M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er de ce projet de loi procède à un changement de logique du compte personnel de formation, ou CPF. On passe en effet d’une logique privilégiant la durée de la formation à une logique privilégiant son coût.

Madame la ministre, pour justifier ce remaniement, vous avez déclaré que « les euros sont beaucoup plus concrets et lisibles pour chacun ». D’un compte personnel de formation abondé en heures, nous passons donc à un compte abondé en euros.

Depuis un accord conclu par les partenaires sociaux en février dernier, le CPF est abondé de 35 heures par an, dans une limite de 400 heures. Il sera désormais abondé de 500 euros par an, dans la limite de 5 000 euros. Sachant qu’une heure de formation du CPF pour un salarié coûte en moyenne 41 euros, le CPF en euros ne permettra au salarié de financer qu’une vingtaine d’heures par an, soit environ 15 heures de formation en moins par an. Par ailleurs, on est bien loin des 14,28 euros de l’heure que vous aviez annoncés.

Si le nombre d’heures prises en charge par le CPF diminue, il est à parier que les formations les plus longues et les plus coûteuses devront faire l’objet d’un financement complémentaire reposant essentiellement sur le salarié. C’est d’ailleurs ce que l’article 1er de ce texte laisse entendre, puisqu’il place le salarié en tête de la liste des acteurs susceptibles de financer des heures complémentaires. (Brouhaha persistant.)

Seuls les salariés ayant des ressources élevées, autrement dit les cadres, pourront financer leur formation. Or, comme le montre une étude de l’INSEE datant de 2010, les premiers bénéficiaires de la formation continue sont les salariés qui ont déjà reçu une formation initiale, occupant un poste de cadre en contrat à durée indéterminée. Autrement dit, les plus à même de financer une formation sont les salariés qui sont déjà les mieux formés.

L’article 1er ne se contente pas de diminuer les droits des salariés et d’augmenter l’inégalité d’accès à la formation : il bouleverse également le congé individuel de formation, le CIF.

Je tiens à remercier les techniciens qui, en montant le son des micros, m’ont permis de couvrir la voix de mes collègues, qui parlent décidément très fort. Les conversations particulières pourraient être menées en dehors de l’hémicycle…

M. le président. Mes chers collègues, Mme Cohen a raison : les orateurs doivent pouvoir s’exprimer dans le calme.

La parole est à Mme Vivette Lopez, sur l’article.

Mme Vivette Lopez. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, on nous avait parlé de big-bang, de révolution de notre système de formation professionnelle. Le but était, notamment, de le rendre moins complexe et plus lisible. On ne pouvait que s’en réjouir, car, comme le disait Ralph Waldo Emerson, « toute vie est une expérience : plus on en fait, mieux c’est ».

Or le texte que nous commençons à étudier aujourd’hui n’est pas à la hauteur de cet enjeu. Il soulève deux questions principales : celle des règles de gouvernance et celle du financement des mesures annoncées.

En matière de gouvernance notamment, notre plus grande inquiétude réside dans le dessaisissement de la formation professionnelle par les régions, pourtant actrices traditionnelles en matière d’emploi, au profit des branches professionnelles, qui ne paraissent ni assez structurées ni suffisamment représentatives de l’ensemble des acteurs économiques du territoire national.

Les régions doivent demeurer la pierre angulaire de l’organisation et du financement de l’apprentissage.

J’en viens, plus particulièrement, à la réforme du système de formation, et à l’article 1er, qui traite du compte personnel de formation, le CPF. Le but était, en principe, de permettre d’accéder plus facilement à la formation professionnelle dans le cadre d’une gouvernance unique. L’alimentation du compte en euros devait donner davantage de lisibilité aux actifs : ces derniers devaient connaître le capital mis à leur disposition et être plus autonomes dans la construction de leur parcours professionnel.

Aussi, le fait non seulement de rendre possibles les accords de groupe, tant pour l’alimentation du CPF que pour la définition des formations, dans une logique de coconstruction, mais aussi de rendre obligatoire la revalorisation de l’alimentation du CPF nous apparaît comme un moindre mal.

