Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 22 est présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 38 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier et Vall.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 22.

Mme Éliane Assassi. À nos yeux, le cadre commun d’usage des armes données aux policiers et aux gendarmes n’améliore en rien les conditions de travail de nos forces de l’ordre.

Qu’elle soit nationale ou européenne, la jurisprudence a déjà considérablement unifié le droit, en exigeant notamment que soient réunis les critères d’absolue nécessité et de proportionnalité, quel que soit le cas de recours aux armes.

C’est d’ailleurs ce que Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, déclarait au mois d’avril 2013. Il avançait que l’unification avait déjà eu lieu dans les faits, que cette demande d’harmonisation des régimes relatifs à l’usage de la force armée n’était ni utile ni opportune. En effet, poursuivait-il, « la différence de régime demeure justifiée, autant par le statut militaire des gendarmes que par la porosité, dans certaines zones, entre missions de maintien de l’ordre et missions militaires. »

Nous faisons nôtres ces arguments. Gardons à l’esprit que la prétendue couverture assurée par la gendarmerie est à géométrie variable et qu’elle est soumise à la norme supranationale européenne.

On fait croire aux policiers que le cadre juridique entourant l’usage des armes leur sera plus favorable, alors que c’est tout le contraire qui se profile. On ne peut douter que ce dispositif les fragilisera davantage, d’autant plus – j’y reviens – quand on connaît l’indigence des formations dispensées aux fonctionnaires de la police nationale.

« On donne une arme aux gens sans les former ni les informer, alors qu’elle constitue une composante de l’uniforme qui va servir potentiellement à sauver leur vie », explique Laurent Franck Liénard, spécialiste de la défense des membres des forces de l’ordre, avant de poursuivre : « On ne met pas du tout les moyens qu’il faut, même en formation initiale. »

Selon nous, s’il est nécessaire de progresser en matière d’unification des règles, le cadre d’usage des armes des gendarmes aurait dû être aligné sur celui des policiers, et non l’inverse. La légitime défense devrait s’appliquer à tous. Voilà pourquoi nous demandons la suppression de l’article 1er.

Mme la présidente. L’amendement n° 38 rectifié n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 22 ?

M. François Grosdidier, rapporteur. Le cadre strict de la légitime défense ne permet pas aux forces de l’ordre d’intervenir dans tous les cas où elles sont dans l’obligation de faire usage des armes, même pour protéger la vie d’autrui.

On l’a clairement vu lorsqu’il s’est agi d’interrompre un périple meurtrier. Dès lors qu’un terroriste tirant dans une foule avec une kalachnikov tourne le dos aux policiers, ces derniers ne peuvent plus intervenir. De même, si deux personnes armées de kalachnikovs repartent au volant d’une voiture, la police ne peut rien faire.

Il a été aisément démontré que les policiers et les gendarmes ne peuvent pas agir en limitant l’utilisation de leur arme au cadre strict de la légitime défense. Ce dernier est fait pour les citoyens, qui peuvent être appelés à protéger leur vie directement, et parfois même en l’absence des représentants des forces de l’ordre. Mais il ne permet certainement pas à celles-ci de protéger la vie de nos compatriotes.

J’émets donc, au nom de la commission, un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Roux, ministre. Bien sûr, le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable.

Je l’ai rappelé dans mon propos liminaire : le cadre proposé à travers cet article fait suite au rapport remis par Mme Cazaud-Charles. Il répond à toutes les exigences que nous devons avoir quant au respect des règles de jurisprudence en vigueur, qu’elles soient issues de la Cour de cassation ou de la Cour européenne des droits de l’homme.

Qui plus est, ces dispositions ont fait l’objet d’une véritable concertation avec les forces de sécurité intérieure. D’ores et déjà, ces dernières sont prêtes à s’en emparer, et je suis sûr qu’elles s’en saisiront. Au sein du ministère de l’intérieur, tous les instruments nécessaires seront élaborés, afin que le cadre d’usage soit véritablement enseigné, lors des séances de tir et des distributions de matériels.

Ces initiatives seront déployées dès les prochaines semaines, sitôt que le Parlement aura adopté ce projet de loi. Elles ouvriront la voie à une avancée majeure pour les policiers et les gendarmes en clarifiant et en harmonisant le cadre d’usage des armes.

Madame Assassi, je peux me montrer plus précis si vous le souhaitez, mais je ne tiens pas à allonger nos discussions.

Sur ce sujet, je connais les positions des uns et des autres. Toutefois, je peux vous le garantir : toutes les précautions ont été prises, non seulement pour répondre aux demandes exprimées par nos forces de sécurité, dans la période de tensions qu’elles connaissent, mais aussi pour que celles-ci aient tous les moyens d’intervenir face au danger qu’elles rencontrent tous les jours et pour qu’elles interviennent dans le strict respect des règles d’usage.

