M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi, qui, je l’espère, recueillera l’unanimité de notre assemblée, s’inscrit clairement dans la perspective de l’Euro 2016, un événement qui s’annonce sensible du point de vue de la sécurité.

En effet, outre la menace terroriste qu’il serait irresponsable de nier, se pose la question des actes de hooliganisme dans les stades et aux abords de ceux-ci.

Ces derniers mois, au moins trois matchs ont été ternis par de violents affrontements entre supporters ultras : les rencontres OM-OL en septembre 2015,…

M. Alain Dufaut. C’est vrai !

M. Claude Kern. … Le Havre-Lens en janvier dernier et Reims-Bastia en février.

Ces faits intolérables, condamnés par les associations de supporters que je qualifierai de « majoritaires », puisque les hooligans se disent également spectateurs et amateurs de sport, doivent trouver une réponse à la hauteur des actes : stricte et sans appel et, naturellement, répressive.

Je m’inscris en faux contre les objections consistant à affirmer que nous élaborons des lois circonstancielles : les derniers événements et la perspective de l’Euro 2016 motivent certes l’adoption rapide de cette proposition de loi, mais celle-ci s’inscrit dans un arsenal législatif mis en place tardivement en comparaison des autres pays européens.

L’histoire du hooliganisme français et de la réponse de la puissance publique est, en effet, faite de non-dits. La question des pratiques des ultras en France a pendant longtemps été étouffée, pour deux raisons majeures.

Première raison, la représentation sociale du hooligan « à l’anglo-saxonne ». Jeune, pauvre ou mal inséré socialement, alcoolisé, se revendiquant d’une idéologie d’extrême droite ou appartenant à des groupuscules nazis, le hooligan dans toute sa violence serait typiquement britannique. Or les ultras eux-mêmes le disent : ils sont d’abord fans de football, ne sont pas toujours délinquants et voient dans le hooliganisme « une culture, un style de vie ».

Seconde raison, les affrontements ont pendant longtemps eu lieu hors des stades en France, dans des zones reculées. Or les études ont montré que le hooliganisme français est identique à celui que connaît la Grande-Bretagne en termes de quantité, de fréquence et de degré de violence.

Pourtant, les autorités françaises se sont emparées assez tardivement du sujet, puisqu’il a fallu attendre les années 2000 pour voir s’esquisser des mesures probantes en matière de lutte contre le hooliganisme.

Depuis 2009, la création d’une division nationale de lutte contre le hooliganisme et l’adoption de dispositions réglementaires et législatives visant à prévenir les troubles à l’ordre public ont permis de réduire les actes de violence et de rouvrir le chemin des stades aux familles et aux amateurs d’un sport dont les valeurs sont assises sur le fair-play, la tolérance et le respect de l’autre, des valeurs que nous partageons tous dans cet hémicycle.

Néanmoins, les violences persistent, et le bilan de la saison 2014-2015 des championnats professionnels des ligues 1 et 2 fait état d’une recrudescence des actes de hooliganisme.

Pour mettre un coup d’arrêt à ces pratiques et éviter l’emballement des affrontements, il est indispensable de prendre de nouvelles mesures. C’est tout l’objet de cette proposition de loi, qui a été utilement étoffée par les députés en séance publique, à tel point que le nombre d’amendements déposés au Sénat est relativement faible au regard d’autres textes.

Possibilité pour les clubs professionnels de football de mettre en place un fichier des hooligans ; allongement de la durée de l’interdiction administrative ; transmission aux organismes sportifs internationaux d’éléments relatifs aux personnes interdites de stade ; limitation des possibilités de vente de cartes annuelles d’abonnement et possibilité d’autoriser la vente de billets nominatifs ; création d’une instance nationale du supportérisme ; peine complémentaire d’interdiction d’accès à toute zone de retransmission publique d’un match : autant de mesures qui contribueront à garantir le déroulement paisible des matchs, en laissant la place au jeu et au spectacle.

Certes, la proposition de loi est encore perfectible, et les amendements qui nous seront soumis sont, pour l’essentiel, empreints de bon sens et justifiés. J’en ai déposé quelques-uns et j’en soutiendrai certains autres.

Cependant, le texte présenté par la commission, pour reprendre l’excellent propos de Mme la rapporteur, « permet un équilibre bienvenu entre les nécessaires compléments devant être apportés aux clubs sportifs et le respect des garanties applicables en matière de traitements automatisés de données ».

