans notre pays.

L’Union pour la Méditerranée a été pensée, imaginée à une certaine époque, puis sans doute mal vendue à notre principal partenaire, l’Allemagne. Monsieur le secrétaire d’État, il faut se saisir de ce problème dès maintenant. En effet, avec l’effondrement des prix des carburants fossiles, je crains ce qui se prépare aux portes de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – Mme Odette Herviaux applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’ont dit MM. Christian Cambon et Jean Bizet à l’instant, ce débat a montré une grande convergence d’analyse sur les enjeux de la négociation avec le Royaume-Uni. Pour reprendre l’image utilisée par Christian Cambon, je dirai qu’il faut trouver les aménagements de la maison commune sans ébranler les murs porteurs, sans remettre en cause les principes fondamentaux de l’Union européenne, la commission des affaires européennes et le président Bizet ont également insisté sur ce point.

Une feuille de route découle de nos échanges. Elle a été rappelée sur les différentes travées. Il faut trouver un compromis avec le Royaume-Uni sans que cela nous empêche d’aller de l’avant, en particulier pour ceux des États membres qui sont très attachés au projet européen, qui ont l’euro en partage et qui veulent approfondir l’intégration économique, mais aussi la dimension sociale de l’Union européenne, sur laquelle a insisté Éric Bocquet, ainsi que l’harmonisation fiscale, le financement de projets en commun et, finalement, la dimension politique de l’Union européenne.

C’est là toute la difficulté de la discussion qui est engagée. Comme plusieurs orateurs l’ont souligné, parmi les quatre sujets qui ont été mis en avant par le Premier ministre britannique, si certains ne posent pas de grande difficulté, d’autres en revanche méritent une assez grande vigilance.

Concernant la gouvernance économique, ses enjeux tiennent aux relations entre les pays de la zone euro et les pays qui sont en dehors. Nous sommes à cet égard attachés à deux grands principes.

En premier lieu, nous respectons le choix du Royaume-Uni et d’autres États membres de ne pas rejoindre la zone euro, même si la plupart des États membres ont vocation à la rejoindre. Nous sommes tout à fait d’accord pour faire preuve de transparence et d’ouverture sur les décisions prises par la zone euro et pour ne rien imposer aux États qui sont en dehors de la zone euro, notamment en matière de financement du sauvetage d’un État de la zone euro en difficulté, situation à laquelle nous avons été confrontés cet été avec la Grèce.

En second lieu, il ne doit exister en revanche aucune forme d’empêchement, de veto ou de blocage venant d’États qui ne sont pas dans la zone euro à l’égard de ceux qui ont l’euro en partage et qui veulent pouvoir prendre des décisions pour améliorer le fonctionnement de la zone euro.

Je le redis, nous serons particulièrement attentifs à ce que les États qui ne sont pas membres de la zone euro n’utilisent pas ce prétexte pour bloquer des mesures de régulation des marchés financiers et d’intégrité du marché intérieur prises selon les règles de l’Union à vingt-huit, c’est-à-dire selon les règles de la majorité qualifiée. De ce point de vue, un certain nombre de clarifications doivent être apportées au texte.

Concernant les conséquences qu’il faudra tirer de ce débat pour l’avenir, l’Europe différenciée qui existe de fait sera, je le pense, confirmée par ce Conseil européen et par la décision qui permettra au Premier ministre David Cameron de préparer son référendum. Cela se manifeste notamment dans le débat sur l’immigration et au travers des considérations sur la lutte contre les abus sociaux. Je répète que nous ne souhaitons pas remettre en cause les principes fondamentaux de l’Union européenne, en particulier le principe de libre circulation.

J’en viens aux deux derniers points, la compétitivité et la souveraineté. Sur la première, un consensus se dégage pour améliorer le fonctionnement du marché unique dans des domaines comme l’énergie, le numérique, le marché des capitaux ou encore le financement des entreprises par une Union des financements et de l’investissement.

