M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Madame la garde des sceaux, vous avez la difficile tâche de présenter deux textes visant à répondre à une attente forte de nos concitoyens, non plus pour « moraliser » la vie politique, mais « rétablir la confiance » dans l’action publique. Peut-être nous apprendrez-vous d'ailleurs à quelle époque vous situez le moment où la confiance entre les citoyens et les élus a été rompue, puisqu’il s’agit de la rétablir !

J’ai ma petite idée sur ce point : il est possible que cette rupture remonte aux origines même du pouvoir, un peu comme la crise du cinéma date des frères Lumières…

Vous nous présentez donc ces textes comme les tout premiers du nouveau gouvernement, au nom d’un sacro-saint principe, la transparence. Telle est l’injonction devenue le mot d’ordre de l’époque, au point parfois de rétrécir le débat que cette question appelle.

On pourrait gloser à loisir sur ce rêve, cher à André Breton de la « maison de verre », sur cette frontière poreuse entre la vie privée et la liberté individuelle et les exigences nouvelles de la vie publique. Il n’empêche, on doit accepter cette évidence : la transparence est devenue un fait majeur, alimenté par une circulation sans précédent de l’information, pas toujours vérifiée, rendue possible par les nouvelles technologies.

De fait, l’esprit public a changé en profondeur concernant les exigences minimales qu’on attend de celles et ceux d’entre nous qui aspirent à devenir des représentants. Quoi que l’on en pense, je suis de ceux qui prennent acte de cette exigence et de l’attente forte de nos concitoyens. Naturellement, cette attente, qui comporte sa propre limite, peut être dangereuse à certains égards. En effet, l’action publique n’est pas réductible à la seule morale, quoi qu’en pensent parfois certaines associations spécialisées dans la lutte contre la corruption, nées de manquements constatés ou invoqués à la morale publique.

Une partie d’entre elles – pas toutes – versent parfois dans un néo-puritanisme à la scandinave, qui n’est pas, certains le regretteront, dans notre culture politique. Naturellement, quand il est question de morale, on peut tomber dans ce que Nietzsche appelait la « moraline », c’est-à-dire cette petite morale, ivre d’elle-même, déversée par des parangons de vertu qui rivalisent dans la surenchère d’incantations, là où, au contraire, une détermination et une attitude sobre et distanciée paraissent nécessaires pour éviter un bûcher purificateur.

M. Alain Fouché. C’est sûr !

M. François Bonhomme. Voilà deux siècles, Jean-Baptiste Laborde ne craignait-il pas le travers d’une certaine mièvrerie en écrivant : « On aime à blâmer les vices que l’on n’a point, parce que c’est une manière tacite de se louer. » Le Nouveau Testament ne disait pas autre chose : « N’allez pas pratiquer la vertu avec ostentation pour être vu des hommes. » « Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs », ajoutait Voltaire. Toute morale, y compris publique, est relative, historique, partielle. C’est la limite du texte qui arrive en discussion aujourd’hui : chacun se croit unique et peut se découvrir quelconque.

Cette réserve étant formulée, j’estime qu’un certain nombre de mesures contenues dans ces deux projets de loi sont fort opportunes. Peut-être ces textes auraient-ils encore plus de force, madame la garde des sceaux, si le Gouvernement lui-même donnait l’exemple.

Vous pourrez le constater au cours de l’examen des articles, le Sénat a véritablement complété, enrichi et fortifié votre projet, par des propositions sérieuses et neuves comme la création d’un registre des déports pour le Conseil des ministres ou encore la transparence, attendue, des réserves ministérielles.

Il convient de saluer particulièrement Philippe Bas, président de la commission des lois,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !

M. François Bonhomme. … dont la seule présence au sein de cette instance nous assure un bonheur complet.

M. Alain Fouché. C’est vrai !

M. François Bonhomme. Nous avons pu aussi le mesurer au fur et à mesure des auditions et avant que l’examen ne s’engage au fond, ce projet comporte des dispositions fort disparates, dont la cohérence d’ensemble n’est pas la première qualité.

Extension du régime d’inéligibilité et d’incompatibilités, suppression de la réserve parlementaire, interdiction des emplois familiaux, fixation des conditions de remboursement des frais de mandat des parlementaires et encadrement du financement des partis politiques : il y a là des mesures fort différentes, dont l’efficacité dépendra des modalités de mise en œuvre.

