M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. La suppression des cotisations salariales et les exonérations de cotisations patronales ont entraîné une augmentation de la participation de l’État aux recettes de l’assurance chômage qui est désormais de plus de 40 %. L’État veut par conséquent participer aux négociations de l’UNEDIC à la hauteur de sa participation financière.

L’article 32 prévoit donc le renforcement du rôle de l’État, puisque le Premier ministre fixera dans une lettre de cadrage, avant les négociations collectives, la trajectoire financière du régime d’assurance chômage, le délai dans lequel ces négociations doivent aboutir et les objectifs d’évolution des règles de ce régime. Et si les résultats de la négociation sociale ne respectent pas ce document, le Gouvernement pourra fixer directement les règles de l’assurance chômage par décret.

Cette reprise en main par l’État du pilotage du régime d’assurance chômage mettrait fin à la gestion paritaire de l’UNEDIC. Il s’agit en fait d’un renversement sans précédent dans le fonctionnement de notre modèle social. Pour ce gouvernement, les actes divergent donc largement des paroles !

Dans ce cadre, les partenaires sociaux n’auront plus qu’un rôle subalterne : appliquer sans marges de manœuvre financières la feuille de route dictée par un gouvernement qui vante pourtant les mérites du dialogue social.

On soumet ainsi l’assurance chômage à une logique comptable, de la même manière que l’on gère le budget de l’assurance maladie sans tenir compte des besoins en matière de santé, ce que nous déplorons.

Sans possibilité d’agir sur le volet « recettes », il est à craindre que les partenaires sociaux ne soient enfermés dans un cercle vicieux, qui les amènera à réduire les dépenses, donc l’indemnisation des travailleurs privés d’emploi.

Pour conclure, les attaques contre notre sécurité sociale ne cessent de pleuvoir durant ce quinquennat, comme l’illustre l’amendement d’un député du groupe La République En Marche visant à retirer la référence à la sécurité sociale dans la Constitution. Déposée puis retirée, cette proposition semble aujourd’hui revenir par la fenêtre… Il est indispensable de se mobiliser face à ces régressions !

M. le président. L’amendement n° 222, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Depuis 1958, les organisations représentatives des salariés et des employeurs cogèrent le système de protection contre la privation involontaire d’emploi – c’est une création du général de Gaulle. La loi garantit le bon fonctionnement et le financement du régime d’assurance chômage.

Concrètement aujourd’hui, les syndicats de salariés et les employeurs négocient ensemble pour déterminer les objectifs et les principes de l’assurance chômage pour une durée limitée de deux ou trois ans.

Le document qui en découle, la convention d’assurance chômage, est soumis ensuite à l’agrément du ministère chargé de l’emploi, afin de vérifier sa conformité avec les normes juridiques et les actions menées en matière d’emploi. Enfin, l’agrément ministériel rend obligatoire la convention, qui s’applique directement aux salariés et aux employeurs.

Demain, avec cet article 32, le Premier ministre devra transmettre un document de cadrage aux partenaires sociaux, en amont de la négociation de la convention d’assurance chômage. Les syndicats de salariés et les organisations patronales négocieront les objectifs financiers, les délais et les évolutions des règles de l’assurance chômage prévus dans la lettre de cadrage du Premier ministre. Et si les résultats de la négociation sociale ne respectent pas ce document ou si la situation financière se détériore en cours d’année, le Premier ministre pourra retirer l’agrément de l’accord portant convention d’assurance chômage et prendre lui-même les mesures d’application du régime d’assurance chômage.

L’encadrement par l’État des négociations sociales de l’assurance chômage ne laisse presque plus de place aux syndicats et au patronat. Cette bascule vers le modèle bismarckien ne correspond pas à notre vision de la sécurité sociale.

Vous devez assumer votre choix de fiscaliser l’assurance chômage et de limiter l’intervention des partenaires sociaux – vous l’aurez compris, ce n’est pas le nôtre ! Comment estimer que la décision que prendra in fine le Premier ministre n’est pas une forme d’étatisation ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Il est tout à fait logique et nécessaire de s’interroger sur le paritarisme. La commission des affaires sociales, l’ensemble des parlementaires, le Gouvernement, les partenaires sociaux eux-mêmes le font.

