M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Hervé Maurey, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit, déposée par Patrick Chaize et rapportée par Marta de Cidrac. Je tiens à cette occasion à féliciter nos deux collègues pour leur implication et la qualité de leur travail sur ce sujet aussi complexe qu’important, avec une mention toute particulière pour vous, madame la rapporteur. Je crois pouvoir dire, en notre nom à tous, que vous avez réussi votre baptême du feu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Alain Fouché et Frédéric Marchand applaudissent également.)

Le déploiement de réseaux à très haut débit sur l’intégralité du territoire est un sujet capital par l’ampleur du chantier, qui représentera plus de 35 milliards d’euros d’investissements, par le nombre – 33 millions – de foyers et d’entreprises concernés, par le fait qu’il s’agit d’un projet structurant et déterminant pour la compétitivité de notre pays, ainsi que d’un enjeu majeur en termes d’aménagement du territoire et d’équité entre nos concitoyens.

Nous devons donc tout faire pour doter la France dans les meilleurs délais d’une couverture complète en très haut débit, en privilégiant, bien sûr, le déploiement de la fibre optique jusqu’à l’utilisateur, puisque c’est la technologie la plus pérenne et la plus adaptée aux usages de demain.

Cet objectif d’une couverture rapide et exhaustive de tout le territoire repose sur un partage de responsabilités entre, d’une part, une zone confiée à l’initiative privée à partir d’intentions manifestées par les opérateurs en 2011 et, d’autre part, le reste du territoire, pris en charge par l’initiative publique.

J’ai eu l’occasion à maintes reprises d’exprimer mes regrets face à ce choix fait en 2011. Celui-ci permet en effet aux opérateurs privés de pratiquer une politique d’écrémage, c’est-à-dire de préempter les zones rentables en laissant les autres à la charge des collectivités territoriales.

S’il n’est malheureusement plus possible de revenir sur une telle décision, il convient de protéger les efforts menés par les collectivités territoriales, qui sont en première ligne pour assurer l’aménagement numérique du territoire.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Hervé Maurey, président de la commission. Nous avons pu mesurer cette nécessité voilà quelques mois avec les annonces pourtant peu crédibles d’un opérateur, qui ont néanmoins eu un effet relativement déstabilisant sur un certain nombre de réseaux d’initiative publique.

Par ailleurs, il est indispensable de nous assurer, enfin, que les déploiements dans la zone d’initiative privée se concrétisent réellement et pleinement. Il s’agit simplement d’exiger des opérateurs qu’ils respectent leurs engagements, là où l’initiative publique a été écartée précisément en raison de ces intentions. Aujourd’hui, tel n’est toujours pas le cas, malgré les propositions réitérées du Sénat visant à ce que les opérateurs soient liés par leurs engagements et sanctionnés au cas où ils ne les respecteraient pas.

Sur le sujet, le combat du Sénat est ancien. Déjà, en 2011, et je me tourne spontanément vers Jean-Paul Émorine, qui présidait la commission dont j’étais membre à l’époque, nous avions présenté un rapport d’information intitulé Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes. Par la suite, avec mon ancien collègue Philippe Leroy, j’avais déposé une proposition de loi, adoptée par le Sénat en février 2012. Ce texte imposait aux opérateurs de s’engager sur un nombre précis de lignes construites, par année et pour chaque territoire, avec la possibilité de mises en demeure et de sanctions prononcées par l’ARCEP en cas de manquement. Malheureusement, le Gouvernement avait, à l’automne 2012, obtenu le rejet du texte par l’Assemblée nationale.

Dans un rapport d’information plus récent, publié en 2015, Patrick Chaize et moi-même avions recommandé une contractualisation dotée d’engagements précis, avec la possibilité pour l’autorité de régulation de prononcer des sanctions en cas d’inexécution.

Sur ce sujet, le gouvernement précédent nous avait régulièrement affirmé que le système de conventionnement lancé en 2013 était une réponse suffisante. Le ministre de l’économie de l’époque, devenu depuis Président de la République, avait annoncé un achèvement de ce processus de contractualisation pour la fin de l’année 2015, objectif ensuite reporté pour la fin de l’année 2016. À la fin de l’année 2017, le processus n’était toujours pas achevé ; là où il était réalisé, chacun pouvait déplorer le manque de précision des conventions signées avec les opérateurs.

