M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Léonce Dupont. On pourrait multiplier les exemples, mais, pour conclure, je dirais que si la STRANES s’apparente à une belle promesse, la réalité de votre « boîte à outils » est d’une grande faiblesse.

Depuis 2012, dans une triste et inquiétante répétition, ce gouvernement rêve à crédit notre pays, ici ses universités et ses étudiants. Pour moi, ce n’est pas cela, un État stratège ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ce qui concerne la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, comme l’ont souligné précédemment mes collègues, les pistes de réflexion sont nombreuses et stratégiques pour l’avenir de notre système de formation, mais aussi pour celui de notre capacité industrielle.

Je voudrais développer un axe en particulier : celui du nécessaire rapprochement entre notre université et la réalité économique des entreprises.

À l’heure de la société du savoir, les entreprises engagées dans la compétition internationale doivent pouvoir tirer leurs avantages concurrentiels des systèmes nationaux de recherche, tandis que l’insertion professionnelle des étudiants repose en grande partie sur l’adaptation de l’offre de formation aux exigences du marché du travail, notamment en termes de compétences.

J’en veux pour preuve que le taux d’insertion professionnelle des diplômés des grandes écoles entre douze à quinze mois après leur sortie était de 92 % en 2015, quand celui des diplômés des universités trente mois après l’obtention de leur diplôme était, la même année, de 89 %.

La conclusion est que les diplômés des masters universitaires – bac+5 – continuent de s’insérer de façon satisfaisante dans la vie professionnelle, mais ils le font beaucoup plus lentement que les étudiants des grandes écoles, qui bénéficient d’une formation plus professionnalisante.

Il s’agit donc de repenser les interactions entre le monde universitaire et le monde économique, deux mondes qui, pendant trop longtemps, se sont ignorés et ont évolué de manière autonome.

L’enjeu est double : d’une part, offrir la meilleure formation est nécessaire dans une société transformée, notamment par le numérique, qui induit de nouveaux systèmes de formation – je pense bien sûr aux cours en ligne ; d’autre part, former les étudiants au plus près de la production et de l’actualisation des connaissances, tout en permettant aux entreprises de renforcer leurs capacités d’innovation et de recherche.

Sur cette question, la stratégie nationale de l’enseignement supérieur contient des dispositions intéressantes.

Je pense notamment à « la politique de site », développée au travers de la loi de juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui vise à s’appuyer sur les synergies et les complémentarités pour lancer des projets scientifiques et pour favoriser la formation.

Je pense également au plan en faveur de l’entrepreneuriat étudiant, qui vise à sensibiliser les étudiants à l’innovation et à l’entrepreneuriat, quel que soit leur cursus de formation.

Ces mesures vont dans le bon sens, monsieur le secrétaire d’État, mais elles ne sauraient être suffisantes.

Votre plan en faveur de l’entrepreneuriat étudiant vise un objectif de 5 000 étudiants bénéficiant du statut national étudiant-entrepreneur à l’horizon 2020 : 5 000 étudiants, sur environ 2,5 millions… Nous sommes encore loin du compte !

Je m’interroge : la priorité de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur n’est-elle pas de libérer les forces créatrices et l’innovation, encore trop souvent bridées ?

Bien que la responsabilité de l’État en matière d’enseignement supérieur reste primordiale, il me semble que l’enjeu majeur, aujourd’hui, ne réside pas tant dans la définition de nouveaux dispositifs législatifs que dans la confiance en nos universitaires et en nos étudiants, en cette génération du numérique qui a moins besoin de formations à ces nouvelles technologies que de nouveaux espaces pour évoluer et innover. C’est précisément ce que les rapprochements entre universités et entreprises peuvent offrir, notamment au travers des « pôles d’excellence ».

Les partenariats université-entreprise nous permettront de repenser le financement du système d’enseignement supérieur, lequel doit pouvoir accéder aux financements ouverts.

Enfin, ce type de rapprochements entre l’enseignement supérieur et la recherche privée représente un enjeu territorial important, qui devrait nous permettre de repenser la compétitivité, l’attractivité et le rayonnement des territoires. Ce sont notamment les nouvelles grandes régions qui devraient aujourd’hui jouer un rôle de préfiguration de ces nouvelles dynamiques.