Il est évident que, depuis 1958, le monde économique et social a profondément changé et il serait étrange de considérer que le Gouvernement devrait être complètement hors-jeu sur la question de l’assurance chômage. Il ne l’est d’ailleurs pas aujourd’hui.

Le projet de loi prévoit d’aller un peu plus loin en la matière et la question est de savoir où placer le curseur.

Le Gouvernement propose une procédure plus stricte que celle qui existe actuellement, puisqu’elle passe par l’envoi aux partenaires sociaux d’un document de cadrage. Il estime en effet que les règles de financement ont changé. Nous en avons déjà débattu lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 et nous aurons naturellement l’occasion d’en parler de nouveau.

De son côté, la commission a choisi de ne pas revenir sur l’article 32, mais elle a prévu que le Parlement sera informé et consulté sur les discussions. Pour ces raisons, son avis est défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Défavorable également, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Madame la rapporteur, madame la ministre, vous décidez donc que la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, la CGT et FO, pour le monde salarial, ainsi que le MEDEF, la CPME et l’U2P, du côté patronal, ne seront plus en situation de véritablement gérer l’assurance chômage de manière paritaire. C’est une décision lourde. Assumez-la !

Mme Laurence Cohen. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 222.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 341, présenté par M. Tourenne, Mme Taillé-Polian, M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéas 3, 7, 11, 16, 23 et 27

Remplacer les mots :

de cadrage

par les mots :

d’orientation

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement vise à remplacer les mots « document de cadrage » par les mots « document d’orientation ». Cette modification n’est pas seulement une nuance sémantique. C’est une différence essentielle en termes de logique et de responsabilité.

Un document de cadrage fait référence à une figure géométrique qui enferme et qui ne laisse pas de place à l’initiative si les partenaires sociaux souhaitent aller au-delà de ce que prévoit le Gouvernement. Il limite considérablement le champ des possibles.

En revanche, un document d’orientation dessine des lignes de force, des perspectives, un horizon, une dynamique qui laissent toute sa place au paritarisme.

Or le paritarisme, système assez spécifique à la France, est une véritable réussite. Il favorise la négociation et l’accord entre les parties prenantes, ce qui permet de mieux faire accepter un certain nombre de décisions, qui apparaissent, sinon, comme arbitraires lorsqu’elles sont prises de façon unilatérale par le Gouvernement – quelques exemples récents le montrent bien…

Par conséquent, je souhaite que nous remplacions l’expression « document de cadrage » par les termes « document d’orientation ».

M. le président. L’amendement n° 343, présenté par M. Tourenne, Mme Taillé-Polian, M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les organisations représentatives d’employeurs et de salariés signataires de ces accords exposent dans le courrier de demande d’agrément adressé au Premier ministre les suites qu’ils ont entendu donner aux objectifs d’évolution des règles du régime d’assurance chômage exposés par le Premier ministre dans le document d’orientation mentionné à l’article L. 5422-20-1. »

II. – Alinéas 13 à 21

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement vise à amoindrir la mise sous tutelle de l’UNEDIC qui est prévue par l’article 32 du projet de loi via de multiples dispositions : contrôles permanents, révision annuelle des perspectives triennales… Il faut s’extraire de ce contrôle tatillon, afin de permettre au conseil d’administration de l’UNEDIC de s’exprimer pleinement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Il est vrai que l’amendement n° 341, qui vise à remplacer l’expression « document de cadrage » par les mots « document d’orientation », n’est pas uniquement sémantique, mais dans le domaine de l’assurance chômage, un document d’orientation ne serait pas suffisant, en raison de la dimension financière de la négociation. Je vous rappelle que la dette de l’UNEDIC est garantie par l’État, ce qui milite clairement en faveur d’un document de cadrage, même si cette expression peut paraître un peu rude. C’est pourquoi l’avis de la commission est défavorable.

