M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.

M. Fabien Gay. Les articles 28 et 29 illustrent la volonté de désengagement de l’État, au profit du privé et des intérêts financiers. Ils portent une atteinte sévère à la jambe publique du logement social, en favorisant uniquement sa jambe privée. Ils rompent ainsi un modèle spécifiquement français, et mettant en danger les valeurs de la République.

Ces articles permettent de sortir les organismes de leur corps de métier, à savoir la construction d’HLM, qui permet de proposer des logements sociaux aux Français qui en ont besoin, pour y adjoindre l’activité de les vendre. Non seulement il leur est assigné un objectif qui ne correspond pas à leur corps de métier et à leur raison d’être, mais, surtout, ils ne disposeront d’aucun moyen supplémentaire pour mener la tâche qui leur avait été confiée à l’origine.

Nous glissons là vers une marchandisation du logement social, puisque les organismes d’HLM sont incités à trouver les moyens de se financer eux-mêmes, dans un contexte déjà très difficile pour eux avec la baisse des APL. C’est donc par la vente de logements sociaux qu’il leur faudra se financer.

Nous allons donc vendre notre patrimoine. Les logements les plus anciens seront cédés et deviendront vite des copropriétés dégradées. Les promoteurs, quant à eux, pourront acquérir, dans les quartiers les plus attractifs, des lots qu’ils revendront ou loueront à prix d’or.

Ces quartiers deviendront alors rapidement inaccessibles pour beaucoup de nos concitoyens, et la mixité sociale deviendra de fait inexistante. Ainsi, c’est une autre forme d’élitisme et d’entre soi qui est encouragée par ces articles. Encore une fois, l’intérêt privé prime sur l’intérêt général.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Cet article concerne les procédés de vente du patrimoine des bailleurs d’HLM.

Depuis la loi Boutin, la vente du patrimoine a été définie comme un objectif prioritaire pour les organismes d’HLM, objectif largement renforcé par ce projet de loi, puisqu’il est fixé à 40 000 ventes.

Alors que le pays compte 1,8 million de demandes insatisfaites concernant l’accès à un logement social, nous ne comprenons pas que la vente du patrimoine, donc la perte de logements sociaux, constitue un objectif prioritaire pour ce gouvernement. Au contraire, nous prônons la sanctuarisation de ce patrimoine, au sein d’une agence foncière.

Ainsi, à nos yeux, l’objectif prioritaire devrait être d’apporter une réponse aux besoins de construction de logements en zone tendue et de réhabilitation d’un parc parfois dégradé en zone détendue.

Nous sommes satisfaits des évolutions adoptées par la commission sur cet article. Ses aspects les plus pernicieux, comme « l’amendement Monopoly » – il s’agissait de permettre aux offices de vendre la nue-propriété du patrimoine tout en gardant l’usufruit – ont été supprimés.

Nous sommes également satisfaits que le rôle de la commune ait été affirmé. Je vous le rappelle, nous demandons, depuis de nombreuses années, qu’aucune vente ne puisse se faire sans l’accord du maire. Nous le relevons avec plaisir, il existe aujourd’hui au Sénat, contrairement aux années passées, une majorité pour affirmer ce principe.

Pour notre part, nous considérons que l’avis de la commune n’est pas un élément parmi d’autres. Parce que les maires disposent d’obligations légales de construction, leur avis doit être conforme, y compris lorsqu’il s’agit de territoires métropolitains. Ainsi, il ne devrait y avoir de ventes de logements sociaux sur un territoire qu’avec l’accord de la commune concernée.

On ne peut pas demander aux maires d’atteindre des objectifs de construction et les priver des outils nécessaires pour conserver sur leur territoire un patrimoine locatif social !

Mme Cécile Cukierman. Nous proposons d’ailleurs également d’interdire la vente du patrimoine social dans les communes carencées.

Reste que cet article élargit encore inutilement les missions des organismes d’HLM, qui doivent se recentrer sur leur cœur de métier. Il fixe en effet comme un objectif incontournable, au sein des conventions d’utilité sociale, la vente du parc social.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le débat sur la vente d’HLM change aujourd’hui de nature, avec, à la fois, un prélèvement massif sur les organismes et un manifeste changement de stratégie.

