M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous entamons un débat sur le rapport que le Gouvernement s’était engagé à remettre au Parlement lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire votée en juillet 2015, afin d’informer la représentation nationale des orientations arrêtées pour la formalisation d’une nouvelle doctrine d’emploi des armées sur le territoire national, devenu le premier théâtre d’engagement en volume. Je tiens à remercier le Gouvernement de tenir cet engagement.

Je salue tout d’abord le dévouement de nos 10 000 militaires mobilisés depuis plus d’un an sur le territoire national, lesquels contribuent au quotidien, aux côtés des forces de police et de gendarmerie, à protéger nos concitoyens, parfois dans des conditions extrêmement difficiles, certains ayant cumulé jusqu’à cinq ou six déploiements.

La France est directement exposée à la menace terroriste. Comme vous l’avez déjà souligné dans cet hémicycle, monsieur le ministre, il existe une imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l’extérieur.

Il n’y a donc plus de dissociation entre la menace extérieure et la menace intérieure : l’engagement des militaires qui interviennent en appui de la mission conduite par les forces de sécurité intérieure se place désormais dans la continuité des OPEX menées dans la bande sahélo-saharienne ou au Levant pour lutter contre Daech.

Sentinelle est mise en œuvre par les mêmes soldats, puisqu’il n’existe qu’une seule armée à la disposition du chef de l’État, et non une armée territoriale et une armée extérieure.

C’est la prise en compte de cette évolution de la menace terroriste, depuis les attentats de janvier et de novembre 2015, où des Français, nés en France, s’attaquent à leur propre patrie, qui a conduit à engager un changement profond d’échelle et de nature des interventions terrestres sur notre territoire. C’est cette même menace qui nécessite, aujourd’hui, le maintien du contrat de protection à 10 000 hommes et un emploi des armées de plus en plus réactif, souple et manœuvrier.

Il était en effet nécessaire de repenser le plan Vigipirate. Le chef de l’État a pris la décision de pérenniser le contrat opérationnel de protection des armées et d’en tirer les conséquences en termes d’effectifs dans le cadre de la loi d’actualisation de la programmation militaire. Pour s’adapter au nouveau contexte sécuritaire post-attentats, c’est principalement l’armée de terre qui a dû se recentrer sur sa mission de protection, en plus de ses autres missions que sont la projection extérieure, la prévention et la dissuasion.

Pour ce faire, le rapport que nous examinons aujourd’hui ne prévoit pas de modification du cadre juridique existant : le régime de réquisition des armées par le pouvoir civil reste pertinent. Sentinelle ne peut pas être un simple complément d’effectifs aux forces de sécurité intérieure. C’est la raison pour laquelle sont conduites de véritables opérations militaires, sur le même modèle que les OPEX : elles sont placées sous le commandement du chef d’état-major des armées et déclenchées par le chef de l’État au terme d’un conseil de défense et de sécurité nationale.

L’intérêt majeur du recours au contrat de protection des armées tient à la capacité de réaction immédiate que constitue ce réservoir de forces, à sa souplesse d’emploi et à sa modularité.

En effet, si l’opération Sentinelle a permis, dans un premier temps, de protéger statiquement les sites les plus sensibles, elle a progressivement adopté une plus grande flexibilité dans ses modes d’action, notamment depuis les attaques terroristes simultanées du 13 novembre 2015, dont les cibles étaient indiscriminées. Il fallait apporter une réponse claire, un signe fort de l’engagement plein et entier des forces armées au service de la Nation et de sa protection.

Les forces armées disposent en effet de capacités que les policiers n’ont pas, que ce soit en termes d’infrastructures, de drones, de génie ou encore de lutte contre la menace nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique. Elles ont également une grande expérience en matière de planification des missions et de commandement. Enfin, le déploiement visible de la force armée sur l’ensemble du territoire maximise l’effet dissuasif face aux actes terroristes.

