M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.

M. Pierre-Yves Collombat. Tout d’abord, nous ne sommes pas là pour légiférer sur ce qui se passe au Luxembourg.

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat. Les condamnations qui ont été prononcées au Luxembourg sont scandaleuses. Mais le fait que des pratiques de ce genre y soient légales l’est encore plus ! Comme le déclarait notre ancien collègue Jean Arthuis à propos du président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker : « Le matin, il nous fait la leçon, et l’après-midi, il nous fait les poches. »

Monsieur le ministre, je ne voudrais pas être méchant – ce n’est pas dans ma nature –, mais, franchement, l’urgence n’est pas de pondre un texte sur les lanceurs d’alerte. L’urgence, c’est de faire cesser le scandale permanent d’une Europe qui vit sur ces pratiques !

M. Michel Sapin, ministre. C’est fait !

M. Pierre-Yves Collombat. Je ne vous fais pas de dessin.

Concernant les lanceurs d’alerte à proprement parler, il me paraît un peu difficile d’autoriser des pratiques illégales.

Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? C’est une personne qui, par sa profession, a des informations que les autres n’ont pas et qui est en situation de dépendance, d’une manière ou d’une autre. Il s’agit donc de lui assurer l’immunité.

Le hasard faisant bien les choses, un arrêt récent de la Cour de cassation précise le périmètre de l’alerte : il s’agit de conduites ou d’actes illicites constatés sur le lieu de travail et susceptibles de caractériser une infraction pénale. Il me semble difficile de sortir de ce cadre.

Pour le reste, les lanceurs d’alerte sont effectivement en avance, mais les révolutionnaires le sont toujours ! (Sourires.)

M. le président. L'amendement n° 309, présenté par MM. Anziani et Guillaume, Mme Espagnac, MM. Yung, Marie et Sueur, Mmes Bataille et Blondin, MM. Botrel, Cabanel et Courteau, Mme Jourda, MM. Labazée et Lalande, Mme Lienemann, MM. F. Marc, Miquel, Montaugé, Tourenne, Vaugrenard, Vincent et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Un lanceur d'alerte est une personne qui signale ou révèle, de bonne foi, une information relative à un crime, un délit, un manquement au droit en vigueur, une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Les suspensions de séance ont beaucoup d’intérêt. Elles permettent de réfléchir aux paroles qui ont été prononcées.

Quand j’écoute M. le rapporteur et M. le président de la commission des lois, je me dis qu’ils ont raison et que nous partageons la même ambition. Mais quand je lis leurs textes, je vois les choses différemment, et je réalise que ça ne va pas.

La commission nous explique que, selon sa définition, un lanceur d’alerte est une personne qui dénonce un crime ou un délit, et un peu plus, mais juste un peu plus. Mais s’il s’agit seulement de dénoncer un crime, inutile d’instituer un droit d’alerte et de protéger les lanceurs d’alerte. L’article 434-1 du code pénal, aux termes duquel le fait de ne pas dénoncer un crime est passible d’une peine de prison, suffirait. Comme cela a été expliqué à plusieurs reprises, si l’on veut instituer un statut du lanceur d’alerte, c’est pour aller plus loin.

Mes chers collègues, je vous demande de ne pas avoir la main qui tremble. Voulons-nous une définition du lanceur d’alerte en retrait par rapport à tout ce que nous connaissons ?

Dans sa recommandation du 30 avril 2014, le Conseil de l’Europe invite les États membres à disposer d’un cadre normatif, institutionnel et judiciaire pour « protéger les personnes qui, dans le cadre de leurs relations de travail, font des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général. » Nous sommes nettement en deçà.

Dans une note du 18 septembre 2015, les Nations unies précisaient que le lanceur d’alerte est une personne qui « dévoile des informations qu’elle a des motifs raisonnables de croire véridiques au moment où elle procède à leur divulgation et qui portent sur des faits dont elle juge qu’ils constituent une menace ou un préjudice pour un intérêt général ».