Sur la souveraineté et l’interprétation qu’il faut donner à l’expression d’« union sans cesse plus étroite », je pense que nous allons également parvenir à une formule qui convienne à tout le monde. Si la France souhaite continuer à pousser l’intégration, le Royaume-Uni ne sera pas contraint d’aller vers une union « sans cesse plus étroite ».

De fait, une Europe différenciée naîtra de ces discussions. Nous respectons encore une fois les opt out et les dérogations qui ont été accordés au Royaume-Uni et qui seront confirmés dans le cadre de cet accord. Toutefois, si nous ne voulons pas que l’Europe s’affaiblisse, si nous ne voulons pas assister à une déconstruction de l’Union européenne au moment où elle est confrontée à tant de défis, dont la crise des réfugiés qui est également à l’ordre du jour de ce Conseil européen, mais aussi les défis du bon fonctionnement économique de la zone euro, de l’investissement, de la croissance et de l’emploi, il faut que les pays du cœur de l’Europe aient la perspective de franchir une nouvelle étape dans leur intégration.

C’est la réponse que je ferai à Fabienne Keller et la conclusion que nous devrons tirer de cette discussion : il faut que l’accord soit positif pour l’ensemble de l’Europe, qu’il aide le Premier ministre britannique dans la campagne du référendum, mais qu’il ouvre aussi des perspectives pour les pays de la zone euro.

La question de l’agriculture qui a été soulevée par Jean-Claude Requier est effectivement au cœur de l’actualité, et elle sera probablement évoquée lors du Conseil européen, même si elle ne fait pas partie de ses conclusions. Dans le cadre du conseil européen des ministres de l’agriculture qui a eu lieu le 15 février dernier, Stéphane Le Foll a souhaité que les échanges portent sur le diagnostic de la crise agricole.

Il s’agit d’une crise de l’organisation des marchés à l’échelle internationale, mais également à l’échelle européenne. Cette crise n’est pas uniquement française, notamment parce qu’un certain nombre de mesures de régulation qui existaient auparavant n’existent plus, comme les quotas laitiers. Elle tient aussi à une espèce de course à la production qui perdure, alors même que la demande est inférieure à l’offre et que les prix se sont effondrés.

Nous avons obtenu qu’une analyse plus consensuelle de ce diagnostic soit retenue. Le commissaire européen, M. Phil Hogan, sera reçu par le Premier ministre le 25 février prochain.

Nous avons transmis un mémorandum, avec un certain nombre de propositions, qui sont actuellement en discussion à l’échelle européenne et dont nous souhaitons qu’elles puissent être adoptées rapidement : relèvement temporaire du prix d’intervention sur le lait,…

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. … lancement d’un nouveau programme d’aide au stockage privé du porc, auquel nous devrons peut-être davantage recourir que par le passé...

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. … – d’autres pays ont bien plus bénéficié de ces mesures, alors que c’est la France qui les avait demandées en septembre dernier –, mesures exceptionnelles de promotion, discussions sur les débouchés, avec, en particulier, la levée de l’embargo sanitaire russe.

À cet égard, je démens catégoriquement les propos de Jean Louis Masson selon lesquels la politique étrangère de l’Union européenne serait antirusse.

Tout d’abord, l’embargo sanitaire est lié non pas aux sanctions prises à la suite de l’annexion de la Crimée et de la crise sévissant dans l’est de l’Ukraine, mais à la peste porcine africaine dans un certain nombre d’États membres de l’Union européenne. Nous demandons une levée de cet embargo, car de nombreux pays de l’Union européenne, dont la France, ne sont pas concernés par cette maladie. La Russie devrait donc peut-être aujourd’hui prendre en compte cet état de fait.

