M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes avait vraiment à cœur de pouvoir exprimer son avis sur cette proposition de loi, parce que celle-ci touche à un sujet qui nous est cher, à savoir la défense de ce que l’on appelle les droits sexuels et reproductifs, dont l’interruption volontaire de grossesse fait partie.

C’est une question de fond, car la défense de ce droit est en réalité un prérequis de l’égalité. Contester le libre droit des femmes à disposer de leur corps, c’est fondamentalement contester le principe d’égalité entre les femmes et les hommes.

Nous avons d’ailleurs eu l’occasion, à de multiples reprises malheureusement, de réaffirmer notre attachement à ce droit face à la montée de contestations non seulement en France, mais surtout en Europe et au-delà. D’ailleurs, dans un rapport sur la laïcité adopté au mois de novembre dernier, nous appelions le Gouvernement à faire preuve de la plus grande vigilance dans les instances diplomatiques face à la remise en question de ce droit au nom du relativisme culturel.

Ce n’est donc pas un sujet mineur en droit et ce n’est pas un sujet mineur dans les faits. Je citerai juste un chiffre : dans un rapport publié en 2004, l’INED, l’Institut national d’études démographiques, indiquait que 40 % des femmes – 40 % ! – ont eu recours à une IVG au cours de leur vie. C’est par conséquent une question qui, potentiellement, concerne énormément de femmes dans notre pays.

Nous avions à cœur d’être saisis, parce que la volonté de lutter contre les sites visés a fait l’unanimité, non pas parce qu’ils expriment une opinion divergente, mais parce qu’ils reprennent tous les codes des sites officiels : un bandeau bleu-blanc-rouge, le renvoi vers un numéro vert. Sous couvert de donner une information neutre, ils délivrent en réalité une information orientée.

D’ailleurs, ce n’est pas un problème nouveau puisque le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dès 2013, avait rédigé un rapport très complet sur ce sujet – nous aurions donc pu en débattre bien plus tôt –, dans lequel il dénonçait l’existence de ces sites.

La délégation a estimé à l’unanimité qu’il fallait agir, prendre des dispositions législatives pour permettre au Gouvernement de lutter contre ces sites et, surtout, faire en sorte que les sites officiels retrouvent leur première place dans les moteurs de recherche.

Certains mettent en avant la liberté d’expression, mais ce n’est pas l’objet du débat puisque ce dont il est question en l’espèce, c’est le caractère volontairement trompeur de ces sites.

Par ailleurs, je voudrais rappeler cet arrêt rendu par la Cour de cassation en 1996 – nous l’avons mentionné dans notre rapport –, dans lequel la Cour indique que la liberté d’opinion et la liberté de manifester ses convictions peuvent « être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d’autrui ». Il existe donc bien des limitations possibles à cette liberté d’expression.

En revanche, la délégation a regretté les délais forts contraints d’examen de ce texte et a émis quelques doutes, même si elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments, sur les outils juridiques mis en œuvre dans la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Nous n’avons pas pu nous exprimer très clairement sur ce sujet.

Nous avons donc formulé deux recommandations à l’attention du Gouvernement : d’une part, faire en sorte que les sites d’information sur l’IVG affichent clairement leurs intentions, par exemple qu’ils indiquent très clairement qu’ils ont pour finalité de proposer aux femmes une autre solution que celle de mettre fin à leur grossesse ; d’autre part, poursuivre les efforts entrepris pour que les sites officiels soient mieux référencés sur les moteurs de recherche.

Pour conclure, et en m’exprimant davantage à titre personnel, je remercie la rapporteur, Mme Riocreux, qui a tenté de trouver une solution répondant aux différentes interrogations exprimées, solution qui, je l’espère, recueillera l’assentiment de notre assemblée. Nous ne devons faire preuve d’aucune naïveté face à l’émergence de ces opinions qui se font de plus en plus entendre dans certaines associations, dans certains partis politiques et même dans certains débats, opinions selon lesquelles, au nom de la liberté de croyance, il faudrait parvenir à des compromis avec des droits que nous considérons comme des droits fondamentaux.

Dans tous les cas, les arguments qui sont opposés, au nom de la liberté d’expression, au nom de l’inefficacité des lois, tendent finalement à minimiser ces droits et donnent à penser que l’égalité pourrait être relative.

Si, au sein de cette assemblée, nous voulons être les dignes héritiers de Simone Veil, nous devons être à la hauteur du débat. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, instaurer un délit d’entrave à l’IVG ne va pas sans soulever de nombreuses interrogations.