Mes chers collègues, voulez-vous que nous soyons constamment en retrait de tout ce qui se passe dans le monde, quitte à donner un piètre exemple ? Voulez-vous que le Sénat apparaisse une nouvelle fois comme le grand timoré de la République, celui qui fait deux pas en avant et trois pas en arrière ? Il y va de l’image de notre Haute Assemblée. Ne donnons pas cette impression d’un Sénat qui a peur de toute innovation ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Le Sénat n’a pas peur. Il fait preuve de mesure, recherche l’équilibre, réfléchit et se pose en rempart de certaines libertés.

Encore une fois, il faut trouver une définition qui permette de protéger les lanceurs d’alerte, mais sans négliger qu’une définition mal rédigée ou un dispositif défaillant feraient des victimes collatérales.

Nous avons le devoir de trouver une définition. Des conceptions se heurtent. Peut-être n’aboutirons-nous pas aujourd'hui.

Votre proposition est contraire à la position de la commission. Vous définissez comme lanceur d’alerte toute personne dénonçant un manquement au droit en vigueur. Mais qu’est-ce que le droit en vigueur ? Est-ce que cela inclut les conventions internationales rectifiées, la Convention internationale des droits de l’enfant, la coutume internationale ? La définition de la commission précise que le lanceur d’alerte dénonce la violation d’une loi ou d’un règlement. Il s’agit bien du droit en vigueur, mais c’est clairement défini.

Votre amendement vise à élargir encore la définition du lanceur d’alerte à la dénonciation de « menace ou préjudice graves pour l’intérêt général ». C’est tout de même ouvrir une faille. Comment interpréter le mot « menace » ? Il n’est pas certain que votre définition, en étant trop peu précise, protège vraiment les lanceurs d’alerte. Qu’est-ce que les juges considéreront comme une menace ? Votre définition est plus large, mais celle de la commission est plus protectrice pour les victimes et les lanceurs d’alerte.

De plus, de la définition du lanceur d’alerte naît une irresponsabilité pénale. Or on ne peut pas faire reposer un tel effet juridique sur une définition aussi imprécise. Au demeurant, la jurisprudence constitutionnelle, qui est particulièrement exigeante en matière pénale, risque, je le crains, de trouver votre texte insuffisamment précis.

La commission propose une définition faisant référence à une « violation grave et manifeste de la loi ou du règlement », de l’intérêt général et de la bonne foi du lanceur d’alerte. Tous ces éléments visent à préserver les lanceurs d’alerte. Chacun peut avoir de la sympathie pour ces derniers. Mais les exemples que je vous ai donnés et que je pourrais multiplier à l’envi montrent qu’il y a un problème. N’adoptons pas une loi que nous serons obligés de réécrire dans cinq ans parce que trois ou quatre personnes n’étant pas de vrais lanceurs d’alerte auront mis au tapis des entreprises importantes et fait supprimer deux cents ou trois cents emplois !

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. J’ai une difficulté. Je présenterai dans quelques instants un amendement tendant à réécrire l’alinéa 1er. L’amendement n° 309, qui vise à réécrire l’ensemble de l’article, est logiquement présenté avant. Mais il ne m’est pas possible de m’y opposer, ce que je voudrais faire, sans défendre mon amendement, qui me paraît mieux convenir aux objectifs de M. Anziani.

L’idéal serait que M. Anziani rectifie son amendement pour l’inclure dans la série d’amendements en discussion commune.

M. le président. M. Anziani, acceptez-vous de rectifier votre amendement en ce sens ?

M. Alain Anziani. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi de huit amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 309 rectifié, présenté par MM. Anziani et Guillaume, Mme Espagnac, MM. Yung, Marie et Sueur, Mmes Bataille et Blondin, MM. Botrel, Cabanel et Courteau, Mme Jourda, MM. Labazée et Lalande, Mme Lienemann, MM. F. Marc, Miquel, Montaugé, Tourenne, Vaugrenard, Vincent et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Un lanceur d'alerte est une personne qui signale ou révèle, de bonne foi, une information relative à un crime, un délit, un manquement au droit en vigueur, une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général.

Cet amendement a été précédemment défendu.

L'amendement n° 417, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Un lanceur d'alerte est une personne physique ou morale qui signale, dans l'intérêt général, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime, un délit ou une violation grave et manifeste des droits fondamentaux, de la loi et du règlement, dont elle a eu personnellement connaissance.