En octobre dernier, nous avons eu la satisfaction de constater que l’ARCEP se ralliait au point de vue du Sénat en confirmant, une fois encore, qu’un encadrement des engagements des opérateurs était indispensable, compte tenu notamment du retard observé dans une grande partie de la zone d’initiative privée.

Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes en mars 2018. Le problème identifié par le Sénat dès 2011 n’a toujours pas été résolu. Les écarts considérables entre les engagements initiaux des opérateurs et la réalité compromettent une couverture intégrale du territoire national en très haut débit à l’horizon de 2020 et risquent de donner naissance à de véritables « zones blanches » en matière de très haut débit.

Les opérateurs affirment toujours qu’ils rendront l’intégralité des logements éligibles à une offre commerciale d’ici à 2020. Je n’y crois pas un seul instant. L’expérience nous a malheureusement montré combien ce type d’affirmations de la part des opérateurs était peu crédible et peu suivi d’effets. Si les opérateurs sont aussi sûrs d’eux-mêmes, qu’ils s’engagent enfin, concrètement, en termes de déploiement, territoire par territoire, avec des échéanciers permettant de contrôler régulièrement le respect des engagements, sous l’égide de l’ARCEP !

J’ai bien noté, monsieur le secrétaire d’État, que des discussions étaient en cours entre le Gouvernement et les opérateurs. Mais nous n’avons aucune garantie sur leur résultat final. Le Sénat entend donc aller plus loin avec cette proposition de loi. Sur ce sujet, comme sur d’autres problématiques d’accès au numérique, telles que l’accès à un haut débit de qualité ou la définition des zones blanches de la téléphonie mobile, il est regrettable que le Sénat n’ait pas été entendu plus tôt. Nous avons en effet, je l’ai rappelé, proposé des solutions, qui, de toute évidence, sont indispensables à mettre en œuvre. Permettez-moi, d’ailleurs, de déplorer que le Parlement ne soit pas davantage associé à la politique d’aménagement numérique du territoire.

Pour le déploiement des réseaux fixes, comme sur les questions de couverture mobile, le gouvernement actuel prolonge la tendance antérieure consistant à privilégier des négociations informelles et des conventions avec les opérateurs, dont le Parlement ne prend connaissance que tardivement et très partiellement. Les gouvernements successifs n’ont jamais réellement saisi le Parlement sur ce sujet pourtant essentiel. Cette pratique, qui conduit parfois à véritablement « court-circuiter » la représentation nationale, n’est pas acceptable. Nous aimerions que le Gouvernement agisse différemment et – pourquoi pas ? – qu’il applique l’engagement pris devant notre commission par un certain Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, de revenir tous les six mois faire le point sur le déploiement des réseaux.

Pour conclure, je voudrais me féliciter de ce que la présente proposition de loi apporte de vraies solutions sur ce sujet essentiel. Une fois encore, le Sénat a fait preuve de vigilance et de réactivité et démontre sa mobilisation sur la question de l’aménagement numérique du territoire. Toutefois, si nous l’abordons aujourd’hui, c’est parce que nous n’avons pas été entendus par les gouvernements précédents. J’espérais, monsieur le secrétaire d’État, que, cette fois-ci, il en irait différemment.

Je l’avoue, mais peut-être les débats vont-ils nous éclairer, je n’ai pas tout compris du positionnement du Gouvernement, qui nous explique partager les objectifs du texte, mais trouver que, quelque part, celui-ci arrive un peu trop tôt dans le calendrier. Non, monsieur le secrétaire d’État, il n’est pas trop tôt, il est presque trop tard ! Nous vous demandons donc de soutenir cette proposition de loi, essentielle pour le déploiement du numérique et pour nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à peine arrivé au gouvernement en juin 2017, le secrétaire d’État chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, promettait publiquement d’« amener internet là où il ne l’est pas », à l’appui d’un renforcement du plan France très haut débit, destiné à assurer une couverture complète du territoire d’ici à 2020. Or l’État dématérialise à tout-va ses services, alors même que la couverture numérique n’est pas totalement assurée. Vous l’avez vous-même rappelé, monsieur le secrétaire d’État, un Français sur deux n’a pas accès à ce type de connexion. Est-ce normal de mettre la charrue devant les bœufs ? Aujourd’hui, notre pays crée de l’exclusion numérique. C’est bien regrettable.