Je pense que, dans cet hémicycle, nul ne peut me taxer de conservatisme.

Mmes Catherine Deroche et Isabelle Debré. C’est vrai !

M. Alain Milon. Au contraire, mes positions me valent parfois quelques discussions animées avec les collègues de ma famille politique et des attaques beaucoup plus virulentes de partis extrémistes…

Mes convictions personnelles et ma pratique médicale me conduisent à défendre tout ce que les progrès de la science apportent à la liberté individuelle.

Défendre une liberté, promouvoir un droit sans pour autant porter atteinte de façon insidieuse à un autre droit ou à une liberté : tel est le point d’équilibre que nous devons trouver en tant que législateur, équilibre essentiel au bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques, à la fois si fragile et si indispensable. Ce point d’équilibre qui repose sur le besoin de se sentir respecté dans ses convictions et dans l’exercice de sa liberté ; ce point sur lequel repose notre contrat social, notre cohésion.

C’est bien là, madame la ministre, mes chers collègues, que repose toute la difficulté du texte proposé.

En effet, j’ai le sentiment que vous faites l’amalgame entre le fait d’empêcher la pratique de l’IVG et celui de diffuser des informations défavorables à l’IVG. Or il ne s’agit pas d’actes de même nature.

Par cette confusion, vous laissez entendre que s’opposer au délit d’entrave reviendrait à remettre en cause le droit à l’avortement. Si nous ne sommes pas là en face d’une manipulation et d’une désinformation… Cette manipulation-là relève-t-elle du délit d’entrave ?…

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. Alain Milon. Eh oui, madame la ministre, nous sommes bien face à une manipulation ou, pour le moins, face à une instrumentalisation de cette question essentielle pour le droit des femmes, à des fins peut-être politiciennes.

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Alain Milon. En effet, pouvez-vous nous indiquer les raisons d’une telle urgence à légiférer ? Pouvez-vous évaluer l’incidence des réseaux en cause sur la liberté de choix des femmes ? Pouvez-vous nous exposer si l’influence de ceux-ci a augmenté dans de telles proportions qu’elle ait entraîné une diminution significative et corrélative du nombre d’IVG ces dernières années ?

M. Alain Vasselle. Excellente question !

M. Alain Milon. Pourquoi limiter ce délit d’entrave à l’IVG ? Est-ce le seul domaine où il peut y avoir de la désinformation et, si je vous suis, une pression psychologique telle qu’elle enfreint la liberté d’agir ? Pourquoi avoir rejeté les amendements que mon groupe avait proposés lors de l’examen du projet de loi pour une République numérique ? Pourquoi ce besoin, cette volonté de fragmenter plutôt que d’aborder la question dans sa globalité (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.), apportant ainsi des réponses à des situations différentes, mais issues de la même origine, en l’espèce la numérisation de nos sociétés, la multiplicité des sources d’information, la diversité des canaux d’information ?

Ce texte, objectivement, ne résoudra rien ; il ne sert une fois de plus qu’à rouvrir les plaies. Vous voulez sanctuariser par la loi des sanctions contre des agissements minoritaires et, ce faisant, une partie de notre société se sent stigmatisée.

Par ce comportement, vous cristallisez les tensions, vous les alimentez pour une satisfaction aussi immédiate qu’éphémère, une vision à très court terme. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

En effet, comment apporter la preuve irréfutable que la consultation des sites en question est l’élément déclencheur du renoncement au recours à l’IVG ? Au mieux, elle ne peut constituer qu’un élément supplémentaire dans une action en justice, mais je doute que cela n’aboutisse, ou alors nous entrerons dans une dimension très inquiétante de restriction dangereuse de la liberté d’expression.

D’ailleurs, n’existe-t-il pas déjà des instruments juridiques pour réprimer l’abus de faiblesse ou de situation d’ignorance ?

Évidemment, en contrepoint de cette proposition se dresse la liberté d’expression, inscrite à l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Madame la ministre, mes chers collègues, lors du vote de la loi Veil, le député catholique Eugène Claudius-Petit, qui ne fit jamais mystère de ses convictions, vota la loi en affirmant, entre autres : « Je lutterai contre tout ce qui conduit à l’avortement, mais je voterai la loi. »

Cette position justifierait-elle aujourd’hui, madame la ministre, la qualification de délit d’entrave ? Nous le constatons bien, à trop vouloir répondre aux questions de société, par définition complexes et transversales, au moyen de mesures spécifiques et parcellaires, on ne résout rien, on ne régule rien, on ne pacifie rien. Or l’une des missions de la loi et du droit est bien justement de réguler et de pacifier les relations sociales. Mais votre texte ne s’inscrit malheureusement pas dans cet objectif.

