compte rendu intégral

Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Françoise Gatel,

M. Guy-Dominique Kennel.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 11 octobre 2017 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Demande d’avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. Conformément aux articles 56 et 13 de la Constitution, M. le président du Sénat a saisi la commission des lois pour qu’elle procède à l’audition et émette un avis sur la nomination de Mme Dominique Lottin, qu’il envisage de nommer aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, en remplacement de Mme Nicole Belloubet.

Acte est donné de cette communication.

3

Candidature à une commission

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

Modifications de l’ordre du jour

Mme la présidente. Par lettre en date du 12 octobre 2017, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, a demandé l’inscription dans son espace réservé du jeudi 26 octobre d’un débat sur le thème : « Logement social : sur quels territoires, comment et pour qui demain ? ».

Ce débat sera inscrit, au sein de cet espace réservé, avant l’examen de la proposition de loi tendant à simplifier certaines obligations applicables aux collectivités territoriales dans le domaine du service public d’eau potable.

Le président du groupe Union Centriste a également demandé que la durée de la discussion générale sur cette proposition de loi soit réduite d’une heure à trente minutes.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

Par lettre en date de ce jour, M. Claude Malhuret, président du groupe République et Territoires/Les Indépendants, a demandé l’inscription de deux débats dans l’espace réservé à son groupe du mercredi 25 octobre, sur les thèmes suivants :

- L’intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux ;

- La participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives.

Les débats inscrits dans ces espaces réservés pourraient être organisés sous la forme de questions-réponses, selon le principe retenu par la conférence des présidents réunie le 5 octobre dernier.

L’organisation proposée par la conférence des présidents pourrait faire l’objet d’un ajustement. Le nombre de questions passerait de 17 à 21, avec la répartition suivante :

Les Républicains : 6 questions ;

Socialiste et républicain : 4 questions ;

Union Centriste : 3 questions ;

La République En Marche : 2 questions ;

Rassemblement Démocratique et Social Européen : 2 questions ;

Communiste républicain citoyen et écologiste : 2 questions ;

République et Territoires/Les Indépendants : 1 question ;

Non-inscrits : 1 question.

Si les non-inscrits n’utilisaient pas leur question, elle serait attribuée au groupe Les Républicains.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

Enfin, le Sénat ne siégerait pas le soir du mardi 31 octobre.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

En conséquence, l’ordre du jour des mercredi 25, jeudi 26 et mardi 31 octobre 2017 s’établit comme suit :

Mercredi 25 octobre 2017

De 14 h 30 à 18 h 30

(Ordre du jour réservé au groupe République et Territoires / Les Indépendants)

- Débat : « Intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux »

• Temps attribué au groupe République et Territoires / Les Indépendants : 10 minutes (y compris la réplique), puis réponse du Gouvernement

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 21 questions-réponses : 2 minutes maximum par orateur (y compris la réplique) avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 24 octobre à 15 heures

- Débat : « Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives »

• Temps attribué au groupe République et Territoires/Les Indépendants : 10 minutes (y compris la réplique), puis réponse du Gouvernement

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 21 questions-réponses : 2 minutes maximum par orateur (y compris la réplique) avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 24 octobre à 15 heures

À 18 h 35

- Débat : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité » (demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable)

• Temps attribué à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable : 10 minutes (y compris la réplique), puis réponse du Gouvernement

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 21 questions-réponses : 2 minutes maximum par orateur (y compris la réplique) avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 24 octobre à 15 heures

Jeudi 26 octobre 2017

À 15 heures

- Questions d'actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l'inscription des auteurs de questions : jeudi 26 octobre à 11 heures

De 16 h 15 à 20 h 15

(Ordre du jour réservé au groupe Union Centriste)

- Débat : « Logement social : sur quels territoires, comment et pour qui demain ? »

• Temps attribué au groupe Union Centriste : 10 minutes (y compris la réplique), puis réponse du Gouvernement

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 21 questions-réponses : 2 minutes maximum par orateur (y compris la réplique) avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 25 octobre à 15 heures