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait !

M. Claude Kern. La proposition de loi consacre également le rôle des associations de supporters, dont la prise en compte est indispensable à la fois pour lutter contre le hooliganisme et pour récompenser la qualité de leur pratique du supportérisme, dans l’esprit du sport.

À l’instar de Jean-Jacques Lozach, le rapporteur pour avis de la commission de la culture, je pense que ce texte aurait pu aller plus loin sur ce point, en institutionnalisant la place des supporters dans les clubs, ainsi que le prévoit la proposition de loi soutenue par notre collègue Dominique Bailly. Mais vous nous en direz certainement plus, monsieur le secrétaire d'État, au cours de ce débat, sur votre vision du rôle des supporters dans l’évolution des pratiques sportives.

Permettez-moi de souligner un dernier point. Si l’esprit du sport est parfois malmené dans toutes les disciplines, il est vrai que le hooliganisme est caractéristique du football.

Sport populaire par excellence, diffusé et pratiqué dans le monde entier, le football subit durement l’image de ces ultras, qui cherchent à influer le cours du match par des actes d’une violence extrême, une situation intolérable, à l’image des rencontres qui sont suspendues ou arrêtées par le comportement d’ultras qui lancent des objets sur les joueurs ou cassent des équipements.

Je forme le vœu que les dispositions que nous allons examiner seront adoptées et, surtout, mises en place dès le mois de juin prochain, afin que les festivités liées à l’Euro 2016 ne soient en rien gâchées par des violences intolérables.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !

M. Claude Kern. Il va de soi que le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le football, de par ses chiffres impressionnants, tient une place toute particulière dans le monde du sport français : plus de 2 millions de licenciés – on note une augmentation nette depuis 2012 –, presque 10 millions de personnes dans les stades pour les rencontres professionnelles au cours de cette saison, sans parler du nombre de téléspectateurs.

Lieu de divertissement, exaltation du courage, de l’esprit d’équipe – c’est en tout cas ce que j’espère dans la plupart des cas –, c’est aussi parce que le stade est le lieu idéal pour mener un travail idéologique que, à la fois, les empires, les républiques et, même, les régimes totalitaires ont mené des politiques sportives d’ampleur.

Le football, mais aussi, dans une autre dimension, le cyclisme, a, à ce titre, fait l’objet d’un traitement particulier.

Sport populaire par excellence, le football a les qualités de ses défauts. Et c’est au législateur de réunir les conditions susceptibles d’atteindre un équilibre, afin de préserver le caractère populaire du stade, tout en assurant la sécurité des biens et des personnes.

À ce titre, nous ne pouvons que souscrire à l’article 5 de cette proposition de loi introduit par l’Assemblée nationale. Malheureusement, alors même que deux modèles économiques et sociaux s’opposent diamétralement dans l’Europe du football, la France a choisi de se tourner vers la Grande-Bretagne plutôt que vers l’Allemagne. Cette dynamique s’est manifestée de plusieurs façons.

Tout d’abord, on a assisté à une politique d’incitation à refermer le football professionnel sur lui-même, malgré les dispositifs tels que la prime à la formation, permettant aux clubs amateurs de souffler financièrement, mais les plaçant sous la dépendance directe des structures professionnelles.

Ce constat s’est par ailleurs accompagné d’une souveraineté de plus en plus forte de la Ligue de football professionnel, la LFP, qui se conduit de plus en plus comme le réceptacle des lobbies des clubs que comme une instance régulatrice d’un monde du football gavé par l’argent, ce en oubliant l’immense majorité invisible que constituent les clubs amateurs.

Ce renfermement est apparu notamment pour ce qui concerne les droits télévisuels. Petit à petit, et sous l’impulsion d’une partie des présidents des clubs de l’élite, on se dirige vers une polarisation de ces revenus : les gros clubs, plus bankable que d’autres, et dont les rencontres sont donc plus diffusées, toucheraient plus de droits télévisuels, ce qui leur permettrait de se renforcer et ainsi d’être encore plus attirants l’année suivante.

De la même manière, la réforme future des promotions et des rétrogradations des clubs entre la ligue 1 et la ligue 2 va conduire à un nouvel isolement des clubs de première division, sous prétexte de sécuriser les investisseurs, au détriment de l’enjeu sportif.