L’atteinte insidieuse que vous portez à cette liberté publique fondamentale ne risque-t-elle pas d’être le prélude à d’autres coups de boutoir ? Les bons sentiments ne suffisent pas à définir une politique.

Pour l’ensemble de ces raisons, qui tiennent tant au fond qu’à la forme, au degré d’imprécision, source d’insécurité juridique à venir, à la précipitation, qui fait de ce texte un texte de circonstance non abouti, et malgré les efforts louables de Mme la rapporteur, le groupe Les Républicains votera majoritairement contre cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, malgré les conditions d’examen peu propices à une analyse approfondie de cette proposition de loi, je veux souligner le respect qui a présidé à nos échanges au sein de la commission des affaires sociales. Je tiens donc à remercier le président de celle-ci, Alain Milon, la rapporteur, Stéphanie Riocreux, le rapporteur pour avis, Michel Mercier, et Chantal Jouanno, qui y ont chacune et chacun contribué.

Cela étant, de nombreuses évolutions ont eu lieu depuis la loi Veil du 17 janvier 1975 reconnaissant le droit à l’avortement, loi votée à la suite d’une forte mobilisation de femmes, de féministes et grâce à l’audace d’une femme politique.

Pour les membres de mon groupe, comme pour d’autres, ce droit est un droit inaliénable des femmes. Pourtant, il reste fragile et a dû, au cours des années, être renforcé, protégé, notamment à la suite des actions de commandos anti-IVG.

C’est ainsi qu’a été créé le délit spécifique d’entrave à l’IVG, par la loi du 27 janvier 1993, qui sanctionne le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements de soins concernés ou en exerçant des menaces sur le personnel ou sur les femmes elles-mêmes. Ce délit est désormais puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Nous savons toutes et tous que la violence peut s’exercer physiquement, mais aussi moralement. La loi du 4 juillet 2001 a donc renforcé ce délit d’entrave à l’IVG non seulement en ajoutant la notion de pressions morales et psychologiques pour sanctionner les menaces et les actes d’intimidation, mais également en alourdissant les peines prévues.

Notre pays n’est pas le seul où l’interruption volontaire de grossesse est un droit régulièrement attaqué : je pense à l’Espagne et, plus récemment, à la Pologne, pour ne citer que des pays européens. Aussi est-il très important de faire évoluer la loi pour garantir plus et mieux ce droit pour les femmes.

C’est la raison pour laquelle nous avons soutenu, lors du vote de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, que soit encore élargi le champ du délit d’entrave en sanctionnant les actions qui viseraient à empêcher l’accès à l’information au sein des structures pratiquant des IVG.

De même, nous avons soutenu la suppression du délai de réflexion dans la loi de modernisation de la santé, véritable avancée pour les droits des femmes.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui prend en compte les nouveaux moyens de communication, en l’occurrence internet, pour étendre le délit d’entrave au domaine numérique, eu égard à l’existence de sites qui, en réalité, n’ont d’autre but que de dissuader des femmes enceintes de recourir à une IVG.

Ces sites internet, sous couvert d’aspects officiels, prétendent apporter une information neutre sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse alors que, en fait, ils font tout pour décourager les femmes de pratiquer un avortement.

Il est intéressant, par exemple, de constater que jamais ils ne donnent l’adresse de centres d’IVG. Le témoignage test de l’élue Les Républicains, Aurore Bergé, est en ce sens très éloquent.

En réalité, on est face à une entreprise de désinformation qui instrumentalise le désarroi de femmes, souvent jeunes, qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité. Car aucune femme ne prend la décision d’avorter le cœur léger !

Ce procédé particulièrement malhonnête peut avoir des conséquences très graves, les femmes perdant un temps précieux, pouvant se trouver ainsi hors délai.

De surcroît, les femmes qui se tournent vers internet, outre pour la rapidité de la réponse et la facilité de l’accès, le font aussi, car c’est une façon de préserver leur anonymat. Il s’agit, de la part de ces sites, d’un abus de confiance. Je le répète, ils avancent masqués, donnant à croire que les informations qu’ils délivrent sont objectives. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes l’avait d’ailleurs souligné dès 2013. Il est donc urgent d’agir.