Dans ma région du Grand Est, notamment, il est fondamental de renforcer la structuration d’un vaste bassin d’emploi et de formation, y compris avec le Luxembourg, la Sarre et la Suisse. C’est également l’un des enjeux : penser la proximité entre l’université et l’entreprise dans des espaces au fort potentiel économique, y compris au niveau transfrontalier et mondial. La forte connexion de ces enjeux avec les compétences des régions en matière de formation professionnelle, de développement économique ou d’aménagement du territoire plaide également en ce sens.

Je pense par ailleurs aux étudiants en médecine : je suis convaincu que nous relèverons le défi des déserts médicaux en territorialisant nos formations. Plus on aura de jeunes ruraux diplômés, plus la probabilité de voir de jeunes médecins s’implanter en milieu rural sera grande ; cela soulève d’ailleurs la question de l’égalité des chances.

Je conclurai par cette réflexion : l’enseignement supérieur doit pouvoir continuer de dispenser une formation académique de grande qualité et de contribuer à la construction des atouts économiques de demain avec des solutions de formation innovantes et, surtout, reliées à l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - M. Jean-Léonce Dupont applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe socialiste ont pris la bonne initiative de proposer un débat sur la stratégie nationale de l’enseignement supérieur.

C’est une bonne initiative, car nous allons enfin pouvoir nous occuper d’une partie de la jeunesse française. Je rappelle que la jeunesse était présentée en 2012 par le candidat François Hollande, désormais Président de la République, comme l’une des priorités de son quinquennat. Autour de moi, je n’ai pas rencontré beaucoup de jeunes ayant le sentiment d’être une priorité du Président de la République… Et ce ne sont pas les engagements de fin de mandat qui vont les rassurer !

Mais ce débat est bienvenu, parce que les jeunes Français s’interrogent. Ont-ils encore un avenir en France ? S’ils le pouvaient, 51 % des jeunes de 25 à 30 ans interrogés aimeraient quitter la France… N’est-ce pas préoccupant ? Je crains très sincèrement que, en plus d’être menacés par le déclin industriel, commercial et culturel, nous ne soyons aussi menacés par le déclin intellectuel, si nous ne parvenons pas à rompre avec un certain nombre de tabous. C’est pourquoi notre système d’enseignement supérieur doit au moins faire preuve d’audace.

Je rappellerai simplement que, en 2007, nous avions fait le pari de replacer l’université au centre des savoirs, au centre de l’enseignement supérieur, au centre de la recherche et de l’innovation. Nous avions décidé, en quelque sorte, d’émanciper l’université de la tutelle un peu trop pressante de l’État. Nous avions enfin décidé de faire confiance à la communauté universitaire. C’était un choix audacieux. La loi LRU a fait couler beaucoup d’encre, elle a bousculé les habitudes, elle a entraîné des contestations, mais il fallait la faire. Nous avons tenu nos engagements et affirmé nos convictions face à la rue et aux conservatismes.

Partout dans le monde, la maîtrise des connaissances scientifiques et la capacité à innover sont la clé des succès économiques et sociaux. Partout dans le monde, les universités sont un vivier où s’opèrent ces mutations.

Mais il nous faut aller encore plus loin dans l’approfondissement de l’autonomie des universités, huit ans après l’entrée en application de la loi. Vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d’État : il est toujours difficile d’avoir une parfaite autonomie lorsque vous n’avez pas une lisibilité dans le temps de vos finances et que vous n’avez pas la maîtrise de vos ressources humaines.

Ainsi, si des mesures disciplinaires doivent être prises à l’égard d’un membre du personnel d’une université, le président doit en référer soit au recteur, soit au ministre… C’est tout de même curieux !

Aussi, comme dans la plupart de collectivités locales d’ailleurs, les dépenses de personnel pèsent beaucoup trop lourdement sur le budget des établissements. En moyenne, elles correspondent à 83 % du budget. L’objectif serait, par exemple, de revoir les modalités de promotion des personnels, afin de permettre une réorganisation interne et d’offrir la possibilité de réinventer le fonctionnement de nos universités. Mais, là encore, ces modalités relèvent toujours de la compétence de l’État.

