M. Roland Courteau. Évidemment !

M. Pierre Laurent. Vous renouvelez cet exploit ce soir, alors que, sur l’ensemble des bancs ou des travées, le Parlement vous demande d’adopter ce texte. C’est extrêmement inquiétant pour la démocratie.

Je veux dire que si notre rejet de votre amendement est un vote de colère face à votre attitude, c’est aussi un message d’espoir que nous envoyons au monde paysan. Nous ne les abandonnerons pas, nous ne céderons pas au subterfuge que vous utilisez ce soir.

Il faut que le monde paysan le sache, des élus comme ceux du groupe CRCE continueront à porter des propositions comme celle-ci, à faire entendre leur voix dans l’hémicycle et à montrer que la politique peut être digne, transparente et à l’écoute du peuple ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Madame la ministre, est-ce qu’au moins, ce soir, le doute s’est un peu installé dans votre esprit ? Est-ce qu’au moins vous vous dites : « Finalement, ces parlementaires qui siègent sur les travées de droite et de gauche connaissent un terrain que j’ai peut-être un peu de mal à percevoir, et leur avis peut être utile pour améliorer la justice sociale dans notre pays ? »

Vous êtes médecin, madame la ministre, vous faites partie de cette catégorie de ministres dits « techniques » – ce n’est pas une injure dans ma bouche. Vous partagez, je l’espère, le diagnostic que nous dressons depuis tout à l’heure, mais vous vous refusez à établir l’ordonnance nécessaire pour améliorer le sort de milliers de nos concitoyens vivant aujourd’hui dans une situation misérable.

Aussi, le groupe socialiste ne votera pas votre amendement et, je vous le dis très simplement, il rejette profondément la procédure du vote bloqué, qui muselle la représentation nationale ici présente. La soirée du 7 mars dernier a été une soirée noire pour la démocratie ; celle du 16 mai 2018 le sera tout autant.

Dans ce contexte, je vous demande de réfléchir, madame la ministre, d’entendre les nombreux parlementaires ici rassemblés et de considérer que l’« ancien monde » n’est pas opposé au « nouveau monde » ; notre seul souci est de faire en sorte que les « derniers de cordée » du monde agricole puissent avoir un espoir pour la fin de leurs jours.

Voilà la mission qui doit être la nôtre. Voilà le doute que, je l’espère, vous allez enfin partager en nous écoutant ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste, à l’exception de certains membres qui s’abstiendront, votera majoritairement contre le texte ainsi amendé parce que, tout d’abord, nous ne comprenons pas votre méthode. Pourquoi avoir reporté de quelques mois ce débat, que nous avons déjà eu en mars, pour aboutir finalement au même résultat ? Nous ne le comprenons vraiment pas.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Ce n’est pas nous qui l’avons reporté…

Mme Élisabeth Doineau. En outre, nous avions ce soir la possibilité, je le répète, de gommer une honte, ce qui nous tenait à cœur. En effet, beaucoup d’entre nous sont des politiques ; combien de fois sommes-nous allés, lors de campagnes électorales, dans des exploitations agricoles pour affirmer certaines choses auprès des agriculteurs ? Or, plus les semaines et les mois passent, plus on voit combien la vie est difficile pour eux, notamment depuis quelques mois.

Beaucoup de promesses leur ont été faites et nous avions vraiment ce soir une occasion de leur montrer notre soutien en permettant de substituer la solidarité nationale, que les agriculteurs méritent amplement, à la solidarité familiale, qui ne peut plus s’appliquer. En effet, on est souvent agriculteur de père en fils et, aujourd’hui, les fils ne peuvent plus apporter d’aide à leurs parents, qui touchent de petites retraites.

Par conséquent, c’est vraiment l’incompréhension que nous souhaitons exprimer au travers de ce vote, mais nous avons aussi l’espoir que vous vous fassiez notre ambassadrice, madame la ministre, auprès de ce gouvernement qui nous a fait tant de promesses sur un « nouveau monde », afin que les agriculteurs puissent voir dans la politique une promesse de réel changement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.