Si les mouvements pro-vie ont toujours été présents dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres, je suis inquiète de la teneur du débat qui secoue notre société. Des voix de plus en plus nombreuses à droite s’élèvent pour défendre une vision nataliste de la société au nom d’un modèle unique de la famille, s’en prenant de fait à l’avortement.

C’est le cas notamment du prétendant de droite à l’Élysée, incitant les femmes à la procréation et au retour au foyer plutôt qu’à l’émancipation. (Marques de réprobation sur les travées du groupe Les Républicains.) Ou bien encore du président de la Conférence des évêques de France, Mgr Georges Pontier, qui en a appelé directement à François Hollande pour qu’il s’oppose à cette proposition de loi, en dénonçant une atteinte « grave » aux libertés.

M. Loïc Hervé. Il a le droit de s’exprimer ! Ce n’est pas un délit d’entrave !

Mme Laurence Cohen. Cette démarche ne peut que nous conduire à nous interroger, quelle que soit notre sensibilité politique, quand on songe à un principe fondateur de notre République : la séparation entre l’Église et l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

Cette vision a, hélas, traversé le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale, où droite et extrême droite ont multiplié les amendements dans un climat détestable que je déplore, s’éloignant totalement de l’objet de cette proposition de loi.

En revanche, je ne confonds pas ces mauvais prétextes avec l’inquiétude de nombreux collègues concernant une possible remise en cause de la liberté d’expression.

Ainsi, le président du groupe Les Républicains du Sénat, Bruno Retailleau, a indiqué devant Public Sénat que « ce texte est contraire à la liberté d’expression et contraire à l’esprit de la loi Veil ».

Mais pour moi, il faut toujours contextualiser les actes ou les paroles que l’on analyse. Cette loi a été votée dans des conditions très difficiles et Mme Veil a dû mener un combat âpre dans son propre camp pour y parvenir. Impossible, par exemple, de déclarer, à l’époque, devant une majorité de députés réticents, voire hostiles, que l’avortement était un droit, ce qu’elle a pu faire, en 2007, dans un entretien au Point.

Je le répète, le présent texte ne remet pas en cause la liberté d’expression, car si tel était le cas, mon groupe ne le soutiendrait pas. Il remet en revanche en cause la manipulation des esprits par des sites de désinformation.

Il s’agit donc non pas de sanctionner un quelconque délit d’opinion sur internet ni de prévoir un contrôle de l’objectivité de l’information, mais de donner sa pleine efficacité à un délit existant.

Dans un premier temps, j’étais dubitative sur la nouvelle rédaction de l’article unique proposée par Mme la rapporteur. Mais après explication, notamment en commission voilà une heure, je pense que cette rédaction tient compte des doutes exprimés et du risque de censure par le Conseil constitutionnel, et ce dans l’intérêt des femmes qui cherchent désespérément des informations claires et objectives sur l’IVG.

Avant de conclure, je veux attirer votre attention, madame la ministre, sur le fait qu’il existe d’autres façons de sécuriser le droit à l’avortement. D’abord, donner des moyens aux centres de contraception et d’interruption volontaire de grossesse, dont cent trente ont fermé en dix ans. Aujourd’hui, en France, des femmes sont obligées d’aller à l’étranger pour avorter ! Je n’ai cessé de le dénoncer avec mon groupe. Malheureusement, ce n’est pas le chemin suivi par la loi de modernisation de notre système de santé ni par les différentes lois de financement de la sécurité sociale de ce quinquennat.

Ensuite, je regrette fortement que l’amendement que mon groupe et moi avons déposé, dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, visant à permettre aux centres de planification et d’éducation familiale de pratiquer des IVG chirurgicales ait été retoqué avec un avis défavorable de la commission et de la ministre, Marisol Touraine.

Enfin, au lieu de réduire les subventions aux associations qui se battent sur ce terrain, obligeant bon nombre d’entre elles à mettre la clef sous la porte, il faut doter davantage ces associations, tant sur le plan financier qu’en termes de ressources humaines.

Mais face à cette offensive de désinformation qui se joue sur internet, et parce que nous considérons l’avortement comme un droit inaliénable – notre famille politique propose d’ailleurs sa constitutionnalisation –, nous voterons cette proposition de loi visant à étendre le délit d’entrave à l’IVG. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon groupe votera le texte de la commission des affaires sociales, tout en exprimant des regrets sur le recours à la procédure accélérée, ainsi que sur le tempo : nous considérons en effet qu’il n’était pas très opportun d’engager ce débat quelques mois avant les échéances électorales, lequel méritait davantage de réflexion.

