M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier personnellement M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny et MM. Claude Haut et Franck Montaugé, auteurs de cette proposition de résolution européenne « en faveur d’une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires ».

À la veille des débats sur le projet de loi portant sur l’agriculture et l’alimentation, cette proposition de résolution européenne tient lieu de signal d’alarme.

Dans ses propositions relatives au cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne propose une réduction de 5 % du budget de la politique agricole commune en euros courants. Les aides directes aux agriculteurs, qui représentent pourtant une part non négligeable des revenus de ceux-ci, accuseraient une baisse de 4 % en euros constants, soit 80 % de la baisse annoncée du budget total.

En opérant une coupe budgétaire drastique, cette proposition de la Commission européenne revient à faire de la politique agricole commune une variable d’ajustement du budget européen et à considérer l’agriculture comme une simple valeur ajoutée à l’architecture européenne, alors qu’elle en est le ciment.

En réaction à cette offensive, la présente proposition de résolution européenne vise à garantir des ressources budgétaires stables et suffisantes pour soutenir les producteurs et encourager l’évolution de notre modèle agricole. Nous attendons notamment une évolution du droit de la concurrence. Il est urgent que le droit européen s’adapte aux spécificités du monde agricole. À cet égard, j’ai présenté en commission des affaires économiques un amendement visant à formaliser une demande de reconnaissance des circuits de proximité. Dans le droit européen, en effet, les règles des marchés publics sont contraignantes et ne permettent pas de privilégier l’approvisionnement dit de proximité en produits locaux, par exemple pour alimenter la restauration scolaire. La libre concurrence ne doit pas se faire au détriment de nos territoires ! Nous devons ouvrir notre commerce à l’extérieur, sans perdre le lien local.

Cet amendement, cosigné par plus de quarante de nos collègues, exprime d’abord une volonté qui émane de nos élus locaux. Ainsi, dans le Nord, des maires mènent une résistance exemplaire pour permettre aux enfants de leur commune de manger sainement, avec des produits frais issus des exploitations voisines. La demande est forte en matière de circuits de proximité.

Pour autant, je ne saurais recommander à l’agriculture française de se replier sur elle-même. Je plaide pour un développement agricole équilibré : si des secteurs tels que les produits maraîchers et la viande se prêtent aux circuits courts, il en va autrement pour les secteurs d’exportation que sont les céréales, le vin, l’huile de colza ou encore la pomme de terre. N’oublions pas les circuits longs ! Une bouteille sur dix de vin français est consommée en Chine et 90 % des productions de cognac sont exportées…

Or la volonté de réduire le budget de la politique agricole commune entre en contradiction avec les choix géostratégiques opérés par les autres grandes puissances agricoles mondiales, à commencer par la Chine, les États-Unis et la Russie.

« L’agriculture est la locomotive de l’économie russe », a dit Vladimir Poutine. Ne laissons surtout pas à la Russie le monopole de la diplomatie agricole ! La France est douée pour négocier des Airbus, des Rafale, mais quelle est sa stratégie en matière d’exportations agricoles ?

N’oublions pas que la stabilité politique de nombreux pays, au premier rang desquels l’Algérie et l’Égypte, dépend de leurs importations de céréales françaises. Mes chers collègues, un hectare de blé sur dix produits en France contribue à nourrir des pays d’Afrique du Nord, dont, en 2050, les besoins en céréales auront décuplé sous les effets du changement climatique, de la croissance démographique et des flux migratoires.

Diminuer les aides de la politique agricole commune, c’est oublier que la surproduction nationale bénéficie à des millions de personnes vivant hors de nos frontières ; c’est oublier aussi que ces exportations participent à la balance commerciale de la France.

L’Europe est avant tout une puissance agricole : ne sacrifions pas le budget de la politique agricole commune sur l’autel des nouvelles priorités européennes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite que notre assemblée se penche cet après-midi sur l’avenir et le budget de la politique agricole commune. Le sujet est d’une actualité brûlante, puisque, vendredi dernier, la Commission européenne a dévoilé ses propositions, non sans susciter de vives inquiétudes.