Toutes les interventions qui ont eu lieu au cours des derniers mois viennent à l’appui de mes propos. Et, dans les cas éventuels où ce strict respect ne sera pas assuré, les règles établies permettront d’en juger, que ce soit en interne, au sein de la police ou de la gendarmerie, ou devant les juridictions appropriées, conformément à l’État de droit.

Je n’ai donc pas la moindre inquiétude quant à l’usage qui, demain, sera fait des armes, de la part de fonctionnaires qui sont dûment formés et bien conscients de la responsabilité qui va de pair avec la part d’autorité que nous leur déléguons.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 22.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 33 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, n’est pas soutenu.

L'amendement n° 28 rectifié, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Par son alinéa 6, le présent article rend possible l’usage d’une arme lorsque, après deux sommations, les forces de l’ordre ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiées.

Cette disposition revient à autoriser l’usage d’une arme pour défendre un terrain ou un poste alors même que les forces de l’ordre ne seraient pas confrontées à une situation d’attroupement telle que définie à l’article 431-3 du code pénal. Cette extension paraît aussi inutile que risquée.

D’une part, elle est redondante avec l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, en vertu duquel « les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent. »

D’autre part, il nous semble, qu’il existe peu de situations dans lesquelles les forces de sécurité sont amenées à défendre un poste ou une personne, en dehors du cadre des attroupements. Les rares cas n’entrant pas dans ce champ – attaque d’une brigade ou d’un commissariat, protection rapprochée d’une personne – seront, pour leur part, couverts par les autres alinéas de l’article L. 435–1 du code de la sécurité intérieure.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Grosdidier, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement, dont l’adoption introduirait une confusion autour des règles applicables à la dispersion des attroupements. Ce ne sont en effet généralement pas ces derniers qui sont les plus dangereux et les plus menaçants pour les sites, les lieux et surtout les personnes dont des policiers ou des gendarmes peuvent avoir la garde.

L’alinéa en cause concerne peu de sites et peu de personnes, car on bascule très vite vers l’alinéa précédent, mais il peut s’appliquer, par exemple, à des sites militaires ou industriels sensibles, à des dépôts de munitions, ainsi qu’aux hautes personnalités de la République, mais également à des témoins devant être protégés ou encore à des prévenus dont on pourrait penser que l’on cherche à les neutraliser.

Seuls ces cas, très limités, sont concernés par cet alinéa 6, qui n’entretient que peu de rapports avec la notion d’attroupement dans l’exercice du maintien de l’ordre.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Roux, ministre. Attaque d’une brigade de gendarmerie ou d’un commissariat de police, attaque en vue de faire évader une personne confiée à la garde des forces de sécurité lors d’un transfèrement, par exemple, protection rapprochée d’une personne, on le voit bien, de telles circonstances sont rares, mais elles sont bien distinctes de la situation d’attroupement, comme de celles auxquelles s’applique la notion de légitime défense. Cela rend nécessaire le maintien de la disposition concernée.

C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 28 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 32 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, et l’amendement n° 34 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, ne sont pas soutenus.

L’amendement n° 29 rectifié, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 8

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les situations prévues aux 3° et 4°, il est exclu de tirer sur un fugitif, y compris s’il est coupable de meurtre, alors qu’aucune raison réelle et objective ne permet de penser qu’il va réitérer son acte ;

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Les alinéas 7 et 8 de l’article 1er confèrent aux forces de l’ordre la possibilité d’ouvrir le feu pour arrêter un fugitif ou pour immobiliser un véhicule. Il s’agit d’une modification essentielle apportée par le présent projet de loi aux possibilités de recourir à une arme à feu. En effet, seuls les gendarmes disposent actuellement de cette faculté.

Nous considérons que la rédaction de ces dispositions fait peser de trop grands risques de mauvaise compréhension par les fonctionnaires de police sur le terrain. Nous proposons donc, par cet amendement, de reprendre, dans un alinéa additionnel, les termes du rapport de l’INHESJ, l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, selon lesquels il est clairement exclu de tirer sur un fugitif, « y compris s’il est coupable de meurtre, alors que rien ne permet de penser qu’il va réitérer son acte. » « Toute autre interprétation », ajoutent les auteurs du rapport, « ne serait pas compatible avec l’exigence de nécessité posée par la Cour de Strasbourg » ni « avec une conception démocratique et républicaine de l’ordre, les armes ne pouvant parler à la place de la loi, expression de la souveraineté populaire. »

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Grosdidier, rapporteur. L’amendement présenté par Mme Esther Benbassa est satisfait par la nouvelle rédaction de la commission qui précise justement qu’un policier ou un gendarme ne peut tirer que s’il a des raisons réelles et objectives de penser qu’une personne va commettre une atteinte à la vie. Dans cette hypothèse, il est nécessaire que le policier ou le gendarme puisse faire usage de son arme après sommation pour éviter qu’un tel acte ne soit accompli.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Roux, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. Madame Benbassa, l’amendement n° 29 rectifié est-il maintenu ?