Annoncé sous le précédent quinquennat, ce plan numérique était supposé répondre à un enjeu d’avenir pour notre pays, puisqu’il devait assurer l’inclusion économique et sociale de tous les territoires, en désenclavant certains espaces géographiques aujourd’hui isolés du reste de la République. Pourtant, le fossé numérique demeure et crée des injustices notables.

Dans certains départements, la « zone blanche » est encore une réalité malheureuse. J’en veux pour preuve les nombreux exemples pointés du doigt par des collègues de mon groupe. Ainsi, au cœur de la Corrèze, à Saint-Martin-la-Méanne, le téléphone ne passe pas et la commune est exclue du plus petit débit internet. En Occitanie, l’ARCEP ne dénombre pas moins de 89 zones blanches souffrant d’isolement téléphonique et numérique. Et même en zone urbaine, il existe parfois des zones blanches ; je pourrais vous donner quelques exemples.

Face à cette situation, déplorable à la fois pour les habitants et les commerçants, le Gouvernement se doit d’agir.

Notre collègue Patrick Chaize nous soumet une proposition de loi pour protéger les réseaux d’initiative publique déployant la fibre dans les zones rurales. Nous souscrivons totalement à son analyse et saluons le travail ainsi réalisé.

Toutes les administrations et les institutions mettent en avant la dématérialisation comme étant l’alpha et l’oméga du bien-être, un moyen de faciliter la vie. Mais qu’en est-il en réalité ? Notre société abandonne une partie de la population, ceux qui ont des difficultés de connexion, qui ne sont pas des cybercitoyens, ou ceux encore, comme nombre de personnes âgées, qui ne possèdent pas d’équipements informatiques.

Ce qu’il faut, c’est envisager le court terme, l’urgence, pour ces territoires isolés, pour ces espaces relégués. La proposition de loi contient une série de mesures pour encourager la démultiplication des pylônes en zone rurale et assurer un bon débit : stagnation des redevances, plafonnement de l’IFER mobile, allégement des formalités administratives, etc. Nous devons saisir l’opportunité de la renégociation des licences d’utilisation des fréquences par les opérateurs pour accélérer ces débats.

Par ailleurs, nous saluons l’introduction, en commission, d’un article additionnel limitant l’extension de l’IFER sur les réseaux de câble et de fibre optique aux dites « zones fibrées ».

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la couverture numérique devrait être non pas un enjeu d’avenir, mais une réalité. Nous sommes en retard, il faut le reconnaître, et je salue à cet égard les propos du président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. La transformation digitale du pays devra bénéficier à toute la France, celle des villes comme celle des campagnes, sujet sur lequel mon collègue Alain Fouché vous dira quelques mots dans quelques instants. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à répondre aux préoccupations de nos concitoyens confrontés quotidiennement à la fracture numérique dans bon nombre de nos territoires ruraux ou peu denses.

La question de l’aménagement numérique de notre territoire et de l’égal accès aux services pour tous est primordiale au regard des évolutions de la société : démarches administratives en ligne, accès à l’information, aux savoirs et à la culture, ouverture sur le monde, ou encore télétravail, auquel notre groupe est particulièrement attaché.

Grâce à des initiatives locales, les besoins en termes de médiation et d’inclusion numériques sont pris en compte pour former les personnes les plus éloignées du numérique. Pourtant, une partie de notre territoire demeure pénalisée par un déploiement des réseaux trop lent ou trop inégal. En effet, selon l’Agence du numérique, 6,4 millions de Français disposent encore d’une connexion d’un débit inférieur à 8 mégabits par seconde, et même à 3 mégabits par seconde pour 3,5 millions d’entre eux, situés en zone rurale ou de montagne.

