compte rendu intégral

Présidence de Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaires :

M. Bruno Gilles,

M. Serge Larcher.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d’un rapport

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires économiques, à celle de l’aménagement du territoire et du développement durable, à celle des finances et à celle des lois.

3

Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour et conformément à l’article 22 ter du règlement, M. Philippe Bas, président de la commission des lois, a indiqué à M. le président du Sénat que la commission des lois demande au Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener sa mission d’information sur la rénovation de la justice, pour une durée de six mois.

Cette demande sera examinée par la conférence des présidents lors de sa prochaine réunion.

4

Communiqué du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 29 juin 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État et la Cour de cassation lui ont respectivement adressé :

- une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure et l’article L. 41-1-1 du code de procédure pénale (Exécution des peines - Transaction pénale) (2016-569 QPC) ;

- un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 653-5, 6° du code de commerce (Cumul de sanctions prononcées par les juridictions pénales et commerciales) (2016-570 QPC).

Les textes de cette décision et de cet arrêt de renvoi sont disponibles à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaire
Discussion générale (suite)

Délai de validité des habilitations des clercs de notaires

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaire
Article unique (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaires, présentée par M. Jacques Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 677, texte de la commission n° 706 rectifié, rapport n° 705).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Bigot, auteur de la proposition de loi.

M. Jacques Bigot, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je n’utiliserai sans doute pas les dix minutes de temps de parole dont je dispose.

M. Jean-Pierre Sueur. Quel dommage ! (Sourires.)

M. Jacques Bigot. Cette proposition de loi ne comprend qu’un seul article, d’une exceptionnelle brièveté, qui prévoit simplement le report de l’application de la cessation de l’habilitation des clercs de notaires.

Nous n’aurons pas à échanger trop longuement sur ce texte, me semble-t-il, sur lequel M. le rapporteur a émis un avis favorable, ce dont je le remercie.

Je me livrerai toutefois à quelques explications pour nos collègues qui assistent aujourd’hui à nos débats : la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, présentée par le ministre de l’économie, M. Emmanuel Macron, et promulguée le 6 août 2015, comprend de nombreux volets, dont une réforme des professions réglementées, notamment celle de notaire, sur la suggestion de l’Autorité de la concurrence.

Cette loi vise notamment à faciliter le recrutement de notaires salariés. D’un côté, beaucoup de jeunes notaires formés ne trouvent pas d’activité. De l’autre, l’organisation de la profession permet, depuis l’article 10 de la loi du 25 ventôse an XI, à des clercs habilités de donner lecture des actes en lieu et place du notaire. Ainsi, dans certaines études notariales, les clients ne voient jamais le notaire et n’ont de contacts qu’avec des clercs habilités.

Le Gouvernement se préoccupe de l’avenir de la jeunesse, en l’occurrence des étudiants qui passent des examens, mais ne trouvent pas de place, alors qu’ils pourraient devenir notaires salariés, voire posséder une étude notariale – la loi du 6 août 2015 a aussi prévu d’augmenter le nombre d’études notariales, afin de permettre à cette jeunesse bien formée d’avoir une activité, et le rapport qui vient d’être rendu par l’Autorité de la concurrence ouvre concrètement la voie à de nouvelles créations.

L’article 53 de la loi du 6 août 2015, qui supprime l’article 10 de la loi du 25 ventôse an XI, prévoit aussi que la suppression de l’habilitation des clercs n’interviendra qu’au premier jour du douzième mois suivant celui de sa promulgation, soit une échéance fixée au 1er août 2016.

Le décret du 20 mai 2016 a instauré une passerelle pour que les clercs habilités qui remplissent des conditions de durée d’expérience et, le cas échéant, de diplômes, puissent accéder aux fonctions de notaire. On constate toutefois, sur le terrain – le pragmatisme est parfois utile –, que ce décret ne permettra pas à certains clercs habilités d’accéder au rang de notaire salarié.

