M. François Bonhomme. Que de références !

Mme Sophie Taillé-Polian. Sur le long terme, l’économie ne peut bien fonctionner que si la croissance est équitablement répartie. Le modèle français repose sur une redistribution des revenus après impôt et sur un accès à la protection sociale et aux services publics.

En copiant le modèle anglo-saxon – fiscalité favorable aux plus riches, flexibilisation du marché du travail, etc. –, vous attaquez l’équilibre de notre système. Pour quelques hypothétiques points de PIB, vous orientez notre société vers plus de précarité et d’inégalités.

Mes chers collègues, face à ce budget initialement marqué à droite, la majorité sénatoriale a pratiqué une surenchère – légère ! – sur bon nombre de sujets, notamment sur l’ISF.

L’Assemblée nationale est presque revenue au texte initial. Mais l’orientation libérale de ce projet de budget nous fait craindre un modèle anglo-saxon.

Le groupe socialiste auquel j’appartiens et au nom duquel je m’exprime s’oppose à la société du risque que vous prônez.

Le risque, ce n’est qu’un jeu pour ceux qui ont un patrimoine bien garni, un carnet d’adresses bien rempli, des diplômes bien fournis.

Mais le risque peut aussi être un voyage sans retour vers la pauvreté pour ceux qui n’ont comme filet de sécurité que la sécurité sociale et comme unique patrimoine le service public. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, à nouveau et conjointement, les projets de loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022 et de loi de finances pour 2018.

À nouveau, et malheureusement sans surprise, les deux commissions mixtes paritaires n’ont pu se mettre d’accord sur les articles restant en discussion. Ce blocage nous laisse un goût d’occasion manquée.

Dans le cas du projet de loi de finances, nous avions déploré que le Sénat adopte une position de principe et renonce à l’opportunité d’améliorer le texte dans un sens acceptable par la majorité présidentielle. Nous regrettons également que l’Assemblée nationale ait supprimé de bonnes mesures, adoptées par notre assemblée sous les auspices du rapporteur général, telles que le rehaussement du plafond du quotient familial ou les dispositions concernant la fiscalité du numérique.

Nous saluons toutefois l’adoption définitive de certains des amendements que nous avions déposés : ceux relatifs à la fiscalité énergétique ; l’amendement sur les critères de classement en zone de revitalisation rurale, cher à notre collègue Alain Marc ; l’amendement sur l’assurance des installations d’énergie marine renouvelable. Notre groupe a ainsi pleinement contribué à l’élaboration de ce projet de loi de finances.

Nous espérions que cette seconde lecture puisse sauver ce qui pouvait encore l’être et qu’elle soit l’occasion d’un débat plus apaisé. Il semble que tel ne sera pas le cas.

Je ne reviendrai pas sur le projet de loi de finances pour 2018. Il a déjà fait l’objet de nombreux débats et nous a permis d’exposer maintes fois notre position en faveur d’une approche constructive, équilibrée et pragmatique des différentes réformes envisagées.

Nous avons toujours la même exigence aujourd’hui : l’équilibre entre la création de l’IFI, l’instauration de la flat tax et le dégrèvement de la taxe d’habitation est certes imparfait, mais il constitue un compromis politique et économique robuste entre la nécessité de réorienter l’épargne vers notre économie et la restitution de pouvoir d’achat à nos concitoyens. C’est également un équilibre fragile. Le Sénat l’a déjà rompu au détriment des classes populaires et des classes moyennes. Nous n’aurions pu que nous opposer à une nouvelle tentative allant dans ce sens.

La nouvelle version du projet de loi de programmation des finances publiques contient, elle, des nouveautés substantielles.

La Conférence nationale des territoires, enceinte nouvelle qui semble permettre de vraies avancées de fond, a débouché sur deux amendements du Gouvernement.

Si on peut déplorer le caractère précipité et tardif de leur dépôt, ils traduisent néanmoins des discussions de longue haleine qui ont eu lieu ici même au Sénat, à l’Assemblée nationale, entre les associations d’élus et le Gouvernement, et dans le cadre, enfin, de la mission conduite par notre collègue Alain Richard et Dominique Bur.

C’est l’honneur du Premier ministre, Édouard Philippe, que d’avoir su écouter et entendre les différentes parties prenantes pour proposer un mécanisme de contractualisation plus respectueux des réalités locales et des propositions faites par notre assemblée. Je note que M. le rapporteur général vient d’indiquer que des portes avaient été entrouvertes ; c’est tout dire !