En ce qui concerne l’amendement n° 343, qui a pour objet de supprimer plusieurs alinéas de l’article 32, dont l’alinéa 20 relatif à l’information du Parlement sur le projet de document de cadrage, il tend donc à supprimer un apport essentiel de la commission qui vise à renforcer la place du Parlement dans le pilotage financier de l’assurance chômage.

J’ajoute que cet amendement a aussi pour objet de supprimer le rapport annuel obligatoire de l’UNEDIC sur les perspectives pluriannuelles de l’assurance chômage. Certains ont pu considérer, à une époque, que ce rapport n’était pas suffisant pour éclairer correctement le Gouvernement et le Parlement. Cela étant, le dernier rapport – peut-être est-ce l’effet du présent projet de loi ? – est nettement plus complet et nous informe mieux sur l’organisation, le financement et la dette de l’UNEDIC.

En outre, compte tenu de la fiscalisation croissante des ressources de l’UNEDIC et de la garantie apportée par l’État sur la dette de celle-ci, il n’est pas déraisonnable d’autoriser le Gouvernement à imposer un document de cadrage, si les finances de l’assurance chômage connaissent un dérapage soudain.

La commission est donc également défavorable à l’amendement n° 343.

Enfin, je voudrais dire à M. Savoldelli qu’être favorable à la mise en place d’un document de cadrage ne signifie aucunement être défavorable aux négociations menées par les partenaires sociaux !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements.

Je relève que le Gouvernement est cohérent : il souhaite justement que les partenaires sociaux puissent ouvrir de nouveau la négociation sur la convention d’assurance chômage. Ce sont eux qui fixeront, le cas échéant, de nouvelles règles d’indemnisation. Chacun est donc bien dans son rôle.

Je rappelle aussi que la dette de l’assurance chômage, qui atteint 34 milliards d’euros, est garantie par l’État. Pour cette seule raison, un document de cadrage se justifie. Le régime n’est pas complètement hors-sol et sa gestion engage la collectivité nationale.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. L’alinéa 3 de l’article 32 prévoit que le Premier ministre transmet aux organisations syndicales de salariés et aux organisations professionnelles d’employeurs représentatives à l’échelon national et interprofessionnel un document de cadrage, après concertation de ces mêmes organisations.

Je ne suis pas certain que les annonces récentes aient pu être précédées d’une telle concertation. Il faudra bien veiller, madame la ministre, à ce que le Premier ministre ne se retrouve pas hors la loi…

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 341.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 343.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 342, présenté par M. Tourenne, Mme Taillé-Polian, M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 11

Remplacer les mots :

et, le cas échéant, les objectifs d’évolution des règles du régime d’assurance chômage définis

par le mot :

définie

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement est de la même veine… Nous refusons que la tutelle de l’État sur l’UNEDIC et le paritarisme soit trop prégnante.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. L’avis de la commission sera lui aussi de la même veine, c’est-à-dire défavorable…

Le projet de loi prévoit que le document de cadrage comprend trois volets : la trajectoire financière de l’assurance chômage, les objectifs d’évolution des dispositifs à l’attention des demandeurs d’emploi et le délai fixé aux partenaires sociaux pour achever la négociation de la convention d’assurance chômage. Il est vrai que les événements de ces derniers jours peuvent laisser perplexe de ce point de vue…

Cet amendement vise à supprimer le deuxième volet du document de cadrage. Nous n’y sommes pas favorables, car il nous semble légitime que l’État puisse fixer des objectifs aux partenaires sociaux pour faire évoluer les dispositifs à l’attention des demandeurs d’emploi.

Je rappelle, en outre, qu’il ne s’agit là que d’une faculté, le document de cadrage pouvant très bien se limiter à fixer un objectif pour la trajectoire financière, sans intégrer ce deuxième volet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable.