Par ailleurs, il est à craindre qu’un certain nombre d’études notariales ne veuillent pas automatiquement embaucher des notaires salariés en lieu et place de leurs clercs habilités, un notaire salarié étant, aux termes des conventions collectives, un peu mieux payé qu’un clerc habilité, même si l’ancienneté entre également en ligne de compte.

C’est dans ce contexte que le Gouvernement, à l’occasion de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, a proposé un article 51 ter B, adopté par nos collègues députés, qui vise à reporter l’entrée en vigueur de la suppression de l’habilitation des clercs du 1er août 2016 au 31 décembre 2020.

Tel est également le sens de la présente proposition de loi, qui fait certainement plaisir à notre rapporteur, puisque, devant la commission des lois, il a rappelé que la commission spéciale du Sénat constituée à l’occasion de l’examen du projet de loi Macron avait, dans son texte, prévu un délai de cinq ans avant l’entrée en vigueur de la suppression de l’habilitation des clercs.

Le compte rendu des débats de notre assemblée en témoigne : le ministre avait voulu rétablir le texte voté à l’Assemblée nationale et le débat s’était focalisé sur la question de la limite d’âge des notaires.

Vous aviez bien fait une observation sur la question des clercs habilités, monsieur le rapporteur, mais elle n’avait guère été entendue.

Toutefois, peut-on reprocher à un ministre de la République, animé d’une farouche volonté de faire avancer les choses, d’être le plus possible « en marche », de penser que l’évolution aurait pu être organisée dans un délai d’un an ? Il me semble que non. L’expérience prouve néanmoins que la justice délibère parfois plus lentement que d’autres, et qu’il convient de lui laisser un peu plus de temps.

Tel est précisément le sens de cette proposition de loi et de l’amendement gouvernemental qui a été accepté à l’Assemblée nationale.

Je souligne également que la volonté du ministre de l’économie de faire aboutir rapidement sa loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques fait que, six mois après sa promulgation, 100 % des textes d’application sont publiés ou en voie de l’être, 61 décrets étant d’ores et déjà publiés et 20 étant en cours d’examen par le Conseil d’État.

Les choses avancent, incontestablement. Acceptons simplement, mes chers collègues, de rectifier de façon pragmatique cette disposition qui risque de poser rapidement un problème dans les études notariales. Ce délai supplémentaire que nous proposons d’accorder est nécessaire.

Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, il me semble que la plus grande difficulté pour le Gouvernement, notamment pour la Chancellerie, sera maintenant de réussir à créer de nouvelles études notariales sur la base de l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui propose une ouverture très large que la profession n’est pas toujours prête à accepter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne ferai aucun reproche à un ministre qui a suffisamment d’enthousiasme pour vouloir atteindre ses objectifs quand il s’agit de la croissance, de l’activité et de l’égalité des chances économiques.

En revanche, je soulignerai peut-être qu’une bonne loi – mais cela vaut pour tout le monde – suppose toujours beaucoup d’écoute et peu de précipitation.

Ce texte, déposé par notre collègue Jacques Bigot, vise effectivement à conjurer la menace d’un licenciement ou d’une perte de revenus pour les quelque 9 500 clercs habilités actuellement en activité. Nous devons nous féliciter de cette proposition de loi qui est dans l’intérêt des clercs habilités, hommes et femmes, qui peuvent craindre pour leur emploi.

Un clerc habilité, comme son nom l’indique, peut lire et expliquer les actes, mais aussi recevoir les signatures en l’absence du notaire en titre, lequel apposera ensuite sa signature pour rendre authentique l’acte. On peut comprendre que ce dispositif ait été vu comme un frein à l’accès de jeunes professionnels au notariat salarié, puisqu’il permettait aux notaires en exercice de se dispenser d’en recruter.