- Proposition de loi tendant à simplifier certaines obligations applicables aux collectivités territoriales dans le domaine du service public d'eau potable, présentée par MM. Bernard Delcros et René Vandierendonck et plusieurs de leurs collègues (n° 703, 2016-2017)

Ce texte a été envoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 18 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 23 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 25 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 30 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 25 octobre à 15 heures

Mardi 31 octobre 2017

À 14 h 30

- Éventuellement, suite de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice (n° 641, 2016-2017) et de la proposition de loi organique pour le redressement de la justice (n° 640, 2016-2017), présentées par M. Philippe Bas (demandes de la commission des lois et du groupe Les Républicains)

- Proposition de loi tendant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d'accueil des gens du voyage, présentée par M. Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues (n° 557, 2016-2017), en examen conjoint avec la proposition de loi visant à renforcer et rendre plus effectives les sanctions en cas d'installations illégales en réunion sur un terrain public ou privé, présentée par M. Loïc Hervé et plusieurs de ses collègues (n° 680, 2016-2017) (demande du groupe Les Républicains) (rapport commun)

Ces textes ont été envoyés à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 23 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 25 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 30 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 31 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 30 octobre à 15 heures

À 16 h 45

- Questions d'actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l'inscription des auteurs de questions : mardi 31 octobre à 12 h 30

À 17 h 45

- Suite de la proposition de loi tendant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d'accueil des gens du voyage, présentée par M. Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues (n° 557, 2016-2017) (demande du groupe Les Républicains), en examen conjoint avec la proposition de loi visant à renforcer et rendre plus effectives les sanctions en cas d'installations illégales en réunion sur un terrain public ou privé, présentée par M. Loïc Hervé et plusieurs de ses collègues (n° 680, 2016-2017)

5

 
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Discussion générale (suite)

Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (projet n° 578 [2016-2017], texte de la commission n° 23, rapport n° 22).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec grand plaisir que je viens devant vous pour évoquer l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, qui a permis à la France de se doter enfin d’un droit des obligations modernisé, accessible et attractif. Le Gouvernement vous propose de ratifier explicitement ce texte, comme l’engagement en avait été pris en 2015, alors même que votre assemblée avait exprimé clairement et fermement son opposition au principe de l’habilitation.

Je ne reviendrai pas sur ce débat, qui est maintenant derrière nous. Je crois en effet que, au-delà des questions de méthode, nous pouvons nous accorder pour affirmer que cette réforme historique, entrée en vigueur depuis un an maintenant, était devenue urgente et indispensable. En effet, alors que des pans entiers de notre code civil avaient été rénovés au cours des décennies précédentes, notamment dans le domaine du droit de la famille, que des pays qui s’étaient pourtant autrefois inspirés du code Napoléon s’étaient depuis affranchis de ce modèle, jugé trop ancien pour demeurer source d’inspiration, et n’avaient pas attendu pour réformer leur propre droit des obligations, le droit français des obligations était, lui, toujours régi par des dispositions inchangées depuis 1804.

Depuis ce constat, formulé à l’occasion du bicentenaire du code civil, en 2004, ni le principe ni l’urgence de la réforme n’avaient été remis en cause. Pourtant, rien n’avait été fait ; aucun processus législatif n’avait été enclenché. L’habilitation accordée au Gouvernement en 2015 a permis de mener cette réforme dans des conditions de publicité tout à fait exemplaires, que je veux rappeler aujourd'hui devant vous.

L’avant-projet d’ordonnance a été transmis aux présidents de la commission des lois de chaque assemblée au moment du débat de 2015. Ce texte s’appuyait sur des travaux menés sous l’égide des professeurs Catala et Terré, qui avaient étudié ces sujets pendant plus de cinq ans, entre 2005 et 2011. Ces projets doctrinaux s’étaient par ailleurs enrichis des apports des professionnels du droit et des acteurs économiques.