Il est important que ce document de cadrage traite à la fois de la trajectoire financière et de l’évolution des règles du régime d’assurance chômage, parce que le Gouvernement doit pouvoir indiquer aux partenaires sociaux les sujets qui lui paraissent importants. Je pense notamment à la lutte contre la précarité excessive, sujet que nous intègrerons dans le prochain document.

Nous avons aussi inscrit, dans le projet de loi, que l’élaboration de ce document de cadrage doit se faire en concertation avec les partenaires sociaux. C’est une démarche interactive, à la fin de laquelle le Gouvernement prend évidemment ses responsabilités. Les partenaires sociaux prendront ensuite les leurs, en négociant le cas échéant de nouvelles règles d’indemnisation du chômage.

Dans les autres pays, il est très rare que l’État n’intervienne pas du tout dans l’assurance chômage. Parfois, le régime relève complètement de l’État, ce que nous ne souhaitons pas pour la France. Ailleurs, la gestion est tripartite, ce qui ne correspond pas non plus à notre volonté. Nous nous situons plutôt dans la catégorie des pays où l’État et les partenaires sociaux interagissent et où chacun reste dans son rôle.

Dans ce contexte, la lutte contre le chômage et la trajectoire budgétaire globale concernent bien évidemment l’État, mais les partenaires sociaux nous semblent mieux à même de fixer les règles à l’intérieur de ce cadre. Nous voulons renforcer cette interaction. C’est pourquoi nous avons prévu une concertation préalable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 342.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 32.

(Larticle 32 est adopté.)

Article 32
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Article 34

Article 33 (précédemment examiné)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que l’article 33 a été examiné par priorité avant l’article 26.

Chapitre III

Un accompagnement plus personnalisé des demandeurs d’emploi et une meilleure effectivité des obligations liées à la recherche d’emploi

Section 1

Expérimentation territoriale visant à l’amélioration de l’accompagnement des demandeurs d’emploi

Article 33 (précédemment examiné)
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Article additionnel après l'article 34 - Amendement n° 631

Article 34

À titre expérimental, dans les régions désignées par arrêté du ministre chargé de l’emploi, le maintien de l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi mentionnée à l’article L. 5411-1 du code du travail est subordonné, en complément des conditions fixées à l’article L. 5411-2 et au 2° de l’article L. 5411-10 du même code, au renseignement par les demandeurs d’emploi de l’état d’avancement de leur recherche d’emploi à l’occasion du renouvellement périodique de leur inscription. Au regard de leur particulière vulnérabilité, cette expérimentation doit accorder une vigilance spécifique aux situations des personnes handicapées et à leurs spécificités.

L’expérimentation est mise en œuvre pour une durée de dix-huit mois à compter du 1er juin 2019.

Un décret en Conseil d’État définit les modalités de l’expérimentation et de son évaluation. Les modalités de l’expérimentation tiennent compte du niveau de maîtrise de la langue française par les demandeurs d’emploi.

L’évaluation de l’expérimentation est transmise sans délai au Parlement.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 223 est présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 345 est présenté par M. Tourenne, Mme Taillé-Polian, M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 223.

M. Fabien Gay. Cet amendement tend à supprimer l’article 34 de ce projet de loi qui instaure l’expérimentation d’un journal de bord, dans lequel les demandeurs d’emploi devront rendre compte mensuellement de leurs actions de recherche à l’occasion du nouvellement de leur demande d’allocation.

Une telle expérimentation vise à accroître le contrôle des demandeurs d’emploi, pourtant déjà très fort. Est-il nécessaire de rappeler que seulement 14 % de ceux qui perçoivent des allocations chômage ont été radiés l’an dernier ? En outre, sur ces 14 %, 60 % ne touchaient déjà plus d’allocations chômage !