Nous pensons que plusieurs décisions vont dans le bon sens. Par exemple, les nouvelles marges de souplesse autour du taux d’évolution standard des dépenses de fonctionnement constituent incontestablement un instrument de flexibilité bienvenu.

Le « bonus » accordé aux collectivités respectant les objectifs fixés, sous forme de bonification des dotations d’investissement, constitue une incitation à la vertu et rompt avec la logique essentiellement punitive du précédent texte.

L’abandon de la « règle d’or renforcée » contenue dans la première version du projet de loi de programmation, qui prévoyait le déclenchement d’une procédure de surveillance des collectivités dont le rapport entre l’encours de dette et l’épargne brute dépassait les onze à treize ans, est quant à elle une mesure de bon sens, plus favorable à l’investissement.

La meilleure prise en compte, enfin, de la structure des dépenses des départements pour tenir compte de leur dynamique particulière semble constituer une reconnaissance opportune des spécificités propres aux différents niveaux de collectivités.

Tous ces éléments sont le fruit d’une méthode de gouvernement qui nous convient : concertation, analyse et action résolue.

Néanmoins, nous croyons que la logique consistant à faire peser lourdement l’effort de maîtrise de la dépense publique sur les collectivités locales manque son but. D’une part, elle méconnaît la dynamique de la dépense et de l’endettement, qui est d’autant plus problématique au niveau de l’État et des organismes de sécurité sociale. D’autre part, elle masque le fait que les efforts inscrits dans cette loi de programmation sont globalement insuffisants pour combler notre retard sur les autres pays de la zone euro, et en particulier sur l’Allemagne.

Cela ne signifie pas que les collectivités doivent être exemptées de l’effort national d’assainissement des finances publiques. Elles doivent prendre leur juste part, et elles en ont conscience.

Cela signifie qu’il ne faut pas se tromper de combat et que d’autres priorités devraient figurer, monsieur le secrétaire d’État, en haut de votre agenda. Je veux parler de la baisse des effectifs dans la fonction publique, de l’effort structurel en dépense, trop faible pour réduire durablement le déficit public, et, enfin, du désendettement de l’État, qui devrait, lui, faire l’objet des fameuses « règles d’or renforcées » !

Ces deux textes constituent donc un premier pas en direction du nouveau monde de sincérité et de responsabilité qu’on nous a promis. Néanmoins, ils prouvent également que ce nouveau monde ne se décrète pas : il se construira patiemment, résolument, à force de courage et dans l’action. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme Nathalie Goulet. Inch’ Allah !

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors des explications de vote en première lecture, j’avais indiqué que la version proposée par l’Assemblée nationale, et donc par le Gouvernement, comportait des aspects positifs et négatifs. J’avais constaté par ailleurs que la version du Sénat comportait, également, des aspects positifs et négatifs. C’est la raison pour laquelle je m’étais abstenu.

En effet, dans la version de l’Assemblée nationale, j’étais radicalement hostile à la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des Français et à son maintien pour 20 % d’entre eux. Dans celle du Sénat, j’étais défavorable à un certain nombre de dispositions, notamment le passage à trois jours du délai de carence pour les agents de la fonction publique en cas d’arrêt maladie, et surtout l’augmentation de 40 % des indemnités des maires de grande ville et des présidents de conseil départemental.

On nous propose aujourd’hui d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable. Or c’est le moyen pour le Sénat d’esquiver ses responsabilités.

Présenter une telle motion, c’est un moyen de laisser les choses passer, sans se prononcer d’un côté ou de l’autre, et de se donner bonne conscience. Je suis opposé à cette procédure et je ne la cautionne pas. Le système est en effet machiavélique : si l’on vote contre la motion, cela doit signifier que l’on est pour la version du Gouvernement et de l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas mon cas. Face à cette situation, je préfère m’abstenir.

Nombre de nos concitoyens ont été scandalisés par certaines des dispositions qui ont été votées. Je le répète, l’augmentation de 40 % des indemnités des maires de grande ville et des présidents de conseil départemental ne passe absolument pas ! Beaucoup de personnes m’ont contacté à ce sujet pour s’en plaindre, à juste titre.

Il y a là un véritable problème. Au moment où l’on demande partout de serrer les boulons, je ne vois pas pourquoi on augmenterait de 40 % – et non de 2 ou 3 % ! – ces indemnités. (MM. Vincent Delahaye et René-Paul Savary sexclament.) Certains sont pour, d’autres non. Quant à moi, je suis radicalement contre et, je le dis, c’est un scandale !