Les eurodéputés ont manifesté de fortes réserves, qu’ils ont formalisées dans une résolution adoptée à une large majorité. C’est un signal qui rejoint, monsieur Gremillet, celui que le Sénat a envoyé voilà quelques mois.

Je tiens à saluer la qualité du travail accompli par nos quatre collègues du groupe de suivi sur la réforme de la PAC, jusqu’à la présente proposition de résolution européenne. En effet, ils n’ont pas manqué de tirer la sonnette d’alarme. Oui, pour ne pas les citer, la PAC pourrait « traverser un cap dangereux en 2020 » !

On le sait, en l’état des négociations, si rien n’est fait, la PAC pourrait être une variable d’ajustement des conséquences budgétaires du Brexit – de 10 milliards à 13 milliards d’euros en moins – et de l’émergence de nouvelles priorités politiques, notamment en matière de sécurité, de migration et de défense.

Il faut donc entrevoir un cadre financier pluriannuel plus ambitieux, en y intégrant une dynamique de ressources propres. En effet, dans le prochain cadre, la PAC serait amputée de 5 % de ses crédits – si l’on entre dans la bataille des chiffres, la baisse serait en réalité de près de 15 %, compte tenu de l’inflation. Alors que cette politique fondatrice de l’Union européenne est garante de la sécurité et de l’autonomie alimentaires de celle-ci, elle ne pèserait plus que 28,5 % au sein du budget de l’Union européenne, contre 37 % aujourd’hui.

Il serait tout à fait paradoxal que l’Europe se désarme dans ce domaine, au moment où, au contraire, les grandes puissances économiques telles que le Brésil, l’Inde, la Russie ou les États-Unis investissent lourdement dans leur indépendance alimentaire, donc dans leur politique agricole.

Nous ne pouvons accepter cette baisse drastique, et vous avez dit à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que vous ne l’acceptiez pas non plus.

Dans un contexte concurrentiel de plus en plus exacerbé et compte tenu des différents aléas auxquels doit faire face notre agriculture, une politique européenne de soutien demeure essentielle à la viabilité de nombreuses exploitations agricoles en France. En effet, les aides représentent aujourd’hui en moyenne 47 % du revenu des agriculteurs français. Une perte de 5 milliards d’euros d’aides directes au cours de la période 2021-2027 est donc inenvisageable pour notre pays.

Certes, l’Europe peut porter une ambition agricole commune rénovée et encore mieux adaptée aux nouvelles exigences économiques, environnementales et de consommation. Les agriculteurs se sont toujours montrés ouverts à la modernisation, pourvu qu’elle soit porteuse de sens et source de simplification.

En conséquence, sur les grandes lignes, on doit pouvoir obtenir un consensus au sein de l’Union européenne pour l’accompagnement des exploitations dans leur développement et leurs innovations, la gestion et la prise en compte des changements climatiques, l’aide à la modernisation des entreprises, l’appui à la structuration de filières modernes pour mieux organiser la production et, surtout, la fondation d’une politique véritablement commune de gestion des risques agricoles et de gestion de crise. Je regrette que la Commission européenne manque particulièrement de volontarisme sur ce point.

Seulement, tout cela sera difficile à réaliser si la PAC n’est pas maintenue dans une dynamique budgétaire.

Au-delà des considérations financières, la Commission européenne propose une méthode de mise en œuvre de la PAC qui risque de poser problème. Les organisations agricoles se sont inquiétées, à juste titre, du principe de subsidiarité, qui entraînerait des distorsions de concurrence entre les agriculteurs européens, ce que la PAC est pourtant censée éviter.

Même si les plans stratégiques des États membres seront soumis à un contrôle, ne s’oriente-t-on pas vers une renationalisation rampante des aides ? Au RDSE, nous sommes fermement opposés à toute forme de renationalisation de la PAC en ce qui concerne le premier pilier !

Je n’oublie pas non plus la pression exercée pour harmoniser les montants des paiements directs.