Notre système d’enseignement supérieur est devenu trop complexe et l’innovation est bien souvent bridée.

Vous avez annoncé une clarification et une simplification, voire un renouveau de la relation entre l’État et les établissements d’enseignement supérieur. Qu’appelez-vous « renouveau » ? Est-ce refuser de reconnaître la diversité des talents de notre jeunesse étudiante ? Est-ce préférer la médiocrité pour tous au succès du plus grand nombre ? Votre conception du renouveau confond beaucoup trop égalité et égalitarisme, mérite et nivellement par le bas. Le socialisme abîme cet idéal républicain qui fait de chaque jeune un espoir pour notre pays. Notre jeunesse étudiante est notre espoir, elle vaut bien que notre pays se préoccupe de son sort.

Pour conclure, nous ne devons pas craindre de renforcer le lien entre l’enseignement supérieur et le monde de l’entreprise, cela dès le premier cycle. Faisons preuve d’ouverture et de bon sens, faisons confiance aux acteurs de l’enseignement supérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chacun d’entre nous a à l’esprit l’importance de ce débat. L’histoire de notre République, c’est d’abord l’histoire d’un combat pour l’éducation – Daniel Percheron le rappelait judicieusement. L’éducation est en effet le premier moyen d’action pour instaurer la justice, l’émancipation et le progrès.

Ce fut tout d’abord, aux premières heures de la IIIe République, le combat pour l’école gratuite, laïque et obligatoire.

Ce fut ensuite le combat pour l’unification de l’enseignement secondaire, à une époque où le lycée était réservé aux seuls favorisés.

Ce fut, dans les années quatre-vingt, le combat mené par François Mitterrand pour assurer l’accès le plus large possible au baccalauréat.

Maintenant, grâce à la STRANES, grâce à la feuille de route dont le Président de la République a voulu doter l’État, nous menons le combat pour l’élévation du niveau de qualification de notre jeunesse, l’objectif étant de porter, d’ici à dix ans, à 60 % d’une classe d’âge le taux de diplômés de l’enseignement supérieur.

La STRANES s’inscrit dans cette histoire pluriséculaire, mais elle est aussi complètement immergée dans les enjeux du monde d’aujourd’hui. Elle prend en compte les tendances lourdes que nous observons au niveau mondial. Le Président de la République, en déclarant que les quarante propositions du rapport, rassemblées autour de cinq axes stratégiques, constituaient la feuille de route du Gouvernement pour faire de la France une société apprenante, dynamique et juste, a donné le cap.

Je tiens donc à remercier chaleureusement le groupe socialiste et républicain, et tout particulièrement Dominique Gillot, d’avoir proposé ce débat. Je remercie tous les intervenants d’y avoir contribué par leurs idées, leurs réflexions et parfois leurs critiques, animés par une volonté partagée de bâtir le système le plus performant et le plus efficace possible, dans le respect de nos valeurs communes.

Le rapport de la STRANES n’est pas un document indicatif, assorti de quelques objectifs chiffrés. Il est intitulé « Stratégie nationale pour l’enseignement supérieur » et a été présenté par deux rapporteurs qui, entourés de leur équipe, ont fait un travail remarquable. Je tiens tout particulièrement à saluer la présidente, Sophie Béjean, le rapporteur général, Bertrand Monthubert, et, à travers eux, l’ensemble du comité STRANES.

Ce rapport a en outre été soumis au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, la plus haute instance de l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, et il a été très largement approuvé par l’ensemble de la communauté universitaire, dans toute sa diversité. Je tiens, à ce propos, à rassurer ceux qui, tout à l’heure, s’inquiétaient de la place des établissements, notamment M. Grosperrin : la Conférence des présidents d’université, la Conférence des grandes écoles et la Conférence des écoles d’ingénieurs ont approuvé ce document, qui lie la communauté universitaire, le Président de la République et le Gouvernement dans la mise en œuvre de cette stratégie.