La fraude à l’assurance chômage représente entre 40 et 60 millions d’euros. Vous venez d’annoncer, madame la ministre, que vous allez tripler les effectifs de contrôleurs, qui passeront de 200 à 600. Or je vous rappelle que l’évasion fiscale atteint, quant à elle, entre 60 et 80 milliards d’euros ! C’est plutôt le nombre des contrôleurs dédiés à ce sujet qui devrait tripler pour aller chercher l’argent qui se trouve dans les paradis fiscaux…

Renforcer le contrôle des chômeurs présente plusieurs conséquences négatives. D’abord, cela contribue à transformer les conseillers de Pôle emploi en agents de contrôle. Un tel contrôle demande un investissement temporel démesuré au regard du faible taux de fraude. De plus, le rôle des conseillers de Pôle emploi consiste à accompagner les demandeurs d’emploi, pas à constater mensuellement l’échec des actions de recherche de ces derniers.

Pointer du doigt les chômeurs et renforcer les contrôles à leur égard nous font oublier que le chômage est un droit, pas un cadeau accordé par l’État.

Chaque mois, plutôt que de recevoir la totalité de leur salaire, les salariés en consacrent une partie au financement de l’assurance chômage. Cette démarche leur permet de bénéficier d’un salaire différé, disponible dans l’éventualité où ils perdraient leur emploi.

Le droit à l’allocation chômage dépend donc des cotisations, et pas des efforts fournis par les demandeurs d’emploi pour retrouver un travail. Ceux qui bénéficient du chômage de plein droit ne devraient par conséquent pas avoir à prouver leurs actions de recherche.

Pour ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 345.

M. Jean-Louis Tourenne. Finalement, le problème n’est pas tant dans la mise en place d’un journal de bord, que dans la suspicion qui sous-tend cette proposition.

Il faut quand même se rendre compte – chacun le sait dans cette enceinte – qu’être au chômage est une malédiction. Cette malédiction n’est pas seulement financière : augmenter les indemnisations ne changera pas l’idée que le salarié licencié se fait de lui-même, la perte d’estime ou son sentiment que le regard des autres est péjoratif. Tout cela a aussi une incidence sur la vie familiale. Le chômage entraîne donc une cohorte de dommages, qui vont s’acharner sur la personne concernée, mais aussi sur sa famille.

Par conséquent, tout ce qui vient renforcer l’idée que le chômeur serait responsable de sa situation et qu’il ne ferait pas tous les efforts nécessaires pour retrouver un emploi augmente les difficultés et la perte d’estime de soi.

Ce journal de bord servirait à mieux accompagner les demandeurs d’emploi. C’est une litote, tout le monde le sait bien ! Il s’agit en fait de vérifier que les recherches d’emploi ont été réelles.

Enfin, il existe tout de même une certaine contradiction : selon vous, madame la ministre, les agents de Pôle emploi devront vérifier le journal de bord, le contrôler et en discuter avec les demandeurs d’emploi, mais vous envisagez, dans le même temps, de supprimer 4 000 emplois. Quelle contradiction !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Cher collègue, vous avez raison de le rappeler, le chômage est un traumatisme à la fois personnel et familial. Je crois important de le dire et je pense que nous partageons tous cette idée.

Par ailleurs, nous pourrions disserter sans fin de la conception que nous avons, les uns et les autres, d’un système d’assurance chômage et des droits et devoirs qui s’y attachent, mais il faudrait prévoir beaucoup plus de jours de séance que nous n’en disposons, sans être pour autant certains que nous trouverions un accord…

En ce qui concerne le journal de bord, objet de cet article et des amendements, la commission des affaires sociales considère la démarche intéressante.

Le numérique est aujourd’hui une réalité, mais connaît aussi des limites : l’utilisation de ces nouveaux outils peut être difficile pour certaines personnes ou sur des territoires particuliers. Nous avons d’ailleurs abordé cette question avec le directeur de Pôle emploi, lorsque nous l’avons reçu en audition. C’est pour cela que lancer une expérimentation est intéressant. La durée de dix-huit mois, validée par le directeur de Pôle emploi, devrait permettre de réaliser cette expérimentation dans de bonnes conditions.