Pour autant, il ne s’agit pas de s’enfermer dans un conservatisme ; mais garantissons une politique commune avec un grand « C » ! Pour cela, maintenons un socle de règles standards et de soutiens financiers communs, ainsi qu’une politique de marché, tout en garantissant à chaque État une marge de manœuvre raisonnable et réaliste.

S’agissant du second pilier, conçu comme porteur d’une politique territoriale, voire territorialisée, nous pourrions renforcer la subsidiarité au niveau des pays, voire à l’échelle des régions.

L’agriculture européenne a besoin aussi d’un soutien modernisé, à travers la mise en place de nouveaux outils. Je pense en particulier au statut de l’agriculteur, qui doit avancer afin de permettre une meilleure répartition des aides.

La question se pose également de la sécurisation du revenu ; elle a été engagée par le « Règlement Omnibus », mais, comme je l’ai déjà souligné, celui-ci ne va pas assez loin. Il faut notamment renforcer les mécanismes assurantiels et de gestion de crise pour pouvoir soutenir la résilience des exploitations agricoles face à la volatilité des prix et aux aléas climatiques. La présente proposition de résolution européenne le suggère.

Il faut aussi réaffirmer une politique ambitieuse en matière de diversité des cultures, notamment en direction des cultures sources de protéines, des légumineuses et des protéagineux.

Il me paraît également important de soutenir et de sécuriser les filières d’agrocarburants, afin de rendre l’Europe moins dépendante des énergies fossiles. Elles sont aussi une source importante de protéines.

Mes chers collègues, le Sénat a toujours été très attentif à l’avenir de la PAC, sans pour autant ignorer l’intérêt des autres politiques européennes, ô combien nécessaires.

Le RDSE, très attaché à l’Europe, est soucieux de l’équilibre à trouver sur le plan budgétaire pour faire coexister toutes les priorités et toutes les attentes de nos concitoyens. Seul un budget à la hauteur des défis permettra d’y parvenir.

Naturellement, le groupe du RDSE votera cette proposition de résolution européenne porteuse d’ambition pour l’Europe et pour notre agriculture, qui avance des pistes de réflexion concrètes et opportunes. Je renouvelle mes félicitations à ses quatre auteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne revêt un caractère extrêmement important, puisque, entre les défis actuels et futurs pour notre agriculture et les annonces de la Commission européenne, un fossé abyssal est en train de se creuser.

Si nous partons du postulat, fort probable, que la population mondiale atteindra 9 milliards d’habitants en 2050, la sécurité alimentaire est une problématique cruciale.

Peu de pays au monde ont la chance d’avoir un climat tempéré et permettant une production agricole sereine. La France a cette chance, doublée par le fabuleux avantage de la multiplicité de ses territoires, qui contribue à offrir un panel de produits exceptionnels.

L’agriculture a aussi le fabuleux pouvoir de façonner les paysages partout dans le pays, faisant l’ébahissement de millions de touristes.

Cela a été jusqu’à présent possible, car nous avons toujours favorisé le maintien d’une agriculture familiale, répartie dans toutes les régions de France. C’est aussi le fruit d’une politique sachant corriger les écarts : la compensation des handicaps naturels, à travers notamment l’ICHN, a été un des éléments les plus aboutis d’une prise en compte des différences de productivité entre la plaine et la montagne.

Tous ces éléments devraient nous permettre de croire à un avenir meilleur pour l’agriculture française : elle aurait un rôle central dans le défi de nourrir le monde et éviterait que des millions de personnes soient réduites à quitter leur pays et à migrer à la recherche hypothétique d’une vie meilleure.

Eh bien non, monsieur le ministre, rien de ce que l’on entend ou lit aujourd’hui des communiqués de la Commission européenne ne nous permet de croire à un avenir meilleur pour nos agriculteurs ! En effet, l’annonce de la diminution de 5 % du budget de la PAC nous fait froid dans le dos, d’autant plus que ce chiffre cache une réalité encore plus sombre : une baisse réelle de 14,7 % sur le premier pilier et de 26,3 % sur le second. Vendredi dernier, la Commission européenne a même annoncé le passage des cofinancements obligatoires des États membres pour le second pilier de 25 % à 57 %, ce qui engendrera une dépense supplémentaire pour l’État français de l’ordre de 1,2 milliard d’euros.