Cette discussion, qui a d’ailleurs souvent glissé vers l’actualité du pilotage gouvernemental de l’enseignement supérieur, ne porte pas sur le sexe des anges, mais sur des choix qui forment la matrice de la réflexion stratégique. Au demeurant, je n’ai entendu s’exprimer aucun désaccord frontal avec cette stratégie, sauf peut-être de la part de M. Grosperrin. J’en conclus que les objectifs fixés par la STRANES sont aussi les vôtres, mesdames, messieurs les sénateurs, même si la lecture de certains articles de presse peut m’amener à m’interroger.

Quels sont, précisément, ces objectifs ?

Premièrement, nous sommes animés par une volonté absolue de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur, qu’il s’agisse de l’université ou de toutes les formations post-bac qualifiantes. C’est le choix fondateur de cette stratégie : nous souhaitons que la jeunesse de notre pays accède encore plus largement qu’aujourd’hui aux formations d’enseignement supérieur, l’objectif étant que le taux de diplômés du supérieur au sein d’une classe d’âge atteigne 60 % d’ici à dix ans.

Deuxièmement, nous ne voulons pas de sélection par l’argent dans notre système d’enseignement supérieur. Sur la question des droits d’inscription, le débat est aujourd’hui mondial. Cet après-midi même, un cabinet d’études a publié des travaux portant sur les politiques menées par un certain nombre de pays qui appliquent des droits d’inscription à l’université élevés, comme le Royaume-Uni. Un diplômé de l’enseignement supérieur britannique commence sa vie professionnelle avec une dette de 55 000 euros – elle est de 40 000 euros pour un diplômé aux États-Unis –, que bien souvent il ne peut pas rembourser. Cela constitue une forme d’injustice, qui éloigne de l’accès à l’enseignement supérieur des couches entières de la population. Ce cabinet anglo-saxon, par ailleurs plutôt animé par une vision libérale des choses, attire l’attention du Gouvernement britannique sur les conséquences de cette situation.

Troisièmement, monsieur Dupont, nous ne voulons pas la démocratisation pour la démocratisation : notre conception de la démocratisation du système universitaire est exigeante. Nous ne souhaitons pas seulement que le plus grand nombre possible de jeunes accèdent dans les meilleures conditions à l’enseignement supérieur ; nous voulons aussi qu’ils réussissent et qu’ils obtiennent des diplômes de qualité.

Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, ni ce que feront, dans quelques années, celles et ceux qui auront à diriger les politiques d’enseignement supérieur. Ils doivent toutefois savoir que ces orientations ne sont pas celles d’un gouvernement, à l’encontre duquel certains d’entre vous ont tenu des propos particulièrement violents, qui serait partisan du nivellement par le bas, d’une université de masse qui se préoccuperait peu de la qualité des enseignements dispensés : elles ont été approuvées par toute une communauté composée des universités, des grandes écoles, des écoles d’ingénieurs et des partenaires sociaux. Au passage, je le redis, personne ne s’est opposé frontalement aux principes directeurs de la STRANES. Si, demain, certains avaient cette tentation, je pense qu’ils seraient confrontés à un blocage total ; il vaut mieux qu’ils soient conscients de cette réalité.

Ce rapport et ces objectifs nous obligent. Je le reconnais sans détour : quand une nation se fixe un objectif aussi ambitieux, elle s’oblige, et tout d’abord d’un point de vue financier. La quasi-totalité des orateurs, sur toutes les travées, l’a signalé : la Nation ne peut pas s’assigner des objectifs élevés sans avoir à l’esprit qu’elle devra accompagner budgétairement cet effort. La phrase de la lettre du Président de la République que vous avez citée ne dit rien d’autre.

Quand viendra l’heure de la loi de finances, quand nous pourrons constater les premiers succès de cette volonté de démocratisation, avec la progression continue des effectifs dans l’enseignement supérieur, il faudra à l’évidence aller au-delà des efforts budgétaires réalisés ces dernières années et donner un sérieux coup de pouce au budget des universités.