Enfin, je tiens à évoquer non seulement la monétisation du CPF, mais aussi la fin des fonds de gestion des congés individuels de formation, les FONGECIF. Il apparaît raisonnable de prolonger ces fonds d’une année, jusqu’à la fin de 2019, afin de permettre la sécurisation des nouveaux systèmes. Ainsi, ils fonctionneront plus efficacement.

Je conclurai en insistant sur la nécessité de réintroduire les régions dans le pilotage du système, dans la mesure où elles sont en charge de l’aménagement du territoire. Il s’agit, à mon sens, d’une priorité, pour les défenseurs de l’équité des territoires ruraux et urbains que nous sommes, au Sénat. (M. Jean-Paul Émorine et Mme Christine Bonfanti-Dossat applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, sur l’article.

M. Jacques-Bernard Magner. Madame la ministre, c’est un texte décevant et inquiétant que vous nous proposez ; mais ce n’est pas surprenant, car vous êtes guidée par une vision libérale du marché du travail, à laquelle vous ajoutez désormais la marchandisation de la formation.

Tout d’abord – je tiens à le dire ici –, comme d’autres, je regrette profondément que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication n’ait été saisie que pour avis sur quelques articles, et non sur le fond de ce texte : l’avenir des jeunes, leur formation et leur orientation relèvent bien d’abord des préoccupations relatives à l’éducation et à la jeunesse de ce pays.

Par ailleurs, je constate que certains articles de ce projet de loi remettent en question la loi pour la refondation de l’école de la République, adoptée en juillet 2013. Or ce texte insistait sur le socle commun de connaissances, de compétences et de culture pour les jeunes, jusqu’à 16 ans au moins.

Ainsi, la création d’une classe de troisième « prépa-métiers » est, à mes yeux, une régression, comme l’attribution des moyens de la taxe professionnelle à des écoles privées qui seraient reconnues législativement, écoles dites « écoles de production ». Ces dispositions seraient une grave entorse aux principes de notre système éducatif.

Comme vous, madame la ministre, je souhaite le développement de la voie de l’apprentissage, qui relève de la formation initiale, au même titre que la formation scolaire. Mais son ouverture à la concurrence du marché ne me paraît pas la bonne solution. Vous voulez en confier la responsabilité aux branches professionnelles. J’ai de grandes craintes pour l’équité et l’égalité de traitement de la jeunesse de notre pays.

Pour ce qui concerne la formation professionnelle, ce n’est pas mieux. Vous proposez de faire de la formation un bien de consommation comme un autre, en réduisant ainsi les droits des personnes, et ce sans aucune garantie de qualité.

La suppression de la carte nationale des formations entraînera une concurrence territoriale, tout comme le recours aux prestataires privés dans le champ de l’information et de l’orientation des jeunes.

Désormais, la liberté de choisir son avenir professionnel sera plutôt la liberté de financer sa formation, selon la région dans laquelle on vit…

Soyons réalistes : la formation ne crée pas l’emploi, les moins qualifiés ne se forment pas spontanément, les entreprises n’investissent pas toujours d’elles-mêmes dans la formation, et les marchés ne se paient pas de bons sentiments.

En fait, votre projet ne libère pas les individus, mais obéit aux marchés. Là encore, je crains que votre texte ne laisse les plus faibles sur le bord du chemin.

Pour toutes ces raisons, mes collègues du groupe socialiste et républicain et moi-même avons déposé des amendements constructifs que nous défendrons au cours de ces débats. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Laurence Cohen et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, sur l’article.

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, en moyenne, un salarié changera 4,5 fois d’employeur au cours de sa vie. Ce chiffre révélateur nous montre toute la réalité du monde du travail de demain : un monde où les métiers, en perpétuelle mouvance, font face à la mondialisation, aux innovations technologiques et au numérique.

Notre système concernant la formation est obsolète, et c’est à nous, grâce au présent texte, de nous adapter aux métiers d’avenir.