L’armée de terre a-t-elle, pour autant, vocation à exercer sa mission de protection du territoire national de façon pérenne ? Si nous répondons positivement, alors nécessairement nous devrons mieux préciser son rôle, ses actions et ses missions sur le territoire, sans négliger les outre-mer, en particulier les forces de gendarmerie et les forces armées en Guyane, qui mènent depuis 2008, avec la mission Harpie, une lutte acharnée contre l’orpaillage illégal. Si le bilan présenté dans ce rapport est encourageant, nous peinons encore à en limiter l’ampleur.

Aussi, puisque les effectifs des forces armées en Guyane n’ont pu être renforcés, nous devons redoubler d’efforts pour améliorer la coopération transfrontalière. Les opérations conjointes se développent avec les forces brésiliennes, mais restent limitées du côté du Surinam. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser les perspectives de coopération avec ce pays à moyen terme ?

Par ailleurs, je souhaite rappeler qu’en raison du haut niveau de mobilisation de nos forces, nous n’atteignons pas actuellement notre objectif de temps d’entraînement de nos soldats. Pour ce faire, je le rappelle, nous devrions absolument passer de 64 à 90 jours.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nous y travaillons !

M. Gilbert Roger. Cependant, la tension actuelle que connaît notre outil de défense en raison des multiples théâtres d’engagement s’allégera progressivement à partir de la mi-2016, notamment grâce aux mesures de recrutement autorisées pour la force opérationnelle terrestre : quelque 5 500 recrutements sont prévus en 2015, et autant en 2016.

S’agissant des conditions d’hébergement, des améliorations sont encore nécessaires pour accueillir dans de bonnes conditions nos troupes. Je souhaite cependant saluer la réactivité du ministère de la défense, qui a dû mobiliser dans l’urgence tous les lieux d’hébergement disponibles, y compris le fort de Vincennes et l’îlot Saint-Germain.

En ce qui concerne l’adaptation des règles d’usage des armes, je ne suis pas favorable à une évolution de la règle de légitime défense, mais nous aurons l’occasion d’en débattre à l’occasion de l’examen du projet de loi renforçant l’efficacité de la procédure pénale.

Enfin, si le souhait de certains de réintroduire un service militaire obligatoire me semble totalement inadapté aux enjeux actuels, en revanche, le déploiement du service militaire volontaire et le renforcement des réserves militaires, opérationnelles et citoyennes répondent aux besoins du pays et aux aspirations des Français. J’ai moi aussi assisté jeudi matin à vos annonces, monsieur le ministre : elles vont dans le bon sens.

J’insiste depuis plusieurs années sur la nécessité de renforcer le lien entre l’armée et la Nation, notamment en direction d’une classe d’âge qui peine parfois à trouver ses repères dans notre société.

Aussi étais-je très satisfait d’entendre le Président de la République, lors de son allocution devant le Parlement réuni en Congrès, le 16 novembre dernier, annoncer la montée en puissance du recours à la réserve opérationnelle, avec la mise en place d’une « garde nationale » qui pourrait, en cas de crise majeure, combiner les dispositifs des réserves militaires avec celui, en cours de création, de réserve citoyenne interministérielle. Le parti socialiste travaille actuellement à la rédaction d’un rapport sur le concept d’une garde nationale et civique. De tels dispositifs répondent à cet objectif d’insertion et de formation ; ils devraient faire consensus dans notre pays.

Je me félicite, pour conclure, de la décision de relever le budget des armées, après une décennie de lourdes restructurations. Cette augmentation du budget est nécessaire pour maintenir un modèle complet d’armée permettant de couvrir tout le spectre des menaces et de garantir la sécurité de notre pays. Il y va de la crédibilité de la Nation auprès de nos militaires et du maintien d’un niveau d’ambition élevé de la France sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, vous connaissez mon engagement en faveur de l’environnement. Avant d’entamer mon propos, je saisis donc l’occasion qui m’est offerte de saluer la présence dans nos tribunes d’une délégation d’Indiens Ashaninkas, qui viennent du Brésil et auxquels je souhaite la bienvenue. (M. Jean-Marie Bockel applaudit.)

Notre débat, qui s’inscrit dans un contexte difficile et inédit, revêt une importance toute particulière. Mais avant tout, je tiens à saluer, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, la détermination et le courage de nos soldats, que ce soit dans le cadre de leur engagement sur le territoire national ou sur les différents théâtres d’opérations à l’étranger.