Mme Nathalie Goulet. C’est à enveloppe constante !

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, autant le dire d’emblée : je regrette que les commissions mixtes paritaires ne soient pas parvenues à établir des versions communes du projet de loi de finances et du projet de loi de programmation.

Cette année, le Sénat, comme d’habitude, a pourtant consacré beaucoup de temps et d’efforts à l’examen du budget. Il a pleinement exercé, comme d’habitude, sa fonction de législateur. L’absence d’accord avec l’Assemblée nationale empêchera, malheureusement, qu’une grande partie de ce travail trouve une juste concrétisation.

Vendredi, les députés ont rétabli leurs versions des projets de loi et supprimé la plupart des modifications apportées par la Haute Assemblée, notamment celles adoptées sur l’initiative de mon groupe.

Environ 60 articles restent en discussion dans le projet de loi de finances et 30 articles dans le projet de loi de programmation. Si quelques rares mesures ont dès le début fait consensus, comme la réduction du taux d’impôt sur les sociétés, aucun accord n’a été trouvé sur les mesures les plus emblématiques, qui sont aussi celles auxquelles nos concitoyens sont particulièrement sensibles : dégrèvement de la taxe d’habitation, flat tax, impôt sur la fortune immobilière, contractualisation, etc. Sur des sujets moins médiatiques, comme la compensation de la taxe professionnelle, les agences de l’eau ou les réseaux consulaires, il n’y a pas eu davantage d’accords.

La majorité sénatoriale, il faut le reconnaître, porte sa part de responsabilité dans cet échec. En rejetant les missions « Sécurités », « Justice », « Immigration, asile et intégration », « Travail et emploi », « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » – des missions au cœur de la puissance publique –, elle s’est elle-même privée de proposer un véritable budget alternatif et responsable. Je le regrette très profondément.

Pour ce qui concerne les grandeurs macroéconomiques, le déficit public s’établirait l’an prochain à 2,8 % du PIB, contre 2,9 % attendus cette année. La trajectoire à l’horizon 2022 prévoit une poursuite de la baisse, concentrée toutefois sur la fin du quinquennat, avec une remontée en 2019, du fait de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en baisse de charges. Cette évolution globalement positive, quoique modeste dans son ambition, reste tributaire des évolutions de la conjoncture et de chocs contentieux, comme l’invalidation de la taxe additionnelle sur les dividendes.

Les réformes de la taxe d’habitation et de l’impôt sur la fortune auront concentré l’attention des médias. Le dégrèvement de la taxe d’habitation continue de susciter une vive opposition chez les élus locaux, car elle questionne, légitimement, l’autonomie financière des collectivités. Elle crée aussi une différence de traitement entre les 80 % des contribuables exonérés et les 20 % restants. En outre, la réforme ne résout pas vraiment le problème des bases, qui servent toujours au calcul des taxes foncières. À quand une vraie remise à plat du système fiscal local ? Enfin, la question des compensations reste en suspens.

La suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, remplacé par la seule imposition du patrimoine immobilier, est l’une des mesures les plus clivantes du texte. Son coût n’est pas négligeable, puisqu’il s’élèverait à quelque 4 milliards d’euros dès l’an prochain.

La transformation de l’ISF en IFI doit créer un choc d’attractivité. Il est vrai que si les paradis fiscaux ont fait beaucoup parler d’eux dernièrement, à juste titre, la France véhicule aussi – il faut le reconnaître – l’image d’un pays tributaire d’un système fiscal lourd et complexe. Le radical de cœur que je suis, attaché à la dimension citoyenne de l’impôt, ne peut que se désoler de cette situation. Toutefois, le Gouvernement devrait être plus soucieux de stabilité fiscale.

Concernant la programmation pour 2018-2022, les principales mesures, à savoir les articles 10 et 24, sont toujours en discussion. En première lecture, le Sénat avait pourtant apporté des précisions utiles au principe de contractualisation. Il avait notamment donné des garanties aux collectivités en imposant des engagements financiers de la part de l’État. La règle d’or « renforcée » avait été supprimée, car jugée injustifiée alors que l’endettement des collectivités territoriales ne représente qu’une faible partie de l’endettement public.

Ce matin, la commission des finances, dans son immense sagesse, a partiellement rétabli son texte de première lecture. Nous réexaminerons tout à l’heure ce projet de loi, auquel le RDSE est favorable, en espérant trouver davantage de points d’accord avec l’Assemblée nationale.

