Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je ne saurais commencer mon propos sans saluer non seulement le travail approfondi, mais aussi l’effort de synthèse particulièrement éclairant réalisés par notre rapporteur ; sans rappeler non plus que nous continuons à penser que réformer le code civil doit d’abord être l’affaire du Parlement, avant d’être celle des fonctionnaires du ministère de la justice, aussi brillants et consciencieux soient-ils.

Cela dit, ce n’est pas principalement la procédure des ordonnances qui est critiquable en soi – tous les correctifs sont en effet possibles au moment de leur ratification –, c’est leur mise en application avant ratification, qui crée un droit spécifique à cette période de transition et bride d’autant la liberté de manœuvre du législateur. Législateur qui, pour éviter – avec raison – cette complication supplémentaire, en tient compte au moment de la ratification. Il ne faudrait pas, cependant, que ces retards dans la ratification des ordonnances deviennent un moyen de pression sur le Parlement. Comment dit-on déjà ?... Ah oui, « Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes » !

Mme Nathalie Goulet. Nemo auditur

M. Pierre-Yves Collombat. Cela rappelé, notre groupe considère que ce texte atteint au moins deux de ses objectifs.

Le premier : rendre le droit des obligations plus lisible et plus accessible, en y intégrant une foisonnante jurisprudence.

Le deuxième : renforcer la protection de la partie faible en introduisant la notion de bonne foi à toutes les étapes de la conclusion du contrat et celle de vice du consentement pour tenir compte de la violence de la vie économique ; en corrigeant les éventuels déséquilibres entre les parties ; et en consacrant le devoir général d’information.

Notre groupe ne voit donc aucune raison de s’opposer à cette révision.

Quant au troisième objectif – rendre notre droit plus attractif en adaptant le code civil aux besoins de l’activité économique, affichage désormais obligatoire de la France start-up –, il me laisse rêveur. D’abord, parce qu’un droit qui chercherait à être « attractif » pour l’une des parties le serait forcément, me semble-t-il, au détriment de l’autre. Ce serait contraire au but de la réforme. Ensuite, parce que tout le monde, y compris des chefs d’entreprise anglo-saxons, ne partage pas ce dédain pour notre droit. Il m’est arrivé de lire des témoignages de chefs d’entreprise anglo-saxons vantant la prévisibilité des jugements dans notre pays, par opposition au caractère plus aléatoire qu’ils peuvent revêtir dans le leur.

Nous approuvons aussi la plupart des modifications apportées par notre rapporteur au texte initial, à l’exception de quelques-unes.

Nous sommes principalement en désaccord avec la suppression du pouvoir de révision du contrat par le juge dans le cadre du nouveau régime de l’imprévision prévu à l’article 1195 du code civil, au motif qu’ainsi le juge deviendrait quasiment une troisième partie au contrat. Cela nous semble un jugement pour le moins excessif et surtout en contradiction avec l’esprit général de la révision, qui est d’éviter les déséquilibres entre les parties. On peut penser, en l’espèce, au déséquilibre créé par un changement imprévisible de la situation, lequel pénalise une des parties seulement.

Il ne nous paraît pas non plus opportun de modifier la rédaction du premier alinéa de l’article 1223. La rédaction actuelle, qui dispose que « le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix », nous paraît plus souple et tout aussi équitable que celle proposée par notre rapporteur.

Enfin, restreindre la notion de dépendance en la qualifiant d’« économique » ne nous paraît pas non plus un choix judicieux.

Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des amendements que ces observations ont suscités.

Réviser intelligemment le code civil n’est cependant qu’un préalable. Reste à appliquer cette révision, qui suscitera inévitablement une période de flottement, et donc probablement un surcroît de contentieux, et qui demandera que les juges civilistes dégagent suffisamment de temps pour s’approprier toutes ces nouveautés.

Je ne ferai, pour terminer, que reprendre les observations de l’Union syndicale des magistrats en conclusion de la note qu’elle consacre au présent projet de réforme, attirant une fois encore « l’attention de la Chancellerie sur le nombre inégalé de vacances de postes de magistrats, sur la surcharge généralisée des collègues, sur l’impossibilité d’absorber à moyens constants des nouvelles tâches et sur l’absolue nécessité d’inclure dans le calcul des ETP les temps consacrés à l’étude des modifications législatives ». Comment ne pas s’associer à ces propos ? Je donne donc rendez-vous au Gouvernement au projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Alain Richard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à la suite des inquiétudes exprimées par certains chefs d’entreprise, la délégation aux entreprises du Sénat avait souhaité, dès septembre 2016, être associée aux travaux de la commission des lois sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance de février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. J’ai été chargée, par la délégation, d’examiner l’impact de cette ordonnance sur les entreprises.