Auparavant, la vente d’HLM permettait de donner de la fluidité et de la souplesse au patrimoine, pour répondre, dans certains cas, à l’aspiration de nos concitoyens. Aujourd’hui, cela devient la méthode privilégiée et quasiment unique pour financer la construction de parcs nouveaux dans le monde HLM.

Tout d’abord, il n’est pas vrai que, quand on vend un logement en HLM, on en construit deux. En effet, même si l’on construit 150 000 logements, le parc d’HLM n’augmente en réalité que de 78 000 ou 79 000 logements dans les meilleures années, puisqu’il faut bien prendre en compte les ventes et, éventuellement, les démolitions. La progression du parc d’HLM en France est donc dérisoire au regard de l’augmentation de la population, de plus en plus pauvre et forcée de cohabiter.

Telle qu’elle est organisée, la vente d’HLM est de nature à changer notre modèle économique. Nous ne sommes pas le premier pays à décider une telle évolution. Vous disiez que j’étais fascinée par les modèles européens. Tel n’est absolument pas le cas. C’est vous qui l’êtes, monsieur le ministre ! Vous adoptez en effet la méthode utilisée en Grande-Bretagne et ailleurs. On nous explique qu’il faut réduire la voilure des organismes, en vendant des logements pour pouvoir construire en construire d’autres.

Pourtant, à l’heure actuelle, les Anglais, que ce soit Mme May ou le maire de Londres, accordent des crédits massifs au logement public. Il s’agit non pas d’HLM, comme chez nous, mais de logements publics ! Les Allemands, qui avaient moins de problèmes de logement, sont en train de mettre en place de nouvelles subventions publiques pour faire du logement social.

Quant à nous, nous nous apprêtons à commettre toutes les bêtises que nos voisins ont faites voilà vingt ou trente ans ! Certes, je l’ai bien compris, ce n’est pas tout à fait le même sujet, mais il me semble que nous allons dans le même mur.

Je suis totalement hostile aux propositions qui sont faites. Nous avons toujours été favorables à la vente, laquelle, je le rappelle, ne doit pas remettre en cause la mixité sociale. Vous le savez bien, mes chers collègues, les ventes se feront non pas dans les endroits les plus difficiles, mais dans les zones attractives, là où on a du mal à trouver du foncier disponible.

À supposer même que l’on en fasse deux pour un, les constructions nouvelles ne seront pas réalisées aux mêmes endroits. On a déjà eu tellement de mal à réussir certaines opérations dans des quartiers centraux qu’il me paraît hautement risqué de tout détricoter ! Nous avions les outils qui permettaient une fluidité du parc. C’est un mauvais coup qui nous est proposé.

Quand on interroge les Français locataires d’HLM, ils souhaitent, pour la plupart, accéder à la propriété en dehors de là où ils habitent, avec un nouveau logement. Le nombre de ceux qui peuvent le faire est, hélas, dérisoire sur l’ensemble du parc national, leurs ressources n’étant pas considérables.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous avez supprimé le PTZ, le prêt à taux zéro, dans les zones, où, justement, les aides pour accéder à la propriété étaient nécessaires.

M. Marc Daunis. Très bien !

M. le président. Je m’excuse auprès de vous, mes chers collègues, de ne pas avoir rappelé à l’ordre plus tôt notre collègue, qui a largement dépassé son temps de parole.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, vous avez été fasciné à juste titre par les paroles de Mme Marie-Noëlle Lienemann ! (Sourires.)

On a parfois l’impression que ce texte est disparate. En fait, il présente quelques lignes de force. Pour ma part, je mettrai en relation ce qui a, hélas, été adopté avant-hier à cinq voix de majorité concernant les architectes des bâtiments de France et ce qui a été adopté hier sur le recours facilité aux entreprises de conception-réalisation, autrement dit aux marchés globaux.

L’article 28 permet de créer avec une grande facilité des filiales auxquelles ne s’appliqueront pas un certain nombre de règles très importantes pour la construction publique, ce qui mettra à mal les concours d’architectes, ainsi qu’une part essentielle de la loi MOP, la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, de 1985.

Tout cela va dans le même sens. On nous dit qu’il faut aller plus vite. Pour ma part, j’ai toujours regretté que l’on ne trouve pas des méthodes plus rapides pour mettre en œuvre les marchés publics, tout en respectant les principes de la concurrence et de l’allotissement.

