M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en interdisant une production nationale qui couvre à peine 1 % de nos besoins en pétrole et 0,1 % en gaz, le Gouvernement a choisi le symbole au détriment de l’efficacité. (Mme Françoise Cartron et M. Roland Courteau s’exclament.) Or, si la politique est parfois faite de symboles, les symboles ne suffisent pas à faire une politique.

En premier lieu, il n’est pas question de contester l’urgence à agir pour le climat. D’ailleurs, sur ce sujet, le Sénat, notre commission en particulier, a prouvé sa détermination. Je rappelle que c’est grâce au soutien de notre commission qu’a été fixée une trajectoire ambitieuse de hausse de la taxe carbone dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. C’est encore le souci du climat qui a guidé notre défense d’un mix de production électrique décarboné reposant sur ses deux pieds, le nucléaire et les énergies renouvelables. Et, chaque fois que notre commission a dû se prononcer sur des textes européens, elle a plaidé pour une tarification la plus incitative possible du carbone.

Sur ces questions, le Sénat a toujours défendu une vision à la fois ambitieuse et pragmatique. Or, où est le pragmatisme dans ce texte, dont le Gouvernement insiste sur la portée éminemment symbolique, le caractère pionnier et l’effet d’entraînement recherché sur d’autres pays ? Et qui peut raisonnablement imaginer que les grands pays producteurs d’hydrocarbures renonceront à leur rente pétrolière pour suivre l’exemple français, bien qu’ils soient pour la plupart signataires de l’Accord de Paris ?

Une autre voie était possible pour agir sur le climat. Elle consistait à traiter le problème à la racine, c’est-à-dire par la consommation. Les hydrocarbures représentent encore plus des trois quarts de notre consommation énergétique finale. Dès lors, comment atteindre l’objectif d’une baisse de la consommation des énergies fossiles de 30 % en 2030 ?

C’est la question à laquelle devrait prioritairement répondre le Gouvernement. Les pistes sont du reste nombreuses, bien qu’elles soient plus difficiles à mettre en œuvre et plus coûteuses, au moins à court terme, qu’une interdiction de la production nationale, qui fait office de paravent bien commode. Il faudrait, en particulier, « muscler » les dispositifs d’aide à la conversion des véhicules, développer de nouvelles solutions de mobilité, relancer le transport ferroviaire, maritime et fluvial de marchandises, renforcer les aides à la rénovation thermique des bâtiments plutôt que de tenter de les diminuer.

Derrière le symbole de l’interdiction, il y a surtout une réalité économique, sociale, industrielle et environnementale que l’on ne saurait ignorer, celle des 1 500 emplois directs et 4 000 emplois indirects de l’exploration-production sur le territoire national qui vont disparaître sans que la question de la reconversion soit abordée autrement que par la promesse d’un rapport et par l’annonce de « contrats de transition écologique et solidaire » dont le contenu comme les moyens restent à préciser.

Au-delà de ces conséquences immédiates, on pressent déjà une perte d’attractivité auprès des jeunes, qui n’iront pas vers ces métiers, et une dégradation de l’image de la France aux yeux des investisseurs étrangers. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)

Certes, la logique d’une interdiction à l’échelle nationale aurait pu se justifier si elle contribuait véritablement à lutter contre le réchauffement climatique. Or, en remplaçant une production nationale, même limitée, par des hydrocarbures importés par voie terrestre ou maritime et parfois produits en usant de techniques moins respectueuses de l’environnement, on dégrade notre bilan carbone plutôt qu’on ne l’améliore, puisque l’empreinte carbone du pétrole importé serait au moins trois fois supérieure à celle du pétrole produit localement.

Le Gouvernement objecte que, en raison de la baisse supposée de la consommation, une telle substitution n’aura pas lieu, puisque le 1 % de la consommation couvert par la production nationale aura disparu. Or il restera toujours une part de la consommation que l’on aurait pu satisfaire par la production nationale, sauf à supposer une consommation nulle, mais ce n’est pas demain la veille.

Vous l’aurez compris, notre commission n’adhère pas à l’option retenue par le Gouvernement.