Dès le vote de l’habilitation acquis – en 2015 –, la Chancellerie a rendu public un projet d’ordonnance, qui a alors été soumis à une très vaste consultation publique, d’une part, sur le site internet du ministère et, d’autre part, adressée directement aux administrations concernées, aux représentants des professions du droit, des milieux économiques ainsi qu’aux universitaires. Cette large consultation, qui a été ouverte pendant plus de deux mois, a permis de recueillir près de 300 contributions, représentant plus de 3 200 pages, émanant d’universitaires, de praticiens, de représentants des entreprises. Chacune de ces pages a été lue et analysée par la direction des affaires civiles et du sceau, que je remercie du travail qu’elle a effectué. De très nombreuses réunions de travail ont été organisées avec l’ensemble des parties intéressées, afin de leur soumettre les modifications envisagées à la suite de cette consultation publique.

L’ordonnance, qui a été publiée le 10 février 2016, n’est donc pas une œuvre élaborée dans le secret d’un bureau ministériel, ce qui n’aurait pas été acceptable. Elle est bien le résultat d’un dialogue fructueux et d’une collaboration importante.

Le seul examen comparé de l’avant-projet d’ordonnance et de l’ordonnance qui a finalement été publiée révèle l’attention portée par le Gouvernement aux critiques et aux propositions formulées dans le cadre de cette consultation. De nombreuses améliorations ont en effet été apportées au texte à la suite de celle-ci : certaines d’ordre technique, d’autres en réponse à des inquiétudes légitimes, manifestées notamment par les acteurs économiques. C’est ainsi que le champ d’application de la prohibition des clauses abusives a été restreint aux contrats d’adhésion, qu’un critère tenant à l’avantage manifestement excessif a été ajouté à la définition de l’abus de dépendance ou encore que le mécanisme de la subrogation conventionnelle a été réintroduit.

La publication de l’ordonnance sur le droit des contrats a par ailleurs été accompagnée de la publication d’un rapport de présentation au Président de la République particulièrement substantiel, de plus de 50 pages. Ce rapport constitue un remarquable outil pour éclairer le juge comme la doctrine sur les intentions du Gouvernement lors de l’élaboration de l’ordonnance et forme, depuis l’entrée en vigueur de ce texte, un guide précieux pour les praticiens.

Il aura ainsi fallu attendre près de douze années entre le lancement des travaux à l’occasion des cérémonies du bicentenaire du code civil et la publication de l’ordonnance du 10 février 2016. Comme je viens de le rappeler, ces douze années ont été particulièrement riches de contributions académiques, de réflexions, d’échanges nourris avec les acteurs économiques et les professionnels du droit. Cette méthode a entraîné l’organisation de multiples consultations et débats.

L’ordonnance, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2016, ne constitue donc pas une révolution. Elle est le fruit né progressivement et collectivement d’un travail incessant de collaboration avec les praticiens, qui ont tous eu, à tous les stades de l’élaboration du texte, l’oreille attentive de la Chancellerie.

Cette méthode de concertation, qui a été saluée par tous, a permis de mener à bien cette réforme dans le respect du double objectif fixé par la loi d’habilitation : satisfaire à l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ainsi que rendre le droit plus efficace et plus attractif, sans sacrifier l’intérêt des parties les plus faibles.

L’ordonnance consiste avant tout, et c’est le premier objectif, en une œuvre de codification de la jurisprudence. Cette jurisprudence, remarquable et abondante, s’était développée depuis deux siècles pour combler les silences du code civil ou adapter un texte devenu trop ancien aux exigences de notre société contemporaine. Par essence fluctuantes, et donc source d’insécurité juridique, ces solutions jurisprudentielles largement admises ont été inscrites dans le code civil par le texte de l’ordonnance, pour plus de prévisibilité.

L’accessibilité du droit civil a également été renforcée par l’adoption d’un plan plus clair, par un vocabulaire rénové et par des formulations plus simples, sans sacrifier à la tradition très française de concision et de clarté du code civil, indispensables à sa pérennité.

Le second objectif était le renforcement de l’efficacité et de l’attractivité du droit français. De fait, ce droit des contrats rénové réaffirmera – du moins est-il permis de l’espérer – la capacité de la France à servir de modèle en la matière. Les parties aux contrats internationaux, qui peuvent choisir la loi applicable à leurs relations, pourront désormais s’en saisir pleinement.