Si je m’exprime au nom du groupe Union Centriste, mes propos s’appuieront donc largement sur les auditions auxquelles j’ai pu participer avec le rapporteur de la commission des lois, François Pillet, que je remercie pour son accueil et pour le grand intérêt, et même l’enrichissement, que j’ai trouvé à ces entretiens.

Je voudrais avant toutes choses rappeler, à mon tour, quelques points de contexte.

Cette réforme était largement attendue par l’ensemble des acteurs du droit, mais aussi du monde économique. Dès 2006, la chambre de commerce et d’industrie de Paris souhaitait cette modernisation, « à l’heure où le droit constitue non seulement un outil de régulation des échanges, mais aussi un facteur de compétitivité économique ». En 2008, elle indiquait à nouveau : « L’enjeu [de la] modernisation [du droit des contrats] ne se situe pas seulement sur un plan strictement juridique, mais s’appréhende également en termes de compétitivité de notre système juridique et d’attractivité de notre territoire. » Elle concluait : « L’impact et les retombées économiques attendus d’une telle réforme sont loin d’être négligeables. » Le rapport accompagnant l’ordonnance souligne fortement la notion d’efficacité économique du droit.

Je voudrais également évoquer la marge « limitée » des pouvoirs du législateur pour modifier une ordonnance déjà entrée en vigueur. L’exercice n’était pas simple pour notre rapporteur, puisqu’il s’agissait d’éviter une nouvelle source d’insécurité juridique, un troisième droit transitoire, tant redouté des entreprises françaises, qui ne cessent de réclamer une plus grande stabilité du droit.

Lors de ces auditions, l’ensemble des intervenants ont largement salué cette réforme. Le MEDEF a souligné l’intérêt de renforcer la sécurité juridique et de tendre à un plus juste équilibre entre la modernisation du droit français et le maintien de ses principes fondamentaux que sont la liberté contractuelle, la force obligatoire du contrat et son effet relatif.

Le Haut Comité juridique de la place financière de Paris a rendu le 10 mai dernier un rapport, rédigé sous la présidence de Guy Canivet, soulignant la contribution de cette réforme à l’attractivité du droit français.

Les auditions ont toutefois montré que le texte de cette ordonnance était entaché d’imperfections incontestables et manifestes, que notre rapporteur a mises en évidence et dont la plupart ont été reconnues par la Chancellerie.

Le groupe Union Centriste partage les propositions d’interprétation des dispositions du code civil issues de l’ordonnance, tout comme les amendements adoptés en commission. Ces propositions permettront véritablement de clarifier le sens de la loi.

Certains commentaires faisaient craindre un pouvoir exorbitant d’interprétation accordé au juge. Pour ma part, paradoxalement, j’ai été frappée par l’appel incessant des universitaires, mais également des magistrats, à préciser lors de nos débats ces notions et dispositions floues, afin d’éclairer leurs interprétations et d’éviter d’éventuels préjudices aux entreprises.

L’approche retenue par M. le rapporteur clarifie l’articulation entre droit commun et droit spécial, notamment en matière de clauses abusives. Ainsi, l’article 1171 du code civil ne doit pas, selon nous, s’appliquer dans les champs déjà couverts par des articles du code du commerce ou du code de la consommation. Elle précise les modalités de l’application de la loi dans le temps, notamment pour les contrats renouvelés et les contrats prorogés. L’amendement tendant à modifier l’article 9 complète cette précision, en affirmant l’impératif de survie de la loi ancienne, pour les contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.

L’article 1195 du code civil a également été modifié. En privant le juge de son nouveau pouvoir de révision du contrat, la commission des lois met fin à une incertitude préjudiciable tant à la vie des entreprises qu’au droit français, lequel risquait d’être écarté en raison de l’aléa économique qu’entraînait cette disposition. Ainsi, les parties pourront toujours demander d’un commun accord au juge d’adapter le contrat. À défaut d’accord, ce dernier pourra y mettre fin.