Ensuite, nous avons déjà eu l’occasion d’en débattre à plusieurs reprises, les sanctions européennes sont dues à certaines actions que la Russie a menées contre l’Ukraine, notamment l’annexion de la Crimée, mais aussi au non-respect des engagements pris dans le cadre des accords de Minsk entre l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France, le « format Normandie » ayant permis la conduite de ces négociations. Nous souhaitons que les accords de Minsk soient respectés pour pouvoir lever les sanctions. Mais cela dépend, je le répète, du respect des engagements pris en matière de cessez-le-feu, d’organisation des élections dans l’est de l’Ukraine. Les deux parties, la Russie comme l’Ukraine, doivent respecter leurs engagements.

Oui, un certain nombre de dossiers internationaux, notamment la situation syrienne, appellent de la part de l’Union européenne une réaction commune. Il faut qu’il y ait une politique étrangère commune ; l’ensemble des pays de l’Union européenne doivent suivre une voie commune face aux grandes crises que nous connaissons et à la guerre qui est à nos portes, avec des conséquences directes sur l’Europe : la crise des réfugiés, le terrorisme, qui a sa base en Syrie et en Irak, et qui est l’un des produits de la crise dans ces pays. La Russie, comme l’ensemble des pays de la coalition internationale qui agissent en Syrie, doit concentrer son action contre Daech, ce groupe terroriste, et non pas contre l’opposition modérée. Ce pays doit cesser de bombarder les civils et les hôpitaux, tel l’hôpital soutenu par Médecins sans frontières.

M. David Rachline. C’est faux !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Ce n’est donc pas mener une politique antirusse que de considérer la Russie comme un acteur majeur sur le plan international, avec lequel nous avons un dialogue exigeant, parce que ce pays exerce des responsabilités internationales : il est, comme la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Si l’on veut répondre à des instabilités et à des crises comme celle qui secoue actuellement le Moyen-Orient, on se doit d’engager avec la Russie un dialogue franc et honnête sur les désaccords que nous pouvons avoir. Il ne s’agit donc pas là, je le répète, d’une politique antirusse.

Pour en revenir à l’agriculture, nous souhaitons également que d’autres mesures soient prises, des mesures structurantes, des mécanismes innovants pour éviter les surproductions agricoles. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, Stéphane Le Foll s’est souvent exprimé devant la Haute Assemblée sur ce point, nous voulons avancer sur la question de l’étiquetage du pays d’origine sur les produits transformés. (Mme Nathalie Goulet approuve.) Aujourd’hui, la réglementation européenne ne permet pas de procéder à cet étiquetage.

Monsieur Requier, tels sont les points sur lesquels nous sommes en train de travailler à l’échelle européenne pour apporter une réponse à la crise agricole. Au demeurant, cet après-midi, à l’Assemblée nationale, le Premier ministre a donné des informations sur les mesures strictement nationales, notamment celles qui concernent les allégements de charges et les aides aux exploitations agricoles.

Dans le cadre du plan d’action avec la Turquie, M. Kern a insisté sur le fait qu’il fallait demander à ce pays de réviser sa politique de délivrance des visas à l’égard des pays tiers.

Tout en accueillant plus de 2 millions de réfugiés, la Turquie doit apporter sa contribution à la lutte contre les filières de l’immigration irrégulière, qui sont à l’origine de tant de morts en Méditerranée. Aujourd’hui, des ressortissants d’un certain nombre de pays tiers, du Maghreb en particulier, se rendent effectivement en Turquie sans visa et prennent ensuite la « route des réfugiés » pour tenter d’entrer dans l’Union européenne, alors que cela n’aurait pas été possible s’ils étaient venus directement de leur pays d’origine.

Certes, nous voulons que l’Europe, notamment la France, soit ouverte aux échanges avec le Maghreb – nous accueillons sur notre sol des étudiants, des travailleurs, des créateurs ou des personnes au titre du regroupement familial –, mais cela doit se faire dans un cadre légal, convenu avec les pays concernés. L’entrée sur notre territoire ne doit pas être possible par contournement, en passant par la Turquie. Ce point fait partie de la négociation en cours et l’efficacité du plan d’action avec la Turquie est en jeu.