Dans cette perspective, au-delà de l’abandon formel de la notion de « cause », incomprise de nos partenaires européens notamment, l’ordonnance consacre dans la loi certains mécanismes issus de la pratique, tels que la cession de contrat ou la cession de dette.

L’ordonnance simplifie également d’autres dispositifs, afin d’en rendre l’utilisation plus aisée. Ainsi en est-il des formalités nécessaires à l’opposabilité de la cession de créance, assouplies en réponse aux besoins nés de la pratique.

Dans le souci de limiter le contentieux, l’ordonnance développe les remèdes unilatéraux à la disposition du créancier dans le cas d’une obligation inexécutée, pour lui permettre de réagir rapidement en cas d’inexécution. Ces remèdes lui permettent, sans avoir à attendre l’issue d’un procès, d’éviter une perte de temps et d’argent qui peut être préjudiciable à la poursuite de son activité économique.

Des solutions innovantes sont par ailleurs proposées à celui qui s’apprête à conclure un contrat ou à celui qui l’a déjà conclu, à l’image des actions interrogatoires qui lui permettent de mettre fin à une situation d’incertitude juridique, telle qu’un risque de nullité, en mettant en demeure un tiers ou son cocontractant de prendre position sur cette situation dans un certain délai.

Renforcer l’attractivité de notre droit n’impliquait pas pour autant de renoncer à nos valeurs traditionnelles et humanistes. Le texte propose à cet égard des instruments garants de la justice contractuelle, protecteurs de la partie faible, tout en étant efficaces et adaptés aux exigences de l’économie de marché.

Au-delà de la consécration générale du principe de bonne foi, l’ordonnance sanctionne ainsi l’exploitation abusive d’une situation de dépendance par un contractant ou les clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, comme cela existe déjà dans les contrats de consommation notamment. Enfin est introduite la révision du contrat pour imprévision, qui permet l’adaptation du contrat dont l’exécution est rendue excessivement difficile pour l’une des parties du fait d’un changement de circonstances indépendant de la volonté des parties.

L’ordonnance, qui a intégré notre régime juridique depuis le 1er octobre 2016 et qui a nécessité un très important effort d’adaptation de la part des praticiens, est aujourd’hui soumise pour ratification à votre assemblée. Si son entrée en vigueur est encore trop récente – elle date d’à peine un an – pour permettre d’en apprécier, en pratique, l’incidence sur le contentieux, l’équilibre semble aujourd'hui atteint entre la modernisation nécessaire et le maintien des grands principes fondateurs de notre droit des contrats.

Ainsi que la garde des sceaux d’alors s’y était engagée devant la Haute Assemblée, un projet de loi de ratification autonome a été déposé par le Gouvernement. Ce texte est inscrit à l’ordre du jour des travaux du Sénat d’aujourd'hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette ratification s’impose. Elle s’impose en raison de la confiance accordée par le Parlement pour mener à bien cette réforme substantielle et historique – je crois que le mot n’est pas trop fort même si l’objet du texte est juridique –, qui porte sur plus de 300 articles de notre code civil, socle des échanges économiques pour le simple particulier comme pour la grande entreprise ou encore pour la très petite entreprise qui ne dispose pas de service juridique. Mais cette ratification est aussi un exercice qui suppose un « grand esprit de responsabilité », comme l’a affirmé très justement votre rapporteur, M. François Pillet.

Le texte est en vigueur depuis le 1er octobre 2016 et s’applique aux seuls contrats conclus depuis cette date. Cette réforme a rendu nécessaire un important travail de mise en œuvre, en particulier de la part des professions du droit et des entreprises, qui ont dû adapter leurs pratiques. C’est pour prendre en compte ces considérations que le Gouvernement avait d’ailleurs prévu une entrée en vigueur des nouvelles dispositions différée au 1er octobre 2016.

Nous sommes donc aujourd’hui face à un enjeu puissant en termes de stabilité de notre droit.

Par des modifications substantielles du texte de l’ordonnance, nous prendrions un risque, celui de créer un nouveau droit transitoire, ce qui s’avérerait néfaste sur le plan de la lisibilité et de la sécurité juridique. En renvoyant une image d’instabilité, l’attractivité du droit français, qui est pourtant un objectif de la réforme, se trouverait gravement compromise.