Un mot sur la modification de l’article 1343-3, qui limite le paiement en devises internationales aux seuls cas prévus par des contrats internationaux ou des jugements étrangers. La modification opérée par la commission des lois répond aux interrogations des acteurs économiques. J’interviendrai au cours de l’examen des amendements pour évoquer le risque que représente aujourd’hui l’extraterritorialité du droit américain, par exemple.

Vous le comprenez, mes chers collègues, l’objectif de sécurité juridique pour nos entreprises a requis de trouver un subtil équilibre : il a fallu préserver la stabilité d’un texte déjà en vigueur et procéder aux nécessaires clarifications attendues par les professionnels du droit. Le texte de la commission des lois, produit grâce aux travaux de François Pillet, permet de réaliser cette sage synthèse.

Je voudrais, pour terminer, revenir sur l’efficience de notre action, madame la garde des sceaux, qu’elle soit gouvernementale ou parlementaire, et sur la procédure choisie par le Gouvernement. Il n’est pas acceptable que le Parlement soit saisi d’un projet de loi de ratification d’une ordonnance un an après son entrée en vigueur. On le voit bien, dans l’intérêt des entreprises et des acteurs du droit, ce débat aurait dû se tenir en amont. Nous comptons donc sur le Gouvernement pour bâtir, à l’avenir, une stratégie plus constructive et respectueuse des missions confiées à chacun par les Français. Contourner le Parlement, on le voit dans ce cas précis, c’est créer une situation d’insécurité et donc de fragilité juridiques.

Dans sa sagesse, le Sénat, propose une ratification qui va dans le sens des intérêts des entreprises et du droit français. Nous espérons toutefois que cette méthode du « passage en force » ne se renouvellera pas et que nous pourrons engager, notamment sur le dossier du régime de la responsabilité contractuelle, un travail législatif sérieux et partagé.

Le groupe Union Centriste demeure attentif aux réalités et aux besoins des acteurs économiques de notre pays, notamment des petites et moyennes entreprises, les moins adaptées face aux bouleversements juridiques induits par cette réforme du droit des contrats. Nous serons vigilants aux retours émanant du terrain, aux effets collatéraux, voire aux bugs législatifs que cette réforme pourrait révéler dans les prochains mois. Nous suivrons les effets internationaux de cette réforme, au regard des objectifs affichés d’attractivité et de compétitivité du droit français, mais également ses conséquences sur la perméabilité de notre droit, dans un contexte où l’extraterritorialité du droit américain pose problème. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Alain Richard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Madame la garde des sceaux, finalement, le Sénat va se montrer bon enfant à l’égard du Gouvernement, alors qu’il n’était pas favorable au transfert de ses compétences par une loi d’habilitation prévue par la loi du 16 février 2015. Même si un travail considérable a été fait sur ce texte par les juristes, les membres du cabinet de votre prédécesseur, ainsi que par différentes directions de la Chancellerie, notamment la direction des affaires civiles, que je salue, le Sénat aurait très bien pu décider de modifier de très nombreuses dispositions. Dans sa grande sagesse, sous le regard de Portalis, le rapporteur n’a pas choisi cette voie.

Il faut dire que, depuis lors, vous l’aurez noté, des choses ont changé. Le rapporteur de l’époque, M. Thani Mohamed Soilihi, alors totalement opposé au projet de loi d’habilitation, est entre-temps devenu Marcheur. Il a estimé que l’habilitation à légiférer par ordonnances en matière de droit du travail était possible... Même au sein de l’hémicycle, des positions ont évolué. Ceci explique sans doute cela.

Pourtant, à regarder l’histoire du code civil, on mesure à quel point il a considérablement bougé, grâce à des lois spécifiques. Le texte de 1804 n’est plus celui qui régit le droit du travail, alors qu’il le régissait encore à la fin du XIXsiècle, dans les conditions que l’on connaît. Il ne régit plus les locations d’habitation ou les baux commerciaux. Il a bien fallu que le législateur intervienne pour offrir plus de protections.

Nous ne devons certes pas bouleverser l’équilibre du texte qui est soumis à ratification aujourd’hui. Les commentateurs juridiques se l’étant déjà approprié, ils comprendraient mal que nous décidions de le trop modifier ; ils pourraient même critiquer l’attitude du Sénat.