Tout cela est critiquable à souhait. Aussi, je m’interroge : pourquoi, malgré l’évidence de l’impérieuse nécessité d’avoir une agriculture forte, en sommes-nous arrivés là ?

En cherchant bien, je trouve des éléments de réponse, dont le premier se trouve dans le discours prononcé par Emmanuel Macron à la Sorbonne, le 26 septembre dernier. Le Président de la République a insisté pour ouvrir un débat décomplexé sur la PAC, en en critiquant d’ailleurs les contours, tout en proposant de nouvelles politiques européennes, comme la défense ou l’immigration.

Comment n’avoir pas compris que, dans une Europe déchirée par le Brexit, avec la situation instable de pays comme l’Italie ou l’Espagne et des pays de l’Est qui ne voient dans la PAC qu’une source de financement social de leurs populations rurales, le risque d’ouvrir la boîte de Pandore était réel ? Et que le résultat de ces annonces ne pouvait que faire baisser le premier budget européen que constitue la PAC ?

Comment ne pas comprendre, quand on est Président de la République française, que, lorsqu’on demande de faire plus à l’Europe, alors que, dans le même temps, nous ne le pouvons pas, asphyxiés que nous sommes par nos dépenses publiques et notre dette, cela ne peut qu’accélérer une diminution du budget de la PAC ?

De plus, dans ce même discours, Emmanuel Macron a proposé plus de subsidiarité des États membres dans l’application des modalités de la PAC. Cela me fait craindre le pire et m’amène à ma deuxième réponse.

Depuis des années, le problème des ministres de l’agriculture français, aujourd’hui le vôtre, monsieur le ministre, est simple : ils ne savent pas quoi défendre au niveau européen,…

M. Stéphane Travert, ministre. Moi, je le sais !

M. Laurent Duplomb. … tiraillés qu’ils sont sans cesse entre une agriculture économiquement productive et une agriculture qui se plierait au diktat de l’écologie punitive, passéiste, recroquevillée sur elle-même (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.), où tout passe par la théorie du complot permanent et la folle idée que l’on distille matin, midi et soir d’une agriculture qui empoisonne, qui pollue, qui tue !

M. Stéphane Travert, ministre. Je n’ai jamais dit ça !

M. Laurent Duplomb. Ce manque de cap de nos ministres successifs, qui a contribué à rendre la voix de la France dans le domaine agricole inaudible, laisse la plus grande place à nos concurrents Nord-européens, qui, eux, ont bien compris que l’agriculture est un formidable levier de croissance et de création de valeur, tant sur le marché intérieur qu’à l’export.

Alors, monsieur le ministre, il faut vous ressaisir ! Portez haut et fort la voix de la France agricole ! Ne restez pas en retrait des discussions européennes !

Gambetta, en 1883, avait voulu faire chausser les sabots de la République aux paysans ; cela a été une réussite, tant les agriculteurs ont contribué à l’effort pour faire une France solide. Ne les décevez pas, ne les déchaussez pas : ayez le courage d’affirmer que la France est un grand pays agricole et que l’agriculture française est largement capable de relever le défi de nourrir les Français et bien d’autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, avant tout, à remercier le groupe de suivi sur la réforme de la PAC, ses coprésidents, Sophie Primas et Jean Bizet, et nos quatre rapporteurs.

On fait dire aux chiffres ce que l’on veut. Aujourd’hui, nous savons que la Commission européenne propose une baisse de 5 % de la PAC : 365 milliards d’euros au lieu de 408 milliards. Rapportée en euros constants, à vingt-sept membres au lieu de vingt-huit – à la suite du Brexit – et sur la période 2021-2027, cette baisse s’élève à ni plus ni moins que 17 %.

L’annonce de la diminution du budget français de la prochaine PAC a produit ses réactions immédiates : un mélange d’indignation et de colère, avant le désespoir. Mais il ne suffit pas de dire que les propositions de la Commission européenne sont inacceptables ; il faut agir !