Par le biais du nouveau CPF, ce projet de loi apporte un regard prometteur pour le salarié, qui aura maintenant la possibilité de choisir sa formation.

L’individualisation de la formation représente une véritable chance pour assurer l’ascension sociale des salariés et pour se préparer aux métiers de demain.

Le CPF sera comptabilisé en euros – c’est là un vrai sujet –, afin d’offrir le maximum de lisibilité aux actifs et de leur donner une connaissance exacte du capital dont ils disposent.

Concrètement, à partir du 1er janvier 2019, on pourra acquérir 500 euros chaque année, pendant dix ans ; ce montant annuel sera porté à 800 euros pour les salariés de faible niveau de qualification. Les heures acquises jusqu’au 31 décembre 2018 seront, dans le courant de l’année 2019, converties en euros, au taux de 14,28 euros de l’heure.

Mes chers collègues, pour information et pour que vous compreniez parfaitement le système élaboré, sachez que le coût horaire appliqué par la région d’Île-de-France pour une licence est de 7,75 euros.

Par ailleurs, pour répondre à une problématique d’efficacité et de rapidité, une application mobile développée par la Caisse des dépôts et consignations sera proposée au second semestre 2019. Elle permettra à celles et ceux qui le souhaitent de choisir une formation répondant au mieux à leurs attentes en termes de compétences. Bien sûr, ces formations seront obligatoirement certifiantes.

L’entreprise jouera également un rôle déterminant dans le choix des formations, en proposant des formations utiles à ses salariés et à elle-même. L’enjeu est ici de jouer sur les synergies propres non seulement à l’entreprise, qui gagnera en plus-value grâce à cet investissement, mais aussi au salarié, lequel pourra évoluer au sein de son entreprise.

L’ambition est de créer une véritable collaboration entre le salarié et l’entreprise, afin que chacun puisse évoluer positivement et faire face aux transformations du travail.

Vous l’avez compris, nous devons repenser la formation comme un investissement, et non comme une charge. C’est la clef pour développer des plans de compétences à la hauteur des besoins, en constante évolution, des entreprises et des transformations du monde du travail. Ainsi, chaque salarié sera incité à se former pour progresser et se protéger.

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er est symptomatique d’une logique qui part de la conception d’un individu seul responsable de son employabilité.

À l’encontre de l’accord national interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux et signé le 22 février dernier, le CPF voit son unité de compte changer : les euros se substituent aux heures.

Or ce projet de loi ne crée aucune garantie quant au volume de formation, et la monétisation entraîne d’abord une diminution mécanique des droits des salariés.

Avec un montant de conversion annoncé de 14 euros pour une heure, alors que le coût moyen d’une heure de formation est aujourd’hui de 37,80 euros, un salarié bénéficiera demain de 13 heures de formation par an contre 24 actuellement. Pour maintenir ne serait-ce que les droits existants, le CPF devrait être alimenté à hauteur de 912 euros par an.

Selon le secteur d’activité, la certification visée, la formation choisie et le dispositif mobilisé, le coût est très variable. Le prix d’une heure de formation est plus élevé dans le secteur de l’industrie, qui requiert des plateaux techniques, que dans le secteur tertiaire. En fixant un montant unique pour tous, non modulé en fonction des branches professionnelles, la monétisation pénalisera donc certains travailleurs et créera un reste à charge beaucoup plus important. Faute de pouvoir financer ce dernier, le salarié serait contraint de renoncer à son parcours de formation.

De plus, associée à la logique d’accès à la formation en trois clics sur le smartphone, sans intermédiation, la monétisation du CPF présente un risque évident d’inflation des coûts de formation.

Elle fait également courir le risque réel, à moyen ou à long terme, de fongibilité. Les fonds inscrits sur le CPF des personnes, et donc exclusivement dédiés aujourd’hui à la formation professionnelle, pourraient, demain, être orientés vers d’autres objets.