M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis agriculteur dans un département montagnard, dans lequel les agriculteurs à la retraite, dont le revenu est en dessous du seuil de pauvreté, font encore, à quatre-vingts ans, leur jardin pour se nourrir.

L’attitude que vous avez ce soir, madame la ministre, est une attitude de mépris vis-à-vis de générations de labeur. Cette attitude s’accorde avec l’ensemble des décisions prises depuis quelques mois pour mépriser la ruralité. Vous voulez vider les communes rurales de leurs compétences ; vous avez abaissé la limitation de la vitesse de 90 kilomètres à l’heure à 80 kilomètres à l’heure, ce qui va pénaliser encore un peu plus la ruralité ; vous allez supprimer la taxe d’habitation, sans que l’on connaisse véritablement la capacité qu’auront les communes rurales de faire face aux besoins de leur existence.

Tout cela ne démontre qu’une seule chose, c’est que vous avez une obstination totalement jacobine. Malheureusement pour vous, la France, c’est 80 % de territoires ruraux ; nos sources, nos convictions, ce qui nous fait, c’est, pour la plupart d’entre nous, le territoire rural ! La vie, l’histoire de la France sont non pas dans les villes, mais dans les campagnes. Mépriser celles-ci, comme vous le faites aujourd’hui, suscite en moi un vrai sentiment de dégoût, et je rentrerai dans le département dont je suis élu avec ce sentiment.

Je veux citer pour finir Montesquieu, selon lequel les gens de mon pays – les miens, ceux de la ruralité – « ne sont pas assez savants pour raisonner de travers ». Eh bien, sans vous manquer de respect, madame la ministre, ce soir, vous raisonnez de travers ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.

Mme Catherine Conconne. Madame la ministre, lorsque vous prendrez la parole, dans quelques instants, pour défendre l’indéfendable, je voudrais que vous me disiez ce que vais leur dire… Oui, que vais-je dire à mes compatriotes agriculteurs, que je vais retrouver la semaine prochaine, quand je rentrerai dans le département dont je suis élue ? Que vais-je leur dire, à eux, qui ont été tardivement alignés sur la notion d’égalité ? Il aura en effet fallu attendre le gouvernement de Lionel Jospin pour que l’on commence à voir que la Martinique, la Guadeloupe – ce que vous appelez « l’outre-mer » – faisaient partie intégrante de la République !

M. François Patriat. On touche le fond, là…

Mme Catherine Conconne. Que vais-je dire à mes compatriotes agriculteurs, qui se battent au quotidien contre des maladies phytosanitaires – la science n’a aujourd’hui aucune solution –, qui se lèvent tous les matins en regardant le ciel, redoutant cyclones, raz-de-marée ou inondations, qui sont de plus en plus fréquents – on connaît les conséquences du réchauffement de la planète ?

Comment pourrais-je leur expliquer que cette France qui trouvera des centaines de millions d’euros pour organiser des jeux, les jeux Olympiques de 2024 – manifestation que je défends et que j’apprécie –, pour lancer des feux d’artifice et des paillettes par dizaines de millions d’euros, pour financer des fêtes, pour construire des stades et des bassins de natation et faire jouer des sportifs futiles, cette France ne peut pas trouver de quoi leur donner les quelques dizaines d’euros qui leur permettraient de survivre ? En effet, même avec cette augmentation que nous appelons de nos vœux, pour eux, il s’agirait encore de survivre !

Mme Éliane Assassi. Absolument !

Mme Catherine Conconne. Que vais-je leur dire, la semaine prochaine ? Comment leur demander de continuer de croire en nous, de voter pour nous, de croire que cette République se bat tous les jours contre l’exclusion, de croire qu’ils ont, eux aussi, droit à la meilleure justice ?

Je voudrais des réponses, madame la ministre, parce que, une fois dans mon avion, j’aurai honte à l’idée de les affronter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen sollicite une suspension de séance de quelques minutes, monsieur le président.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante, est reprise à vingt-deux heures quarante-trois.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Watrin, rapporteur. Je m’exprimerai tant à titre personnel qu’en tant que rapporteur de la commission des affaires sociales.