Très franchement, madame la garde des sceaux, on peut s’interroger sur la réunion, au sein d’un même texte, de la prévention des conflits d’intérêts et de la suppression de la réserve parlementaire, qui, si la mesure était votée en l’état, aboutirait dans les faits à pénaliser les plus petites communes rurales, lesquelles figuraient comme les principales bénéficiaires de cette aide.

M. Alain Fouché. Parfaitement !

M. François Bonhomme. Par ailleurs, je note l’existence d’un « angle mort », dans la mesure où la question du conflit d’intérêts entre deux fonctions publiques n’est pas prise en compte. J’espère que nous aurons l’occasion de discuter du cas de figure singulier et anachronique qui permet encore d’exercer un mandat électif et des fonctions de direction d’un groupe de presse.

Ces réserves étant faites, ces textes se révèlent nécessaires, à condition de rappeler que la question morale n’est pas l’alpha et l’oméga de la vie politique, tout simplement parce que la question du « bon gouvernement », comme on disait voilà cinq siècles, n’est pas soluble dans la morale, même à l’âge démocratique.

On pourrait d’ailleurs s’amuser à recenser dans notre histoire politique les « grands hommes », dont le comportement moral, loin d’être irréprochable, a parfois été condamnable. Pourtant, ils ont eu un rôle d’homme d’État, en tant que ministre ou dirigeant.

J’évoquerai tout d’abord Richelieu et Mazarin, qui ont amassé une fortune personnelle considérable dans des conditions suspectes. Ils furent pourtant de grands serviteurs de la France.

Je pense également au grand Colbert, dont la statue orne le petit hémicycle et surveille les sénateurs. On sait en effet que le contrôleur général des finances de Louis XIV, grand argentier du roi, n’était pas aussi désintéressé que l’on croit, à rebours de l’image convenue complaisamment forgée par les historiens du XIXe siècle. Il a pourtant été un serviteur du royaume de France.

Je citerai enfin Talleyrand, qui déclarait, fraîchement nommé ministre, « vouloir maintenant faire une immense fortune ». N’a-t-il pas néanmoins sauvé les intérêts majeurs de notre pays au Congrès de Vienne en 1815 ?

Je ne cherche pas à jouer du paradoxe. Évitons simplement les mauvais procès en vertu, en surjouant l’indignation. Nous le savons tous, la loi a ses limites. C’est pourquoi il faut avoir à l’esprit la réalité de l’exercice de la mission d’élu, sa complexité, ses vicissitudes. Ayons le courage de le dire, même si cette pensée n’est pas partagée par la majorité.

Sinon, la suspicion risque de continuer d’empoisonner la vie politique. Ainsi, au sortir de la campagne à laquelle nous avons assisté, on peut s’étonner que le point de vue moral ait complètement submergé et, finalement, atrophié le débat de fond qui aurait dû prévaloir dans notre pays, pour choisir le candidat le plus apte à exercer la fonction suprême.

De même, j’ai observé l’emballement qui a accompagné la publication du patrimoine des candidats à l’élection présidentielle. Elle a occupé les esprits et l’espace médiatique plus que de raison. Une sorte de curiosité envieuse et maligne s’est parfois manifestée.

D’ailleurs, je note sans malice, madame la garde des sceaux, que le nouveau gouvernement a lui-même pu mesurer cette pente dangereuse fort glissante, si j’en juge par les changements ministériels intervenus précipitamment, qui menacent la stabilité de tous les gouvernants.

Défions-nous de ce désir d’un supplément de transparence, qui peut vite se transformer en « tir au pigeon », mû par une certaine jubilation pernicieuse, que je perçois ici ou là dans la presse. C’est une forme de joie mauvaise à alimenter la chronique, à lancer des accusations. Elle se nourrit d’une quête sans fin de coupables. Ce jeu est mortifère pour la démocratie, car la recherche effrénée de coupables sous prétexte de pureté pourrait reléguer au second plan les enjeux vitaux de notre pays et, plus simplement, déstabiliser les gouvernements les plus fraîchement désignés.

En ce début de mandat, alors que les Français sont sortis saturés du débat présidentiel, j’ai la faiblesse de croire que ce débat, auquel le Sénat ne se dérobera pas, ne doit pas nous détourner des enjeux vitaux de notre pays et, donc, de votre capacité à réduire le chômage de masse et la pauvreté que connaît notre pays, à vaincre le terrorisme qui a ensanglanté la France et à annihiler sa menace permanente, à combattre la violence quotidienne, à relever l’école, qui ne remplit plus sa mission première, à enrayer la crise migratoire majeure que subi notre pays et l’Europe et, plus généralement, à sortir de l’impuissance publique généralisée.