Mes chers collègues, si nous voulons être honnêtes, nous devons admettre que cette annonce n’est pas une surprise. En effet, face aux autres enjeux de l’Europe – Brexit, gestion de la politique migratoire, de la défense et du numérique –, nous savions que la PAC serait menacée.

Quelles que soient nos convictions politiques, nous devons reconnaître à Stéphane Le Foll la ténacité avec laquelle il a arraché, à la force des poignets, le maintien du budget précédent. Nous savions que, pour la nouvelle PAC, ce serait encore plus difficile. Je vous souhaite, monsieur le ministre, la même réussite.

Nous avons été nombreux à affirmer qu’une réforme de la PAC devait intervenir.

Appréhender les mutations internationales pour repenser une agriculture au sein de l’Union européenne, c’est d’abord réfléchir aux défis que nous devons collectivement relever : maintenir une indépendance alimentaire et la qualité de nos productions, garantir le revenu des agriculteurs en limitant la volatilité des prix, préserver l’environnement et s’adapter aux changements climatiques, répondre aux obligations de sécurité alimentaire et préconiser l’accès à des outils de gestion des risques.

Pour cela, il faut une PAC plus équitable. Cela concerne un meilleur ciblage des aides directes sur la diversité des systèmes agricoles, sur les petites exploitations et vers les jeunes,…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Henri Cabanel. … un paiement redistributif obligatoire accordant une aide plus élevée sur les premiers hectares, un plafonnement obligatoire tenant compte de la capacité des exploitations à garder de l’emploi, un paiement à de véritables agriculteurs actifs et des paiements assis sur une forte conditionnalité.

En juin dernier, je formulais ainsi la problématique : alors que nous nous trouverons en 2017 à mi-parcours, nous devons nous questionner sur ce que la PAC peut encore apporter à l’agriculture française. Comment doit-elle se redéfinir afin de continuer à remplir ses objectifs : assurer un niveau de vie équitable à nos agriculteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables aux consommateurs ? Un an plus tard, les mêmes questions restent posées…

Il n’y a plus de temps à perdre, car, parallèlement à cette annonce de réduction de la PAC, les crises se succèdent, sanitaires, climatiques et économiques, emportant avec elles de nombreux agriculteurs et limitant l’envie des plus jeunes de s’installer.

Alors, que faire ?

Premièrement, une réorientation en profondeur s’impose. Si la Commission européenne a avancé la grande idée d’un new delivery model, c’est-à-dire d’un transfert de la gestion de toutes les aides de la PAC aux États membres, cette renationalisation me semble contraire à l’idée même de l’Europe, fondée sur la solidarité et l’interdépendance, avec des objectifs communs pour une agriculture européenne forte.

De fait, aujourd’hui, nous nous sommes éloignés de cette philosophie de départ : les États membres sont mis en compétition et les règles ne sont plus les mêmes, ce qui crée une concurrence ressentie comme déloyale par nos agriculteurs français, puisque, au sein même de l’Union européenne, les agriculteurs des différents États ne sont pas soumis aux mêmes charges sociales ni aux mêmes obligations sanitaires. Les nouvelles orientations vont aggraver cet état de fait.

Le rapport Dorfmann sur le futur de l’agriculture et de l’alimentation, réalisé dans le cadre de la commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen, souligne la nécessité de revenir à la genèse : les pays membres doivent suivre un cadre commun de règles européennes très solides, comprenant objectifs, règles de base, instrument d’intervention, indicateurs de contrôle et contributions financières, ce qui éviterait toute distorsion de concurrence.

Le même rapport salue l’idée d’une nouvelle approche de résultat, si celle-ci doit simplifier la PAC et la rendre moins bureaucratique. Il insiste cependant sur la nécessité de disposer de critères uniformes pour les sanctions en cas de non-conformité. Il invite aussi la Commission européenne à réaliser des contrôles financiers et de performance et des audits pour s’assurer que le nouveau modèle s’appliquera selon des règles et critères identiques dans tous les États membres.

Enfin, dernière mise en garde : ce nouveau modèle de gestion des aides devra respecter l’organisation des pouvoirs de chaque État membre, souvent définie par une constitution.