Nous avons eu droit, lors de la séance du 7 mars dernier et encore aujourd’hui, à de vrais exercices d’enfumage de la part du Gouvernement, sur lesquels il faut revenir. En effet, rappelez-vous, le 7 mars dernier, le secrétaire d’État nous disait que cette proposition de loi n’était pas financée et que son financement retomberait sur les épaules du contribuable ou sur les caisses de la sécurité sociale. J’ai démontré qu’il n’en était évidemment rien, cela est complètement inexact.

Rappelons-le, le secrétaire d’État avait même osé dire que cette proposition de loi, validée par toutes les travées de la Haute Assemblée – à l’exception de La République En Marche –, par l’Assemblée nationale…

M. François Patriat. Par l’ancienne Assemblée nationale !

M. Dominique Watrin, rapporteur. … et par la commission des affaires sociales, était financée par une taxe sur le tabac ; c’est extraordinaire !

Si l’article 5 mentionne, effectivement, des taxes sur le tabac, c’est uniquement pour couvrir les frais de gestion. Le financement du dispositif de la proposition de loi repose sur une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières, qui existe déjà, et qui correspondrait à une augmentation d’un centime pour une transaction de 10 euros. Voilà la réalité !

Donc, que l’on ne nous dise pas que cette proposition de loi n’est pas financée : en tant que rapporteur, je ne peux pas l’accepter, c’est insupportable ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mais on voudrait aussi nous faire croire, au travers des insinuations d’un sénateur de La République En Marche, que certains syndicats agricoles – on ne parle évidemment pas des associations de retraités agricoles, qui ont déposé 8 000 signatures, on n’ose tout de même pas contester leur soutien à cette proposition de loi – seraient contre ce texte.

Regardons les faits.

J’ai ici les communiqués de différents syndicats concernés – la Confédération paysanne, le Mouvement de défense des exploitants familiaux, le MODEF, la Coordination rurale – qui, la veille ou le lendemain de l’examen de ce texte au Sénat en mars dernier, ont dénoncé « avec force l’attitude du Gouvernement et son refus d’améliorer immédiatement le quotidien » des retraités, et qui ont demandé ensemble « le retrait de cet amendement et du vote bloqué afin de laisser aboutir le processus législatif ». Si, ça, ce n’est pas un soutien à la proposition de loi que je défends en tant que rapporteur, je n’y comprends plus rien !

C’est vrai, vous évoquiez plutôt l’attitude de la FNSEA, mais vous n’avez certainement pas lu les dernières informations. Le communiqué de presse de la FNSEA, daté de Paris, le 15 mai 2018 – hier soir –, est très clair. Son titre : « 85 % du SMIC : les retraités agricoles s’impatientent ! »

M. Gilbert Bouchet. Alors, madame la ministre ?...

M. Dominique Watrin, rapporteur. « L’objectif de revalorisation des retraites à 85 % du SMIC est une urgence pour l’ensemble des retraités actuels et à venir de la métropole et d’outre-mer » ; voilà ce que dit la FNSEA ! (Exclamations et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gilbert Bouchet. Dites la vérité, madame la ministre !

M. François Patriat. Ce n’est pas fini, lisez la suite !

M. Dominique Watrin, rapporteur. La FNSEA soutient donc pleinement cette proposition de loi ! (Applaudissements et exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. Vous auriez dû laisser M. le rapporteur terminer tout à fait avant de l’applaudir, mes chers collègues.

La parole est à Mme la ministre. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que vous vous apprêtez à voter, je souhaite répondre à vos interventions et même à vos interpellations. Vous avez beaucoup parlé de mépris ; j’ai évidemment un profond respect pour les agriculteurs, pour leurs représentants et je respecte également les engagements que j’ai pris devant vous, le 7 mars dernier.

Comme je m’y étais engagée, le haut-commissaire à la réforme des retraites et moi-même avons rencontré l’ensemble des organisations agricoles. Nous les avons longuement écoutées, nous avons échangé et nous avons entendu leurs attentes. Je les remercie d’ailleurs sincèrement du dialogue de très grande qualité que nous avons eu. J’en retiens une évidence, partagée par toutes les organisations : l’insatisfaction des exploitants agricoles à l’égard de leur régime de retraite et leur souhait de le voir évoluer, en particulier le régime de base qui doit être, selon les organisations, au centre des réflexions sur l’amélioration des retraites agricoles.