Mme Esther Benbassa. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 29 rectifié est retiré.

L’amendement n° 23, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 9

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les armes ne doivent être utilisées qu’en ultime recours, seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes. Les forces de l’ordre ne recourront intentionnellement à l’usage meurtrier d’une arme que si c’est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. Lorsqu’elles n’ont pas d’autres choix que de faire usage d’une arme à feu, elles s’efforceront en toutes circonstances de viser les zones non vitales du corps de la personne qu’elles cherchent à appréhender ; ».

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme impose que tout usage d’une arme à feu par les forces de sécurité réponde aux conditions de stricte proportionnalité et d’absolue nécessité.

Ces notions ont été reprises par la jurisprudence française, ainsi que par des textes réglementaires. Elles n’ont cependant pas de valeur législative. Leur inscription dans la loi vient donc renforcer le cadre juridique national des armes, en conformité avec la CEDH. En ce sens, le présent projet de loi constitue une avancée importante, que nous saluons.

Cependant, la formulation de l’article 1er laisse craindre une interprétation trop extensive. Ajouté aux modifications opérées par la commission, cela nous conduit à relever des risques de dérives.

En particulier, les notions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité, dont les contours sont pour le moins flous, doivent être précisées, car on peut craindre qu’elles n’introduisent paradoxalement une insécurité juridique pour les forces de l’ordre. Selon les cas de figure, celles-ci hésiteront à tirer en se demandant si elles se trouvent dans un cadre permettant l’usage des armes, ou au contraire le feront à tort en pensant que la loi les y autorise.

C’est pourquoi nous proposons, comme le recommande notamment l’organisation ACAT, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, que les armes ne soient utilisées qu’en ultime recours, seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes, conformément à la formulation des Nations unies et à l’article 2 de la CEDH, lequel n’admet des exceptions au droit à la vie que si le recours à la force est rendu absolument nécessaire.

Par ailleurs, nous proposons que les forces de l’ordre ne recourent intentionnellement à l’usage létal d’une arme que si c’est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.

Lorsqu’elles n’ont pas d’autres choix que de faire usage d’une arme à feu, elles s’efforceront, en toutes circonstances, de viser les zones non vitales du corps de la personne qu’elles cherchent à appréhender. Certains pays, tels que l’Espagne, imposent déjà qu’un tir, permis en tout dernier recours, ne soit effectué que dans des parties non vitales du corps du fugitif.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Grosdidier, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable ; vous ne faites que décrire, ma chère collègue, les principes d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité que nous avons posés.

Le tir dans des parties non vitales du corps, comme d’ailleurs le recours aux armes non létales telles que le Flash-Ball ou le Taser – dont vous n’avez jamais été très partisane –,…

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. François Grosdidier, rapporteur. … permet justement des réponses graduées, dans le cadre de cette stricte proportionnalité.

Il est en effet souhaitable que la formation soit délivrée en ce sens, mais cela relève selon moi du pouvoir réglementaire, dès lors que le pouvoir législatif aura posé le principe de la stricte proportionnalité.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Roux, ministre. Madame la sénatrice, je souhaite être précis dans la réponse que le Gouvernement vous apporte.

Votre intention est louable en tant qu’elle vise à expliciter les notions d’absolue nécessité et de proportionnalité, mais le Gouvernement considère que cette explicitation n’a pas sa place dans un texte de loi, car elle relève des instructions sur la doctrine d’emploi des armes et des manuels de formation des personnels amenés à en faire usage.

Les notions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité sont suffisamment explicites et directement issues de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui irrigue celle des juridictions nationales, au premier rang desquelles la Cour de cassation.

Les illustrations jurisprudentielles en sont donc abondantes et sont citées dans les formations de la gendarmerie aux règles d’usage des armes.

La rédaction des différents cas d’autorisation d’usage des armes par ce nouvel article L. 435–1 du code de la sécurité intérieure démontre, enfin, que ce n’est que lorsqu’elles n’ont pas d’autre choix et pour prévenir des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique des personnes que les forces de l’ordre peuvent faire usage de leur arme.