Nous connaissons tous des exemples de communes où les activités économiques et l’accès aux services publics sont fortement mis à mal par un réseau défaillant. Ainsi, j’ai été interpellé, comme beaucoup d’entre vous, par des élus de communes ayant des connexions tellement limitées que l’agent de La Poste ne peut plus effectuer ni versements ni prélèvements bancaires pour ses clients, qu’aucun mail ne peut partir de la mairie ou de l’EHPAD, des communes où les réservations en ligne pour les professionnels du tourisme sont impossibles et où les habitants n’ont pas accès aux services en ligne. De telles inégalités doivent cesser.

Le plan France très haut débit, lancé en 2013, a répondu à un certain nombre de nos interrogations, voire de nos inquiétudes : il organise les déploiements du réseau et la répartition entre l’initiative publique et privée jusqu’en 2022, pour couvrir l’ensemble du territoire français en très haut débit, tandis que 50 % des résidents en zones peu denses bénéficieront de la fibre.

S’il est certes pertinent d’équiper en priorité les zones denses, l’ambition doit être la même pour les territoires ruraux ou peu peuplés, l’accès aux services de toutes sortes étant déjà source de difficultés pour nombre de nos concitoyens. L’objectif intermédiaire d’un « bon débit pour tous », fixé en juillet dernier par le Président de la République, ne doit pas nous détourner des objectifs du plan France très haut débit.

Dans les zones peu denses, où les acteurs privés se montraient jusqu’ici réticents à s’engager, les collectivités territoriales ont investi massivement pour permettre l’installation rapide du très haut débit. Or, cela a été rappelé, l’annonce faite par un opérateur l’été dernier, en vue de couvrir l’intégralité du territoire national par son propre réseau, a menacé les principes structurants du déploiement et en a souligné les fragilités. Bien que l’opérateur semble aujourd’hui avoir revu ses ambitions à la baisse, on ne peut exclure des tentatives ultérieures des réseaux d’initiative privée qui viendraient ébranler l’équilibre financier.

Loin de nous l’idée de vouloir freiner l’accès au très haut débit par le recours à une initiative privée accrue. Mais nous partageons les arguments des auteurs de la présente proposition de loi : d’une part, les investissements déjà réalisés ou projetés par les collectivités doivent être sécurisés ; d’autre part, la cohérence de la couverture numérique du territoire doit être assurée. Nous le savons, les intentions du secteur privé ne coïncident pas toujours avec l’intérêt général, et c’est finalement l’utilisateur qui en subit les conséquences en termes de qualité de service et de coût.

Dans son avis en date du 25 octobre 2017, l’ARCEP souligne que les initiatives privées doivent tenir compte des réseaux publics et ne pas freiner l’expansion du très haut débit par une rupture de l’équilibre voulu par le plan France très haut débit. Ainsi, préserver l’existence d’une seule boucle locale optique mutualisée sur chaque territoire en zone peu dense apparaît comme une solution nécessaire.

L’adoption de l’article 2 de la proposition de loi, en rendant les engagements des opérateurs juridiquement contraignants par l’établissement d’une liste des lignes existantes ou en projet et d’un calendrier prévisionnel des déploiements, assortis de sanctions éventuelles, permettra d’accélérer les projets et de garantir leur visibilité. Cela fait partie des recommandations de l’ARCEP, qui constate que le Gouvernement aurait pu avoir recours à l’article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques. Créé par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, cet article L. 33-13 permet en effet au ministre compétent d’accepter des engagements souscrits par les opérateurs pour contribuer à l’aménagement et à la couverture des zones peu denses et à l’ARCEP de contrôler leur respect et de sanctionner les manquements.

En ce qui concerne les autres mesures proposées, le renforcement de la mutualisation des infrastructures, ainsi que la possibilité de confier le déploiement à un autre opérateur lorsque l’opérateur sur place ne s’est pas conformé à ses obligations constituent un progrès.