La suppression de l’habilitation des clercs devait donc, selon le raisonnement suivi par le Gouvernement, créer un appel d’air au sein des offices, puisque, privés de la ressource des clercs habilités, les notaires titulaires n’auraient eu d’autre possibilité que de recruter des notaires salariés pour maintenir le même niveau d’activité. À cette première conviction s’ajoutait, pour le Gouvernement, la volonté de prévoir une période transitoire la plus courte possible.

La commission spéciale du Sénat ne s’était absolument pas opposée à la suppression de l’habilitation des clercs assermentés ; elle l’avait seulement limitée pour maintenir l’effet de ces habilitations pendant au moins cinq ans, afin de donner aux intéressés le temps de réaliser leur reconversion. Ce délai lui avait semblé nécessaire, tant en raison de la situation professionnelle d’une partie des clercs concernés que de l’incertitude économique dans laquelle les études notariales allaient être placées du fait de la réforme des règles d’application, d’installation, et surtout du tarif.

Les faits ont totalement confirmé l’analyse de la commission spéciale. N’en rajoutons pas ! Cette proposition de loi se limite à reporter au 31 décembre 2020 l’extinction des habilitations qui ont été conférées avant le 1er janvier 2015, reprenant la solution que le Sénat avait proposée lors de l’examen de la loi Macron.

Nous mesurons l’urgence qu’il y a à agir et, parce que nous sommes responsables, nous estimons que ce texte doit être voté en l’état. (M. Philippe Esnol applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, cher François Pillet, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, cela a été dit, répond à une inquiétude partagée sur toutes les travées. Plusieurs parlementaires, dont l’auteur de la proposition, Jacques Bigot, ont saisi le Gouvernement, et nous ne doutons pas que ce texte fera consensus.

Face au réel, il faut savoir être pragmatique. Quels sont les faits, où réside le problème ?

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a abrogé l’article 10 de la loi du 25 ventôse an XI, signée par Napoléon Bonaparte sous le Consulat. Ce faisant, elle a supprimé la possibilité pour les notaires d’habiliter certains de leurs clercs assermentés « à l’effet de donner lecture des actes et des lois et de recueillir les signatures des parties ».

L’objectif de cette abrogation était de susciter, dans les offices, un accroissement du besoin de notaires en exercice et, corollairement, une intégration progressive à la profession de notaire des clercs habilités.

Au 1er janvier 2015, on dénombrait 9 558 clercs habilités dans les offices, soit 20 % de l’effectif total de salariés, hors notaires salariés ; 3 992 d’entre eux ne remplissaient pas les conditions pour être nommés notaires ; 1 330 ne remplissaient pas les conditions pour être nommés notaire et n’étaient pas non plus titulaires du diplôme de premier clerc ou du diplôme de l’Institut des métiers du notariat.

Ces clercs habilités ne remplissant pas les conditions pour être nommés notaire sont essentiellement des femmes, en général habilitées depuis une dizaine d’années.

Pour que ces personnes accèdent à la profession de notaire, il était nécessaire de prendre les mesures réglementaires d’accompagnement, notamment par un dispositif de validation des acquis de l’expérience.

Dans cette perspective, le Gouvernement a défini une passerelle ouverte aux clercs habilités qui remplissaient certaines conditions de durée d’expérience et, le cas échéant, de diplômes.

Cette passerelle permet l’accès aux fonctions de notaire aux personnes justifiant avoir exercé les fonctions de clercs habilités pendant une durée significative et aux personnes justifiant avoir exercé les fonctions de clercs habilités pendant une durée plus réduite sous réserve de réussir un examen des connaissances techniques. Cette passerelle permettra d’ouvrir l’accès à la profession et constituera une alternative sociale offerte aux clercs habilités.

Pour ces personnes, la fin de leur habilitation signifierait, en effet, le retrait d’une partie de leurs compétences et, pour leurs employeurs, la privation de personnel compétent, ce qui risquerait d’induire des problèmes sociaux, notamment en termes de licenciements et, à tout le moins, des rétrogradations.