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. La définition du lanceur d’alerte est extrêmement attendue, car la législation est aujourd'hui totalement disparate, fragmentée et éclatée. Il y a beaucoup d’hésitations sur le lanceur d’alerte, comme sur l’action de groupe, parce que ce sont des procédures qui heurtent notre conception juridique habituelle.

La rédaction que je vous propose intègre d’autres éléments que ceux qui ont été signalés précédemment. Je pense donc que c’est la meilleure.

M. le président. L'amendement n° 646, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Le lanceur d’alerte est une personne physique qui, de manière désintéressée et de bonne foi, signale un crime, un délit, une violation grave ou manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement ou un risque ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont il a eu personnellement connaissance.

La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. La définition du lanceur d’alerte est l’un des points les plus importants de cette partie du projet de loi, car elle conditionne l’application des autres dispositions. Si le dispositif est trop restreint, des gens que nous considérerions de bonne foi comme des lanceurs d’alerte n’auraient pas cette qualification devant un juge ; s’il est trop large – c’est la préoccupation de la commission –, il risque d’englober des personnes qu’aucun d’entre nous ne verrait comme des lanceurs d’alerte. Il faut donc bien calibrer les choses.

M. Collombat nous a rappelé, avec sa fougue habituelle, que nous ne légiférions pas au Luxembourg. Heureusement ! De même, le Luxembourg ne légifère pas en France. Permettez-moi d’ajouter, car j’ai cru entendre comme une invitation à agir à l’échelon européen, qu’une directive a été adoptée !

M. Pierre-Yves Collombat. C’est tout de même un peu tardif !

M. Michel Sapin, ministre. Il y a sûrement des tas de choses à faire en plus… Mais cette directive est appliquée dans l’ensemble des pays, dont la France, permettant la transparence entre les administrations fiscales.

M. Pierre-Yves Collombat. Cela ne règle pas le problème !

M. Michel Sapin, ministre. Si ! La transparence règle le problème du paiement de l’impôt. Si des situations de type LuxLeaks avaient perduré, elles seraient connues de l’administration française, qui, considérant qu’il n’y avait pas d’imposition réelle au Luxembourg, aurait imposé en France les bénéfices réalisés dans notre pays. Comme le montrent plusieurs événements récents dans la vie judiciaire et fiscale de certaines grandes entreprises, le dispositif fonctionne. Les faits révélés à l’occasion des LuxLeaks n’ont plus cours, mais ces situations ont bien existé.

M. Pierre-Yves Collombat. Vous le saviez !

M. Michel Sapin, ministre. Ce que nous souhaitons, c’est qu’une situation de cette nature ne puisse pas exister, non pas au Luxembourg, mais en France. Est-ce que M. Deltour serait ou non un lanceur d’alerte en France ? C’est la question que je pose.

Monsieur le rapporteur, le texte de la commission prévoit que le lanceur d’alerte doit signaler une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement. Certes, ce n’est pas forcément un crime ou un délit. Mais, sauf à ce que vous parveniez à me convaincre du contraire, et avec moi une partie de vos collègues dans cet hémicycle, cela suppose tout de même qu’une loi a été transgressée par l’entreprise.

M. François Pillet, rapporteur. Oui ! Et je vais m’en expliquer !

M. Michel Sapin, ministre. Au Luxembourg, dans le cas de LuxLeaks, la loi n’a pas été transgressée par les entreprises. C’est précisément parce que les conséquences de la loi luxembourgeoise sont apparues tellement contraires à l’intérêt général que M. Deltour a considéré qu’il était de son devoir de les faire connaître à l’extérieur. Votre définition ne couvre pas ce cas.

Je rejoins donc en grande partie les propositions de Mme Goulet, et peut-être de beaucoup d’autres, en suggérant une définition du lanceur d’alerte qui retienne une référence explicite à la norme internationale – d’aucuns objecteront qu’elle s’applique directement, mais je crois préférable qu’elle figure dans cette définition – et une référence au signalement d’un préjudice grave pour l’intérêt général. Cette rédaction me paraît être la seule susceptible de couvrir des situations comme celle de M. Deltour.