Nous restons toutefois vigilants quant aux incitations financières prévues dans l’accord qualifié d’« historique », passé en janvier dernier entre l’État et les opérateurs, lequel instaure un certain nombre de contreparties au déploiement accéléré de la 4G et à la résorption des zones blanches. Ces contreparties mériteraient de faire l’objet d’une étude d’impact, et il reste prématuré d’accorder de nouveaux avantages lorsque l’on constate que les engagements ne sont pas respectés par la suite.

Enfin, il nous semble que l’article 10, relatif à l’allégement des formalités pour encourager l’amélioration des constructions existantes, est en l’état imprécis quant aux simplifications qui seront apportées aux règles d’urbanisme. Plutôt que le renvoi à un décret en Conseil d’État prévu par l’article L. 426-1 du code de l’urbanisme, il eût été plus judicieux d’affiner la rédaction de l’article en question.

Nous savons que cette ambition et ces inquiétudes sont partagées par le Gouvernement, qui entend légiférer sur ces questions dans le cadre du projet de loi Évolution du logement et aménagement numérique. C’est à notre sens le bon véhicule, ne serait-ce que pour permettre d’évaluer l’impact des contreparties de l’accord « historique » sur nos finances publiques. Elles sont partagées également au sein de l’Union européenne, où est encore en discussion le projet de code européen des communications électroniques.

Ainsi, le groupe du RDSE, s’il est favorable à toute réforme visant à désenclaver nos territoires et à l’amélioration de la sécurité juridique des investissements publics, reste néanmoins réservé sur cette proposition de loi, pour les raisons que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la Conférence nationale des territoires, organisée en ces murs le 17 juillet dernier, le Président de la République indiquait : « Pour l’État, le premier enjeu est la lutte contre la fracture territoriale. L’État et les collectivités territoriales doivent travailler de concert afin de construire cette cohésion des territoires. »

Cette priorité gouvernementale de résorber la fracture territoriale passe aujourd’hui également par la résorption de la fracture numérique. C’est pourquoi le Président de la République a pris, à cette même occasion, des engagements très ambitieux en faveur de l’accélération de la couverture numérique de notre territoire : garantir le bon débit pour tous en 2020, le très haut débit en 2022 et la fibre pour tous en 2025.

En effet, cela a été rappelé, la France se trouve en bas du classement européen en termes de couverture en très haut débit fixe. Aujourd’hui, 6 millions de nos concitoyens n’ont pas accès à un débit internet fixe de qualité et plus de la moitié des Français déclare ne pas profiter assez des opportunités offertes par les nouvelles technologies.

Cette carence est d’autant moins acceptable que l’État, lui, accélère sa transformation numérique, afin de dématérialiser et de simplifier les démarches des particuliers, des associations, des entreprises et des administrations. Je salue en ce sens la mise en ligne, la semaine dernière, de la plateforme demarches-simplifiees.fr par le secrétaire d’État chargé du numérique, qui constitue un bénéfice pour tous, en particulier pour nos territoires ruraux.

Cette dématérialisation et cette transformation permettent de rendre plus efficaces et plus réactifs les services publics. Dans le même temps, elles peuvent accroître le sentiment d’abandon et d’exclusion des citoyens à mesure que les usages se développent : la fracture numérique devient alors une fracture d’accès aux services.

Oui, la fracture numérique entre les territoires est manifeste, elle nourrit les écarts de développement économique. Or les besoins en très haut débit sont les mêmes quels que soient les territoires : qu’il habite dans le centre de Lille ou en zone rurale, comme dans l’Avesnois, un lycéen aura toujours les mêmes nécessités d’accès à internet pour faire son exposé. Les petites et moyennes entreprises installées sur nos territoires ont elles aussi exactement les mêmes besoins que les PME de la région parisienne. Enfin, les zones rurales ont parfois justement davantage besoin du numérique que les zones urbaines ; je pense notamment à la promesse de la télémédecine, de l’e-santé en général, qui permet de lutter contre la désertification médicale. Comment faire alors sans une connexion internet de très grande qualité ?