Ces hommes et femmes qui s’engagent au quotidien pour notre sécurité sont en effet au cœur du dispositif dont nous débattons aujourd’hui. Nous ne le répéterons jamais assez, ils sont la première richesse de nos armées et la meilleure réponse aux menaces auxquelles nous sommes confrontés. Aussi, les annonces que vous avez faites la semaine dernière, monsieur le ministre, concernant la réserve militaire, particulièrement précieuse aujourd’hui, nous paraissent aller dans le bon sens.

Nous devons impérativement mener une réflexion commune et sur le long terme, afin de définir les missions les plus adaptées aux risques d’aujourd’hui et de demain. Nous pensons donc que la présentation au Parlement de ce rapport sur les opérations intérieures, décidé lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire de juillet 2015, et le débat qui a lieu aujourd’hui sont des signaux positifs.

Nous considérons en effet que le Parlement a toute sa place dans la réflexion stratégique autour de l’emploi des armées sur le territoire national. Plus encore, nous pensons que le Parlement devrait être davantage associé, dans la mesure du possible, en amont, et non pas seulement exercer un contrôle a posteriori.

Dans l’esprit de la Constitution et concourant au renforcement du lien entre armée et nation, nous devons encourager les débats contradictoires tout au long de l’engagement de nos forces, de surcroît sur le territoire national. Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas adopter le même dispositif de contrôle parlementaire des opérations intérieures que celui que nous exerçons aujourd’hui pour les OPEX ?

En effet, comme vous le soulignez tout au long de votre rapport, l’engagement de nos soldats sur le territoire national n’est en rien une décision anodine, bien au contraire. Je sais que vous en mesurez toute la gravité et je tiens à saluer ici votre action, dans le contexte particulièrement difficile que nous traversons au niveau tant international que national. Je tiens également à souligner la réactivité et la justesse d’analyse de l’état-major dans cette crise internationale.

À plusieurs reprises, dans ce rapport, vous rappelez que l’opération Sentinelle, déployée après les attentats de janvier 2015 et renforcée après ceux de novembre, est un engagement « inédit ». Sur ce point-là, nous sommes d’accord.

Toutefois, et c’est là que nous souhaiterions obtenir davantage de précisions, vous ajoutez que cet engagement est « durable ». Or cette situation ne peut être pérenne : pour garantir l’effet dissuasif et l’efficacité de ce dispositif, ce dernier doit être clairement défini dans le temps. De surcroît, il semble difficile d’ignorer la multiplication des engagements et le contexte budgétaire actuel.

Le territoire national est devenu le premier théâtre d’engagement du ministère de la défense en volume, avec des effectifs militaires dédiés multipliés par cinq en 2015. Même si la situation exceptionnelle que nous traversons l’impose, la présence massive de soldats sur notre territoire ne peut avoir vocation à s’inscrire dans le long terme.

Il ne s’agit pas, pour nous, de remettre en cause le travail de nos soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle. Un tel déploiement, faisant suite aux terribles attentats qui ont frappé notre pays, était nécessaire. Toutefois, nous pensons que cet engagement ne peut pas être durable, comme vous l’affirmez, auquel cas le partage des compétences voudrait que ce soit le ministère de l’intérieur qui se charge du maintien de l’ordre et de la sécurité du territoire.

J’attire également votre attention sur les ajustements que vous comptez apporter, dans le cadre de la réforme pénale, à « l’irresponsabilité pénale » des fonctionnaires de police, des gendarmes et des militaires déployés sur le territoire national dans le cadre d’une réquisition. Nous y sommes fondamentalement opposés. Nous devons trouver l’équilibre juste entre un État de droit et un état de nécessité !

La peur de l’attentat du lendemain, monsieur le ministre, ne peut être une excuse à une normalisation de l’état d’exception dans lequel nous nous trouvons.

La peur de l’attentat du lendemain ne doit pas nous tétaniser. C’est pourquoi les recommandations que vous formulez à la fin de votre rapport, à savoir une meilleure coordination et une interopérabilité renforcée avec les forces de sécurité intérieure, vont dans la bonne direction. Cela doit justement faciliter une transition et une sortie progressive de l’état d’exception dans lequel nous sommes.