Nous en avons largement débattu à l’Assemblée nationale. J’ai personnellement beaucoup réfléchi à la rédaction, parce que je suis très attaché à l’idée qu’il ne faut pas dissoudre ce beau statut du lanceur d’alerte dans une sorte de marécage des divers règlements de comptes personnels. Ce n’est pas l’objectif du Gouvernement.

Cette rédaction n’est peut-être pas la seule possible – il ne faut jamais considérer qu’il n’y en a qu’une –, mais elle permet en tout cas de protéger ceux que nous considérons comme de vrais lanceurs d’alerte, sans pour autant ouvrir ce statut à des gens qui, à nos yeux, ne le méritent pas.

M. le président. Le sous-amendement n° 651, présenté par Mmes Blandin, Aïchi, Archimbaud, Benbassa et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin, Poher, Labbé et Desessard, est ainsi libellé :

Amendement n° 646, alinéa 3

Après les mots :

un préjudice grave

insérer les mots :

pour l’environnement, la santé, les libertés, les finances, la sécurité publiques, ou

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Par ce sous-amendement, nous prenons acte que la meilleure des rédactions mentionne l’intérêt général, afin de couvrir les cas qui viennent d’être évoqués. Ceux-ci seraient des translations en France de ce qui s’est passé au Luxembourg.

Toutefois, comme Mme Deromedi l’a indiqué, la notion d’intérêt général est sujette à débat. Par exemple, tous les partis politiques prétendent défendre l’intérêt général, mais les programmes n’en sont pas moins drôlement différents !

Ce sous-amendement vise à préciser des secteurs susceptibles de subir un préjudice grave : la santé, l’environnement, les finances publiques, l’intérêt général, etc. Les thèmes sur lesquels on a le droit d’alerter seraient ainsi plus clairs.

Permettez-moi d’apporter une petite précision à l’attention de M. Collombat. Dans ce projet de loi, le lanceur d’alerte n’est pas seulement un salarié d’une entreprise. Il peut aussi être un riverain ou un citoyen témoin de quelque chose.

M. le président. L'amendement n° 310, présenté par MM. Anziani et Guillaume, Mme Espagnac, MM. Yung, Marie et Sueur, Mmes Bataille et Blondin, MM. Botrel, Cabanel et Courteau, Mme Jourda, MM. Labazée et Lalande, Mme Lienemann, MM. F. Marc, Miquel, Montaugé, Tourenne, Vaugrenard, Vincent et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Supprimer le mot :

physique

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Pourquoi réduire le lanceur d’alerte à une personne physique ? C’est contraire à la définition retenue par l’article 6 A.

Pourquoi exclure, par exemple, une ONG qui signalerait des problèmes dans la fabrication de médicaments ou dans d’autres activités ? Pourquoi exclure une association ou un groupe de personnes physiques engagées dans une action collective ? Pourquoi exclure une organisation syndicale qui pourrait reprendre à son compte des observations de salariés au sein de l’entreprise ? Pourquoi exclure, même, une entreprise qui s’apercevrait qu’une autre société procède de manière frauduleuse, soit illégalement soit en ne respectant pas certains règlements ? En résumé, pourquoi exclure les personnes physiques ? Cette limitation me semble extrêmement forte.

Je sais que la référence à des textes internationaux fait toujours grincer des dents, mais il ne faudrait pas nier la réalité ! Nous sommes tous profondément européens. Dans sa recommandation, le Conseil de l’Europe n’opère aucune distinction entre personnes morales et personnes physiques dans la définition des lanceurs d’alerte. Le Conseil d'État ne le fait pas non plus dans son excellente étude du mois de février 2016.

Si nous retenons la notion de « personne », les personnes physiques comme morales pourront être protégées.

M. le président. L'amendement n° 547 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Requier, Vall et Hue, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Après le mot :

qui

insérer les mots :

, ne pouvant utiliser la procédure prévue à l’article 40 du code de procédure pénale,

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Nous voulons définir un statut général de lanceur d'alerte qui permettrait d’assurer une protection spécifique à un individu ayant signalé un crime, un délit ou une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement. L’idée est notamment qu’il ne puisse pas être licencié ou sanctionné professionnellement ou voir sa candidature écartée.

Un tel statut existe déjà aujourd'hui pour l’environnement et la santé publique. Nous proposons de l’étendre à tous les domaines.