Je souhaite, à cet égard, rendre hommage à l’état d’esprit qui a présidé au travail de votre commission des lois et de son rapporteur. En effet, le texte dont nous allons discuter démontre, si besoin était, que nous avons en partage, monsieur le rapporteur, l’impérieuse nécessité de préserver cette sécurité juridique. Sur certains points qui ne modifient ni le sens ni même l’esprit des textes, la commission a effectué des choix. Le Gouvernement proposera de revenir sur certains d’entre eux, dans un seul but, celui de préserver l’ordre juridique établi depuis un an maintenant et de ne pas créer, je me répète, un nouveau droit transitoire.

La majeure partie des observations formulées par les commentateurs, extrêmement nombreux, qui ont écrit depuis la publication de l’ordonnance relèvent souvent de l’interprétation des textes. À cet égard, je forme le vœu que les débats qui s’ouvrent maintenant sur cette réforme permettent au Gouvernement d’éclairer son intention et contribuent à résoudre les difficultés d’interprétation éventuelles, sans qu’il soit pour autant nécessaire de modifier substantiellement le texte.

Pour conclure, je nous convie collectivement à la prudence et à la prévoyance de Portalis, qui, dans son discours de présentation du code civil, nous mettait en garde : « Il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même ; qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative ; qu’au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ».

M. Marc-Philippe Daubresse. Je ne vous le fais pas dire…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est une étape historique dans l’adaptation de notre droit aux réalités du monde contemporain. Quand bien même elle n’atteindrait pas, aux yeux des plus sévères d’entre nous, un idéal de perfection, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, par les débats qui vont s’ouvrir, à lui donner la valeur politique et symbolique que seule sa ratification peut lui conférer. Vous la ferez ainsi mieux connaître et, qui sait, peut-être même mieux aimer de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi de ratification que nous examinons cet après-midi concerne une ordonnance qui a réformé en profondeur le droit des contrats, le régime général des obligations et le régime de la preuve des obligations.

Le Sénat s’était opposé à ce qu’il soit procédé par ordonnance, certainement par principe, mais aussi beaucoup, en l’espèce, parce que, comme l’avait souligné notre collègue Thani Mohamed Soilihi dans son rapport, s’agissant de « l’équilibre à retenir entre l’impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge, ou une modification des termes du contrat, et celui qui s’attache à l’autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu’une partie reste tenue par ces engagements même s’ils lui deviennent défavorables […], la réforme du droit des obligations pose des questions politiques majeures, qu’il revient au seul Parlement de trancher ».

Nous le pensons encore, et notre attitude restera la même face à la pratique des lois d’habilitation, même si, madame la garde des sceaux, dans le cas présent, le travail est indéniablement de qualité.

Le régime de l’imprévision ou la sanction des clauses abusives, le renforcement de l’unilatéralisme ou l’accroissement du rôle du juge sont bien des choix politiques, dont le Parlement a été privé, au prétexte que cette réforme était essentiellement technique, ce qui est faux. J’ajoute que le régime de l’imprévision va au-delà, me semble-t-il, de ce qui figurait dans l’habilitation. Mais passons…

Nous nous accordions tous à penser que cette réforme était absolument nécessaire. Il a fallu une décennie de réflexion française, aiguillonnée par des tentatives inabouties d’harmonisation européenne, deux piliers doctrinaux – l’avant-projet Catala et l’avant-projet Terré –, de multiples interprétations et constructions jurisprudentielles, un avant-projet de réforme publié par le ministère de la justice en 2008, puis en 2011, une consultation publique, en 2015, plus de 300 contributions adressées à la Chancellerie et, récemment, outre une gamme très large d’auditions, une consultation par la commission des lois de l’ensemble des professions, juridictions, universitaires et organismes intéressés, pour restaurer un droit défraîchi et corriger une situation où « le droit n’était plus dans le code ».

Sous quelques réserves tenant, en quelque sorte, aux « droits acquis » en raison de l’application aux contrats antérieurs des dispositions du code civil antérieures à l’ordonnance et à sa ratification, le Conseil constitutionnel nous laisse la possibilité d’exercer l’intégralité de nos pouvoirs de législateur.