Quelle a été la demande exprimée ? Pour reprendre les mots utilisés plusieurs fois par nos interlocuteurs, il faut de la lisibilité et de l’équité. Toutes les organisations considèrent que le régime des pensions agricoles est illisible à force de complexité, et que beaucoup de règles sont injustes et insatisfaisantes. Elles ont évoqué les conditions d’acquisition des droits au titre de la retraite proportionnelle, avec le souhait de revoir tant la base minimale de cotisation que la progressivité du barème ; plus largement, c’est la prise en compte de la variabilité des revenus agricoles dans la constitution des droits à la retraite qui est l’enjeu de fond.

Ces organisations ont également évoqué les différences avec les autres groupes professionnels dans les règles applicables au régime de pensions. De nombreuses questions ont été soulevées à ce sujet ; je veux citer en particulier les règles de cumul entre emploi et retraite, mais aussi les conditions de calcul des pensions de réversion et la situation des conjoints et des aidants familiaux.

Lisibilité et équité, voilà ce que demandent les organisations agricoles ; lisibilité et équité, c’est aussi ce que propose le Gouvernement comme principes de construction de la réforme systémique des retraites. Le haut-commissaire et moi-même, répondant à l’invitation de la Haute Assemblée et de son président, avons eu l’honneur de lancer officiellement cette réforme le 16 avril dernier et d’engager les concertations. Celles-ci aborderont en particulier la place des mécanismes de solidarité, puisque c’est de cela que nous parlons, dans la constitution des droits à la retraite, mécanismes qui intéressent tant les exploitants agricoles que l’ensemble de nos concitoyens.

Pour autant, la situation des retraités n’est pas satisfaisante pour les exploitants agricoles, et plus encore pour leur conjoint et les aidants familiaux. Je le dis, comme les organisations agricoles et vous-mêmes l’avez souligné, une vie de travail et une retraite insuffisante, ce constat est partagé.

C’est pourquoi, sans remettre en cause les équilibres essentiels du régime agricole, qui seront au cœur de la réforme à venir, il a semblé au Gouvernement légitime de proposer, dans l’urgence, deux améliorations au régime des retraites à destination des exploitants agricoles contraints de quitter leur activité pour cause d’inaptitude et au bénéfice des conjoints collaborateurs et aidants familiaux. D’ailleurs, j’observe que c’est sur l’initiative du Gouvernement que cette question essentielle des femmes d’agriculteurs a été abordée aujourd’hui, pour la première fois, dans le débat.

Mme Éliane Assassi. Ça ne représente que 27 euros !

Mme Cécile Cukierman. En plus, on devrait dire merci ?...

Mme Laurence Cohen. On en a parlé !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous n’en aviez pas parlé la dernière fois, madame Cohen !

Mme Cécile Cukierman. C’est scandaleux ce que vous faites, madame la ministre, vous utilisez les gens !

M. Gilbert Bouchet. On parle de 27 euros !

Mme Agnès Buzyn, ministre. C’est cet amendement qui a soulevé le problème ! Il va de soi que cette proposition emporte un engagement formel du Gouvernement pour faire aboutir ses propositions.

Je rappelle d’ailleurs que, malgré le vote unanime dont vous parlez, le gouvernement précédent n’était pas favorable à cette réforme.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas le problème ! Vous proposez 27 euros, c’est méprisant !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous avez refusé ces amendements, ils ont reçu un avis défavorable de la commission ; je pense que certains le regrettent… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Anne Chain-Larché. C’est vous qui refusez le débat !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Nous le regrettons également et nous en prenons acte. (Les protestations redoublent.)

Mme Cécile Cukierman. Vous vous expliquerez devant le monde agricole ! C’est irrespectueux !

M. le président. Veuillez laisser Mme la ministre achever son propos, mes chers collègues !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux dire que nos interlocuteurs, que nous avons longuement rencontrés, ont compris la cohérence de la démarche du Gouvernement, ils l’ont acceptée. (Mêmes mouvements.)