La crainte partagée par une grande partie des membres du RDSE est de voir court-circuitée l’autorité judiciaire, dont nous connaissons les difficultés budgétaires.

Il ne faudrait pas que des individus adoptent le réflexe de se tourner systématiquement vers la presse plutôt que vers les tribunaux quand ils observent des violations de la loi ou du règlement.

Nous sommes donc majoritairement favorables à un statut de lanceur d'alerte qui soit subsidiaire de l’action du juge, qui la complète et qui intervienne en dernier recours.

Cet amendement a donc pour objet d’inscrire la référence de l’article 40 du code de procédure pénale au cœur même de la définition des lanceurs d'alerte, pour rappeler que le recours au juge doit rester la procédure normale et le statut de lanceur d'alerte, l’exception.

M. le président. L'amendement n° 379, présenté par Mme Blandin et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 1

1° Supprimer les mots :

, dans l’intérêt général,

2° Après le mot :

règlement

insérer les mots :

ou des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l’environnement, la santé, les libertés, les finances, la sécurité publiques, ou l’intérêt général,

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Je vous renvoie aux arguments que j’ai développés en défendant le sous-amendement n° 651.

Il s’agit de repréciser la définition du lanceur d'alerte, avec une référence à la santé, à l’environnement, aux libertés, aux finances et à la sécurité aux côtés de « l’intérêt général ».

M. le président. L'amendement n° 311, présenté par MM. Anziani et Guillaume, Mme Espagnac, MM. Yung, Marie et Sueur, Mmes Bataille et Blondin, MM. Botrel, Cabanel et Courteau, Mme Jourda, MM. Labazée et Lalande, Mme Lienemann, MM. F. Marc, Miquel, Montaugé, Tourenne, Vaugrenard, Vincent et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Après le mot :

délit

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

, un manquement grave à un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, à un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, à la loi ou au règlement, ou des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l’environnement ou pour la santé ou la sécurité publiques.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Cet amendement est un mixte. Nous reprenons certains des termes de l’amendement du Gouvernement, notamment sur le droit de dénoncer un manquement à un engagement international ratifié ou approuvé par la France, et ceux de l’amendement de Mme Blandin.

Je ne comprends pas pourquoi la commission des lois a abandonné la mention « des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l’environnement ou pour la santé ou la sécurité publiques », qui figurait dans le texte de l’Assemblée nationale.

M. le rapporteur nous dira que ces précisions sont reportées à d’autres endroits du texte. Mais c’est bien l’article 6 A qui définit les lanceurs d'alerte ! Il me semble donc tout à fait utile de préciser ici ces éléments.

M. le président. L'amendement n° 528 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier, Vall, Guérini et Hue, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Compléter cet alinéa par les mots :

, dans le cadre de sa relation de travail

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. N’en déplaise à ma collègue Marie-Christine Blandin, un lanceur d'alerte n’est pas un riverain.

À mon sens, il y a une confusion entre le droit d’expression et la situation d’une personne qui, du fait de son activité, détient des informations que les autres n’ont pas et, surtout, se trouve en position de faiblesse vis-à-vis de son employeur.

Rien n’empêche un riverain de dénoncer un agissement dangereux ou contraire à tel ou tel texte. Au pire, il risque d’être attaqué pour diffamation. (Mme Marie-Christine Blandin acquiesce.) Et vu les conditions dans lesquelles les condamnations pour diffamation sont prononcées, il n’y a pas trop de souci à se faire à cet égard, surtout s’il y a anguille sous roche !

Le problème se pose de manière totalement différente lorsque des personnes dépendant d’un employeur dénoncent ce qui se passe au sein de l’entreprise. Toute la question est celle de l’équilibre à maintenir entre la protection de ceux qui prennent des risques et la situation de ceux qui n’en prennent pas. Il y a ceux qui dénoncent des agissements ressemblant à des infractions et les autres.

J’ai eu la joie de constater que la Cour de cassation partageait à peu près cette vision des choses, même si l’affaire n’avait pas de rapport avec le sujet qui nous intéresse.