Par ailleurs, le rapprochement avec le modèle anglo-saxon s’est exprimé au travers de la politique de « nettoyage des tribunes » que cette proposition de loi souhaite encore, à mon avis, amplifier.

Premièrement, ce fut le cas en soumettant les horaires de matchs aux exigences des diffuseurs. C’est ainsi qu’il avait fallu une mobilisation des supporters – je rapporte là leurs propos ! – pour que les matchs de la ligue 2, relégués les vendredis et les lundis, soient joués à vingt heures et non plus à dix-huit heures quarante-cinq, car il était alors compliqué pour les supporters de venir au stade.

Deuxièmement, cela se vérifia en usant et en abusant de l’arsenal mis en place par la LOPPSI notamment, mais nous y reviendrons plus longuement au cours du débat.

Rappelons tout de même que, en Grande-Bretagne, c’est par la désinstitutionnalisation des tribunes que s’est développé le hooliganisme, qu’il a ensuite fallu combattre en menant une répression importante et, surtout, en augmentant drastiquement le prix des places.

Enfin, cette politique a poussé les clubs à posséder leur propre stade. En France, ce mouvement s’est concrétisé, par exemple, avec le stade Pierre-Mauroy, propriété d’Eiffage jusqu’en 2043, et le stade des Lumières, propriété d’OL Groupe.

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Ce n’est pas la même chose !

Mme Christine Prunaud. Quel rapport avec le « nettoyage des tribunes » ? La construction d’un nouveau stade, par ailleurs propriété privée, a deux conséquences essentielles. Premièrement, le prix des places est forcément plus élevé. Deuxièmement, les stades quittent les centres-villes au profit de la périphérie, cette nouvelle localisation les rendant, d’ailleurs, la plupart du temps, beaucoup plus difficiles d’accès. Ce constat est confirmé par la baisse moyenne du taux de remplissage.

Pour conclure, monsieur le secrétaire d'État, je veux à la fois rappeler l’attachement du groupe CRC au sport en général, en tant que pratique fédératrice et populaire, et dire que cette proposition de loi ne nous semble pas protéger suffisamment cet idéal.

Comme je l’ai fait remarquer, la France a suivi le modèle anglo-saxon, qui a poussé la marchandisation du football à son extrême, au risque d’exclure des catégories populaires des stades, laissant les structures privées gouverner le football professionnel et ne faisant aucune distinction entre supporter, ultra et hooligan – je partage votre avis sur ce point, monsieur le secrétaire d'État ! (M. le secrétaire d'État s’exclame.)

Pourtant, d’autres modèles, promus en Europe, perfectibles, mais meilleurs, auraient pu permettre de sortir de cette impasse, que nous estimons sécuritaire et, surtout, très libérale.

Pour l’heure, la philosophie générale de cette proposition de loi ne nous satisfait pas. Nous serons attentifs au cours des débats et aux avis qui seront émis sur nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, plus de quatre mois après les attentats du 13 novembre, deux semaines après les attaques de Bruxelles et à deux mois de l’Euro de football de 2016, le contexte dans lequel nous examinons la proposition de loi du groupe Les Républicains renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme est bien évidemment loin d’être anodin.

Le hooliganisme est un phénomène qui reste, et c’est heureux, relativement minoritaire en France. Pour le combattre, notre pays s’est déjà doté, au fil des années, d’un arsenal répressif important relatif aux supporters, avec l’interdiction administrative de stade, ou IAS, et l’interdiction judiciaire de stade, l’IDS.

Alors que la législation en vigueur comporte les dispositions nécessaires pour prévenir et sanctionner les violences dans les enceintes sportives, l’article 1er de la présente proposition de loi permettrait aux clubs de football de refuser l’accès aux stades à des supporters ne faisant pas l’objet d’une IAS, mais qui présenteraient un danger pour la sécurité ou le bon déroulement de la rencontre sportive. Ces mêmes clubs pourraient ensuite ficher ces personnes à l’aide d’un traitement automatisé de données à caractère personnel.

Le député Guillaume Larrivé, coauteur et rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, précise, dans son rapport, que ces dispositions, qui « devrai[en]t conduire à une moindre mobilisation des forces de police lors des rencontres sportives, appara[issen]t d’autant plus nécessaire[s] qu’actuellement les forces de l’ordre doivent être prioritairement mobilisées pour lutter contre la menace terroriste islamiste. » Afin de mieux lutter contre cette menace, il faudrait déléguer les prérogatives de la police et des préfets aux clubs de football en matière de gestion de la sécurité, de l’accès aux stades et de fichage des supporters.