M. Pierre Cuypers. On va vous croire !

M. Fabien Gay. On n’a pas vu les mêmes !

Mme Cécile Cukierman. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Une réforme d’ensemble est engagée, avec un calendrier très précis, puisque les concertations s’achèveront avant la fin de l’année et aboutiront à soumettre, l’année prochaine, cette réforme des retraites au Parlement. Il ne serait donc pas logique ni raisonnable de statuer pour un seul corps professionnel sur les questions essentielles, notamment de solidarité, qui sont au cœur de la réforme à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme Cécile Cukierman. Vous n’avez pas répondu à nos interpellations !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié par l’amendement n° 3 du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 103 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 274
Pour l’adoption 22
Contre 252

Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures, est reprise à vingt-trois heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer
 

8

Évolution des droits du parlement face au pouvoir exécutif

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « L’évolution des droits du Parlement face au pouvoir exécutif ».

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je vous rappelle que ce débat a été inscrit par la conférence des présidents dans le cadre de l’espace réservé au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, limité à une durée de quatre heures. Je me verrai donc dans l’obligation de lever notre séance à zéro heure quarante-trois.

Dans le débat, la parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, mes amis du groupe CRCE et moi-même avons demandé l’inscription de ce débat sur l’évolution des droits du Parlement non seulement au titre du contrôle de l’action gouvernementale, mais surtout pour alerter l’opinion sur les graves dérives en cours, qui mettent en péril l’équilibre démocratique de nos institutions. Cette question n’est pas réservée à quelques spécialistes. Elle concerne intimement chaque citoyen.

La problématique relative au respect du Parlement et de ses prérogatives est au cœur de l’actualité. Le contexte de cette journée, marquée une nouvelle fois par l’utilisation de la procédure dite du « vote bloqué » par le Gouvernement à l’encontre d’une initiative parlementaire, met en exergue la pression de plus en plus forte exercée par le pouvoir exécutif sur les assemblées, y compris dans le cadre de leur compétence historique d’élaboration de la loi. Ce qui a expliqué la forte réaction à ce coup de force, madame la garde des sceaux, c’est la prise de conscience que vous approchiez d’une ligne rouge au-delà de laquelle la Constitution au sens historique du terme, c’est-à-dire la République, fondée sur le respect de la séparation des pouvoirs, ne serait plus respectée. Cette inquiétude des parlementaires a pris corps sur la quasi-totalité des travées de cette assemblée au fil des mois passés.

Le discours du chef de l’État au mois de juillet dernier à Versailles, long et parfois tortueux, pour ne pas dire complexe, était transparent sur un point : l’ambition de réformer le Parlement. Pour Emmanuel Macron, le fil de ce projet est la recherche de l’efficacité. Pour d’autres, dont nous sommes, au travers de ce discours qui prend tout son sens aujourd’hui, c’est l’affaiblissement des assemblées qui est recherché, leur « mise sous tutelle », comme l’a exprimé le président du Sénat le 9 mai dernier.

Le futur Président de la République, peu disert sur son programme durant la campagne électorale, a été clair sur un point : son nouveau monde ne pouvait supporter la supposée lenteur de la fabrication de la loi, pourtant chère à Mirabeau, et montrait clairement du doigt dans une attitude profondément démagogique le Parlement et les parlementaires comme des stigmates de cet ancien monde qu’il fallait s’empresser d’effacer.

En vérité, la volonté est d’adapter les institutions des démocraties au rythme de la mondialisation libérale et de les y soumettre. Faut-il rappeler que, au-delà de l’annonce de la réduction du nombre de parlementaires – sur laquelle je reviendrai –, Emmanuel Macron avait même affiché l’idée de réduire le temps législatif du Parlement à trois mois ? Je pense que cet objectif est maintenu par le projet de loi constitutionnelle présenté la semaine dernière et par la volonté affichée par la majorité de l’Assemblée nationale.