Le travail fait sur ce texte mérite d’ailleurs d’être salué. Il est le fruit de dix années de réflexion des techniciens, des spécialistes, des juristes, mais aussi des professionnels concernés : chambres de commerce, MEDEF et autres, qui ont été interrogés. Il fait la compilation de ce que la jurisprudence a construit depuis de nombreuses années. Cette clarification était attendue. Le gouvernement qui a précédé celui auquel vous appartenez, madame la garde des sceaux, a eu le courage de lancer ce chantier et de le mener à bien. On peut lui reprocher de ne pas être venu devant le Sénat avant, mais c’était probablement pour vous laisser l’occasion de le faire. (Sourires.)

L’évolution proposée par le présent texte repose aussi sur l’abandon de certains concepts. Pour les civilistes, la distinction subtile entre l’objet et la cause du contrat était devenue à peu près impraticable et difficilement explicable à nos étudiants en cours de droit. L’abandonner est une bonne chose, même si certains éprouveront peut-être une forme de nostalgie à son endroit.

En revanche, les principes affirmés dans le texte restent nécessaires et fondamentaux.

Je pense à la notion de liberté contractuelle, ce qu’on appelait jadis l’autonomie de la volonté, qui doit rester, dans le domaine du droit des contrats, l’action principale.

Je pense aussi à la sécurité contractuelle, qui est très attendue par le monde économique : les dispositions écrites doivent être pérennes et trouver à s’appliquer.

Je pense enfin à un principe non négligeable, qui pourrait paraître aux yeux de certains un peu désuet, alors qu’on le retrouve dans d’autres droits européens : la bonne foi, autrement dit la loyauté contractuelle. Rappeler le principe de la bonne foi, le décliner dans différents textes sur l’exécution du contrat et parvenir à ce que les juges amenés à trancher des contentieux vérifient qu’il est respecté par les parties est important.

Il est regrettable que le Parlement n’ait pas plus travaillé sur le contenu de ce texte. Nous parlons beaucoup, ici, des enjeux économiques. Or le droit des obligations est fondamental dans le monde économique, qui a besoin de sécurité, d’efficacité – afin d’éviter les contentieux et les interprétations complexes –, mais aussi d’équité.

L’équité, en effet, ne concerne pas que la relation du faible au fort. Portalis en parlait déjà : l’équité suppose de s’intéresser à la manière dont un contrat est construit. Avec ce texte, apparaît enfin dans le code civil la notion de contrat d’adhésion, construite par la jurisprudence, mais avec une énorme frilosité. Il suffit de regarder les résolutions du Conseil de l’Europe de 1976 sur les clauses abusives pour se rendre compte du chemin qui reste à parcourir en la matière. Même les directives européennes ne nous ont pas aidés pour engager une lutte véritablement satisfaisante contre ces clauses.

Fort heureusement, l’introduction des contrats d’adhésion dans le code civil concernera aussi les petites entreprises, souvent confrontées à ces situations. Désormais, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. Pour celui qui rédige le contrat d’adhésion, cela entraîne une incertitude sur la fiabilité de son contrat. S’il veut que le contrat soit sûr, il a donc intérêt à ce qu’il soit équilibré.

Dans ce même domaine, l’ordonnance ouvre un champ nouveau en matière d’imprévisibilité. En cas d’événement mettant une des parties au contrat en difficulté par sa simple exécution, ou rendant l’exécution même du contrat difficile, quel doit être le rôle du juge ? Doit-il seulement, comme le propose notre rapporteur, constater qu’il n’y a pas d’accord entre les parties et prononcer la résolution du contrat ? Ou peut-il aller jusqu’à sa révision ? Il faut sans doute permettre d’aller jusqu’à la révision, parce que l’intérêt des parties est de réussir.

Si nous revenons aux dispositions prévues dans l’ordonnance, le juge, même si ce n’est pas simple, pourra jouer son rôle de conciliation. Il écoutera les parties et élaborera une solution. Permettre à l’une des parties de saisir le juge pour qu’il révise le contrat me paraît utile : il n’est pas forcément de l’intérêt des parties qu’il le résilie.

Vous l’aurez compris, madame la garde des sceaux, notre groupe, comme la majorité du Sénat, tout en regrettant l’habilitation de fait du présent texte depuis un an, respectera le travail fourni pour élaborer ce texte en l’approuvant pour l’essentiel. Notre ambition est d’éviter l’insécurité juridique pour les parties aux contrats soumis aux dispositions de cette ordonnance depuis le 1er octobre 2016.