Votre préoccupation me semble donc satisfaite. Si vous ne retiriez pas cet amendement, le Gouvernement y serait défavorable.

Mme la présidente. Madame Assassi, l’amendement n° 23 est-il maintenu ?

Mme Éliane Assassi. Par principe, je le maintiens !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je souhaite préciser certains éléments. Le type de rédaction proposé en l’espèce ne répond pas du tout à la préoccupation des membres des forces de l’ordre, mais risque, au contraire, de rendre plus complexe leur travail. Ces personnels nous disent qu’ils ne veulent pas, à chaque fois, être obligés de tout prouver. Avec cette disposition, on leur demandera s’ils ont bien visé les parties non vitales.

Il faut imaginer l’instant T de l’action. La personne qui tire va viser, sans doute, mais elle visera peut-être mal. Cela peut arriver.

On complexifie les choses, alors que le principe posé par la Cour de cassation et par la Cour européenne des droits de l’homme est l’absolue nécessité et la juste proportionnalité, et, à partir de là, l’appréciation in concreto. Il faut laisser cette appréciation aux magistrats, que parfois les policiers craignent, et ne pas entrer dans des détails de précision de texte.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 23.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les trois premiers sont identiques.

L’amendement n° 24 est présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L’amendement n° 30 rectifié est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

L’amendement n° 35 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 12 à 15

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 24.

Mme Éliane Assassi. La commission des lois a adopté un amendement visant à étendre aux policiers municipaux des mesures du futur cadre commun d’usage des armes, initialement prévu pour les seuls policiers nationaux et les gendarmes.

Nous sommes absolument opposés à l’extension à des fonctionnaires de police municipale de la possibilité de faire usage de leur arme hors du cadre légal existant de la légitime défense.

Rappelons que les missions de la police municipale et celles de la police nationale sont différentes : les missions administratives et de proximité sont au cœur de la fonction du policier municipale et diffèrent des missions d’investigation de la police nationale, saisie d’enquêtes judiciaires.

Il ne s’agit pas là d’un « cadeau » fait aux policiers municipaux, pour lesquels l’application de l’article 122–5 du code pénal relatif à la légitime défense suffit amplement.

On demande désormais aux agents de la police municipale de réfléchir à l’usage de leur arme en dehors de toute riposte. Cela paraît extrêmement risqué, pour eux-mêmes. Les cas de bavure, en effet, se régleront aux assises. Ce n’est plus la même dimension…

Gardons à l’esprit que la jurisprudence européenne en la matière est constante.

Prenons conscience, enfin, de la gravité de telles mesures, examinées en procédure d’urgence en toute fin de législature. Ce contexte empêche un débat apaisé sur ces questions extrêmement sensibles et sur un texte dont l’adoption emportera des conséquences lourdes sur différents pans de notre droit.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 30 rectifié.

Mme Esther Benbassa. Les alinéas visés introduits par la commission des lois ont pour conséquence d’étendre le bénéfice d’une partie de l’article 1er aux membres de la police municipale.

À l’instar du groupe communiste républicain et citoyen, qui vient de s’exprimer, le groupe écologiste s’oppose à ces dispositions.

En effet, concernant les policiers municipaux, nous considérons que c’est le droit commun de la légitime défense qui doit continuer d’être appliqué.

Rappelons que, aux termes de l’article 122–5 du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »

De surcroît, ces dispositions, qui emportent des conséquences des plus importantes, n’ont pas fait l’objet d’une étude d’impact.

Mme la présidente. L’amendement n° 35 rectifié n’est pas soutenu.

L'amendement n° 21 rectifié ter, présenté par MM. Buffet, Rapin, Carle, Retailleau, Grand, Reichardt et Lemoyne, Mme Di Folco, M. Vial, Mmes Deromedi et Troendlé, MM. Mandelli et Lefèvre, Mme Debré, MM. Bizet et Bouchet, Mme Keller, MM. Cantegrit, Pillet, Darnaud, Portelli et Vasselle, Mme Giudicelli, MM. Milon et Pellevat, Mmes Lamure et Hummel, MM. Bonhomme et de Legge, Mme Garriaud-Maylam, M. Doligé, Mme Gruny et M. Husson, est ainsi libellé :

Alinéa 15

Remplacer les mots :

au 1°

par les mots :

aux 1° et 5°

La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. La commission des lois a étendu le bénéfice d’une partie des dispositions de l’article 1er à la police municipale, au regard de la contribution déterminante apportée par les membres de cette force de sécurité intérieure.

Nous en sommes satisfaits, mais nous estimons qu’il pourrait être utile d’étendre également aux policiers municipaux le bénéfice des dispositions du 5° de l’article L. 435–1 du code de la sécurité intérieure, relatif au périple meurtrier.