M. Alain Vasselle. C’est exact !

M. Jacques Mézard. C’est un sujet qui est toujours douloureux, qui mérite la sérénité, le respect des convictions et, bien sûr, le respect de la loi de la République. Mon groupe – cela fut très profondément et magnifiquement incarné par Henri Caillavet – a toujours été à la pointe de ces questions sociétales. Avec pour nous un objectif prioritaire : le respect de la liberté de chaque femme à disposer de son corps, quelles que soient sa situation de fortune et sa situation sociale.

Le devoir de l’État, c’est aussi de préserver la santé de chacune de ces femmes dans une situation qui n’est jamais un choix de facilité ; c’est toujours un moment difficile, sur le plan tant moral que physique.

Toute utilisation politicienne de ce qui est une épreuve me révulse.

M. Jacques Mézard. Chacun doit avoir le droit d’exprimer son opinion pour ou contre l’IVG, mais chacun a aussi l’impérieux devoir de respecter la loi de la République issue de ce qui restera dans l’histoire, dans cette enceinte comme à l’Assemblée nationale, la loi Veil.

Mes chers collègues, j’étais présent dans cette tribune le 13 décembre 1974, où j’écoutais tant la ministre Simone Veil que le rapporteur du projet de loi, le sénateur Jean Mézard. J’ai vu de près ce que furent les affrontements, les excès, parfois la violence des propos. Encore que le Sénat, avec une majorité des deux tiers, avait su montrer à l’époque, une fois de plus, sa capacité à intégrer les évolutions sociétales et le respect des libertés.

En 1979, et Gilbert Barbier, alors député, s’en souvient, le débat fut tout aussi rude.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Une partie minoritaire de l’opinion est toujours aussi déchaînée contre l’IVG. Et elle a le droit d’exprimer ses convictions, par essence respectables. Mais une minorité de cette minorité n’a jamais hésité à transgresser la loi, soit physiquement par des intrusions dans les hôpitaux et cliniques – d’où la loi de 1993 –, soit, comme elle le fait actuellement, en utilisant internet pour instrumentaliser la détresse des femmes.

Cher Michel Mercier, ce matin, vous avez pratiquement institutionnalisé la notion de droit au mensonge. Mais le mensonge en droit civil, c’est le dol, et en matière pénale, c’est l’escroquerie. Et lorsque le mensonge peut mettre en danger la santé de nos filles, de nos compagnes, notre devoir est de le combattre, sur internet comme ailleurs.

Oui, internet ouvre des perspectives nouvelles, mais comporte aussi des zones d’ombre et de danger. Alain Milon et moi-même avons été confrontés à ce fait lorsque nous rédigions le rapport de la commission d’enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Que des sites sur le cancer, par exemple, poussent nos concitoyens à ne plus se soigner, c’est criminel ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Et notre devoir est de mettre fin à ces pratiques !

Ce qui se passe aujourd’hui sur certains sites est déplorable, d’autant que les femmes qui sont trompées par ces informations fallacieuses ne bénéficient bien sûr sur le terrain, dans leur quotidien, d’aucun véritable soutien de ces donneurs de leçons de morale.

Nous voterons donc le texte de la commission, car il a une vertu : adresser un avertissement législatif à ceux qui font fonctionner ces sites. Mais il ne résout pas, tant s’en faut, tous les problèmes.

Je me souviens du rapport que l’Inspection générale des affaires sociales avait consacré à l’IVG en 1970. Madame la ministre, la situation n’a pas beaucoup évolué au cours de ce quinquennat.

Que constate-t-on ? Une diminution du nombre d’établissements pratiquant l’IVG, un éventail incomplet des techniques d’IVG dans les structures hospitalières, alors que le choix de ces techniques devrait relever des intéressées, après information, et aussi, il faut le dire, une faible attractivité de l’activité orthogénique chez les jeunes médecins.

Madame la ministre, mes chers collègues, notre pays se targue d’avoir un système de santé de qualité ; celui-ci doit permettre une application de la loi de la République sur tout le territoire, sans soumission à des choix budgétaires locaux ou à des positions personnelles, même respectables.