Je crois pouvoir dire que nous sommes tous d’accord pour considérer que ce journal de bord n’est pas un outil de contrôle. Naturellement, l’utilisation du numérique ouvre la voie à de telles perspectives, que je dénonce, et c’est notre rôle, en tant que législateurs, de fixer la doctrine.

Nous pouvons aussi appréhender les outils numériques comme permettant de faciliter le travail des conseillers de Pôle emploi, qui sont confrontés tous les jours, comme le disait M. Tourenne, au traumatisme que constitue le chômage. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour saluer leur travail.

En tout état de cause, la commission est défavorable à ces deux amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces deux amendements. Il est important de préciser qu’il ne faut pas confondre deux sujets : l’expérimentation d’un journal de bord et le contrôle de la recherche d’emploi.

L’expérimentation d’un journal de bord est à l’origine une suggestion des conseillers de Pôle Emploi, qui ont constaté que, durant leurs rendez-vous avec les demandeurs d’emploi, ils passaient énormément de temps à récapituler les démarches que ceux-ci avaient faites. Le temps consacré à cet aspect administratif empiète sur celui du conseil proprement dit, qui est naturellement plus important.

Avec l’expérimentation, le demandeur d’emploi pourra remplir en ligne les différentes informations demandées avant son rendez-vous physique. Une grande majorité des demandeurs d’emploi utilisent couramment les outils numériques, mais il faudra naturellement aider ceux qui ne le peuvent pas. Une fois le journal de bord rempli, le conseiller référent pourra se concentrer sur les raisons pour lesquelles les démarches du demandeur d’emploi n’ont pas abouti, ce qui lui permettra d’individualiser la stratégie de recherche.

Il s’agit donc d’une amélioration qualitative, qui permettra d’augmenter le temps utile tant du point de vue du demandeur d’emploi que de son conseiller.

C’est pour ces raisons que Pôle emploi souhaite faire cette expérimentation, qui me paraît importante. Elle s’inspire d’ailleurs des pratiques des pays nordiques, où l’accompagnement est plus intensif et plus précoce. C’est le défi que nous devons relever.

Le contrôle de la recherche d’emploi est un autre sujet.

Il me semble que tout dispositif mutualisé et financé par des cotisations assurantielles ou de solidarité a une logique de droits et de devoirs. Les contrôles n’ont donc rien de choquant ni de nouveau.

Il est intéressant de noter que, sur les 300 000 demandeurs d’emploi contrôlés par Pôle emploi durant les deux dernières années, 66 % d’entre eux cherchaient très activement un emploi et 20 % n’en cherchaient plus, parce qu’ils avaient tout essayé et étaient découragés. On peut tout à fait comprendre que ces personnes aient baissé les bras, mais nous nous sommes rendu compte que les contrôles avaient finalement permis de remobiliser tant les demandeurs d’emploi eux-mêmes que les conseillers de Pôle emploi. Les contrôles ont permis d’identifier certaines difficultés et ont donc donné des résultats assez positifs.

Sur l’ensemble de ces personnes contrôlées, comme cela a été évoqué, il en reste en effet 14 % qui ne rencontrent pas de difficultés particulières et ne recherchent pas véritablement un emploi. Toutes n’étaient pas indemnisées, mais elles bénéficient tout de même des services de Pôle emploi, ce qui représente un coût pour la collectivité. C’est cette minorité qui décourage les autres demandeurs d’emploi et les entrepreneurs qui cherchent à recruter.

Je pense qu’il faut beaucoup mieux accompagner de façon précoce. C’est l’objet de l’expérimentation du journal de bord.

Par ailleurs, comme dans tout système collectif, il faut un contrôle des droits et des devoirs.

Vous avez raison, monsieur Gay, on ne peut pas demander au conseiller de Pôle emploi qui se lève tous les matins pour aider les demandeurs d’emploi d’être en même temps le contrôleur. En d’autres termes, on ne peut pas demander à la même personne d’être assistante sociale et policier. Les nombreux conseillers que j’ai rencontrés me l’ont dit. C’est pour cette raison que les contrôleurs seront des personnes différentes, pris sur d’autres effectifs.