Néanmoins, je veux saluer les aspects indéniablement positifs du projet de loi de finances, tels que le maintien et même la légère augmentation des dotations aux collectivités, qui contrastent avec l’austérité du quinquennat précédent, les progrès introduits dans l’imposition des plateformes internet et des entreprises du numérique, mais aussi la poursuite du soutien à l’investissement public local…

Sur le projet de loi de finances, la commission a choisi de présenter une motion tendant à opposer la question préalable. Le RDSE est opposé par principe à ce dispositif qui interrompt le débat parlementaire. C’est pourquoi nous voterons contre cette motion, comme nous le faisons toujours. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, il est trop tard dans la procédure parlementaire pour « refaire le match » sur ces deux textes complémentaires : le projet de loi de finances pour 2018 et la trajectoire pluriannuelle des finances publiques 2018-2022. Leurs commissions mixtes paritaires respectives ont échoué, et nous revoilà en nouvelle lecture où rien ne se dira, je le crains, de bien neuf, car les positions sont à présent claires.

Tout d’abord, la majorité sénatoriale a décidé de voter un projet de loi de finances à la découpe. La fiscalité du capital ? On prend. La réforme de la taxe d’habitation ? On ne prend pas. La fiscalité des entreprises et la transformation du CICE ? On prend. Le budget de la mission « Travail et emploi » et les crédits en faveur de l’apprentissage ? On ne prend pas.

Cela clignote comme une guirlande de Noël, mais cela sent surtout le sapin pour notre débat (Exclamations amusées.) qui risque hélas ! d’être victime d’une motion tendant à opposer la question préalable. Notre groupe ne soutiendra pas cette motion, tant elle fait peu de cas de la réalité des échanges.

Je regrette qu’il revienne à l’Assemblée nationale de trancher ce débat.

Il y a une légère contradiction entre la volonté affichée de réduire davantage les déficits et la crédibilité des pistes d’économies du côté de la majorité sénatoriale.

Par piste d’économies, je n’entends pas les milliards d’euros de réduction du fait du rejet de cinq budgets, mais des propositions de maîtrise plus solides et surtout plus plausibles. Nous n’approuvons pas cette politique du rabot qui n’a pas fait ses preuves dans le passé, qui a d’ailleurs été une des limites de la révision générale des politiques publiques et qui, je le crois, peut même nourrir la défiance de nos concitoyens – au même titre que l’excès de dépense publique est de nature, elle aussi, à faire naître le scepticisme, car la qualité de certains services publics n’est pas à la hauteur des attentes, et ce non par absence de ressources, mais parce que leur gestion pourrait être plus efficace.

La confiance ne se décrète pas, mes chers collègues, mais elle peut néanmoins être encouragée par certains choix politiques. La Conférence nationale des territoires, qui s’est tenue jeudi dernier à Cahors, en est une illustration. Elle mérite que l’on s’y attarde un peu, en particulier au sein de notre assemblée, parce que ses conclusions ont modifié l’autre texte, celui relatif à la trajectoire des finances publiques.

Les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales ont besoin d’être rénovées. Encore une fois, il aurait été plus facile d’annoncer une baisse aride et injuste des dotations pour 2018, 2019 et 2020. Une partie de notre assemblée fait mine d’avoir oublié la période dont nous sortons à peine. Le Gouvernement a préféré dialoguer et contractualiser la maîtrise des dépenses de fonctionnement pour les 340 collectivités dont le budget excède 60 millions d’euros.

Qu’il me soit permis ici de saluer le remarquable travail mené par notre collègue Alain Richard et le préfet Dominique Bur à la demande du Premier ministre, dans un délai contraint et sur un sujet aussi délicat. Concrètement, 99 % des collectivités ne sont pas concernées par cette contractualisation. Plutôt que de pousser avec retard des cris d’orfraie, alors que les coupes aveugles dans les dotations se sont arrêtées, soyons collectivement au rendez-vous de ce nouveau pacte financier.

La contractualisation qui devra intervenir au premier semestre 2018 reposera sur un objectif contraignant de maîtrise des dépenses de fonctionnement – les fameux 1,2 % refusés ici –, objectif qui pourra être adapté en fonction de la situation de la collectivité et sur deux objectifs indicatifs, à savoir l’évolution du besoin de financement et la trajectoire de désendettement.