Au bénéfice de cette volonté de rapidité et d’apparente efficacité, on met à mal, d’une part, la qualité, d’autre part, le libre accès à la commande publique et le pluralisme en matière de création architecturale. C’est très grave, car il s’agit de concepts essentiels.

Certains d’entre nous ont regretté que Mme la ministre de la culture ne soit pas présente.

M. Marc-Philippe Daubresse. Elle a déjà du mal à s’occuper de la culture, alors l’architecture…

M. Jean-Pierre Sueur. Les trois points que je viens d’évoquer, notamment la question centrale du pluralisme en matière d’architecture, représentent en effet un enjeu culturel majeur.

Nous y reviendrons au cours de la discussion de nos amendements, car je n’ai pas, monsieur le président, par mon propos, la prétention de vous fasciner autant qu’en est capable Mme Marie-Noëlle Lienemann. (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, sur l’article.

Mme Michelle Gréaume. Cet article 28 du projet de loi est, à n’en pas douter, l’un des pivots du texte, puisqu’il porte sur la définition et les contours des organismes d’HLM.

Il propose une définition et une nomenclature du secteur locatif social, au sein duquel nous avons vu apparaître une nouvelle catégorie d’opérateurs, à savoir les sociétés de vente de logements sociaux, chargées de ramener dans les caisses les liquidités dont elles ont besoin.

Depuis quelque temps, en effet, singulièrement depuis le vote des dernières lois de finances et lois de programmation des finances publiques, le « chacun pour soi » semble devenir la norme. Le budget du logement est, en France, largement atteint par les effets de la crise, que des décisions politiques antérieures ont largement contribué à aggraver.

C’est bien en effet le processus de formation du prix – en l’occurrence, c’est le prix qui compte ; ailleurs, c’est le coût des matériaux, et plus encore celui des emprunts – qui détermine le loyer d’équilibre et, in fine, le loyer pratiqué. Or la ligne du Gouvernement consiste depuis fort longtemps à favoriser l’aide à la personne, correctif de plus en plus coûteux des désordres du marché, au détriment de l’aide à la construction.

On réduit le nombre des organismes d’HLM en escomptant que les économies d’échelle, la restructuration des patrimoines et celle de la dette de chaque organisme ainsi reconstitué suffisent pour permettre à chaque structure de disposer des moyens de son développement.

Toutefois, il suffit de lire les attendus et les conditions de mise en œuvre de la loi de programmation pour observer la faiblesse des crédits destinés à la construction neuve – 50 millions d’euros sont consacrés à abonder le FNAP, le Fonds national des aides à la pierre, soit 10 millions d’euros de moins que le produit de la taxe sur les logements vacants, qui est reversé au budget général –, ainsi que le poids déterminant des aides personnelles, qui sont soumises aux arbitrages budgétaires, et de la dépense fiscale, qui s’élève peu ou prou à 15 milliards d’euros, hors report des déficits fonciers.

Les gouvernements, sous M. Sarkozy, avaient beaucoup de défauts ; mais au moins, ils consacraient près de 930 millions d’euros à la construction de logements neufs et à la réhabilitation de logements plus anciens. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’était le bon temps !

Mme Michelle Gréaume. La captation des ressources du célèbre 1 % patronal, qui est notamment utilisé par l’État pour tenir ses objectifs en termes de rénovation urbaine, ne simplifie guère plus la vie des organismes d’HLM.

Tout se passe comme si l’on avait oublié que c’est le mouvement HLM, appuyé par l’épargne populaire collectée au travers du livret A, qui a permis à notre pays de sortir de la crise du logement des années 1950 et 1960, et qui pourrait permettre de sortir de celle que nous connaissons actuellement.

L’article 28 est un pur article de régression sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, sur l’article.

Mme Colette Mélot. L’article 28 du projet de loi prévoit d’accorder de nouvelles compétences aux bailleurs sociaux. Ces organismes sont en charge d’un service d’intérêt général ; leurs activités principales – la construction, l’acquisition, l’amélioration, la gestion et la cession de logements locatifs à loyer modéré – sont déjà exonérées d’impôt sur les sociétés.