C’est en tout cas dans cet état d’esprit que nous entamons la discussion de ce premier texte présenté par le Gouvernement et de cette trente-deuxième loi sur la régulation de la vie publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, par ce texte, il s’agit de tirer les enseignements de la dernière séquence électorale. Contrairement à ce qui se passait auparavant, la confiance de l’opinion publique et des citoyens dans leurs responsables politiques est une condition nécessaire pour que leur message politique et leur projet soient audibles.

C’est la raison pour laquelle il est important de progresser en la matière. Toutefois, le titre très ambitieux de ce texte va beaucoup plus loin que les mesures qui nous sont proposées.

Avant d’entrer dans le détail du projet de loi, il me paraît important de réfléchir aux causes du doute qui ternit l’action politique et publique. Car la démocratie représentative est remise en cause partout. Notre spécificité française, c’est l’hyperprésidentialisation de la vie politique. Tout procède de l’élection présidentielle. La responsabilité en incombe tout autant aux institutions qu’à une pratique, où chacun des acteurs importants, sans l’avouer, espère un jour profiter du système plutôt que de le remettre en cause pour faire progresser la démocratie parlementaire. Rappelons-le, le taux d’abstention aux élections législatives a atteint 52 %. La majorité silencieuse est très probablement en mode « scepticisme constructif ».

Toutefois, il existe des causes plus globales à une telle remise en cause. L’Union européenne est le cadre majeur de la vie économique et sociale de notre pays. C’est heureux, car c’est ainsi que nous pouvons peser sur l’ensemble du monde.

Les élections nationales ne peuvent pas tout. Finalement, c’est au niveau européen que nous pouvons formuler de vrais choix. Or l’action politique doit justement permettre d’effectuer les choix au niveau adéquat. Il y a donc besoin d’une démocratisation du fonctionnement de l’Union européenne. Il faut remplacer les couloirs du Conseil européen par l’exercice, par les citoyens européens, de leur souveraineté : c’est indispensable pour faire progresser la démocratie.

Certains de nos collègues l’ont dit, la révolution numérique remet en cause la place des parlementaires, auxquels le peuple a confié une mission de législateur et de contrôle de l’exécutif. Auparavant, on n’avait pas le choix, il fallait faire confiance aux élus. Personne ne disposait d’outil pour voir en temps réel ce que nous proposions, ce que nous faisions et ce dont nous étions capables. Aujourd'hui, tout est immédiatement visible. Le rôle du Parlement et de ses membres doit donc évoluer, pour mieux interagir avec l’ensemble de la société.

De ce point de vue, il est regrettable que l’agenda retenu pour l’examen de ce texte, pourtant fondamental pour progresser dans la confiance dans la vie démocratique, n’ait pas permis une interaction avec la société. L’examen en commission s’est en effet déroulé une semaine avant le débat en séance publique.

La révolution numérique, en rendant les zones d’ombre suspectes, impose une plus grande transparence. Les élus sont confrontés à des exigences nouvelles, notamment en termes d’explications. Ils peuvent même être amenés à expliquer les raisons pour lesquelles il convient de conserver quelques zones d’ombre pour préserver l’intérêt général, face à des intérêts privés.

Ne cédons jamais à la confusion populiste, qui amalgame, et c’est déplorable, lois, décrets, règlements des assemblées et morale personnelle.

Nous sommes parfois confrontés à la question suivante : à quoi servent les élus ? Sont-ils vraiment des acteurs politiques au service d’un projet ou d’un idéal ou une simple interface entre l’administration et l’opinion publique, que l’on change lorsqu’elle n’est plus audible ?

Nous sommes porteurs de projets et d’idéal. Nous ne pouvons pas accepter de devenir une sorte de technocratie gouvernante, qui ne permettrait pas l’expression complète de la démocratie. La transparence et la lutte anticorruption sont un moyen au service de la démocratie. Elles ne remplaceront pas les idées politiques, les projets et les valeurs.