La confiance n’exclut pas le contrôle : cela ne me choque pas qu’une collectivité ne respectant pas sa trajectoire de maîtrise de dépenses se voie opposer un mécanisme de correction. Très concrètement, la collectivité se verrait appliquer une reprise financière de 75 % du dépassement, dans la limite de 2 % des recettes réelles de fonctionnement. Il faut noter que pour les collectivités refusant d’entrée de jeu de contractualiser avec l’État, la reprise financière s’élèverait à 100 % du dépassement, ce qui constitue une incitation persuasive.

Que l’on puisse critiquer tel ou tel aspect du dispositif retenu, je le conçois, c’est le jeu. Mais on ne peut pas mégoter ou chipoter chaque fois qu’une proposition est sur la table, sauf à tenir un double discours qui consiste, en réalité, à s’opposer à toute forme encadrée de maîtrise de la dépense locale.

Le dialogue continue, il porte et portera encore ses fruits. Par exemple, les préoccupations des départements en matière d’allocations individuelles de solidarité ont été entendues par le Gouvernement, et c’est pourquoi une partie des dépenses de solidarité seront exclues de l’objectif de 1,2 % d’évolution des dépenses. Dominique Bussereau, qui n’est pas éloigné de la majorité sénatoriale, a salué cette évolution.

L’État a bien conscience que la situation financière de certains départements doit être assainie. C’est pourquoi le collectif budgétaire prévoit un fonds exceptionnel de 100 millions d’euros.

L’Assemblée des communautés de France, présidée par Jean-Luc Rigaut, lui aussi peu éloigné de vos travées, a appelé ses membres à contractualiser avec l’État.

Pour les régions, Hervé Morin est revenu à la table des négociations et a estimé qu’il y avait désormais une base de discussion acceptable entre l’État et les régions.

Jean-Luc Moudenc, qui me semble avoir l’étiquette Les Républicains et qui préside France Urbaine, s’est montré favorable aux annonces de Cahors.

Alors oui, une partie de l’Association des maires de France est déjà en campagne municipale, en tout cas certains de ses dirigeants historiques. D’autres sont plus constructifs, comme en atteste la mission sur l’évolution de la fonction publique territoriale que vous aviez confiée, monsieur le secrétaire d’État, à Philippe Laurent.

Le Premier ministre n’a pas parlé que de froideur comptable dans le hangar glacial de Cahors, mais aussi de projets ambitieux : un nouvel élan pour améliorer l’accès à internet pour nos territoires ruraux, un assouplissement du calendrier de transfert de la compétence eau, un plan de 5 milliards d’euros pour revitaliser le centre des villes moyennes, ou encore l’encouragement à l’expérimentation au niveau local. Ces textes rendent possible une vraie décentralisation, que nous appelons de nos vœux. Reconnaissons que nous avons plutôt assisté au cours de la dernière décennie à un long entracte.

La République a rendez-vous avec ses territoires, comme nous le verrons en 2018. Ce projet en pose les premières pierres. En cohérence avec ses votes passés et afin de soutenir ce pacte financier, La République En Marche ne votera pas le texte tel qu’amendé par le Sénat, mais la version originale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi de finances pour 2018 porte clairement la signature de la nouvelle majorité présidentielle. Mais, plus que tout, elle n’est que la première « levée » de la loi de programmation. Une levée qui n’est dénuée ni de fausses cartes ni de mesures que l’on peut présenter comme autant d’atouts mis sur la table par le Gouvernement.

Quitte à filer la métaphore, demandons-nous qui sont les maîtres du jeu.

Clairement, il y a quelque chose qui unifie, quoi qu’on en dise, ces deux textes. Vos propos, monsieur le secrétaire d’État, l’ont d’ailleurs confirmé, même si vous avez évoqué une ligne de partage idéologique…

Le premier élément, c’est le carcan de l’Union européenne : tant dans la loi de programmation que dans la loi de finances, il faut se conformer aux règles fixées par la Commission européenne. Cette même Commission qui a fait du rêve européen le cauchemar d’une société inégalitaire, d’une croissance aux fruits mal partagés, d’une puissance centrifuge qui pèse sur la souveraineté de notre peuple comme sur l’unité de certains de pays membres.

L’Europe ne sait même pas lutter contre la fraude fiscale qui se déroule sous ses yeux, et même dans son arrière-cour. Cette Europe, qui n’est toujours pas sociale, est suspendue au fil de la finance.

Venons-en au deuxième élément, celui qui, telle la deuxième mâchoire de l’étau, unit les deux textes : l’appétit des marchés financiers.