Cette évolution me semble quelque peu problématique. Laisser l’exercice de ces compétences aux mains de sociétés commerciales non contrôlées constitue un risque d’arbitraire bien trop élevé.

Bien sûr, le fichier tenu par les organisateurs de manifestations sportives sera soumis à un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, et mis en œuvre dans les conditions définies par le Conseil d’État. Mais peut-on s’assurer qu’un tel fichier sera sciemment utilisé pour écarter les personnes violentes, et non pour effectuer un tri sur d’autres critères ? En effet, les clubs pourraient profiter de ces nouvelles dispositions pour écarter des supporters jugés trop revendicatifs – par exemple, ceux qui dénonceraient une gouvernance autocratique ou s’opposeraient à une politique tarifaire excessive.

De surcroît, l’article 6 de la proposition de loi étend l’interdiction de stade aux lieux de retransmission des matchs. Dans le contexte actuel et à l’approche de l’Euro 2016, nous comprenons, bien sûr, que l’accès aux fan zones, qui pourraient réunir entre 10 000 et 100 000 personnes, soit restreint et que les contrôles soient renforcés. Mais comment appliquer une telle disposition au regard du nombre très élevé d’établissements où seront retransmis les matchs de football, qu’il s’agisse des bars, des restaurants, ou encore des salles de sport ?

Évidemment les actes de violence et de discrimination devraient être sanctionnés de manière vigoureuse, mais il est tout aussi important de promouvoir un encadrement très strict des mesures susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles et d’être utilisées à des fins discriminatoires.

Il importe également de sortir d’une logique uniquement punitive et de s’engager dans une logique préventive, qui intègre les premiers acteurs concernés, à savoir les représentants des supporters. En effet, la représentation des supporters au sein tant des instances nationales du sport que des sociétés exploitant les clubs professionnels est la garantie d’une meilleure politique de prévention, permettant de lutter plus efficacement contre les phénomènes de violence et de discrimination au sein des enceintes sportives.

Sur ce point, l’article 5 permet de faire entrer dans la loi une définition positive des supporters, ainsi qu’une représentation à la fois locale et nationale de ces derniers.

Ces mesures, nous les soutenons. D’ailleurs, mon collègue Ronan Dantec présentera des amendements visant à garantir un meilleur partage de la gouvernance entre fédérations, clubs et représentants des supporters.

De nombreux amendements ont été déposés. Ceux du groupe écologiste ont été élaborés dans un esprit tout à fait constructif.

Au final, il s’agira de savoir si le texte revisité par le Sénat atteindra l’équilibre entre répression et prévention. De cet équilibre dépendra le vote du groupe écologiste.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte a considérablement évolué depuis sa transmission au Sénat, qui l’a déjà profondément transformé.

Face aux supporters, deux philosophies s’opposent : la fermeté et la compréhension.

Cela étant, les supporters de football, comme des autres sports, d'ailleurs – c’est toutefois dans le domaine du football que les problèmes se posent avec le plus d’acuité, les difficultés étant, en général, proportionnelles au nombre de spectateurs – se divisent en deux catégories : d’un côté, ceux dont le comportement est tout à fait correct et qui ne créent pas de problèmes et, de l’autre, ceux que l’on pourrait appeler les « agités », qui se livrent à des exactions.

Je pense qu’il ne faut pas aller trop loin dans la compréhension à l’égard de ceux qui cassent tout, qui se battent… On n’a pas besoin de tels individus, que je considère comme des parasites, dans les stades ! À cet égard, je regrette très vivement que la CNIL ait en quelque sorte censuré la tentative du Paris Saint-Germain d’éliminer leur présence : si on avait laissé le PSG réagir, les supporters actuels seraient peut-être moins virulents et certainement beaucoup plus calmes.

Il faut prendre la mesure des dérapages. Ce n’est pas parce que l’on soutient une équipe que l’on doit donner des coups de poing à son voisin ou casser la vitrine de commerces !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait ! Vous avez raison.