M. Roland Courteau. Nous l’avons compris !

M. Joël Labbé. Cette position ne fait pas l’unanimité dans la commission !

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Toutefois, une opposition frontale ne permettrait pas au Sénat d’enrichir le projet de loi. C’est pourquoi nous avons fait un autre choix : celui d’équilibrer le texte, en préservant la recherche pour ne pas insulter l’avenir, en limitant l’atteinte aux droits acquis pour que l’État tienne sa parole et, au passage, pour qu’il n’ait pas à payer d’indemnisations très importantes et, enfin, en autorisant les usages vertueux dont il serait dommage de se priver par dogmatisme.

Afin de préserver la recherche, nous avons introduit une dérogation pour la recherche réalisée sous contrôle public à seules fins de connaissance géologique du sous-sol, de surveillance ou de prévention des risques miniers.

Afin de limiter l’atteinte aux droits acquis, nous avons prévu les « mesures transitoires plus substantielles » suggérées par le Conseil d’État pour traiter les demandes en cours d’instruction, tout en préservant le principe d’une interdiction à l’horizon 2040. La loi ne s’appliquera qu’aux demandes déposées après le 6 juillet 2017, qui est la date de présentation du plan Climat, afin d’éviter tout effet d’aubaine, à l’exception de l’encadrement du droit de suite qui, lui, vaudra y compris pour le passé. Les concessions qui pourraient en résulter ne pourront donc excéder le 1er janvier 2040. J’ajoute que, même dans l’hypothèse où la quarantaine de demandes d’octroi de permis concernées serait accordée, dès lors que, statistiquement, un permis de recherche sur dix aboutit à une exploitation, il ne serait question que de quatre ou cinq concessions au plus, et encore celles-ci devraient-elles cesser en 2040.

J’y insiste, il s’agirait non pas d’attribuer de « nouvelles concessions », mais uniquement de respecter les demandes déjà déposées, que l’administration se refuse à traiter depuis des années parce qu’elle serait contrainte d’y faire droit en application du code minier actuel.

Enfin, notre commission a autorisé les usages vertueux des hydrocarbures en étendant une dérogation déjà ajoutée à l’Assemblée nationale et en créant une nouvelle dérogation. En effet, pour permettre la poursuite de l’exploitation du soufre dans le bassin de Lacq, nos collègues députés ont autorisé l’exploitation des hydrocarbures dits « connexes ».

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Mais cette dérogation, pensée uniquement pour le gaz de Lacq, ne trouvait pas à s’appliquer aux hydrocarbures liquides connexes, dont la situation est pourtant comparable et qui contribuent à une valorisation locale de nos ressources.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Deux exemples illustrent l’intérêt d’une telle exception : l’exploitation de pétrole permet déjà de chauffer gratuitement, à Parentis-en-Born, une dizaine d’hectares de serres de tomates et, dans le bassin d’Arcachon, les 450 logements que comportera à terme un écoquartier, grâce aux calories récupérées de l’eau issue du processus de production du pétrole. Sans valorisation du pétrole, cette activité de production de chaleur devrait cesser, faute de modèle économique, et de tels projets ne pourraient pas être développés à l’avenir. Nous avons donc adapté la dérogation pour couvrir tous ces cas.

La seconde dérogation concerne les hydrocarbures destinés à un usage non énergétique dont l’utilisation finale du produit n’émet pas de gaz à effet de serre, puisqu’il n’y a pas de combustion. Les exemples de débouchés sont très nombreux : bitumes, lubrifiants, cires, colles, textiles synthétiques ou matières plastiques, autant de produits dont nous aurons évidemment encore besoin en 2040. Ces hydrocarbures produits localement viendront alimenter nos filières nationales, qui, sans cela, devraient recourir à des importations.

Pour finir sur le volet « hydrocarbures », j’indiquerai simplement que notre commission a fait en sorte que l’encadrement du droit de suite préserve la rentabilité de l’activité. Enfin, elle n’a pas souhaité rouvrir le débat sur l’interdiction des techniques dites « non conventionnelles ».

J’aborderai brièvement deux autres mesures importantes du texte.

La première est la réforme du stockage souterrain du gaz naturel, sujet sur lequel le Gouvernement avait déjà été habilité à légiférer, mais n’avait pu aboutir dans le délai imparti. Compte tenu de l’urgence de la réforme et de son état d’avancement, notre commission a préféré l’inscrire dans la loi plutôt que de renvoyer à une nouvelle ordonnance. Je vous proposerai simplement quelques derniers ajustements techniques.