Il nous faut lutter contre la situation d’inégalité dans laquelle nous nous trouvons, contre le sentiment d’abandon de trop de nos concitoyens, et veiller à l’inclusion des populations éloignées du numérique, en dotant les territoires d’infrastructures adéquates.

Les attentes des citoyens en matière de couverture numérique sont fortes et nécessitent une grande ambition, que l’on retrouve dans les objectifs que se sont fixés l’État et les opérateurs télécoms. En effet, certains retards accumulés par les opérateurs dans la mise en œuvre du plan France très haut débit ont mis en péril la réalisation des ambitions du Gouvernement.

Dans les zones d’initiative publique, les zones peu denses, rurales ou de montagne, la plupart des RIP sont lancés. Ces lourds investissements consentis par les collectivités territoriales doivent absolument être protégés de la concurrence des réseaux privés, sinon leur modèle économique est en péril. Il faut préserver les investissements publics et assurer de façon certaine la desserte de l’ensemble des habitants en fibre optique.

Tel est l’objectif de la proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize, mobilisé depuis plusieurs années, nous le savons, sur ce sujet du numérique et dont la compétence n’est plus à démontrer.

Nous sommes tous d’accord, les Français doivent être égaux dans l’accès au numérique grâce à l’effort conjoint des collectivités territoriales et des opérateurs privés, que ce soit en termes d’investissements ou de respect des engagements et contraintes de ces derniers.

À ce titre, le groupe que je représente est en adéquation avec la philosophie générale de la proposition de loi de Patrick Chaize. Toutefois, si nous nous rejoignons sur le fond du texte, notamment après son passage en commission, nous avons quelques réserves concernant non seulement la temporalité choisie, mais aussi le calendrier dans lequel s’inscrit son examen.

À l’échelon européen, si un accord politique provisoire a été trouvé sur le futur code européen des communications électroniques, les négociations n’ont pas encore abouti. En l’état, l’adoption de cette proposition de loi anticiperait donc les conclusions à venir, ce qui n’est, de notre point de vue, guère opportun.

Par ailleurs, nous le savons tous ici, au Sénat, qui a accueilli la Conférence de consensus sur le logement, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, un chapitre dédié à la simplification du déploiement des réseaux de communications électroniques à très haute capacité est inclus dans le futur projet de loi Évolution du logement et aménagement numérique, dit projet de loi ÉLAN. Dans ce dernier figurent quatre articles concernant cette simplification et répondant, en grande partie, aux mesures préconisées par notre collègue dans la présente proposition de loi. Ce sujet pourra alors prendre toute sa place dans le cadre, plus global, de l’examen du projet de loi ÉLAN, au mois de juin prochain.

C’est pourquoi le groupe La République En Marche s’abstiendra sur la présente proposition de loi. Néanmoins, nous estimons que le débat de ce jour est nécessaire pour envoyer un signal fort aux opérateurs : malgré les désaccords sur la forme, la majorité des groupes parlementaires et le Gouvernement parlent d’une seule et même voix.

M. Frédéric Marchand. Nous sommes alignés en matière de politique numérique. Les opérateurs doivent respecter leurs engagements en matière de développement des infrastructures numériques pour atteindre les objectifs fixés par le plan France très haut débit et le Gouvernement. En cas de manquement, ils devront être sanctionnés.

Le rôle du Parlement est non seulement de légiférer, certes, mais aussi de contrôler, notamment le respect des délais et du calendrier, et d’évaluer. La réforme constitutionnelle à venir, dont nous allons parler dans ces murs entre dix-sept heures et vingt et une heures, souhaite graver dans le marbre un aspect du travail parlementaire souvent méconnu et rendu parfois difficile au regard de notre procédure législative.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons là un sujet qui intéresse tous nos concitoyens, qu’ils soient jeunes ou âgés, urbains ou ruraux, actifs ou inactifs. Voilà pourquoi il est essentiel que nous nous en emparions, et c’est ce que nous ferons, maintenant ainsi une pression certaine sur les opérateurs tout en rassurant les collectivités, pour qu’elles continuent d’investir.