À cet instant, je voudrais souligner l’efficacité et la performance de l’organisation commune du marché vitivinicole, qui a permis d’avoir une viticulture moderne, de restructurer notre vignoble pour correspondre à une demande de qualité et de responsabiliser la filière sur ses choix stratégiques, qui ont montré, depuis sa création, leur efficience.

Enfin, il n’est pas concevable, dans un contexte où les autres pays augmentent leur budget agricole, à commencer par les États-Unis, la Chine, l’Inde et le Brésil, que l’Europe sacrifie son agriculture. Il faut donc trouver des ressources. Une participation jusqu’à 1,3 % du PIB par pays membre, soit une augmentation de 0,2 point de PIB, permettrait tout simplement de maintenir le budget de la PAC en ayant les moyens d’assumer d’autres politiques.

Dans le cadre du groupe de suivi de la PAC, nous avons reçu au Sénat les attachés des ambassades de plusieurs pays membres : l’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie et la Slovénie. Tous les représentants de ces pays étaient favorables à cette orientation. La question qui se pose est : quel niveau de participation est-il réellement envisageable par pays membre ?

Cette nouvelle PAC est primordiale, au-delà même de l’agriculture : le rapport Dorfmann met bien en exergue l’importance du développement rural pour le développement des territoires, la durabilité et l’emploi. Il souligne tout l’intérêt de l’initiative LEADER et des démarches collectives pour valoriser l’ensemble des ressources locales en biens alimentaires, non alimentaires – bioéconomie, énergies renouvelables – et en services, ainsi que pour promouvoir l’économie circulaire. Il insiste aussi sur le maintien des compensations pour les exploitations situées en zone défavorisée. Il propose de créer un nouveau fonds pour les communautés locales de développement, à l’aide d’une réserve de 10 % de tous les fonds structurels.

Nous devons collectivement avoir le courage de fixer nos ambitions face aux nombreux défis et nous donner les moyens de réaliser ces ambitions, comme l’ont souligné nos rapporteurs.

Monsieur le ministre, sur 100 euros gagnés, un citoyen européen reverse en moyenne 50 euros en impôts et cotisations, dont seulement 1 euro sert à financer le budget de l’Union européenne… Ainsi, 49 euros restent dans les capitales des États membres. Les pistes existent donc.

Bien entendu, le groupe socialiste et républicain votera la proposition de résolution européenne. Si nous ne voulons pas que la PAC perde son « C » en cessant d’être commune, il faut que, tous, nous sachions nous écouter et œuvrer dans la même direction, au service de notre agriculture et de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a toujours prêté une attention particulière aux enjeux liés à la politique agricole commune. Cette politique, qui affecte le quotidien des agriculteurs français, joue un rôle stratégique éminent, notamment pour notre autonomie alimentaire, en France et en Europe. Nous, qui n’avons jamais connu la faim sur notre territoire, ne devons pas oublier l’importance de cette autonomie.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, alors que cette PAC est en danger, nous regardons ailleurs.

Nous nous apprêtons à examiner, d’ici à la semaine prochaine en commission des affaires économiques, et à la fin du mois de juin en séance publique, le projet de loi issu des états généraux de l’alimentation. Ce texte important, qui a bénéficié d’une grande communication gouvernementale, dont je ne vous fais pas grief, monsieur le ministre, met en place des mécanismes pour – encore hypothétiquement – assurer une meilleure rémunération aux agriculteurs. C’est une légitime priorité gouvernementale.

Monsieur le ministre, comment pouvons-nous, « en même temps », admettre une réduction directe, brutale et certaine du revenu des agriculteurs par ces coupes claires dans le budget de la PAC ? Les états généraux de l’agriculture ne serviront à rien si la PAC n’est pas au rendez-vous.

Pendant que le Gouvernement réfléchissait durant de longs mois, la Commission a rendu ses propositions pour, d’une part, réformer la PAC et, d’autre part, fixer le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Sur les deux tableaux, la France est perdante.