Centrer la définition du lanceur d'alerte sur le cadre de la relation de travail me paraîtrait une bonne manière d’éviter un certain nombre de dérives et de protéger ceux qui méritent le plus d’être protégés ; ils sont effectivement en danger.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Le nombre de formulations proposées – chacun y va de la sienne, que ce soit Mme Goulet, Mme Blandin, M. Anziani, M. le ministre, M. Collombat ou la commission – prouve qu’il n’est pas très facile de trouver une définition au lanceur d'alerte.

Tous les intervenants ont fait allusion au cas d’Antoine Deltour, M. le ministre lui-même m’ayant demandé de démontrer que notre définition permettait à cette personne d’être protégée. Si j’y parviens, nous retiendrons donc la définition de la commission ; n’est-ce pas, monsieur le ministre ? (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Écoutons d'abord votre argumentation ! (Nouveaux sourires.)

M. François Pillet, rapporteur. Le cas d’Antoine Deltour est bien visé par la définition du lanceur d'alerte retenue par la commission. J’en rappelle les termes : « Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale, dans l’intérêt général, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime, un délit ou une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement dont il a eu personnellement connaissance. »

Certaines pratiques abusives visant à se soustraire à l’impôt sont des violations graves et manifestes de la loi, même si elles ne sont pas constitutives de délits. Or c’est ce qui était en cause dans le cas d’Antoine Deltour.

M. François Pillet, rapporteur. L’article L. 64 du livre des procédures fiscales, qui définit l’abus de droit, permet de caractériser les manquements signalés par M. Deltour. Aux termes de cet article, l’abus de droit fiscal est le fait de rechercher « le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs », faits qui « n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » de l’intéressé.

Actuellement, l’abus de droit fiscal n’est pas sanctionné pénalement. Pour autant, il est prohibé par le livre des procédures fiscales.

M. François Pillet, rapporteur. Avec notre définition, Antoine Deltour est donc protégé en France. Il ne l’est pas au Luxembourg, pour toutes les raisons que nous avons évoquées.

Au demeurant, Antoine Deltour est poursuivi au Luxembourg pour divulgation du secret des affaires, ce qui n’est pas un délit en France, et, surtout, pour s’être introduit frauduleusement dans un système informatique, ce que tout lanceur d'alerte n’a pas forcément vocation à faire. (M. André Gattolin s’exclame.)

J’en viens maintenant aux amendements.

Leurs auteurs me proposent différentes définitions du lanceur d'alerte. Celle de la commission des lois a ma préférence.

L’amendement n° 417 tend à élargir considérablement la notion de lanceur d’alerte ; vous ne vous en cachez pas, madame Goulet ! Un lanceur d’alerte pourrait être une personne morale. Or lanceur d’alerte, ce n’est ni un brevet ni un titre de gloire ! Selon nous, c’est avant tout un moyen de défense : le lanceur d'alerte va se défendre contre l’accusation de violation du secret professionnel qu’il a commise, avec l’accord de la loi, et contre une discrimination dont il fait l’objet dans son travail. Il ne peut donc pas être une personne morale. Une société ne connaît pas personnellement d’une situation : cela passe nécessairement par une personne physique. D’ailleurs, une personne morale ne saurait être tenue pour responsable.

C'est la raison pour laquelle nous avons exclu qu’un lanceur d’alerte puisse être une personne morale. Un choix contraire risquerait d’élargir considérablement le champ des lanceurs d’alerte, et diluerait totalement leur responsabilité.

Je sollicite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis serait défavorable.

La définition du Gouvernement est un peu plus restrictive que celle de M. Anziani. Elle permettra peut-être de nourrir la réflexion. Pour autant, que signifie « risque ou un préjudice grave pour l’intérêt général » ? Cette expression ne me paraît pas assez précise. Je ne crois pas qu’un renvoi à la notion d’intérêt général, non pas comme une condition – c’est ce que prévoit la commission –, mais comme un motif de l’alerte, soit conforme à la jurisprudence constitutionnelle. De cette définition naît tout de même une irresponsabilité pénale. Ou alors, c’est l’application de délits prévus par le droit commun.

Je considère qu’une définition aussi large pourrait mettre le lanceur d’alerte en difficulté, car le juge pourrait lui refuser cette qualification.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

De même, la commission est défavorable au sous-amendement n° 651, qui vise à ajouter…