Monsieur le ministre, combien de temps nos soldats seront-ils engagés sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle ? Combien de temps le renfort des 3 000 hommes restera-t-il en vigueur ? Avez-vous un agenda prévisionnel ?

D’un point de vue plus général, votre rapport vise à redéfinir les missions prioritaires de nos armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national. Le groupe écologiste ne remet aucunement en cause l’expertise de l’armée. Nous considérons, au contraire, qu’elle représente une réelle plus-value dans un certain nombre de domaines.

En effet, parmi les missions permanentes définies dans le cadre des opérations intérieures, l’action de l’armée en matière de défense des intérêts économiques et des accès aux ressources stratégiques, ou encore de sauvegarde maritime, avec notamment la défense maritime du territoire, dont le contre-terrorisme, est primordiale et doit être encouragée.

Vous connaissez bien ma position sur ce sujet, monsieur le ministre. Ces missions intérieures sont de réelles priorités sur le long terme.

Nous soutenons donc l’action de nos armées, y compris sur le territoire national, lorsque cette action se place dans un cadre strictement défini, avec des objectifs clairs et surtout un agenda. Il s’agit de la condition sine qua non pour garantir un État démocratique, la sauvegarde des libertés individuelles et la sécurité de notre territoire.

M. le président. Mes chers collègues, je vous invite à mon tour à saluer la présence dans nos tribunes d’une délégation d’Indiens Ashaninkas, originaires du Brésil, en visite au Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

Dans la suite du débat, la parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains.

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le débat qui nous occupe cette après-midi résulte de dispositions que le Parlement avait souhaité introduire lors de la révision de la loi de programmation militaire en juillet 2015, c’est-à-dire avant les tragiques événements de novembre dernier.

Dès lors, il prend une dimension toute particulière, car il s’agit non plus seulement de satisfaire à une obligation légale, mais bien d’évoquer une question d’actualité tristement pérenne, à savoir l’adaptation permanente de nos moyens et de nos pratiques à une menace qui ne faiblit pas et qui s’inscrit dans la durée.

Expression d’un intérêt pour la question du cadre juridique de l’engagement de nos armées, le document que vous nous soumettez traite de façon complète ce sujet, crucial dans un État de droit et pour la protection de nos militaires. Vous y précisez ainsi, monsieur le ministre, que « la participation des armées à la préservation de l’ordre public s’opère dans le cadre de réquisitions […] et que l’emploi des forces est fondé sur la légitime défense ». À ce titre, les forces armées sont placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur. La situation est ainsi clarifiée.

Cette question fait écho au débat que nous aurons demain sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Une chose est d’en appeler à celui-ci de façon exceptionnelle, une autre est de l’inscrire dans la durée, en en faisant un outil pérenne de maintien de l’ordre.

Pour autant, sur le plan pratique et opérationnel, les choses sont plus complexes. Nos militaires agissent bien sous le régime de la protection civile et du maintien de l’ordre, mais dans un contexte très particulier. Le Président de la République, comme le Premier ministre, ne parle-t-il pas de situation de guerre ?

Votre document fait état de menace militaire, d’actes de guerre, ou encore de commandos militaires et, à l’instant, vous nous parliez de militarisation de la menace. Quant à nos adversaires, ils disent très clairement qu’ils sont en guerre avec nous et se considèrent bien comme des combattants d’une armée au service d’un État.

S’agissant de l’engagement de nos armées, je veux rendre hommage au savoir-faire et à la disponibilité de ces dernières. Certaines des missions qui leur sont confiées dans le cadre de l’opération Sentinelle sont des plus-values incontestables, comme le renseignement, la surveillance aérienne et maritime, la cyberdéfense et la santé.

Pour autant, on peut s’interroger sur d’autres missions, comme celles que vous mentionnez vous-même dans votre rapport – présence dissuasive, contrôle, surveillance, protection, voire fonction de communication, pour rassurer nos concitoyens –, car elles ne constituent pas le cœur de métier de nos soldats. Le maintien de l’ordre public ne participe pas des mêmes logiques que la fonction militaire. Par exemple, les termes « neutraliser un adversaire » n’ont pas la même signification pour un policier et pour un militaire.