L’accès à la profession de notaire est, au contraire, une valorisation certaine d’une expérience professionnelle réelle et d’une véritable expertise dans des domaines spécifiques – droit immobilier, rural ou de la famille –, savoir-faire renforcé par des stages de formation continue.

Ce dispositif ne saurait toutefois avoir qu’une durée limitée, compte tenu de son objectif. Le Gouvernement a donc prévu que ces dispositions ne seraient applicables que jusqu’au 31 décembre 2020, mais il est nécessaire de lui permettre de déployer son plein effet, sans mettre en péril la situation professionnelle des personnes concernées. Or la loi a prévu, à titre de disposition transitoire, que les habilitations conférées avant le 1er janvier 2015 continuent à produire leurs effets « jusqu’au premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi », c’est-à-dire jusqu’au 1er août 2016.

Afin de donner sa pleine efficacité à la passerelle, il est nécessaire de prolonger le délai de validité des habilitations, actuellement limité au 1er août 2016, jusqu’au 31 décembre 2020, de façon à assurer une continuité entre la période d’habilitation et l’entrée dans le notariat.

Cette proposition de loi est un texte de bon sens et je tiens à saluer de nouveau Jacques Bigot, qui l’a déposé, ainsi que François Pillet, qui en est l’éminent rapporteur pour le Sénat. C’est un texte de consensus, qui a bien évidemment le soutien du Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le calendrier est contraint : une adoption conforme dans les deux assemblées avant la fin du mois de juillet permettrait à la loi d’entrer en vigueur avant le 1er août.

Les clercs habilités l’attendent ; ce texte pragmatique répondra à leurs inquiétudes légitimes et leur apportera des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Esnol.

M. Philippe Esnol. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a près d’un an, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques était votée par le Parlement et, avec elle, la suppression des habilitations des clercs de notaires.

Ce dispositif d’habilitation permettait, jusqu’alors, aux notaires de se consacrer à l’authentification des actes, en confiant le soin à un ou plusieurs clercs assermentés de donner lecture des actes et des lois et de recueillir la signature des parties.

En supprimant cette possibilité, la réforme visait à ouvrir l’accès à la profession, marquée du sceau de la cooptation, en favorisant le recrutement des clercs habilités, souvent diplômés notaires, en qualité de notaires salariés.

Dans sa sagesse, le Sénat avait préconisé, lors de l’examen du texte, de maintenir l’effet de ces habilitations pendant au moins cinq ans, le temps d’organiser la reconversion des intéressés, mais – hélas ! – en retenant une période transitoire plus courte, qui arrive à échéance le 1er août prochain – autant dire demain matin… –, force est de constater aujourd’hui que nous avons confondu vitesse et précipitation.

Il s’avère que, même pour ceux qui perçoivent cette réforme comme un progrès, à savoir les jeunes professionnels et clercs habilités, titulaires du diplôme de notaire, des questions se posent.

D’abord, la concomitance avec la réforme tarifaire laisse les offices notariaux en proie à une incertitude, qui n’est pas propice à l’investissement ni au recrutement.

S’ajoute à cela le fait qu’un notaire salarié est payé, en début de carrière, près de 30 % de plus, en moyenne, qu’un clerc habilité, ce qui remet en question les conditions actuelles de rentabilité des offices.

Enfin, il se trouve que l’effectif des clercs habilités représente le double de celui des notaires salariés, tant et si bien qu’on peut légitimement penser qu’ils ne pourront pas tous être recrutés.

Mais le pire est encore à venir. On peut en effet le constater, lorsque l’on se penche sur la situation de ceux à qui la réforme n’était pas destinée et qu’elle a, purement et simplement, sacrifiés. Je fais référence ici aux clercs habilités, qui le sont devenus, en général, « à la force du poignet » et pour lesquels l’habilitation était synonyme de reconnaissance et d’ascension professionnelles.