Concernant le pilier social de l’Union européenne et l’harmonisation fiscale, je veux dire à Éric Bocquet que nous partageons l’objectif qu’il a affiché : nous ne pensons pas du tout que l’Europe ne puisse pas faire davantage dans ce domaine.

Sur le plan fiscal, le commissaire européen Pierre Moscovici a présenté voilà quelques jours des mesures tout à fait décisives pour lutter contre les phénomènes d’optimisation fiscale, en veillant à ce que les multinationales et, d’une façon générale, toutes les grandes entreprises présentes dans plusieurs pays de l’Union européenne n’échappent pas à l’impôt. Il convient que celles-ci versent leur juste contribution aux finances publiques dans les pays où elles réalisent leurs bénéfices.

Par ailleurs, nous travaillons sur la question de l’harmonisation fiscale. Il convient tout d’abord de procéder à une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, en vue de rapprocher la fiscalité au sein de l’Union européenne.

Patricia Schillinger a insisté sur la nécessité d’éviter toute discrimination entre les citoyens européens. Les mesures que la Grande-Bretagne souhaite voir adoptées concernant les résidents d’autres pays, en particulier de Pologne et des pays de l’est de l’Europe, qui sont très nombreux à travailler au Royaume-Uni, ne peuvent être que temporaires pour lutter contre des abus – la perception de prestations sociales –, mais ne doivent pas constituer une entrave à la libre circulation ni entraîner de discriminations. Les citoyens européens doivent avoir la possibilité de travailler dans un autre pays et doivent, dès lors, être traités à égalité.

Le président Bizet l’a relevé, beaucoup de choses peuvent être faites sur la base du droit dérivé, et il ne faut pas remettre en cause le droit primaire de l’Union européenne. Les récents arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne dans ce domaine permettent d’interpréter les traités en garantissant l’égalité, la libre circulation et donc la non-discrimination entre les citoyens, tout en luttant contre les abus.

En citant un proverbe africain, André Gattolin nous a mis en garde contre le léopard qui nous attendait sur la berge, après avoir échappé au crocodile dans la rivière. (Sourires.)

Nous devons permettre au Premier ministre britannique d’apporter à l’opinion publique, au travers du référendum qu’il organise, la réponse aux préoccupations qu’il a exprimées en clarifiant les choses, sans mettre en danger la construction européenne. Il ne faut pas engager de déconstruction de l’Union européenne, telle est la ligne de crête sur laquelle nous cheminons.

J’ai déjà répondu à Jean Louis Masson. J’ajouterai simplement que son intervention revêtait un aspect paradoxal.

M. Richard Yung. Il est parti !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. On lui transmettra ma réponse !

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Il se réjouissait de l’organisation d’un référendum au Royaume-Uni et souhaitait que d’autres référendums puissent être organisés dans d’autres pays. Toutefois, bien qu’il se soit félicité du fait que la construction européenne résulte d’abord et surtout d’un engagement de la France et de l’Allemagne dans l’histoire, je n’ai pas compris s’il appellerait à voter pour ou contre le maintien des pays organisateurs dans l’Union européenne. J’aurais aimé entendre sa conclusion, mais j’imagine – il ne l’a pas dit explicitement ! – qu’il souhaite que nous restions dans l’Union européenne…

Quoi qu’il en soit, nous respectons le choix souverain du Royaume-Uni d’organiser un référendum : chaque pays est en droit de consulter ses citoyens sur des questions européennes, comme sur d’autres questions d’ailleurs, en vertu de ses propres règles. Il est vrai que l’organisation de ce référendum n’émane pas de l’Europe. Il ne s’agit pas là de ratifier un traité européen ni d’approuver une mesure prise par l’Union européenne qui entraînerait la nécessité d’organiser un référendum dans un certain nombre de pays.

Tout en respectant ce choix, nous sommes prêts à apporter aux citoyens britanniques les éléments de réponse et de clarification susceptibles de les aider à confirmer le choix de leur pays d’être membre de l’Union européenne, mais on ne saurait demander à l’Union européenne de modifier ses règles, ses fondements et ses traités au motif que l’un de ses États membres a décidé, de sa propre initiative, d’organiser un référendum qui n’était demandé par personne d’autre.