La non-revalorisation annuelle des montants de l’alimentation et du plafond du CPF, selon le taux d’inflation notamment, interroge et inquiète. La revalorisation est aujourd’hui automatiquement opérée avec le CPF en heures.

Enfin – et ce n’est pas anecdotique –, une personne nouvellement retraitée perd, aujourd’hui, au maximum 400 heures de CPF, comme le prévoit l’accord national interprofessionnel du 22 février 2018. Demain, elle pourrait être conduite à renoncer à 5 000 euros. Cette situation n’a pas le même impact psychologique : elle pourrait créer de la frustration, voire des contentieux et des abus. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. L’amendement n° 203, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Notre amendement vise à supprimer l’article 1er de ce projet de loi, qui instaure la monétisation du CPF et bouleverse ainsi la logique sur laquelle repose le congé individuel de formation.

Actuellement, le CIF permet au salarié de suivre la formation de son choix, à titre individuel et sur son initiative. Les actions de formation listées dans le code du travail comme pouvant faire l’objet d’un financement par le CIF sont variées. Elles peuvent permettre au salarié non seulement d’atteindre un niveau de qualification supérieur, de changer d’activité ou de profession, de valider les acquis de l’expérience, mais aussi de s’ouvrir plus largement à la culture, à la vie sociale ou à l’exercice de responsabilités associatives bénévoles…

L’article 1er de ce projet de loi fait disparaître le CIF, qui est absorbé dans le CPF, et réduit son rôle à la transition professionnelle. Les actions prises en charge par le CPF transition seront uniquement des actions de formation certifiantes ou qualifiantes, destinées à permettre de changer de métier ou de profession, dans le cadre d’un projet de transition professionnelle dont la pertinence sera par ailleurs évaluée par une commission paritaire interprofessionnelle.

La disparition du CIF est à l’image des autres dispositions portant sur la formation professionnelle : le but est clairement de rendre les actifs plus facilement employables.

La formation tout au long de la vie ne devrait pas avoir pour seule mission de conformer les actifs aux attentes des entreprises. Elle devrait également offrir un enrichissement personnel aux actifs, en permettant à ces derniers d’acquérir des compétences et de concrétiser des projets non seulement professionnels, mais aussi personnels. C’est bien là le rôle du CIF, et il doit être préservé.

L’article 1er de ce projet de loi porte atteinte aux droits des salariés. Il réduit leur accès à la formation d’un point de vue à la fois quantitatif, en monétisant leurs droits, et qualitatif, en limitant la formation à des actions permettant d’accroître l’employabilité. C’est pourquoi nous demandons sa suppression.

Mme Laurence Cohen. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Fournier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Nous éprouvons une partie des doutes qu’expriment les auteurs de cet amendement, quant à l’efficacité de la monétisation du compte personnel de formation.

Toutefois, à nos yeux, la principale limite réside davantage dans les paramètres que dans le principe même.

La commission a donc choisi de ne pas refuser la monétisation du CPF. En revanche, elle a pris soin d’apporter les garanties pour que celle-ci ne se traduise pas par une baisse importante des droits.

Par ailleurs, la transformation du CIF en CPF transition, modalité spécifique de mobilisation du CPF, et la suppression du système complexe des listes d’éligibilité sont des points sur lesquels les partenaires sociaux se sont mis d’accord. Ces dispositions vont, selon moi, dans le bon sens.

Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est évidemment défavorable à la suppression de l’article 1er.

Je crois utile de rappeler pourquoi la monétisation nous paraît importante.

D’abord, elle existe aujourd’hui : pour payer les organismes de formation, il arrive bien un moment où les heures se transforment en euros. Simplement, c’est dans les OPCA que cela se passe, sans que l’individu ait son mot à dire. En d’autres termes, l’individu doit trouver un financeur, un OPCA, qui accepte de transformer ses heures – un peu théoriques, il faut bien le dire – en vrais droits lui permettant d’accéder à une formation.