C’est le sens du combat que mon groupe a toujours mené et c’est la position que je tiens aujourd'hui à défendre, en son nom. Nous voterons par conséquent le texte de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le recours à une interruption volontaire de grossesse, pour une femme, constitue toujours un moment grave et douloureux, car cette décision renvoie à des choix de vie fondamentaux et à l’image que l’on a de soi. Dans tous les cas, il y a interrogations et souffrance.

L’IVG, qui concerne, chaque année, plus de 200 000 femmes en France, n’est jamais choisie de gaîté de cœur : c’est une solution de dernier recours.

Les débats au moment du vote de la loi Veil, en 1974, avaient bien montré à quel point l’interdiction de l’IVG laissait les femmes dans des situations inextricables, avec, souvent, la souffrance de devoir trouver, par elles-mêmes, des solutions pour interrompre leur grossesse, sans accompagnement médical lorsqu’elles n’avaient pas les moyens d’aller à l’étranger pour subir l’intervention dans de bonnes conditions sanitaires.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à trouver une solution à un nouveau problème, lié à l’application de cette loi.

Les femmes qui cherchent des informations sur internet sont souvent des femmes isolées, en situation économique, professionnelle ou familiale difficile, ou de très jeunes filles, peu ou mal informées, ne sachant pas vers qui se tourner, ne connaissant pas les réseaux susceptibles de les aider ou ne pouvant établir un contact avec eux.

Nous le savons bien, il n’y a pas encore, et de loin, égalité d’accès à l’information en matière de santé dans notre pays. Ce constat vaut également pour l’accès à l’information sur l’IVG. De ce point de vue, les pouvoirs publics et le Gouvernement doivent accentuer leurs efforts.

Pour autant, sur ce sujet délicat et sensible, chacun, chacune est libre d’avoir, en conscience, une opinion forgée sur ses convictions morales, philosophiques ou religieuses, et chacun, chacune a le droit de l’exprimer.

En aucun cas, cette proposition de loi n’est liberticide ! En aucun cas, elle ne tend à interdire ni à sanctionner l’expression libre et publique des opinions, dans toutes leurs diversités et par tous les moyens, concernant l’IVG. En revanche, elle vise à sanctionner ceux qui diffuseraient sur internet de fausses informations, des messages tronqués sur le sujet.

La loi prévoit déjà la sanction de l’entrave à la liberté de l’IVG dans deux autres cas. Mais avec l’avènement d’internet, de nouvelles difficultés surgissent, liées à l’activité de certains sites. Non seulement ceux-ci apparaissent bien souvent en tête des résultats des moteurs de recherche, parfois avant les sites officiels, mais, surtout, ils utilisent les mêmes codes couleur et les mêmes éléments de langage, ce qui donne l’illusion que leurs contenus sont objectifs et scientifiquement fiables. Or il n’en est parfois rien !

Certains sites avancent masqués ; ils diffusent de faux arguments, de fausses analyses ; ils mettent en place des standards téléphoniques, au travers desquels des opérateurs influencent les femmes qui appellent, ce de façon non objective, profitant de la situation de vulnérabilité et de doute qu’elles traversent pour les culpabiliser. De nombreux tests, qui en témoignent, ont été réalisés.

Le risque de délit d’entrave à l’IVG par voie numérique existe donc bel et bien.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes soulignait déjà en 2013 que 57 % des femmes âgées de quinze à trente ans utilisaient internet pour s’informer sur leur santé. En outre, 80 % des jeunes ayant recours à internet pour des questions de santé estimaient que les informations qu’ils y avaient trouvées étaient crédibles.

Il s’agit donc bien de trouver une solution pour s’opposer à des atteintes à l’accès au droit et à la liberté de choix, pour s’opposer – ou essayer de le faire – à des tentatives de manipulation, d’abus de confiance à l’égard de personnes qui, à un moment de leur vie, sont particulièrement fragiles sur le plan psychologique.

Parce que, justement, ces personnes sont en état de fragilité et que la question est sensible, il nous semble être du devoir du législateur de prendre les mesures permettant de sanctionner cette diffusion masquée, faussement objective d’informations erronées d’un point de vue médical – donc de mensonges –, et ce, d’ailleurs, indépendamment du contenu de ces mensonges et de l’attitude à laquelle ils inciteraient.

Le législateur doit faire en sorte que des informations neutres, objectives, s’appuyant strictement sur les connaissances médicales puissent permettre aux femmes de choisir en toute liberté et ainsi leur garantir le droit de disposer librement de leur corps.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, si le texte n’est pas modifié à l’issue de nos débats, la grande majorité de mon groupe le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)