La seconde mesure importante a été introduite à l’Assemblée nationale par voie d’amendement gouvernemental, alors que son lien avec le texte initial est loin d’être avéré. Elle vise à réformer les conditions de raccordement des énergies renouvelables en mer. En s’inspirant du modèle en vigueur dans les pays nordiques, qui a prouvé son efficacité, elle devrait permettre de réduire les délais de réalisation ainsi que les coûts de soutien pour la collectivité. Aussi, malgré nos réserves sur la forme, nous approuvons la réforme sur le fond. Nous sommes simplement allés au bout de sa logique en étendant les cas d’indemnisation possibles du producteur dans l’hypothèse d’une indisponibilité du raccordement.

Enfin, en matière de distribution d’électricité, notre commission a souhaité mieux encadrer la notion de réseaux intérieurs créée à l’Assemblée nationale, pour sécuriser le monopole de la distribution publique et préserver la péréquation tarifaire, à laquelle nous sommes tous ici très attachés.

Tels sont, mes chers collègues, les principaux apports de notre commission.

J’ajouterai, pour terminer, que l’examen en séance sera l’occasion de traiter un sujet sur lequel nombre d’entre vous ont été sensibilisés : je veux parler de la concurrence déloyale de certains biocarburants importés et du danger qu’elle représente, à très court terme, pour la filière française. Après analyse, il nous semble que l’urgence de la situation justifie qu’un dispositif transitoire de protection soit mis en place, en attendant que la plainte déposée devant la Commission européenne aboutisse.

Sous le bénéfice de l’ensemble de ces amendements, je vous proposerai d’adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Jean-Marc Boyer, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la France est mobilisée depuis plusieurs années pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre.

Dans le cadre de l’Accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015, elle s’est engagée à agir pour contenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels.

Lutter contre le réchauffement climatique nécessite avant tout de réduire notre consommation d’énergies fossiles, qui participent à hauteur de 70 % aux émissions de gaz à effet de serre en France. D’où notre regret, monsieur le ministre d’État, que le projet de loi que vous présentez ne comporte aucune mesure relative à la baisse de la consommation d’hydrocarbures et qu’il se limite à organiser la fin de la production de pétrole et de gaz sur le territoire national à l’horizon 2040.

Monsieur le ministre d’État, vous parlez de course contre la montre pour lutter contre le réchauffement climatique, mais cette course doit s’organiser en équipe, en partenariat, en concertation avec les autres pays européens pour être efficace et pour dépasser la portée symbolique des mesures envisagées.

Certes, vous avez plusieurs fois rappelé que ce texte ne devait pas être appréhendé seul et qu’il serait accompagné ultérieurement de mesures relatives à la réduction de la consommation énergétique et au développement des énergies renouvelables.

Cependant, si nous comprenons l’urgence qu’il y a à réduire l’utilisation des énergies fossiles, la décision d’arrêter la production nationale d’hydrocarbures d’ici à 2040 nous paraît incohérente, pour deux raisons.

Premièrement, 45 % de l’énergie finale consommée en France provient aujourd'hui du pétrole, contre 22 % pour l’électricité et 19 % pour le gaz. Bien sûr, il est souhaitable que la part du pétrole baisse, mais, selon certaines estimations, elle s’établira encore à 50 millions de tonnes en 2040, contre 75 millions de tonnes aujourd’hui.

Deuxièmement, la décision de mettre fin à la production nationale d’hydrocarbures pourrait donc paradoxalement conduire à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, puisque la France devra substituer à cette production des importations d’hydrocarbures, qui génèrent beaucoup plus d’émissions de C02. En effet, selon certaines estimations, une tonne de pétrole produite en France émet trois fois moins de C02 qu’une tonne de pétrole importée. Nous risquons surtout de remplacer du pétrole et du gaz conventionnels par l’importation d’hydrocarbures non conventionnels, dont les modalités d’extraction et de transport sont dommageables pour l’environnement et fortement émettrices de gaz à effet de serre.

Il s’agit d’un débat important. C’est aussi un débat d’actualité si l’on pense aux négociations entre l’Union européenne et le Canada sur l’accord économique et commercial global, le CETA. Dans son rapport au Premier ministre sur l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, la commission indépendante mise en place rappelle que l’extraction et la consommation de pétrole brut issu des sables bitumineux canadiens génèrent un volume de gaz à effet de serre 41 % plus élevé que pour le pétrole classique.