Même si des progrès particulièrement importants ont déjà été réalisés de ce point de vue, il faudra aussi accompagner plus nettement la vie étudiante, afin d’assurer les meilleures conditions d’études et les plus grandes chances de succès aux étudiants qui sont les plus fragiles socialement. Je rappelle néanmoins que ces crédits, regroupés dans le programme 231, intitulé « Vie étudiante », selon notre nomenclature budgétaire, ont connu une très forte augmentation, d’environ 500 millions d’euros, depuis le début du quinquennat, ce qui montre notre volonté d’anticiper sur ce mouvement auquel la STRANES nous oblige.

Je rappelle aussi le plan de logements étudiants, évoqué par l’un d’entre vous à très juste titre. Il est tout à fait important d’accueillir dans de meilleures conditions les étudiants grâce à des logements adaptés. Vous le savez, le Gouvernement, sous l’impulsion de Mme Fioraso, avait adopté un plan de construction de 40 000 logements d’ici à la fin de 2017. Il s’agit d’un effort de construction massif, jamais vu dans l’histoire de notre université. Les chiffres intermédiaires, à la fin de 2015, montrent que plus de 22 000 de ces logements ont d’ores et déjà été livrés et sont habités. La feuille de route, sur laquelle j’ai encore travaillé en début de semaine avec la ministre du logement, montre que cet objectif sera respecté.

Le budget ne se limite pas à la discussion des crédits de l’année. Il comprend aussi des moyens exceptionnels dont l’État s’est doté, dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, le PIA, que l’on appelait précédemment « grand emprunt », géré par le Commissariat général à l’investissement, le CGI. M. Percheron a bien fait de mettre l’accent sur ce point. Il nous a présenté une proposition quelque peu radicale, même si je la respecte, consistant à « tourner la page » du PIA. Ce n’est évidemment pas la position du Gouvernement, mais un peu de lucidité ne nuit pas, dans ce domaine comme dans tous les autres.

Quelques jours après les décisions prises pour les premiers appels à projets concernant les initiatives d’excellence, ou IDEX, qui visent à labelliser dans la durée les pôles universitaires et de recherche de rang mondial ou d’ambition mondiale, il faut reconnaître que quelques questions se posent.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État. En premier lieu, à ce jour, seules trois universités ont obtenu définitivement le label IDEX : Bordeaux, Aix-Marseille et Strasbourg. Il n’est pas nécessaire de convoquer de grands experts ou de consulter les grands classements internationaux pour se rendre compte que, au regard de la carte de l’excellence française, tant du point de vue des universités que de la recherche, ces trois sites tout à fait respectables et qui méritent leur labellisation ne couvrent qu’une petite partie des pôles d’excellence potentiels en France.

Peut-être nous sommes-nous fixé des objectifs trop ambitieux, ou des délais trop brefs, voire les deux ? Il faut aborder la question avec lucidité, et c’est à cet exercice que nous invite Daniel Percheron.

En second lieu, il faut aussi observer que le regard porté sur ces IDEX en période probatoire met en avant des formes de gouvernance tout à fait utiles à l’amélioration et au renforcement de la structuration du paysage de notre enseignement supérieur, notamment la question des fusions entre universités.

Cependant, on ne saurait considérer qu’un IDEX est nécessairement porté par des universités fusionnées. D’autres formes d’organisation sont possibles. Celles-ci ont fait l’objet d’une lettre que le ministère et le CGI ont cosignée : il s’agit notamment d’organisations de type fédéral, qui mutualisent un certain nombre de fonctions en faisant vivre une diversité particulièrement utile dans les communautés d’universités et d’établissements, les COMUE, quand le processus de fusion des universités et des grandes écoles ne peut être mené à un rythme très rapide.

Je rejoins enfin M. Percheron sur un troisième point : il est nécessaire que la politique des investissements d’avenir, pilotée par le CGI et par un jury indépendant – c’est une règle classique dans l’enseignement supérieur, et pas seulement en France, mais dans le monde entier, et nous l’acceptons tout à fait –, soit coordonnée et articulée avec l’administration de l’enseignement supérieur et de la recherche, et plus généralement du ministère de l’éducation nationale, qui pilote la pérennité, l’organisation, l’évolution du système d’enseignement supérieur et de recherche en France. En effet, on n’imagine pas qu’il y ait un ministère de l’excellence, responsable de trois sites seulement, et un ministère qui s’occuperait du reste des établissements d’enseignement supérieur !