M. Jean Louis Masson. On ne souligne jamais assez que ce sont certains clubs spécifiques qui posent des problèmes. Il faudrait peut-être sanctionner les clubs concernés de manière beaucoup plus vigoureuse. Cela aurait un effet dissuasif. Or, bien souvent, les dirigeants de certains clubs ne sont pas mécontents que des petites péripéties se produisent : cela fait parler du club, cela donne l’impression qu’il est important, cela stimule l’enthousiasme des spectateurs…

Il faudrait peut-être intégrer une forme de responsabilité des clubs et faire en sorte que ces derniers s’autodisciplinent beaucoup plus qu’actuellement.

M. Dominique Bailly. Cela figure déjà dans la proposition de loi !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur, et M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. Oui ! Relisez le texte !

M. Jean Louis Masson. Je souhaite que l’on ne sombre pas dans l’excès de compréhension et que l’on continue de faire preuve d’une certaine fermeté dans la répression, car les hooligans comprennent certainement mieux celle-ci que celle-là !

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, personne dans cet hémicycle ne peut justifier que des violences puissent survenir en marge des rencontres sportives, que ce soit dans les stades ou à l’extérieur de ceux-ci. À cet égard, nous entendons, à l’instar de nos collègues, faire preuve de la plus grande fermeté contre toutes ces violences, qui n’ont pas leur place dans le sport.

Toutefois, de ce point de vue, l’arsenal répressif est depuis la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, plutôt satisfaisant en ce qui concerne le traitement des supporters violents et les mesures coercitives pour éloigner ceux-ci des stades.

Pourtant, la version initiale du texte déposé à l’Assemblée nationale visait exclusivement à renforcer ces mesures répressives, sans jamais poser la question de leur application et de leur efficacité : sont-elles toujours ciblées sur les faits les plus graves ? Les sanctions sont-elles toujours proportionnelles à la gravité des faits ? Comment, enfin, concilier au mieux les impératifs de sécurité et le respect des libertés publiques ?

Pour preuve que ces interrogations ne paraissaient pas fondamentales, aucun représentant ni des clubs de football ni des associations de supporters n’a été auditionné par le rapporteur à l’Assemblée nationale, alors que ces organismes sont les premiers concernés par cette proposition de loi.

Je sais gré à notre rapporteur d’avoir réparé cet impair en permettant à des dirigeants de clubs, aux représentants d’associations de supporters, mais aussi à des chercheurs spécialistes de ces mouvements d’exprimer leur point de vue et, ainsi, d’avoir élargi la réflexion.

Une articulation entre la répression des comportements violents et le dialogue avec les associations de supporters susceptibles justement d’enrayer les comportements à risque semble indispensable si l’on veut mener une politique tout à la fois efficace sur le plan de l’ordre public et respectueuse des libertés individuelles. C’est ce que traduit le nouvel intitulé de la proposition de loi. Nous nous félicitons également de l’intégration en son sein de dispositions visant à améliorer le dialogue et la prévention, même si nous pensons que le texte peut aller encore plus loin.

L’article 1er permet aux clubs d’exclure des supporters. À l’inverse de plusieurs de mes collègues, je ne suis pas convaincue de la nécessité de confier aux clubs des pouvoirs de police appartenant au juge et au préfet, pouvoirs qu’aucun club, hormis le Paris Saint-Germain, ne réclamait. Certes, la situation du club de la capitale, avant le plan de sécurité dit « Leproux », nécessitait un traitement spécifique, mais la loi n’est pas là pour s’adapter aux cas particuliers. En ce sens, je veux citer un extrait du rapport Faut-il avoir peur des supporters ?, issu de travaux menés dans l’enceinte de la Haute Assemblée en 2007 : « la responsabilité d’expulser physiquement un spectateur récalcitrant d’un stade incombe aux services de police ou de gendarmerie. » Eu égard à l’exemple du PSG, épinglé par la CNIL à plusieurs reprises, entre 2013 et 2015, pour fichage illégal, comment contrôler d’éventuels abus de la part des clubs ? La question demeure et justifiera les amendements que nous défendrons ultérieurement.

Demeurent également des interrogations sur la pertinence de l’allongement des interdictions administratives de stade prévu à l’article 2. Il faut savoir que l’interdiction judiciaire de stade permet déjà d’écarter un supporter considéré comme violent pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans, à l’instar, par exemple, des législations allemande ou espagnole. Renforçons cette mesure ! À l’inverse, la vocation préventive des interdictions administratives de stade paraît en contradiction avec la volonté d’étendre leur durée. Ces interdictions, émanant du préfet, visaient à l’origine à faire la jointure avec la procédure judiciaire, non à se substituer à elle. En allongeant leur durée, ne s’expose-t-on pas à ce qu’elles deviennent la voie de recours normale ?