Entendons-nous, l’objectif de la réforme était louable, mais à vouloir aller trop vite, elle a fait des victimes collatérales.

En effet, les clercs habilités, qui ne peuvent prétendre à devenir notaires faute de diplôme, se verront demain privés d’une part importante de leur activité, la plus valorisante, ainsi que d’une partie de leurs revenus ; ils se trouveront, pour ainsi dire, rétrogradés. Cette négation soudaine d’acquis professionnels est d’autant plus contestable qu’elle est intervenue sans concertation ni contrepartie.

Fort heureusement, le Gouvernement a, par décret du 20 mai dernier relatif aux officiers publics ou ministériels, proposé un dispositif de passerelle, que je tiens à saluer, bien qu’il soit tardif et imparfait.

Celui-ci prévoit, dans les grandes lignes, une dispense de l’obligation d’être titulaire d’un diplôme de master en droit et du diplôme de notaire pour les clercs habilités depuis plus de quinze ans. Pour ceux qui ont reçu l’habilitation plus récemment et qui sont également titulaires du diplôme de premier clerc, la dispense jouera aussi, à la condition qu’ils réussissent un examen de connaissances techniques.

C’est incontestablement un soulagement pour bon nombre d’entre eux, mais toujours est-il – et c’est là où le bât blesse –, que près de 30 % de cette population, soit plus de 2 500 personnes, ne remplissent pas ces conditions d’ancienneté et de diplôme.

Hélas, il s’agit souvent de femmes méritantes – vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État –, ayant gravi l’échelle notariale à force de travail. Quel avenir leur sera réservé ? Vraisemblablement, elles seront, au mieux, gardées par leur employeur, avec des missions vidées de leur contenu et recentrées sur un travail de secrétariat ou, au pire, licenciées.

Mes chers collègues, je considère que se mettre au service du progrès – économique, en l’occurrence – ne nous exonère pas de notre responsabilité sociale et ne nous autorise pas à faire si peu de cas des trajectoires personnelles.

En outre, alors que l’on combat de toutes parts les inégalités et le sentiment qu’ont nos concitoyens que tout est verrouillé, permettez-moi de souligner que faire ainsi primer le diplôme et n’accorder strictement aucune place à l’expérience est un véritable contresens. À cet égard, la suppression de l’habilitation restera, d’une certaine façon, un coup porté à l’égalité des chances.

C’est la raison pour laquelle, considérant que prolonger le délai de validité des habilitations des clercs est nécessaire et que celui de cinq ans qui nous est proposé est raisonnable pour, à la fois, permettre à la réforme de produire les effets escomptés et laisser le temps aux clercs habilités de « se retourner » et de préparer leur avenir, le groupe du RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi, présentée par notre collègue Jacques Bigot et visant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaires, est tout à fait bienvenue, puisqu’elle vise à mettre fin à la menace d’un licenciement ou d’une perte de revenus, à laquelle l’article 53 de la loi Macron du 6 août 2015 expose les clercs habilités.

Lors du débat parlementaire relatif à cette loi, le Sénat avait déjà alerté l’Assemblée nationale et le Gouvernement sur ce risque. Pourtant, la majorité gouvernementale ne s’est pas donné la peine d’y prêter attention, en rejetant la solution que nous proposions alors. Par chance, le Gouvernement a fini par inscrire à l’ordre du jour cette proposition de loi, qui s’inspire de cette solution.

En supprimant la possibilité donnée aux notaires d’habiliter des clercs assermentés pour donner lecture des actes et des lois et recueillir la signature des parties, la loi Macron présente le risque d’une dégradation de la reconnaissance du savoir et des compétences de ces clercs. Les missions allant de pair avec l’habilitation donnent en effet à ces derniers une certaine responsabilité, et donc un statut, notamment – comme cela a été dit – pour de nombreuses femmes qui se sont formées dans les études, au fil des ans.