J’ai d’ailleurs eu l’occasion de dire que je souhaitais la mise en place d’un véritable comité de pilotage de ces investissements, car ce qui se fait aujourd’hui relève davantage du suivi que du pilotage.

Toujours au titre des obligations que la STRANES nous impose, je veux évoquer la question de l’autonomie. M. Grosperrin s’interrogeait sur la contradiction existant entre l’autonomie des universités et la définition d’une stratégie nationale.

Il n’y a pas à s’interroger, car il s’agit des deux faces d’une même pièce. C’est parce que les universités sont autonomes et que cette autonomie doit, de mon point de vue, être consolidée, qu’il faut une stratégie d’État, sinon c’est le bazar : il n’y a plus de système d’enseignement supérieur, mais un système à géométrie variable qui avance au gré des initiatives individuelles, sans principes nationaux, sans reconnaissance nationale des diplômes ni règles nationales d’accès à l’université.

Il en résulterait une compétition mortifère entre les établissements et les objectifs de la STRANES ne pourraient plus être atteints. La stratégie nationale est donc la condition de pilotage d’un système d’acteurs autonomes. J’indique, au passage, que cette stratégie n’est pas imposée aux acteurs, puisqu’ils ont eux-mêmes participé à sa définition.

Quant à l’autonomie elle-même, elle doit être consolidée et confortée, et elle va l’être, notamment par un plan immobilier. Vous avez eu raison de rappeler que, pour l’instant, seules trois universités sont concernées par la dévolution du patrimoine immobilier. Pourquoi si peu ? Parce que les conditions dans lesquelles ces trois dévolutions ont été effectuées sont ruineuses pour l’État et que celui-ci est incapable d’en assumer une quatrième ! L’État a donné des biens rénovés aux universités et abondé chaque année massivement leur budget de fonctionnement : si ce modèle devait être généralisé, ses capacités financières n’y suffiraient pas.

Depuis près d’un an, nous travaillons à expérimenter un nouveau modèle. Nous lancerons avant l’été une expérimentation sur la base des travaux pilotés actuellement par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. À partir de quatre à cinq sites en France, nous tenterons de trouver un modèle économique pérenne avec des règles entièrement nouvelles en matière immobilière. Les produits de cessions reviendront aux universités qui cèdent leur bien et la possibilité d’emprunter sera accordée, sous conditions, à ces établissements, à plus forte raison quand ces emprunts financeront des opérations de rénovation thermique ou énergétique dont les gains sont supérieurs au coût du remboursement des emprunts.

En ce qui concerne les ressources propres des établissements, là encore, il faut être clair. Ce n’est pas parce que la STRANES fixe des objectifs audacieux que les universités doivent attendre leurs ressources exclusivement de l’État – d’ailleurs, ce n’est pas ce qu’elles font. Aujourd’hui, les universités sont financées à hauteur de 91 % par l’État, les droits d’inscriptions représentant 2 % à 3 % de leur financement et la formation professionnelle et continue 2 %. Le reste provient des collectivités locales, dont je tiens à saluer le rôle en matière d’investissement.

Il faut donc des stratégies de développement des ressources propres, qui peuvent avoir différentes origines. Deux domaines méritent particulièrement d’être explorés dès aujourd’hui, me semble-t-il.

Je pense, en premier lieu, à la formation professionnelle et continue. Douze universités expérimentent aujourd’hui des formes nouvelles de conquête de marchés, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Nous avons doté ces universités de moyens en personnel leur permettant de développer ce type de recettes.

En second lieu, la valorisation des produits de la recherche, l’innovation et le rapprochement avec les entreprises, comme l’a suggéré M. Gremillet, sont autant de pistes de réformes qui seront présentées publiquement d’ici à l’été prochain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je souhaitais vous dire au sujet de la STRANES : ce document stratégique énonce des principes qui soudent une communauté et il nous crée des obligations.

Avant de conclure, je voudrais évoquer différents chantiers d’ores et déjà engagés pour la mise en place de cette stratégie.