À juste titre, vous n’avez pas souhaité créer une force dédiée à ces missions placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur. J’ai bien noté que l’ensemble de nos personnels était invité à les assurer, en plus de leurs missions traditionnelles. Je vous rejoins pour considérer qu’il ne peut pas y avoir deux armées, l’une de l’intérieur et l’autre de l’extérieur. La question qui nous est alors posée est la suivante : comment et combien de temps une armée professionnelle peut-elle venir en renfort des forces de l’ordre pour des missions de sécurité intérieure ?

Les militaires n’ont pas vocation à renforcer les forces de l’ordre et à se substituer à elles, pas plus qu’à être placés durablement sous l’autorité du ministre de l’intérieur. Les cadres d’emploi et conditions d’engagement ne peuvent répondre aux mêmes impératifs et logiques, au risque d’une dérive de l’État de droit. Cela nous renvoie aux moyens globaux dégagés pour lutter contre les menaces sur notre territoire national, notamment sur le plan de la police administrative et judiciaire, pour lesquelles nos armées sont incompétentes et doivent le rester.

J’en viens maintenant à des aspects plus budgétaires. Le document que vous nous soumettez est peu disert et se contente de renvoyer au décret d’avance du 27 novembre 2015, en affichant un surcoût de l’opération Sentinelle de 170 millions d’euros en 2015.

Pas un mot sur le budget 2016, alors que le Président de la République a annoncé devant le Congrès une révision du format de nos armées : 70 000 personnels, permettant de mobiliser 10 000 militaires sur le territoire national ! Pas un mot sur les conséquences de l’opération Sentinelle sur l’organisation même de nos armées et sur le reste de nos engagements !

Quand nos militaires font de la garde statique, ils ne se forment pas, ils ne remplissent pas de missions plus traditionnelles, ils ne sont pas en OPEX. Quelles en sont les conséquences sur le maintien en condition opérationnelle de nos hommes et de nos matériels ?

La moindre déflation des effectifs pour les besoins de l’opération Sentinelle ne constitue pas une réponse aux besoins de nos armées, au regard de leurs engagements sur des théâtres extérieurs. On ne peut affirmer que nous inscrivons notre mobilisation dans la durée sans faire de même pour les financements et continuer à recourir à des provisions insuffisantes et à de la cavalerie budgétaire !

Dans un contexte en perpétuelle évolution, où les maîtres mots doivent être adéquation et réactivité, je ne sais pas s’il faut réviser la loi de programmation militaire. En effet, à peine votée, elle risque déjà de devenir obsolète.

Pour autant, je souhaite que le Gouvernement nous soumette rapidement un collectif budgétaire, afin que nous disposions d’une vision d’ensemble des actions entreprises tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, en faveur de la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains.

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, il est des évidences qu’il faut parfois marteler : nos armées sont servies par des femmes et des hommes de grande qualité, généreux, courageux, volontaires, qui ont le goût de l’effort et qui ne craignent pas le sacrifice.

En 2015, près de 50 % d’entre eux ont quitté leurs familles durant plus de 200 jours. Après l’attaque contre Charlie Hebdo, nos militaires ont été engagés dans une mission inédite. 10 000 soldats sont déployés sur notre territoire. À la fin de l’année 2015, quelque 70 000 d’entre eux ont participé à l’opération Sentinelle. Ils sont désormais plus nombreux dans nos villes, affectés à la protection de notre territoire national, qu’en opérations extérieures.

Ce dispositif exceptionnel et nouveau pour nos armées répond à une menace nouvelle, qui s’affranchit de toute convention, à une menace plurielle, présente sur de multiples fronts, au plus loin comme au plus près.

Dans ce contexte, nos armées sont légitimes à concourir, sur le sol national, à la sécurité de nos concitoyens, comme elles le font déjà à travers les postures permanentes de sûreté maritime et aérienne.

Les équilibres traditionnels ont cependant disparu. La menace dépassant les frontières, la complémentarité entre sécurité intérieure et défense extérieure est plus que nécessaire. Le rapport au Parlement le souligne.