Ce projet de loi aurait dû, à notre sens, être assorti d’une réflexion quant à la mise en place d’un traitement différencié – par exemple, une taxation différenciée – des hydrocarbures importés en fonction du bilan carbone qu’ils présentent sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Malgré cette réserve de taille quant à la portée et aux effets du texte, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, saisie pour avis, n’a pas souhaité s’opposer à celui-ci, mais a cherché à en améliorer le contenu.

La principale mesure du projet de loi vise à mettre progressivement fin à la recherche et à l’exploitation d’hydrocarbures en France d’ici à 2040.

Au regard du volume de la production nationale d’hydrocarbures, qui couvre 1 % de notre consommation annuelle, les effets de cette mesure seront doubles. Sur le plan de l’emploi et de l’activité, d’une part, les effets seront vraisemblablement limités. En termes d’investissements et d’innovation, d’autre part, cette mesure pourrait avoir un impact négatif sur l’ensemble de la filière pétrolière et gazière, en décourageant à l’avenir les investissements de recherche et de développement dans ces secteurs. Or ces investissements sont facteurs d’innovations, lesquelles profitent bien souvent à l’ensemble de la filière énergétique française.

Continuer à investir dans la recherche et la connaissance de notre sous-sol est essentiel.

C’est pourquoi nous avons souhaité, avec ma collègue rapporteur de la commission des affaires économiques, Mme Élisabeth Lamure, prévoir explicitement que les activités de recherche sur les hydrocarbures réalisées sous contrôle public à des fins d’amélioration de la connaissance scientifique continueront à être autorisées. Bien entendu, ces activités de recherche ne pourront pas déboucher sur une exploitation des gisements.

S’agissant des autres dispositions contenues dans le texte en matière d’énergie et d’environnement, je me limiterai à saluer la réforme des modalités de financement du raccordement des installations d’énergies renouvelables en mer prévue à l’article 5 bis.

Pour terminer, le projet de loi pose le problème de la vision globale de notre politique énergétique. En effet, on ne peut pas à la fois mettre fin à l’exploitation des énergies fossiles, développer les énergies renouvelables et réduire considérablement notre parc nucléaire sans remettre en cause notre indépendance énergétique et sans que la facture payée par les consommateurs augmente significativement.

Nous ne sommes pas résignés, monsieur le ministre d’État, mais cette transition énergétique doit s’accompagner avant tout d’une révolution idéologique et philosophique qui doit dépasser largement les frontières françaises et européennes.

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, telle est la position de notre commission sur ce projet de loi, dont vous avez compris qu’il ne nous satisfait qu’à moitié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les membres du groupe socialiste et républicain soutiennent volontiers la démarche engagée par M. le ministre d’État, car il y a urgence et parce que le temps joue contre nous.

Il n’est pas exagéré, en effet, de considérer que le sort du monde se joue en partie, de nos jours, dans la capacité des pays à se mobiliser contre le chamboulement climatique.

Qui n’a pas encore constaté que les catastrophes climatiques que nous subissons partout sur la planète démontrent largement la vulnérabilité des sociétés humaines devant la force de la nature lorsqu’elles sont construites dans le déni de l’environnement ? Il n’y a que le président des États-Unis qui ne semble ni le constater ni le comprendre.

Comme cela a déjà été cité, « pour la première fois, l’Humanité est en mesure d’anéantir sa propre espèce ». Voilà pourquoi il est devenu urgent de passer d’une société fondée sur une consommation abondante d’énergies fossiles à une société plus sobre et écologiquement plus responsable.

C’est tout l’enjeu de la loi relative à la transition énergétique, c’est tout l’enjeu de ce projet de loi très volontariste, qui annonce clairement que la France s’engage dans la sortie des énergies fossiles, et c’est tout l’enjeu de l’Accord de Paris.