N’oublions pas, mes chers collègues, que ces mesures n’offrent pas les garanties du contradictoire et peuvent s’avérer très invalidantes pour les supporters incriminés, ainsi que l’a fait remarquer Mme la rapporteur, d’autant plus que l’on constate un taux anormalement élevé d’annulations de ces mesures de la part des tribunaux administratifs. Ces recours qui aboutissent devraient nous alerter sur un dispositif qui s’est peut-être écarté de sa finalité première !

Enfin, il apparaît que les interdictions administratives de sortie du territoire – destinées, je le rappelle, aux Français présumés terroristes – présentent un régime plus protecteur pour les personnes que les interdictions administratives de stade, ce qui semble difficile à justifier.

Les dispositions de l’article 5 qui prévoient la création d’une instance nationale du supportérisme et d’un agent de liaison entre les supporters, les clubs et les pouvoirs publics nous semblent tout à fait positives – je le répète –, mais le rôle des associations de supporters est déterminant dans la régulation des comportements à risque. Il faut donc dialoguer avec celles-ci et, ainsi, contribuer à les responsabiliser. De ce point de vue, s’il fallait trouver des exemples en Europe, c’est moins du côté de la Grande-Bretagne que de l’Allemagne, où ce dialogue permet souvent de désamorcer les tensions, qu’il faut chercher.

Enfin – j’en terminerai sur ce point –, il nous paraît important de rendre publics les chiffres du ministère de l’intérieur relatifs aux interdictions de stade et de déplacement, afin d’orienter au mieux une politique publique efficace.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous avons des propositions à faire pour enrichir ce texte de loi ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi, avant que nous n’abordions ce texte dans le détail, de procéder à un petit rappel de contexte. On ne peut pas traiter du supportérisme et du hooliganisme sans rappeler que le sport permet le dépassement de soi et qu’il est porteur de valeurs universelles de solidarité, de respect de l’autre et des règles communes, ainsi que d’un message de concorde.

Si chacun s’accorde à en reconnaître les vertus, tant pour la santé physique et mentale de ceux qui le pratiquent que pour son incidence sociale à travers les valeurs qu’il prône et les vrais moments de communion qu’il permet de vivre, il est aussi un miroir de notre société et de ses dimensions moins glorieuses : compétition acharnée, attrait et pouvoir de l’argent, individualisme et, dans les cas les plus extrêmes, nationalisme et xénophobie.

Le sport, depuis ses origines, doit composer entre sa dimension humaniste et les passions exacerbées qu’il suscite. Ainsi, la violence, dans les stades et autour de ceux-ci, ne date pas de l’ère contemporaine. Déjà les légions romaines, à l’instar de nos forces de l’ordre, intervenaient pour réprimer les débordements de ceux que l’on n’appelait pas encore les supporters lors des courses de chars à Constantinople.

Les chars ont disparu, mais la violence est malheureusement toujours là. Les stades en ont donné l’illustration la plus vive, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi chez nous. J’en veux pour preuve les derniers incidents en date qui se sont déroulés au Havre, dans mon département.

On peut s’interroger sur les causes de ces comportements : présence nombreuse, effet de foule, confrontation d’équipes dont l’une, gagnante, est possiblement arrogante et l’autre, perdante, probablement frustrée…

Toutes les explications peuvent être fournies et les études ne manquent pas. Il n’en reste pas moins que la violence, qui doit être en permanence prévenue, contenue et réprimée, est inacceptable.

Dans le même temps, les événements sportifs ont toujours rassemblé des foules enthousiastes, venues partager un spectacle, soutenir l’image de leur territoire et l’excellence de ses représentants. Ce sont, pour elles, des moments de convivialité et de partage, créateurs de lien social, qu’il faut absolument préserver.

C’est pourquoi il faut, sans relâche, et en s’adaptant aux évolutions de notre société, rechercher et trouver le meilleur équilibre possible entre le maintien de la sécurité dans nos stades et la reconnaissance des valeurs portées par les supporters.