En Italie, l’opération Mani pulite a produit Silvio Berlusconi ; au Brésil, l’enquête Lava Jato a favorisé l’arrivée au pouvoir de Michel Temer. Si la lutte contre la corruption et la transparence sont des exigences, nous devons conserver nos projets !

Certaines des mesures prévues par ce texte relèvent du règlement des assemblées, du décret ou de la loi de finances, notamment pour ce qui concerne la réserve parlementaire. Il y a là une sorte de confusion. Je me souviens des propos de l’un de nos collègues, Jacques Mézard, qui, à l'occasion de l’examen d’un texte législatif, affirmait que « la loi n’est pas un communiqué de presse »… Il est dommage que des dispositions aussi diverses se retrouvent aujourd'hui au sein d’un même texte. La séparation des pouvoirs est un principe absolu qui préserve la démocratie.

Certes, on a souvent l’impression que ce principe est invoqué pour protéger le Parlement. Toutefois, si l’on examine la situation qui prévaut de l’autre côté de l’Atlantique, on se rend compte à quel point il est important que les institutions soient fortes pour faire face au risque d’un exécutif intrusif ou invasif. La séparation des pouvoirs est essentielle pour préserver la démocratie. Nous ne pouvons pas faire progresser la transparence au détriment de la séparation des pouvoirs. Qu’il s’agisse du législatif, de l’exécutif ou du judiciaire, chacun doit rester à sa place.

J’en viens aux emplois familiaux, qui font également l’objet de ce texte. Je le rappelle, ce qui a surtout choqué, c’est le caractère éventuellement fictif de certains emplois et le détournement à des fins d’enrichissement personnel, qui constituent d’ores et déjà des infractions. Soyons-en conscients, l’opinion publique a évolué en la matière. Ce qui s’est passé au cours des derniers mois a jeté l’opprobre sur toute une profession, indispensable, nous le savons tous, au bon fonctionnement du Parlement.

Dans la mesure où les collaborateurs parlementaires se sont tous sentis visés par ce qu’ils ont entendu récemment, nous devons, je crois, leur exprimer notre solidarité.

Je le souligne, il ne faut pas légiférer en prévoyant des effets rétroactifs sur les contrats en cours, dès lors que la loi, telle qu’elle est aujourd'hui, est respectée. Nous devrons également aborder la question des licenciements, dans l’esprit dans lequel le président de la commission des lois l’a fait dans son rapport.

Concernant les activités de conseil des parlementaires, il faut effectivement mieux déceler et empêcher les conflits d’intérêts. Nous vous suivrons dans cette voie, madame la garde des sceaux, en formulant quelques propositions supplémentaires.

Néanmoins, veillons également à ce que l’accès à la fonction de parlementaire soit égal pour tous ; sinon, la démocratie sera en danger. Or les personnes issues du secteur privé seront plus touchées par les dispositions prévues que celles qui travaillent dans le secteur public.

Il faudra trouver les moyens d’assurer un équilibre, afin qu’il soit possible d’entrer dans la fonction parlementaire, mais aussi d’en sortir sans dommage. Les partis politiques et les campagnes électorales doivent fonctionner de manière plus transparente. Nous défendrons des amendements en ce sens, visant à promouvoir l’open data et à rendre le contrôle plus effectif.

J’ai brièvement parlé de l’Europe. C’est important ! Il s’agit d’un cadre essentiel de l’action publique ; nous ne pouvons donc pas la placer hors de nos débats. Il y a d’ailleurs des partis politiques européens. Nous parlons du financement de la vie politique ; il faudra bien, un jour, que nous discutions du financement de la vie politique européenne et de la relation entre les partis politiques européens et les législations nationales. Aujourd’hui, en la matière, rien n’est fait.

Sur la réserve parlementaire, beaucoup de choses ont été dites. Je me contenterai de rappeler que nombre d’associations ont besoin de cette réserve, dont les crédits doivent figurer dans la loi de finances. Nous pouvons en débattre sans fin ; je sais néanmoins combien un grand nombre d’associations, qui échappent aux radars du Gouvernement, en particulier à l’étranger – je pense notamment à des écoles –, ont besoin de notre aide pour pouvoir survivre, se développer, et répondre aux coups durs qui peuvent leur arriver.

Madame la garde des sceaux, le groupe socialiste et républicain fera tout son possible pour que le projet de loi réponde au mieux aux nouvelles exigences de la vie démocratique, mais chacun d’entre nous doit comprendre que rien ne remplacera, en la matière, l’éthique personnelle, qui doit nous inspirer à chaque instant.