Force est de constater que si le Gouvernement s’est mobilisé comme vous nous l’avez dit, monsieur le ministre, les effets ne s’en font pas encore sentir. Vous dites avoir été très actif, pourtant Michel Dantin et Angélique Delahaye ont été bien seuls pour défendre les intérêts français ; qu’ils en soient remerciés.

Si nous en sommes là, c’est que la France a été trop absente des réflexions en amont. Ce gouvernement et le précédent ont leur part de responsabilité : si la France avait tenu une position ferme dès le début des réflexions, nous n’en serions pas là.

Que penser des paroles du Président de la République à la Sorbonne, en septembre 2017 ? Pour lui, « la PAC est devenue un tabou français ». Il souhaite « que chaque pays puisse accompagner cette transformation selon ses ambitions et ses préférences ».

Quelles sont ces ambitions et ces préférences gouvernementales ? Un budget de la PAC en baisse de plus de 12 % ? Une chute des aides directes, pourtant essentielles dans les comptes d’exploitation de nos agriculteurs ? Une renationalisation partielle d’une des politiques les plus intégrées de l’Union européenne ? Cette ambition pour la PAC est un changement historique de la position française.

Les annonces du commissaire Phil Hogan, la semaine dernière, ont confirmé par ailleurs nos inquiétudes. En permettant à chaque État membre d’adopter un plan stratégique pour atteindre neuf objectifs européens et de disposer de marges de manœuvre dans l’affectation des dotations, la PAC est indiscutablement en voie de renationalisation.

Le risque majeur de cette subsidiarité accrue est évident : creuser encore les distorsions de concurrence entre agriculteurs européens, qui pénalisent déjà en grande partie les agriculteurs français dans de nombreuses filières.

Les aides directes sont les grandes perdantes de la réforme proposée, puisqu’elles seront plafonnées. Il convient toutefois de ne pas opposer grandes et petites exploitations, circuits courts et marchés internationaux : la France doit être compétitive sur les deux volets.

Surtout, certains points attendus sont totalement absents. Il est notamment inacceptable qu’aucun outil pertinent de gestion des crises ne soit au cœur de la proposition de la Commission dans le contexte actuel de volatilité des marchés. Je me souviens pourtant des engagements du candidat Macron au congrès de la FNSEA, à Brest, en 2017. La position de la France se doit d’être claire : en l’état, elle ne peut accepter de telles orientations. J’ai pris acte de votre volonté d’aller dans ce sens, monsieur le ministre.

L’accusation, je le sais bien, est un peu lourde, mais le commissaire Oettinger nous l’a confirmé lors de son audition : la France tient un double discours entre Bruxelles et Paris. Au moins par son silence, le Gouvernement a cautionné cette baisse de budget et cette réécriture de la PAC.

Les agriculteurs ne sont pas dupes, les parlementaires non plus. Le Sénat, pressentant ce qui allait advenir, avait adressé au Gouvernement, en septembre 2017, une première résolution appelant à sauver la PAC et à sanctuariser a minima son budget en euros constants.

Toutefois, monsieur le ministre, cette faute n’est pas inéluctable. Elle peut être réparée. Le temps est compté. Nous avons entendu votre position. Il est grand temps d’activer votre groupe de Madrid, car il est bien tard.

Mes chers collègues, la présente proposition de résolution européenne est le fruit d’un travail de plusieurs mois effectué avec talent et obstination par quatre rapporteurs de tous bords politiques. Elle a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques, ce dont nous pouvons nous réjouir. J’en suis, pour ma part, très fière, car elle est l’expression de la responsabilité collective de l’ensemble des politiques que nous sommes quand l’intérêt supérieur du pays est en cause. C’est la marque du Sénat. Cette proposition de résolution européenne comporte des demandes justes, pondérées, réalistes, essentielles pour l’avenir de notre agriculture. Son pragmatisme oblige le Gouvernement.

Monsieur le ministre, si cette proposition de résolution européenne était adoptée, nous vous engageons à faire valoir cette position au Conseil. Le monde agricole vous observe. Sachez que nous nous tenons à votre disposition pour vous soutenir dans cette démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)