L’Union européenne est constituée d’un ensemble de démocraties, le premier des principes, qui va de pair avec la coopération et la solidarité.

Comme l’a relevé Fabienne Keller, nous estimons que le départ du Royaume-Uni entraînerait une crise – ce serait la première fois qu’un État membre quitte l’Union ! Le Royaume-Uni est un grand pays avec lequel nous entretenons des liens d’amitié et des échanges extrêmement importants dans tous les domaines, en matière culturelle, économique, de défense et de politiques communes, comme celle de l’énergie.

Aussi, dans un esprit de coopération et de solidarité, la position de la France est très claire : nous voulons aider à convaincre les citoyens britanniques que la place du Royaume-Uni est dans l’Union européenne, mais l’Union européenne doit demeurer solide sur ses bases, ses fondements et ses valeurs. Il est possible de répondre aux demandes britanniques, mais sans mettre en danger ni remettre en cause l’intégrité et l’avenir de l’Union européenne, notamment le noyau que constitue l’Union économique et monétaire pour les pays ayant choisi de mettre en commun leur monnaie. Cet élément très important de leur souveraineté économique est l’objet non pas d’un renoncement, mais d’un partage que nous voulons pouvoir continuer à faire vivre à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)

Débat interactif et spontané

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre, avec le même temps de parole.

La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise migratoire en Europe, ou crise de l’asile, est fort préoccupante. Face à un tel drame humain, nous devons faire preuve d’humanité, tout en cherchant de véritables solutions. Car oui, l’Europe est débordée. Elle fait face à un afflux massif de migrants sur ses côtes, qu’elle n’arrive pas à réguler.

Depuis 2013, le nombre de demandes d’asile a connu une évolution exponentielle, atteignant 431 000 demandes en 2013 et 626 000 en 2014, soit le nombre le plus élevé enregistré dans l’Union européenne depuis le pic de 1992, et les chiffres sont en constante progression.

Parmi ces exilés, on trouve, d’une part, des migrants victimes de persécutions dans leur pays, que l’on peut qualifier de « réfugiés » lorsqu’ils ont obtenu l’asile auprès d’un État tiers et dont la convention de Genève de 1951 régit le statut, et, d’autre part, des migrants économiques.

L’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, l’agence FRONTEX, fait la distinction entre les premiers, qui ont droit au statut de réfugiés, et les seconds, qui n’y ont pas droit.

D’après l’agence FRONTEX, les migrants économiques sont désormais majoritaires. En relevant ce fait, je ne cherche nullement à polémiquer, mais simplement à souligner une réalité que nous devons affronter.

Première difficulté : la ligne de partage entre ces catégories de migrants n’est pas si nette. Peut-être faudrait-il adapter la convention de Genève ? Mais cela comporte le risque d’une révision à la baisse pour les réfugiés.

Dans les hotspots, centres d’accueil et de sélection, la situation humanitaire est critique et la sélection est complexe. Comment l’Union européenne compte-t-elle améliorer le processus d’identification des migrants arrivant sur son territoire ?

Deuxième difficulté, que vous avez évoquée, monsieur le secrétaire d’État : l’élaboration d’opérations de relocalisation en Europe pour les réfugiés, ou de retour vers le pays d’origine pour les migrants économiques.

Les opérations de retour communes sont primordiales ; les États membres dont les côtes sont concernées doivent être aidés. Monsieur le secrétaire d’État, comment les stratégies en matière de retour progressent-elles ? Faut-il donner plus de moyens à l’agence FRONTEX, et si oui dans quel délai ? Enfin, pouvez-vous nous faire connaître les demandes que M. le Président de la République présentera aux autres chefs d’État et de gouvernement lors du prochain Conseil européen en ce qui concerne les opérations de retour communes ?