Je précise cette notion, qui permet l’usage de la force armée dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque les agents ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.

Ces dispositions nous semblent de nature à contribuer utilement à la parfaite complémentarité des capacités d’agir des policiers municipaux, auxquels nous proposons qu’elles soient étendues.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Grosdidier, rapporteur. Les deux premiers amendements visent à supprimer l’extension du bénéfice de l’alinéa 5 de l’article 1er du présent projet de loi aux policiers municipaux, tandis que le troisième tend à étendre à ces mêmes policiers le bénéfice de l’alinéa 9, relatif à l’intervention pour interrompre un périple meurtrier. Ce sont là deux débats bien distincts.

Les deux premiers amendements me semblent traduire une méconnaissance totale de ce que sont aujourd’hui les policiers municipaux.

Mme Éliane Assassi. Nous travaillons, nous connaissons le terrain !

M. François Grosdidier, rapporteur. Ma chère collègue, je vous ai écoutée courtoisement, je vous prie de faire de même ! Cessez de m’interrompre alors que j’entame ma deuxième phrase !

Vous méconnaissez manifestement…

M. François Grosdidier, rapporteur. … le niveau de formation des policiers municipaux aujourd’hui. Vous faites même un procès à la police nationale. Si l’on peut évoquer la formation perfectible, notamment la formation continue, des membres de la police nationale, je n’accepterai pas d’entendre que ceux-ci ne sont pas du tout formés à l’usage des armes !

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. François Grosdidier, rapporteur. Votre vision retarde d’une décennie. Les policiers municipaux bénéficient aujourd’hui d’une formation plus pointue aux techniques professionnelles, mais également au droit et à la déontologie.

Vous méconnaissez plus encore les conditions d’emploi actuelles de nombreux policiers municipaux, dans un mouvement qui s’affirme toujours davantage.

Mme Éliane Assassi. Vous êtes grossier, monsieur Grosdidier, comme d’habitude !

M. François Grosdidier, rapporteur. Aurélie Fouquet et Clarissa Jean-Philippe ont été assassinées dans les mêmes conditions que des policiers nationaux. Leur nom vous dit-il quelque chose ?

Mme Éliane Assassi. Elles méritent le respect, ne mélangez pas tout !

M. François Grosdidier, rapporteur. Il n’y a aucun manque de respect de ma part à affirmer que vous méconnaissez manifestement le niveau de formation et les conditions d’emploi des policiers municipaux lorsque vous affirmez qu’ils n’ont besoin de rien d’autre pour assurer leur mission que des dispositions relatives à la légitime défense qui s’appliquent aux simples citoyens.

Tous les membres de la commission des lois, à l’exclusion des communistes et des écologistes, se sont accordés sur une position très consensuelle qui nous est apparue comme le minimum minimorum : permettre aux policiers municipaux de protéger leur vie ou celle des citoyens contre des atteintes instantanées ou des menaces immédiates, grâce aux dispositions proposées. Celles-ci sont parfaitement adaptées à des agents chargés de protéger la vie des autres.

La commission émet donc un avis très défavorable sur ces deux amendements, qui contredisent sa position consensuelle.

À propos du troisième amendement, la question de cette nouvelle extension est posée, elle peut l’être pour tous les alinéas de l’article 1er.

Il fallait l’exclure complètement pour le 2°, relatif à la protection des lieux et des personnalités, y compris sans menace directe d’atteinte aux personnes. Cela ne rentre pas dans les missions de la police municipale. Même la protection d’un bureau de police municipale relèvera très vite du 1°.

Nous avons donc exclu l’extension des 2° et 3° qui concernent les tirs après sommation. Nous pensons qu’il faut aujourd’hui réserver ces dispositions à la police nationale et à la gendarmerie exclusivement.

Se pose ensuite le problème de l’interruption du périple meurtrier. Des terroristes ou des gangsters tirent de façon folle sur des individus qui passent devant eux, tuent et continuent à tuer. Les agents des forces de l’ordre peuvent tirer alors même qu’ils ne relèvent pas des dispositions de la légitime défense. En effet, s’ils ne sont pas visés ou si le délinquant ou le terroriste n’est pas en train de viser une personne, tout permet, toutefois, de penser que celui-ci a entamé un périple qui ne s’achèvera que par sa neutralisation.

Le 5°pourrait donc s’appliquer à la police municipale, tout comme aux agents de surveillance de la SNCF ou de la RATP, sur l’emprise desquelles peut se produire un tel périple.

Ce matin, la commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 21 rectifié ter.