Il faut savoir, néanmoins, que rien n’est terminé : les parlementaires auront fait leur travail, certes sous contrainte, mais la jurisprudence continuera à faire évoluer le droit, car les textes sont toujours sujets à interprétation. Les commentateurs auront encore du travail, et peut-être que le Sénat aussi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais, en préambule, reprendre une citation bien connue : « Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil. » En formulant ces vœux d’éternité, Napoléon ne croyait pas si bien dire puisque, plus de deux cents ans après, l’héritage de son code civil est toujours là.

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a toutefois procédé à une refonte d’ampleur du code civil en consolidant, modernisant et clarifiant un droit défraîchi, sans pour autant le bouleverser ni constituer une rupture.

En 2015, le Sénat tout entier s’était opposé à ce que le Gouvernement procédât par ordonnance à la réforme la plus ambitieuse du code civil depuis 1804.

Il y a un an, le 1er octobre 2016, l’ordonnance est entrée en vigueur. Lors des travaux en commission, il est apparu particulièrement important de ne pas créer un droit intermédiaire, qui ne s’appliquerait qu’aux contrats passés entre octobre 2016 et la promulgation de la loi de ratification, afin d’éviter de faire coexister trois régimes juridiques simultanément. C’est pourquoi le rapporteur François Pillet a estimé qu’il fallait ratifier l’ordonnance sans modifications majeures. À l’avenir, il serait souhaitable que les ordonnances soient soumises à ratification avant leur entrée en vigueur. Il y va de la stabilité du droit.

Cette réforme de grande ampleur du droit des contrats et des obligations effectuée par ordonnance sera suivie d’une tout aussi grande réforme du droit de la responsabilité civile, qui fera, quant à elle, l’objet d’un projet de loi, ce dont on peut tous se féliciter.

Globalement, cette réforme du code civil affecte le droit des contrats sur deux points : elle codifie les acquis de la jurisprudence ; elle réorganise les dispositions du code en intégrant certaines innovations et en supprimant certaines notions.

Les consécrations et changements ainsi opérés par la réforme du droit des contrats sont particulièrement importants. On peut relever la disparition formelle de la cause, la sanction des clauses abusives dans les contrats d’adhésion, la violence par abus d’un état de dépendance, les demandes faites sous forme interrogatoire, le maintien du contrat comme sanction de sa mauvaise formation, l’intégration de la théorie de l’imprévision, l’exception pour inexécution à venir, la paralysie de l’exécution forcée en cas de disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier, la faculté de remplacement sans autorisation du juge, ou encore la modification de la hiérarchie des différents mécanismes de résolution pour inexécution.

Après avoir examiné le rapport de François Pillet sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016, la commission des lois a adopté quatorze amendements de clarification, de précision ou de mise en cohérence.

Ainsi, la commission a précisé la définition du contrat d’adhésion et le champ de la sanction des clauses abusives dans ces contrats, ainsi que les critères autorisant le paiement en devises sur le territoire français. Elle a mieux articulé les règles en matière de capacité et de représentation avec le droit des sociétés. Elle a supprimé le pouvoir de révision du contrat par le juge en cas de changement imprévisible de circonstances. Enfin, elle a affirmé clairement que cette loi nouvelle ne doit pas s’appliquer aux contrats conclus antérieurement.

Par ailleurs, la commission des lois a apporté un certain nombre de clarifications concernant notamment la distinction entre règles impératives et supplétives et l’articulation entre droit commun et droit spécial.

Avant de conclure, je souhaite remercier à cette tribune le rapporteur de ce texte. Le travail qu’il a accompli sur un texte aussi volumineux est colossal.

Cette réforme du code civil apparaissant nécessaire et la commission ayant apporté au texte les corrections de nature à répondre aux critiques les plus fondées et légitimes, le groupe République et Territoires/Les Indépendants votera en faveur de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. (Applaudissements sur les travées du groupe République et Territoires/Les Indépendants. – M. Alain Richard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, lors de la publication de l’ordonnance du 10 février 2016, beaucoup ont rappelé le défi particulier de porter des modifications au code civil, un texte sanctuarisé en raison de la fierté qu’en tirait Napoléon, l’éminence de ses prestigieux auteurs et le poids des années écoulées. Pendant des siècles en effet le syndrome de la « main tremblante », moqué par Montesquieu, a tenu le livre III du code hors de portée du législateur. Il s’agit donc de féliciter ceux qui, à la suite du professeur Catala, se sont attelés à cette tâche fastidieuse et exigeante.