Par ailleurs, ce dispositif permet de répartir le travail dans l’étude, en déchargeant le notaire titulaire de l’accomplissement de certaines formalités chronophages, comme l’a démontré l’excellent travail de notre collègue François Pillet, rapporteur de ce texte.

Or, un amendement déposé par le groupe socialiste, lors de l’examen du projet de loi Macron à l’Assemblée nationale, a supprimé l’article 10 de la loi du 25 ventôse an XI, permettant à un notaire de procéder à l’habilitation de clercs assermentés.

L’objectif de cette suppression était « de susciter, dans les offices, un accroissement du besoin de notaires en exercice et, de manière corollaire, une intégration progressive à la profession de notaire des clercs habilités ».

Face à cette suppression du dispositif d’habilitation, j’avais présenté, en commission spéciale, un amendement visant à protéger les clercs habilités à ce jour, pour qu’ils conservent le bénéfice de leur habilitation et que cette suppression ne soit effective que pour l’avenir.

À titre de disposition transitoire, la loi a prévu que les habilitations conférées avant le 1er janvier 2015 continuent à produire leurs effets jusqu’au 1er août 2016.

Ce délai avait pour objectif de permettre au Gouvernement de prendre les mesures réglementaires d’accompagnement, en organisant une période transitoire permettant aux clercs habilités d’accéder aux fonctions de notaire, notamment grâce à un dispositif de validation des acquis de l’expérience.

Il se trouve que la commission spéciale du Sénat chargée d’examiner le projet de loi Macron ne s’était pas opposée, alors, à la suppression de l’habilitation des clercs assermentés. Toutefois, elle avait vivement recommandé de maintenir l’effet de ces habilitations pendant au moins cinq ans, afin de donner aux intéressés le temps de réaliser leur reconversion.

Ignorant cette préconisation, le Gouvernement a choisi de tenter de hâter la conversion des clercs habilités, en prévoyant de dispenser certains clercs habilités de l’obligation d’être titulaire, d’une part, d’un diplôme national de master en droit ou équivalent et, d’autre part, du diplôme de notaire.

Néanmoins, on le sait, une large partie des clercs habilités ne remplissent pas les conditions pour être nommés notaires et ne sont pas non plus titulaires du diplôme de premier clerc ou du diplôme de l’institut des métiers du notariat. Il est donc peu vraisemblable que tous les clercs habilités parviendront à être recrutés.

De plus, certains clercs habilités ne demandent pas du tout à devenir notaires salariés, la convention collective dont ils bénéficient actuellement leur étant plus favorable.

Par conséquent, une large part d’entre eux se verra privée, sans compensation, des prérogatives qu’elle détenait ou, pis, licenciée.

La présente proposition de loi tente ainsi d’éviter l’échec annoncé de la réforme, en lui donnant enfin le temps qui lui fut refusé initialement, puisqu’il est proposé de prolonger le délai de validité des habilitations, actuellement limité au 1er août 2016, jusqu’à la date du 31 décembre 2020, de façon à assurer une continuité entre la période d’habilitation et l’entrée dans le notariat.

Le dispositif que les députés ont adopté, sur l’initiative du Gouvernement, à l’article 51 ter B du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle est donc repris. Étant donné le calendrier parlementaire de ce texte, il est effectivement peu probable qu’il puisse être définitivement adopté avant le 1er août 2016, date limite de validité des habilitations.

À l’instar de la commission des lois, et pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe UDI-UC appelle le Sénat à adopter cette proposition de loi sans modification. Tout retard dans son adoption porterait, en effet, un préjudice grave aux clercs habilités.

Enfin, je note avec plaisir que le notariat rejoint le giron du garde des sceaux, qu’il n’aurait jamais dû quitter… Si l’on avait davantage écouté le ministère de la justice, nous n’aurions pas besoin de cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)