Parce que c’est une réforme attendue globalement et largement approuvée, le Sénat ratifiera l’ordonnance. Parce que nous sommes en présence d’une ordonnance entrée en application et qu’il serait irresponsable, dans l’histoire de l’évolution de nos règles juridiques, de créer, pour une période d’un peu plus de douze mois, un granule de droit mort-né, le Sénat ne proposera pas une réforme de la réforme. Nous avons accepté de respecter les grands choix opérés par l’ordonnance, par exemple la suppression de la cause.

Le Sénat ratifiera donc l’ordonnance en faisant siens les deux objectifs du Gouvernement : renforcer, d’une part, la sécurité juridique du droit des contrats, en améliorant la lisibilité et l’accessibilité de celui-ci, et, d’autre part, l’attractivité du droit français, du point de vue strictement économique – à l’égard des entreprises –, mais également en termes d’influence du système juridique français à l’étranger. Le premier de ces objectifs est essentiel à nos yeux, l’atteinte du second étant impossible à vérifier tant l’attractivité du droit ne semble pas dépendre de facteurs étroitement juridiques, une entreprise choisissant rarement un droit en fonction uniquement de sa qualité intrinsèque.

Restent certaines incertitudes sur l’interprétation qui pourrait être faite de dispositions qui, sur le fond, ne suscitent pas de critiques fortes ni dirimantes.

Restent également des doutes sur la portée de règles contenues dans la réforme.

Restent, enfin, des corrections nécessaires pour une plus parfaite cohésion de nos qualifications juridiques et des pouvoirs dévolus au juge dans notre droit des obligations et des contrats.

Pour les premières, hors quelques affinements rédactionnels qui ne posent pas de difficulté, la commission des lois propose au Sénat d’expliciter clairement et expressément l’interprétation qui doit être donnée de textes qui pourraient éventuellement susciter des hésitations jurisprudentielles et d’incontournables lois interprétatives. Le Sénat invite ainsi, dans ces hypothèses particulières, à attacher un respect scrupuleux à ses travaux préparatoires, qui sont source de droit. La commission des lois a validé toutes les interprétations qui figurent dans mon rapport : j’invite les praticiens et les juges à s’y référer. Par exemple, nous affirmons clairement que l’article 1171 du code civil sur les clauses abusives ne peut pas s’appliquer dans les champs déjà couverts par le droit de la consommation ou le droit des pratiques commerciales restrictives.

Pour les deuxièmes, concernant, par exemple, la capacité des personnes physiques ou morales ou l’application de la loi dans le temps, les amendements retenus par la commission des lois qui ont été incorporés dans le texte soumis ce jour à nos débats apportent des précisions nécessaires sans bouleverser l’objectif du texte ou son architecture.

Pour les dernières, je veux bien admettre que la discussion puisse être un peu plus ample, car il s’agit, par exemple, de définir avec précision le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion, afin d’éviter les incertitudes, voire les contradictions qui ont été quasi unanimement soulevées lors des auditions auxquelles j’ai procédé. Il s’agit, par exemple, d’encadrer les pouvoirs du juge face à des relations contractuelles bouleversées par un événement imprévisible, lequel, avant octobre 2016, n’aurait pas été un moyen pour échapper aux obligations contractuelles ayant dicté la loi des parties. Nous entendrons tout à l'heure les débats que suscitent ces différents points, au cours de l’examen des amendements.

Madame la garde des sceaux, nos débats restent très ouverts puisqu’ils portent finalement sur peu de questions – dix – au regard des 300 articles concernés par la réforme. Mais il s’agit de points sur lesquels les critiques de la part des juristes professionnels, des juges, de la doctrine sont quasi unanimes. La commission des lois en a tenu compte pour parfaire une réforme dont je répète qu’elle a été bien menée. Nous pouvons sans difficulté la parachever ensemble.

Notons, en conclusion, pour nous en souvenir, que cette tâche aurait été définitivement plus aisée s’il avait été définitivement renoncé à la mise en application d’ordonnances avant leur ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe République et Territoires/Les Indépendants et du groupe La République En Marche.)