Les OPCA ne sont pas outillés pour recueillir les demandes de 19 millions de salariés. Concrètement, donc, dans la vie réelle – c’est, je crois, ce qui nous intéresse –, ils définissent avec les entreprises, notamment avec les grandes, qui ont des moyens de discussion plus importants avec eux, l’usage du CPF. Ainsi, dans la pratique, malgré l’instauration du CPF en heures voilà quelques années, seulement 6 % des ouvriers, 12 % des employés et 25 % des cadres, d’après une enquête récente, disent qu’ils choisissent une formation qui les concerne.

En France, nous avons réalisé un immense progrès en 1971, grâce à la loi de Jacques Delors, avec l’idée de formation tout au long de la vie. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la France était en avance.

Aujourd’hui, notre taux d’accès à la formation est parmi les plus bas de l’OCDE : un tiers seulement de nos salariés accèdent chaque année à la formation, et les salariés des petites et moyennes entreprises, comme les ouvriers et les employés, ont deux fois moins accès la formation que les cadres.

Or tout le monde aura davantage besoin de formation demain, avec l’évolution absolument massive, dont chacun d’entre vous, je crois, est conscient, des emplois, des compétences et des organisations du travail.

Le plan de formation et de développement des compétences est essentiel, et l’employeur restera responsable de l’employabilité et de l’adaptation de ses salariés à court et à moyen terme. Bien évidemment, une logique de coïnvestissement peut exister entre le salarié et l’entreprise, à titre individuel ou dans le cadre d’un accord d’entreprise ou de branche.

Ce socle qui existe, nous le conservons, mais nous lui ajoutons un droit de l’individu. Car voilà des décennies que notre droit permet l’accès à la formation en théorie, mais qu’il est inégalitaire, faute de permettre aux salariés des petites entreprises, aux ouvriers et aux employés d’accéder à la formation.

L’objectif du projet de loi n’est donc pas de supprimer ce qui existe, mais d’y ajouter un véritable droit à la disposition de chacun, ce qui me paraît très important.

Ainsi, la monétisation permettra d’abord que le droit soit réel, ce qu’aujourd’hui il n’est pas.

Elle aura aussi un autre intérêt, en termes d’égalité des chances. En effet, lorsqu’un OPCA finance des heures, figurez-vous que, en moyenne, l’heure de formation d’un ouvrier est bien moindre que l’heure de formation exécutive d’un cadre supérieur de grande entreprise. Autrement dit, le calcul en heures accroît les inégalités dans l’accès à la formation.

Le calcul en euros rétablira une égalité, puisque, en proportion, ce sont les salariés les moins qualifiés qui auront plus d’équivalents formation. D’autant que, pour ceux qui n’ont ni diplôme ni qualification, nous avons prévu un taux majoré, comme le souhaitaient les partenaires sociaux.

Un autre aspect doit, je crois, être pris en compte. Nous sommes en 2018 et, tous, nous parlons à juste titre de la transformation majeure que le numérique va introduire dans l’ensemble des organisations du travail et des métiers, dans toutes les entreprises. Comment pourrait-on croire que le monde de la formation ne sera pas lui aussi transformé ?

Au reste, cette transformation a commencé. Ainsi, une start-up française, dont je ne mentionnerai pas le nom pour ne pas faire de publicité, propose des formations diplômantes en ligne : elle a 3 millions de candidats. Comment pourrait-on dire aux jeunes d’aujourd’hui, et aux moins jeunes : la formation en ligne est interdite dans le CPF ? Or, si la formation est comptabilisée en heures, on ne peut jamais la convertir en euros.

Cette dimension de l’évolution de la formation doit aussi être prise en considération.

J’en viens à la question du coût. Aujourd’hui, une formation moyenne à Pôle emploi coûte neuf euros. Je veux dire : par personne – le formateur n’est pas payé neuf euros –, les formations étant rarement individuelles. Pour l’AFPA, le coût moyen est de douze euros, avec des taux d’accompagnement élevés et des qualifications poussées. En ce qui concerne le compte personnel de formation, pour ceux, peu nombreux, qui en bénéficient aujourd’hui – en trop petit nombre, pas assez et pas assez bien –, la moyenne est de quatorze à quinze euros.