Il ne faut pas se contenter d’apporter un complément d’effectifs sur le modèle du plan Vigipirate. Il s’agit bien de permettre aux pouvoirs publics de prendre sous leur tutelle la conduite de véritables opérations militaires. Dans ce cadre, il me semble essentiel de rappeler à ceux qui resteraient confinés dans des schémas dépassés que les militaires ne sont en aucun cas des supplétifs des forces de sécurité intérieure, avec lesquelles ils travaillent d’ailleurs déjà en très bonne intelligence. Ceux qui doutent de leur légitimité à intervenir sur le territoire national font erreur.

Le défi est désormais de repenser cette fonction de protection dans toutes ses dimensions. Il faut adapter les conditions d’emploi des armées à ce nouveau contexte sécuritaire. Nos militaires ne sont pas des vigiles, dociles et corvéables à merci. Ils ne sont pas là pour faire régner l’ordre de manière statique, en constituant des cibles supplémentaires. Ils ne sont pas là pour se contenter de faire nombre et de rassurer les Français ! C’est une question de compétence, d’efficacité opérationnelle, de morale, mais aussi, plus prosaïquement, de coût.

Ils doivent, notamment, être capables d’apporter du renseignement militaire. Il n’est évidemment pas question qu’ils interviennent dans le domaine judiciaire, mais les unités qui patrouillent doivent pouvoir recevoir et apporter un renseignement, dont je ne doute pas qu’il sera exploité au mieux par les forces de sécurité intérieure. Nos militaires doivent donc servir à démultiplier les forces de sécurité en s’interconnectant avec elles. Il faut créer une habitude de travail en synergie.

Les propositions émises par l’armée de terre et qui visent à mettre un terme aux missions statiques doivent être soutenues par les pouvoirs publics, qui en recueilleront rapidement les bénéfices. Il n’est pas acceptable que cette nécessaire évolution de l’emploi des militaires soit remise en cause par des réaffectations de plus en plus nombreuses vers des gardes statiques, inefficaces et dangereuses.

En complément, la politique des réserves doit être rénovée, vous l’avez dit, monsieur le ministre. Au-delà des propositions déjà formulées, il faut inventer de nouveaux dispositifs incitant les entreprises à libérer davantage les réservistes.

Reste une interrogation majeure, monsieur le ministre, face à la complexité de la violence que nous combattons. Quand serons-nous capables de diminuer les effectifs consacrés à la mission Sentinelle ? Nous sommes passés de 7 000 à 10 000 hommes. Nous devons être capables de redescendre. Cela nécessite, sans doute, beaucoup de courage politique de la part de ceux qui prendront cette décision, mais elle est, à mon sens, nécessaire.

Il faut laisser souffler les troupes et leur permettre de s’entraîner avec leurs équipements, afin qu’elles se maintiennent en condition opérationnelle pour affronter l’avenir.

De quelles réserves disposons-nous pour faire face à la prochaine attaque ? Quel emploi de l’armée comptons-nous faire en cas de nouvel attentat de masse ? Quelle sera la nature exacte de la mission confiée aux armées, une fois que celles-ci auront recouvré leur mobilité sur le territoire national ? Que ferons-nous s’il faut intervenir à nouveau à l’étranger ? Supprimerons-nous Sentinelle ? N’est-il pas préférable, monsieur le ministre, d’adapter ce dispositif, afin de lui permettre de remonter en puissance ? Ne peut-on pas envisager des missions particulières, par exemple le cloisonnement du terrain ou le contrôle des axes ? En un mot, que ferons-nous de plus au prochain attentat ?

L’armée est la pierre angulaire de notre action collective contre cette barbarie. Nous savons que nous pouvons compter sur elle et sur sa loyauté.

Je terminerai par ces mots du chef d’état-major des armées, le général de Villiers : « Nos militaires défendent avec foi les valeurs de la France. La liberté, ils combattent pour elle. L’égalité, ils la vivent sous l’uniforme. La fraternité, ils la construisent au quotidien ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme il est difficile d’être classé en permanence parmi les bons ministres !