Enfin, soulignons la nécessité de finaliser la réforme constitutionnelle sur l’indépendance du parquet ; il s’agit d’un impératif si nous voulons que l’édifice que nous essayons de construire aujourd’hui soit crédible et durable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République en marche. – Mme Corinne Bouchoux et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les projets de lois ordinaire et organique rétablissant la confiance dans l’action publique, présentés par le Gouvernement et discutés en procédure accélérée.

Si ces textes répondent à une profonde attente des Français, certains points méritent cependant réflexion.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Pour le moins !

M. Alain Fouché. S’agissant tout d’abord de la réserve parlementaire, je me félicite que la commission, si bien présidée – il est bon de le rappeler ! –, ait finalement, dans son texte, abandonné sa suppression pure et simple, telle qu’elle avait été initialement proposée par le Gouvernement.

L’étude d’impact du projet ne comportait en effet aucune analyse des conséquences de cette suppression sur le tissu local, en particulier sur la qualité des services rendus à nos concitoyens.

Si quelques abus ont pu être commis, la réserve parlementaire reste, madame la garde des sceaux, un mécanisme indispensable au financement de certains projets locaux, lesquels ne sont parfois éligibles à aucune autre subvention.

Si le principe de la réserve parlementaire n’est pas totalement supprimé, le dispositif issu de l’examen du texte par la commission des lois est cependant perfectible.

Est ainsi créé le principe d’une dotation de soutien à l’investissement des communes et de leurs groupements. Le bénéfice de cette dotation est réservé aux projets d’investissement matériel et immatériel d’intérêt général qui « présentent un caractère exceptionnel ». Nous pourrons d’ailleurs discuter sur ce qu’il faut entendre par ce dernier terme ! Son montant ne peut excéder la moitié du montant total du projet, le plafond étant fixé à 20 000 euros. La liste des projets que les députés et sénateurs souhaitent soutenir sera adressée au Gouvernement par le bureau de chaque assemblée.

Le texte est aujourd’hui muet sur les conditions de répartition de la dotation. Or une part minimum de cette dotation doit être garantie à chaque parlementaire pour lui permettre de soutenir son territoire. En l’état du texte, ce minimum n’est pas garanti.

En outre, pour éviter toute dérive politique, chaque parlementaire doit disposer d’une somme identique. Aucun territoire ne doit être oublié !

Par ailleurs, je regrette que les associations soient définitivement exclues du bénéfice de ce dispositif. En effet, par exemple, ma région, la grande région Nouvelle-Aquitaine, met fin, pour une très grande part, aux aides qu’elle versait aux associations ; de mon côté, au fil de mon mandat, j’ai alloué une partie de ma réserve parlementaire à la lutte contre le sida, à la SPA, la Société protectrice des animaux, à un festival d’opéra en milieu rural, à des associations de l’écrit. Tout cela, on ne pourra plus le faire !

Quelle est la différence entre un parlementaire qui alloue des fonds de sa réserve et un élu local qui attribue une subvention ? Comme nous le savons bien, dans les départements, la répartition des subventions n’est pas toujours automatique : elle est fonction des dossiers présentés. Rien n’est automatique !

S’agissant d’un sénateur qui dispose d’environ 140 000 euros de réserve dans un département ne comptant pas moins de 500 communes – c’est le cas de certains départements ! –, je ne vois pas, madame la garde des sceaux, où est le risque de clientélisme – c’est pourtant le mot qui a été employé.

Si le parlementaire n’exerce aucun autre mandat électif, il ne disposera plus de moyens financiers lui permettant d’aider son territoire – vous conviendrez que le problème est réel !

Soulignons enfin le « deux poids, deux mesures » du Gouvernement, qui souhaite supprimer la réserve parlementaire tout en conservant les réserves ministérielles. Or, si l’on sait avec certitude que ces dernières sont utilisées à des fins politiques, on ne connaît ni leur montant ni leur destination. En outre, à ces réserves ministérielles s’ajoutent les sommes allouées aux associations sous forme de subventions : en 2015, l’État a distribué près de 2,06 milliards d’euros de subventions aux associations, en toute opacité.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Il faudra toutes les contrôler !