Parce que c’est bien beau les critères européens, la convergence des politiques publiques et budgétaires, etc. Mais il faut tout de même dégager des marges pour que les marchés y trouvent leur compte… Et force est de constater que le tribut électoral exigé par les marchés financiers qui ont fait élire Emmanuel Macron a été largement payé.

Il y a, d’abord, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune : ce cadeau de 5 milliards d’euros aux plus riches coûtera 15 000 euros par contribuable concerné !

Il y a, ensuite, le prélèvement forfaitaire unique. Nous n’avons pas vraiment goûté cette disposition, qui nous a semblé offrir aux revenus du capital un avantage fiscal inconsidéré. Ce prélèvement, c’est un peu Retour vers le futur !

Rappelez-vous, monsieur le rapporteur général, notre débat amical de la semaine dernière sur la chaîne Public Sénat. Vous avez affirmé que le prélèvement forfaitaire unique concernerait des revenus ayant déjà supporté l’impôt sur les sociétés. À ce moment-là, un vieux souvenir m’est revenu…

Ce PFU, que vous avez approuvé, m’a paru bien plus fort que l’ISF-PME de Nicolas Sarkozy ou son relèvement des plafonds d’exonération des donations, et bien plus fort encore qu’Édouard Balladur et ses stock-options sans délai de portage minimal. Mes chers collègues, la grande nouveauté du PFU, c’est de reproduire le schéma exact de l’avoir fiscal de Valéry Giscard d’Estaing, issu de la loi du 12 juillet 1965… Quelle innovation !

Ce texte avait été présenté au Sénat par le secrétaire d’État au budget d’alors, Pierre Dumas. Permettez-moi de le citer : « Le texte visait un triple objectif : faciliter le développement de l’épargne et le financement des investissements ; permettre de reconstituer un marché financier contribuant activement à l’équipement du pays ; faire disparaître les obstacles qui contrarient le développement et la rénovation des structures industrielles. »

Monsieur Bargeton, toute ressemblance du discours d’hier avec celui d’aujourd’hui n’est sans doute que pure coïncidence !

Monsieur le rapporteur général, par un amendement dont je ne suis pas certain qu’il sera retenu par l’Assemblée nationale, vous avez voulu mettre en place un système anti-abus, pour éviter que l’incitation à se payer en actions ne soit trop forte. Vous avez notamment visé les cadres dirigeants d’entreprise et vous êtes interrogé sur leur taux de détention du capital. Vous avez fixé de fait une norme à 10 % de ce dernier. Mais qui est visé ? Je connais assez l’économie générale des grands groupes du CAC 40 pour savoir que votre amendement ne trouvera que fort peu – pour ne pas dire pas du tout – d’occasions de s’appliquer, à part peut-être dans une célèbre entreprise auvergnate de pneumatiques, dont la forme sociale est un peu particulière… Qu’on y songe !

Les administrateurs du groupe Danone, par exemple, détiennent moins de 1 % du capital de celui-ci, même si Franck Riboud aura touché en 2016 plus de 540 000 euros de dividendes, s’ajoutant aux 2 petits millions d’euros de sa rémunération fixe annuelle… Paradoxalement, monsieur le rapporteur général, ce sont plutôt les PDG de grosses PME ou d’entreprises de taille intermédiaire qui seraient gênés aux entournures par les mesures que vous préconisez.

Que souhaitez-vous ? Que ces entreprises s’ouvrent au financement par les marchés, au risque d’être victimes de je ne sais quels raids d’affairistes ? Là-dessus, pour faire bon poids, notre collègue Delahaye, qui interviendra dans un instant, a déposé un amendement visant à réduire le taux d’imposition séparée des plus-values.

Au début de l’année 2017, la revue populiste Le Cri du contribuable parlait de l’avoir fiscal comme d’une bonne mesure. Elle aura donc été entendue par le nouveau Président de la République et son « nouveau monde », un président dont les promesses semblent ainsi venir de quelques rangs poussiéreux. La nouveauté tarde à se manifester !

La discussion de la seconde partie du budget n’a pas été meilleure. J’en garde un souvenir particulier : la majorité sénatoriale nous a proposé d’alléger l’imposition des plus-values de la finance immobilière en prenant 2 milliards d’euros dans la caisse des organismes d’HLM, c’est-à-dire, in fine, dans la poche des locataires.

Le ton est donné ; nous ne voterons aucun des deux textes qui nous sont soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)