Une actualisation était nécessaire : l’évolution parallèle des droits de la consommation et de la concurrence, d’une part, et de la jurisprudence en matière civile, d’autre part, a généré un autre défaut dénoncé par l’auteur des Lettres persanes : « Quelques-uns ont affecté de se servir d’une autre langue que la vulgaire : chose absurde pour un faiseur de lois. Comment peut-on les observer, si elles ne sont pas connues ? »

De même, le maintien de règles éparses ou contestables, comme le sont les constructions jurisprudentielles, faisait obstacle à une application sereine du droit.

Cependant, si nous nous contentions de ratifier des ordonnances au seul motif qu’elles codifient à droit constant, sans analyser les règles dégagées par la jurisprudence ainsi érigées en loi ni se laisser la possibilité d’en débattre, nous manquerions à notre devoir de législateur.

Lors de notre examen du texte au sein du groupe du RDSE, nous avons veillé à ce que les modifications introduites ne s’éloignent pas de l’esprit de 1804, tel que résumé par Portalis lors de son discours préliminaire au premier projet de code civil : « Un homme qui traite avec un autre homme doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations convenables, et ne pas négliger ce qui est utile. L’office de la loi est de nous protéger contre la fraude d’autrui, mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison. »

C’est pourquoi nous voyons d’un bon œil toute évolution tendant à situer l’individu contractant dans le champ de la rationalité plutôt que de la moralité, par essence évolutive. La promotion du principe de la liberté contractuelle et la suppression de la notion de bonnes mœurs comme limite à ce principe sont des évolutions essentielles. La liberté contractuelle en sort renforcée : seul s’impose à elle le respect de l’ordre public et des droits et libertés fondamentaux, réputés immuables.

L’effort d’actualisation est incontestable. Il se manifeste par la suppression des anachronismes, telles les notions de bonnes mœurs, que j’évoquais à l’instant, ou encore de gestion « en bon père de famille », leur utilité juridique n’étant plus évidente.

De la même façon sont insérés dans le livre III de nouveaux concepts adaptés à la transformation de la pratique contractuelle, tels les contrats d’adhésion ou les contrats conclus par voie électronique. Ils couvrent aujourd’hui une part substantielle des échanges économiques sur notre territoire : leur inscription au sein du code permet plusieurs clarifications, qui nous semblent aller dans le bon sens.

Il en est ainsi de la protection contre les clauses abusives d’un contrat d’adhésion, qui ne s’applique plus seulement aux consommateurs, mais à tous les souscripteurs de ce type de contrats, et des dispositions visant à insérer les règles relatives au contrat électronique dans le droit commun, plus de quinze ans après la directive européenne sur le commerce électronique.

Il faut à ce propos saluer le renforcement de la protection de la « partie faible », qui entérine et parfois même dépasse les équilibres jurisprudentiels existants. Nous considérons ainsi que l’introduction de la théorie de l’imprévision au sein du code civil permettra d’apaiser les relations contractuelles, en garantissant mieux l’équilibre financier du contrat.

La création d’un « devoir général d’information » procède de la même logique. Elle est conforme à l’esprit de 1804 que j’évoquais à l’instant. Protéger, c’est sanctionner la fraude, mais également la prévenir.

Bien entendu, on ne réécrit pas près de 300 articles sans créer quelques incertitudes, et certains ajustements seront peut-être nécessaires par la suite, en fonction de la portée donnée à telle ou telle disposition. Je pense notamment à la définition de la dépendance économique.

Dans l’ensemble, nous sommes très favorables à la ratification de cette ordonnance, qui modernise notre droit des contrats et des obligations, tout en intégrant dans le code civil une partie de l’acquis des droits des consommateurs.

À l’approche des débats budgétaires, nos inquiétudes sont ailleurs. Comme ceux qui l’ont précédé, ce gouvernement semble faire le pari que le renforcement de la sécurité juridique permettra à lui seul de réduire les recours au juge et de désengorger les tribunaux. La situation budgétaire de l’autorité judiciaire est pourtant devenue si critique qu’elle surgit en toute occasion et qu’elle est désormais présentée comme un obstacle à la mise en place de chaque réforme. Nous considérons qu’à l’avenir des moyens supplémentaires devraient être réservés pour accompagner l’adaptation des magistrats à de telles évolutions législatives, dans un souci de bonne administration de la justice.

Une fois exprimée cette réserve, les membres du groupe du RDSE voteront en faveur de la ratification de cette ordonnance. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)