M. Alain Fouché. L’exigence de transparence doit être la même pour tout le monde.

S’agissant des incompatibilités, le texte est encore trop imprécis. En l’état, un avocat qui exerce en droit des affaires et qui aura créé son cabinet dans les douze mois précédant le premier jour du mois de son entrée en fonction au Parlement ne pourra poursuivre son activité. Au moment où il se lance, d’ailleurs, il n’est certain ni d’être investi par son parti ni d’être élu.

On lui demanderait donc de perdre son travail et sa clientèle naissante, alors que l’avocat qui exerce depuis vingt ans, lui, pourrait continuer son activité ! Une telle mesure, qui revient à discriminer la jeunesse, favorisera inévitablement la professionnalisation de la vie politique.

A contrario, sauf erreur de ma part, rien n’empêche le salarié d’une société de lobbying de se présenter aux élections. Le lobbying est une activité de conseil ; nous, parlementaires, sommes sollicités chaque semaine, invités dans les plus grands restaurants de Paris, par de telles sociétés, qui sont financées par des entreprises publiques, par les ministères ou par des sociétés privées.

Enfin, nous pencherons-nous un jour sur le fond du problème, en créant un véritable statut du candidat et un véritable statut de l’élu ? Il s’agit d’une vraie difficulté ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre-Yves Collombat et Bernard Lalande applaudissent également.)

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, messieurs les rapporteurs de la commission des lois et de la commission des finances, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer sincèrement le travail de fond réalisé en peu de temps par nos collègues des commissions saisies.

L’examen de ce projet de loi et de ce projet de loi organique rétablissant la confiance dans l’action publique est en effet très attendu par nos concitoyens.

Certes, en la matière, depuis de nombreuses années, plusieurs textes ont été adoptés – notre collègue Jean-Pierre Sueur a évoqué quelques dates, dont certaines sont lointaines. S’agissant de la transparence, la mise en place de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la publication des déclarations de patrimoine, la lutte contre les conflits d’intérêts, sont de bons exemples du travail déjà effectué.

Parce que nous exerçons des mandats locaux et nationaux, nous nous devons de rendre des comptes. L’éthique, la morale, la transparence, l’exemplarité, sont des priorités. D’où l’importance des hautes juridictions, telles que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, et des tribunaux administratifs.

Depuis plusieurs années, sur l’initiative du président Gérard Larcher et du bureau du Sénat, nous avons été très sensibilisés, chacun à titre personnel, aux questions de rigueur et d’exemplarité, concernant notamment l’utilisation de l’IRFM. De ce point de vue, je partage tout à fait, comme bon nombre de mes collègues, les propos du président Philippe Bas. Nous devons être exemplaires par respect pour nos électeurs et, en l’occurrence, s’agissant de la Haute Assemblée, pour nos grands électeurs.

Pour cette même raison, je défends par ailleurs la loi sur le non-cumul des mandats, en particulier des indemnités. Nous sommes responsables de l’argent public ; élus, nous le sommes pour servir l’intérêt général. Le dévouement des élus locaux et nationaux mérite d’ailleurs d’être souligné, et je vous remercie, madame la garde des sceaux, de votre témoignage en ce sens.

Les textes dont nous nous apprêtons à débattre en séance publique sont très attendus, et nous n’avons pas droit à l’erreur. Il ne s’agit pas de rendre les contrôles plus complexes, mais de rétablir la confiance. C’est une priorité !

Je voudrais en quelques mots évoquer le problème de l’emploi des collaborateurs parlementaires – il en a déjà été question. Au sein de la Haute Assemblée, grâce notamment à l’AGAS, l’Association pour la gestion des assistants de sénateurs, et à sa présidente, Mme Françoise Cartron, un travail est effectué régulièrement pour que la confiance règne. Les contrats de travail, signés par les sénateurs employeurs et par leurs salariés, sont établis avec beaucoup de rigueur. Nous rendons compte d’un temps de travail, par semaine et par mois, qui correspond à des missions effectives.

Mon cas personnel servira d’exemple : je n’ai pas de collaborateur à Paris ; deux collaboratrices travaillent pour moi, réellement, à temps partiel, dans le département des Ardennes, avec efficacité et conviction. Elles n’ont absolument aucun lien de parenté avec moi. Ma suppléante, quant à elle, est totalement bénévole. Il s’agit là d’une petite équipe ; la plupart de mes collègues se reconnaîtront dans mon modeste exemple.

Autre sujet sensible : la réserve parlementaire.