La question des droits du Parlement, ce n’est pas la défense des intérêts de quelques notables. Défendre ses droits, ce n’est pas se satisfaire de l’État existant, c’est-à-dire d’assemblées déjà affaiblies, peu représentatives et n’ayant apporté aucune solution satisfaisante aux yeux d’une large majorité de nos concitoyens.

L’impopularité du Parlement est avant tout l’impopularité d’une institution qui n’a pas pu répondre depuis des années aux premières attentes, comme la baisse du chômage, l’augmentation du pouvoir d’achat, les difficultés relatives au logement ou la nécessité de proposer une école ouverte et un hôpital capable de répondre aux besoins. Ces attentes d’un mieux vivre, d’une vie sereine, loin des violences sociales et de la dureté de la vie quotidienne, les gouvernements et les majorités parlementaires successifs n’y ont pas répondu et ont souvent aggravé la situation.

Emmanuel Macron a bien perçu cette profonde déception, cette grande attente, et il les utilise pour renforcer son pouvoir présidentiel, symbole d’une nouvelle pratique, en réduisant le pouvoir parlementaire, survivance pour lui des institutions de l’ancien monde.

Le projet constitutionnel qui doit être examiné par l’Assemblée nationale pendant les vacances, alors que ce débat devrait avoir lieu au grand jour, confirme pleinement nos craintes. Il s’agit là, comme je l’ai dit dans le débat précédent, d’un élément clé du dispositif mis en place avec les projets de loi organique et ordinaire à venir visant à réduire la place du Parlement dans l’architecture institutionnelle de notre pays.

Le droit d’amendement est clairement dans le collimateur du pouvoir exécutif. La limitation du débat aux seuls amendements ayant un lien avec le texte dès la première lecture est un moyen de tuer l’échange démocratique en annihilant l’initiative parlementaire.

Depuis des années, mes chers collègues, nous alertons sur la limitation progressive du droit d’amendement. Combien de fois avons-nous indiqué qu’en acceptant telle ou telle restriction – par exemple, la règle de l’entonnoir, qui bride le dépôt d’amendements en seconde lecture, ou l’interprétation extensive de l’article 40 de la Constitution, qui supprime toute possibilité de proposition en matière budgétaire, le développement des irrecevabilités allant jusqu’à mettre en cause la possibilité pour le parlementaire de proposer la remise d’un rapport sur tel ou tel sujet –, c’est l’affaiblissement progressif du Parlement qui était validé ?

Cette obsession du tri entre bons et mauvais amendements, entre amendements justifiés ou pas, a peu à peu créé les conditions aujourd’hui d’un véritable assaut contre ce qu’il reste du droit d’amendement.

Cette obsession de la rationalisation du travail parlementaire nous a amenés à la situation actuelle : des débats sans saveur, sans enjeu, sans confrontation d’idées ou bien peu, sans possibilité de véritables échanges sur des propositions alternatives. En quoi les débats approfondis d’hier ont-ils posé un problème démocratique ?

Prenons le cas de la crise actuelle de la SNCF, dont le Gouvernement porte l’essentiel de la responsabilité. Au-delà des options de fond, le choix d’une méthode autoritaire, archaïque par sa violence, n’aurait-il pu être évité par un véritable débat au sein de l’entreprise elle-même pour commencer, et au Parlement ensuite ?

Prendre le temps du débat n’est pas seulement un artifice démocratique. Cela permet aussi à la société de s’exprimer, de faire valoir ses inquiétudes, ses colères au travers d’échanges parlementaires. Si la parole est restreinte au Parlement, si le droit de proposition est éteint, il ne faudra pas s’étonner que le peuple trouve tout à fait légitimement d’autres voies pour s’exprimer. L’exercice de la démocratie en France ne peut être réduit à la seule utilisation du bulletin de vote hors de l’élection présidentielle, les élections législatives étant devenues une sorte de vote complémentaire à l’élection du chef de l’État du fait de l’inversion du calendrier.

Permettez-moi de m’arrêter sur cette question, car le temps me manquera. Restaurer la plénitude des pouvoirs du Parlement passe bien entendu par une modification du calendrier électoral pour revenir à des élections législatives qui précèdent l’élection présidentielle.