De nombreuses réflexions ont déjà été engagées sur cette question, comme l’ont rappelé les précédents orateurs : la révision en cours de la convention européenne de 1985, le Livre vert de 2010, le rapport de Jean Glavany intitulé Pour un modèle durable du football français, ou encore la proposition de loi de notre collègue et ami Dominique Bailly, dont nous reprendrons, sous forme d’amendements, plusieurs préconisations.

La présente proposition de loi, dans son aspect répressif, complète un arsenal déjà important qui a permis de réduire les actes de hooliganisme, notamment à travers la mise en œuvre du fichier national des interdits de stade, même si nous constatons un rebond des incidents en 2015.

Il est utile de préciser que si ce fichier s’adresse à toutes les manifestations sportives, il concerne essentiellement le football, qui cumule, à lui seul, 367 interdictions de stades en 2015, contre 3 pour le rugby, 3 pour le basket et aucune pour les autres disciplines sportives.

De façon plus générale, ce texte a le mérite de clarifier la répartition des rôles en matière de sécurité entre les organisateurs de manifestations sportives et l’État, et de responsabiliser les premiers en leur donnant les moyens d’assumer pleinement leurs obligations : refus d’accès au stade, résiliation d’abonnement, création de fichiers spécifiques.

Ces dispositions ont été encadrées pour préserver les libertés fondamentales. Toutefois, elles mériteraient de l’être davantage encore pour rassurer les supporters, qui craignent de possibles décisions arbitraires visant à éloigner du stade des personnes revendicatrices, mais peu ou pas dangereuses pour autant. Plusieurs des amendements déposés vont dans ce sens.

Le texte prévoit également d’allonger la durée des interdictions administratives de stade. Si l’on peut admettre cette mesure afin de rendre ces interdictions pleinement efficaces, j’attire votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur l’usage croissant de telles interdictions : celles-ci n’ont en effet pas vocation à se substituer aux mesures judiciaires et sont trop souvent assorties d’obligations de pointage qui peuvent rendre la vie d’un supporter particulièrement difficile quand le club qu’il soutient dispute près de soixante rencontres par an. Nous le rappelons : ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques que représente la personne concernée.

Enfin, il nous paraît judicieux d’étendre les interdictions judiciaires à ce que l’on appelle les « fan zones », tout en considérant nécessaire d’en préciser le périmètre.

Sur les sept articles que compte cette proposition de loi, cinq concernent la dimension répressive. L’article 5, particulièrement important et attendu, marque un véritable tournant en ce qu’il reconnaît – enfin ! – l’existence, le rôle et la place des supporters. Il existe aujourd’hui une réelle volonté de la part de ces derniers de se structurer et de devenir des interlocuteurs crédibles des autorités et des clubs. Cela s’est traduit par la tenue des assises du supportérisme, ici même, au Sénat, et par la création du Conseil national des supporters de football et de l’Association nationale des supporters.

Il est indispensable d’accompagner les supporters et de stimuler leur rôle non seulement social et démocratique, mais aussi d’acteurs de prévention des comportements indésirables.

Les associations de supporters doivent être reconnues et dissociées clairement des hooligans : elles jouent un rôle d’intégrateur social pour leurs membres et de consolidation des identités individuelles et collectives, notamment pour les plus jeunes ; elles constituent des espaces d’apprentissage de la vie associative et militante ; elles sont enfin régulatrices de la violence lorsqu’elles exercent un contrôle efficace sur leurs membres – c’est la raison pour laquelle nous considérons qu’elles doivent avoir connaissance des interdits de stade liés à leur club.

Les autorités publiques, les collectivités territoriales, mais aussi les sociétés commerciales organisatrices d’événements sportifs doivent poursuivre et approfondir le dialogue avec ces associations – et, quand cela n’est pas encore fait, l’engager – et aider à leur structuration.

Ainsi, l’amélioration de la représentation de ces associations, à travers la création d’une instance nationale du supportérisme, est une excellente décision, qui mériterait d’être prolongée – ce sera l’objet de deux amendements. Ce serait le gage d’une plus grande transparence et d’une plus grande durabilité du sport, vecteur de cohésion sociale et de responsabilité sociétale.

Nous plaidons donc, monsieur le secrétaire d’État, pour que soit trouvé le meilleur équilibre entre adaptation des mesures répressives, garantie des libertés individuelles et reconnaissance du rôle des associations. Nous soutiendrons toutes les avancées qui feront de ce texte une loi contre les hooligans et pour les supporters. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mme la rapporteur applaudit également.)