Je souhaite insister tout d’abord sur l’amélioration de la condition étudiante et sur la lisibilité des formations, qui est une question essentielle.

J’y ajoute l’orientation active, à laquelle je suis tout à fait favorable. Je considère que ce que nous avons fait cette année pour le dispositif d’admission post-bac, ou APB, n’est pas suffisant ; c’était vraiment le minimum qu’il fallait faire pour informer plus clairement les futurs étudiants sur les conditions dans lesquelles ils seront amenés à réussir ou, malheureusement, à échouer, compte tenu de leur formation initiale.

Je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin et que l’orientation devrait devenir une matière à part entière en classe de terminale. Un professeur, peut-être le professeur principal, devrait être, avec une organisation différente, la personne chargée de s’occuper du parcours post-bac des futurs étudiants. Beaucoup reste donc à faire.

Je veux également insister sur la question du numérique. Certes, ce n’est pas ce qui va sauver l’université française ! Cependant, dans un marché qui se mondialise, avec des pays qui dépensent des sommes gigantesques pour marier innovation pédagogique et innovation numérique, si notre pays ne s’y met pas, dans quelques années, nos étudiants apprendront sur internet grâce à des programmes américains, voire seront diplômés d’une université étrangère sans y avoir jamais mis les pieds.

Je souhaite donc que l’on accélère dans ce domaine : un plan numérique sera annoncé le 24 mai prochain, afin de doter la France d’une véritable ambition, d’une méthodologie et de moyens d’action en matière numérique.

J’en viens à l’architecture des formations, qui est la traduction concrète de l’excellence et de l’exigence qui doivent accompagner la démocratisation.

Certains d’entre vous ont déploré que l’entrée en master pose problème, ce qui a fait couler beaucoup d’encre. Aujourd’hui, quelque 1 400 masters 2 sont sélectifs. Je ne considère pas que la solution qui a été trouvée soit la panacée. Selon moi, l’accès au master pose un véritable problème, et il faut envisager une étape après la licence, que l’on peut appeler orientation ou orientation renforcée, peu importe.

Si le système actuel n’est pas terrible, pourquoi n’avoir rien fait plus tôt ? Depuis quatorze ans, les universités développent des pratiques sélectives en dehors de tout cadre légal ! Il se trouve que nous les avons légalisées, mais j’aurais aimé que cela soit fait plus tôt.

J’aurais aussi aimé que la réforme des formations doctorales, que nous avons fait approuver, je le souligne, par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER – l’arrêté sera publié en même temps que la liste des masters sélectifs –, soit décidée beaucoup plus tôt. Cette réforme garantit la qualité des formations doctorales dispensées et une équité entre les étudiants.

Je pourrais également vous parler de la réforme de l’examen national de droit pour l’accès à la profession d’avocat. Depuis trente ans, les avocats disent que l’on ne peut pas continuer avec des examens territorialisés et qu’il faut organiser cet examen sur des bases nationales. Ce sera chose faite dès la rentrée de 2017.

Je pourrais enfin vous parler des réformes de la première année commune aux études de santé, la PACES. Nous menons des expérimentations dans trois universités pour réduire le taux d’échec et améliorer les possibilités de reconversion pour ceux qui échouent. Bref, nous avons la volonté de revoir l’architecture de l’enseignement supérieur dans notre pays.

Pour conclure, la STRANES est un cadre. J’ai beaucoup insisté sur ce point, parce que je souhaite alerter celles et ceux qui pensent qu’il s’agit d’un document culturel. Non, des gens ont travaillé pendant des années sur ce texte et ils représentent l’ensemble du monde universitaire, des grandes écoles et des écoles d’ingénieur. La STRANES n’est pas une stratégie pour demain, elle est d’ores et déjà mise en œuvre et elle nous oblige, comme elle oblige tous ceux qui se sont engagés dans cette démarche.

C’est parce que nous organisons cette convergence des forces, ce mouvement de transformation de l’enseignement supérieur, qui sera très long, que nous nous donnons les moyens d’atteindre les objectifs que nous avons collectivement décidé de nous fixer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)