Dans cet environnement mondial chamboulé au plan climatique, dans ce monde plein d’incertitudes géopolitiques, il n’est pas de meilleure réponse aux enjeux écologiques, climatiques, économiques et sociaux. Et la France, par son exemplarité en ce domaine, peut contribuer à assurer le succès de l’ordre de mobilisation des nations contre le changement climatique. « Impossible ! », diront les sceptiques. Mais, comme le disait Nelson Mandela, « cela paraît toujours impossible jusqu’à ce que ce soit fait. »

Saluons ce texte qui permet enfin de franchir l’étape du passage à l’acte. Vous nous proposez, monsieur le ministre d’État, un texte qui va au-delà du symbolique, un texte de rupture qui bouscule les vieilles lunes et en termine avec le laisser-faire et le laisser-aller consistant à reporter les décisions difficiles sur les générations futures. Nous savons que le temps joue contre nous. Nous ne pouvons plus attendre, comme certains le pensent, qu’une main invisible – en l’occurrence, celle du marché – le fasse à notre place.

Notre modèle énergétique n’est plus durable. Dès lors, il s’agit, avec ce projet de loi, d’accélérer la transition tout en commençant par nous libérer des énergies fossiles.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Nous sommes d’accord, mais rien ne figure dans le texte !

M. Roland Courteau. Et, pour s’en libérer, il faut commencer par réduire nos consommations d’énergies fossiles. Il faut être cohérent ! Force est de le constater, nous avons en France un immense gisement d’énergie, celui des économies d’énergie, et particulièrement dans le domaine des transports. « L’avenir de l’automobile, c’est l’électricité », disait Thomas Edison à Henry Ford. Ainsi, quatre-vingt-sept ans plus tard, nous commençons à lui donner raison.

Reste l’autre bataille, celle de la rénovation thermique dans le secteur du bâtiment, et notamment dans celui du logement. Il faut faire sauter le mur de l’argent et l’indifférence de certains propriétaires qui font obstacle au lancement des travaux.

Reste, enfin, le chantier du développement des énergies renouvelables, où nous devons lever les freins de l’administration dans nos territoires.

La première révolution industrielle s’est appuyée sur le charbon ; la deuxième fut l’alliance de l’électricité avec le moteur fonctionnant au pétrole. Nul doute que la troisième révolution industrielle alliera la technologie d’internet et les énergies renouvelables.

Enfin, il faut aller dans le sens de la social-écologie, car, ne l’oublions pas, quand les conditions de vie se détériorent à cause d’un environnement dégradé, ce sont les plus faibles, les plus précaires qui en subissent les conséquences les plus graves.

Le texte que vous nous proposez est à la fois audacieux et courageux. Il s’agit aussi d’un texte responsable en ce qu’il donne de la visibilité aux territoires impactés et accorde du temps aux entreprises pour s’adapter à la mutation des filières. Il convient d’ores et déjà de prévoir de solides mesures d’accompagnement et d’apporter des garanties concrètes aux territoires en transition.

J’en termine en rappelant que, à l’issue des travaux en commission, nous nous sommes abstenus, non sans regret. Certains points d’achoppement sont apparus au travers des amendements adoptés : trop d’exceptions, trop de dérogations ont rompu l’équilibre du chapitre Ier. Nous défendrons donc plusieurs amendements visant à rétablir cet équilibre. Prenons garde de ne pas offrir un cheval de Troie à ceux qui veulent que rien ne change.

Nous sommes assez d’accord sur la rédaction des autres chapitres et articles retenue par la commission – à quelques exceptions près, sur lesquelles je reviendrai. Nous approuvons notamment la transposition des directives sur les biocarburants et sur la réduction des polluants atmosphériques, à l’origine de milliers de morts.

Nous espérons que le Sénat préservera toute sa force à votre projet de loi, monsieur le ministre d’État, que nous saluons. S’il est vrai que « le futur n’attend pas », alors il nous faut contribuer très vite à l’inventer. Gardons confiance, en cette période de COP23. Comme l’a dit Friedrich Hölderlin, « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » – enfin, je l’espère… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. C’est assurément un sujet d’importance pour notre pays au lendemain de l’accord climatique de Paris, sur lequel nous avons adopté une résolution à l’unanimité dans cet hémicycle, et à l’heure où Bonn accueille la COP23 – nouvelle importante échéance internationale des négociations sur le changement climatique.

Alors que les États-Unis ont décidé de se retirer de cet accord international sur la préservation de l’environnement, la France a plus que jamais un rôle de pilote. Pour préserver le consensus mondial, nous devons agir et faire preuve de courage en nous appliquant des règles exemplaires en matière de politique énergétique. Le projet de loi répond à cette ambition en réaffirmant nous objectifs de lutte contre le changement climatique tout en préservant nos mécanismes de sécurité d’approvisionnement.

Vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, ce texte est une pierre angulaire. Pour réussir le pari d’une limitation de l’augmentation des températures mondiales en deçà de 2° C, le pic d’émissions de gaz à effet de serre devra survenir, au plus tard, en 2020. Il faut donc aller vite et frapper fort en éliminant le plus rapidement possible l’usage des hydrocarbures.

Le 30 octobre dernier, l’Organisation météorologique mondiale a publié son bulletin annuel, s’inquiétant d’une hausse dangereuse de la température et rappelant que, « la dernière fois que la Terre a connu une teneur en CO2 comparable, c’était il y a trois à cinq millions d’années : la température était de 2 à 3° C plus élevée et le niveau de la mer était supérieur de dix à vingt mètres par rapport au niveau actuel » en raison de la fonte des nappes glaciaires.

Mes chers collègues, le temps presse. En 2016, les températures de surface de la mer ont été les plus élevées jamais constatées. La hausse du niveau moyen de la mer s’est poursuivie, menaçant même certains pays océaniques de disparition totale. Ce phénomène, ne nous y trompons pas, touche également notre pays : sur la base d’une hausse du niveau des mers d’un mètre d’ici à 2100, la Camargue, l’estuaire de la Gironde seront profondément remodelés ; la vallée de l’Adour, la Vendée, une bonne partie du littoral de la Charente-Maritime et de la Somme, département qui m’est cher, seront submergées. Je ne parle pas de nos outre-mer, territoires ô combien solidaires des Îles Fidji qui président aujourd’hui la COP23.

Faisons preuve de lucidité en prenant à bras-le-corps cette problématique et en nous engageant en faveur d’une neutralité carbone de notre pays.

Le projet de loi va dans le bon sens : il met fin à l’exploitation d’énergies polluantes, conforte nos engagements en matière de réduction des émissions de polluants atmosphériques et de promotion des énergies vertes et il assure, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, à travers ses articles 4 et 5, la sécurité d’approvisionnement des Français pour protéger notre pays dans un monde où l’énergie sera, plus que jamais, un motif de conflit et de compétition internationale.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires exprime par ma voix une réelle et sincère sensibilité sur ces problématiques climatiques. Il apporte donc son plein et entier soutien à cette initiative de révision de notre politique énergétique. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », disait le président Chirac. Nous ne pouvons continuer de détourner le regard.

Les travaux de l’Assemblée nationale ont saisi toute l’ampleur de ce texte pour l’avenir de notre planète et de notre pays. L’ajout du charbon dans la liste des substances interdites – 6 800 centrales à charbon fonctionnent actuellement dans le monde ; ce n’est pas rien, et il ne sera pas aisé de les supprimer –, l’interdiction de l’exploration et de l’exploitation du gaz de schiste, au cas où une autre technique que la fracturation hydraulique pourrait être employée, ou l’information du consommateur sur le type de gaz fourni sont autant d’initiatives qui vont dans le bon sens.

Pour autant, nous appelons à une certaine vigilance. L’argument de la protection de l’environnement ne doit pas faire entrave à notre nécessaire capacité d’innovation, de progrès et de recherche. Il ne faut pas tomber dans l’excès inverse.

En commission des affaires économiques, au Sénat, le vote d’une dérogation pérenne pour la recherche réalisée sous contrôle public, à seule fin de connaissance géologique du sous-sol, de surveillance ou de prévention des risques miniers, pourrait aller dans le sens d’une forme de logique et de raison. Nous verrons, au cours du débat, comment les choses évoluent sur ce sujet.

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants - République et Territoires suivra les débats avec bienveillance et avec le souci d’accompagner ces propositions vers une rédaction à la fois protectrice pour la planète et pour nos concitoyens.

Adaptons-nous pour ne pas nous résigner. Prenons l’initiative plutôt que de nous voir imposer des décisions. Plus tard nous agirons, plus la marche à gravir sera haute et plus les choses seront difficiles. L’écologie n’est pas une contrainte, c’est une chance : l’inaction nous coûtera plus cher que l’action.

Ces engagements ne font pas seulement de la France un pays pilote. Ils peuvent nous donner également une longueur d’avance dans la course commerciale et technologique de demain. Ne cédons pas au fatalisme du « c’est trop difficile, on n’y arrivera jamais »… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)