C’est pourquoi nous avons prévu un taux de 14,28 euros par heure – afin d’arriver au chiffre rond de 500 ou 800 euros.

Avec ce montant, il sera possible de se former à beaucoup de choses. En effet, il faut savoir que, entre 500 et 2 000 euros, on trouve toute une série de formations parmi les plus demandées, en particulier les formations au TOEIC pour l’anglais, au TOSA pour l’informatique, au CléA pour les savoirs de base et au CACES, recherché partout dans les entreprises pour la conduite d’engins de chantier ou d’usine. Les possibilités sont énormes.

Avec un droit beaucoup plus large, l’accès à la formation sera bien supérieur, ce qui permettra de réguler les coûts – ce sera l’un des rôles de France compétences – et certainement d’obtenir demain une qualité meilleure à un moindre coût.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Vous pouvez nous dire cela, madame la ministre, mais je constate, moi, qu’il y a tout de même 39 000 CIF par an, qui bénéficient à 80 % au moins aux moins qualifiés de notre pays, aux ouvriers et aux employés. La suppression du CIF les handicapera donc forcément pour suivre une formation.

Dans le même temps, vous savez bien que les trois quarts des formations ont une durée bien supérieure à 500 heures. Or, dans le cadre de la monétisation du CPF, c’est-à-dire de la comptabilisation en euros et non plus en heures, un plafond de 500 euros par an est prévu sur dix ans, soit 5 000 euros. Pour les salariés en CDD et les moins qualifiés, les droits seront majorés à 800 euros par an, pour un plafond de 8 000 euros.

Les moins qualifiés n’auront donc pas assez, avec ce qu’on leur versera, pour suivre une formation qualifiante !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 203.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 204 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 267
Pour l’adoption 16
Contre 251

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 324 rectifié, présenté par M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, MM. Kanner, Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéas 2, 42, 51, 65, 113 à 119 et 126 à 129

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Madame la ministre, j’ai bien entendu les arguments que vous avez présentés au sujet de la monétisation.

Ces arguments ne peuvent pas être convaincants. Sinon, comment expliquer que les organisations syndicales, les partenaires sociaux, lors de leurs discussions et malgré les indications que vous leur aviez données, aient conclu que le système de calcul en heures, malgré ses insuffisances et les difficultés qu’il peut entraîner, devait être conservé ? De fait, ils ont unanimement refusé le changement pour un calcul en euros !

S’il y a une mesure qui fait aujourd’hui consensus, c’est la monétisation : elle fait consensus contre elle…

Cette mesure, je le répète, n’était pas comprise dans l’ANI signé le 22 février dernier. En outre, nous nous accordons tous, ou presque, sur le fait qu’elle conduirait à une réduction de près de moitié des droits à formation des salariés – j’ai déjà expliqué le calcul.

Madame la ministre, le big-bang que vous avez appelé de vos vœux, en fait une énième réforme structurelle, ne pourra réussir sans la confiance et la mobilisation des acteurs. Or les conditions pour les obtenir ne sont pas réunies. L’un des obstacles majeurs pour y parvenir est le manque d’écoute et l’entêtement du Gouvernement sur cette mesure qu’il conçoit comme emblématique, mais qui serait en réalité inopérante, si ce n’est contre-productive !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Fournier, rapporteur. Nous sommes sceptiques, je le répète, sur la monétisation. Je note qu’il s’agit pour le Gouvernement d’un pari ; d’ailleurs, aucune évaluation de l’effet de cette mesure n’est proposée. Je regrette aussi que le Gouvernement n’envisage pas une alimentation supérieure à ces 500 euros – nous ferons des propositions à cet égard dans la suite du débat, et j’espère qu’il en sera tenu compte.

La commission a décidé de ne pas s’opposer à la monétisation du CPF, mais plutôt de chercher à en restreindre les effets délétères. Elle a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis défavorable.