L’extension des activités exercées par ces organismes à des domaines du logement social qui ne relèvent pas du service public d’intérêt général représente un manquement au principe d’étanchéité des aides publiques et une concurrence déloyale vis-à-vis du secteur privé, qui exerce habituellement ces activités.

Selon l’expression de Léon Duguit, est considérée comme relevant du service public « l’activité que les gouvernants doivent obligatoirement exercer dans l’intérêt des gouvernés ». Les nouvelles activités prévues à l’article 28 ne répondent pas à un tel besoin. Laissons au secteur privé les activités qui lui reviennent ; n’affaiblissons pas l’État en diluant ses ressources dans une concurrence avec ledit secteur privé.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Je souhaite faire une mise au point sur l’objectif du Gouvernement.

Je répondrai tout d’abord à M. Sueur : si quelque chose m’a toujours fasciné, c’est bien, monsieur Sueur, votre agilité intellectuelle, au fil des années et des sujets qui étaient proposés à la sagacité du législateur.

M. Jean-Pierre Sueur. Merci. La vôtre, d’agilité, me fascine également, entre hier et aujourd’hui ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard, ministre. Je vous retourne vos remerciements.

J’ai noté avec intérêt que vous étiez toujours convaincu de la nécessité d’accélérer les processus en matière de passations de marché ; vous nous le répétiez souvent lorsque j’avais l’honneur et le privilège d’être un membre de la commission des lois, que vous présidiez avec la sagacité à laquelle j’ai fait plus tôt référence.

M. Jean-Pierre Sueur. J’attends la suite ! (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Mézard, ministre. Quel est l’objectif du Gouvernement ? Est-il de faciliter la vente d’HLM ? Oui ! Cette orientation a d’ailleurs été engagée il y a de nombreuses années. Et je rappelle que l’objectif auquel nous souhaitons parvenir est de 40 000 logements par an, c’est-à-dire 1 % du parc. C’est le même objectif, exactement – je le dis à la majorité sénatoriale – qui avait été fixé en 2009.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Par Nicolas Sarkozy !

M. Jacques Mézard, ministre. C’est le même ! Que l’on ne vienne donc pas me dire que cet objectif est bien trop ambitieux. C’est celui que la majorité d’alors avait affiché de manière très claire en 2009. Nous ne l’avons pas modifié : il nous paraît raisonnable.

Par ailleurs, il ne s’agit pas de brader le patrimoine national. Pas du tout ! Quelle est la situation aujourd’hui ? Près de 100 000 logements sont mis en vente. Ce processus est donc voulu par les organismes d’HLM eux-mêmes. Mais ils ne parviennent à en vendre effectivement que 8 000. Cherchez l’erreur !

Il est ainsi démontré, d’ailleurs, que l’objectif fixé en 2009 n’a été, pour un certain nombre de raisons, que partiellement atteint.

Je dis, donc, qu’il ne s’agit pas de brader le patrimoine national : l’objectif est limité, et le système que nous souhaitons promouvoir me paraît vertueux ; il existe non seulement au Royaume-Uni, mais dans la plupart des pays du monde. Il consiste à ramener les fonds produits par ces ventes dans le secteur du logement locatif social ; le contraire serait effectivement tout à fait anormal : il ne s’agit pas que ces fonds soient dédiés à autre chose qu’à la construction de nouveaux logements en HLM.

Voilà la réalité : il n’y en a pas d’autre. Devant l’Assemblée nationale, nous nous sommes montrés favorables à une proposition visant à doter les maires, qui émettent aujourd’hui un avis simple, d’un droit de préemption en cas de difficulté particulière. C’est un pouvoir supplémentaire qui leur est accordé !

L’objectif ainsi fixé me semble positif. J’entends et je respecte toutes les opinions, y compris de principe, qui sont toujours, au fil des années, exprimées de la même manière – je l’ai dit ici à de nombreuses reprises. Ces positions sont parfaitement respectables, mais on a aussi le droit d’en avoir d’autres et de considérer qu’il est souhaitable de faciliter un processus dont les chiffres eux-mêmes démontrent que les organismes d’HLM y sont favorables – si tel n’était pas le cas, ils ne mettraient pas les logements en vente ! Il faut donc trouver une solution pour leur permettre de vendre.

La loi, aujourd’hui, prévoit un avis simple du maire. J’ai tout entendu, lors des débats que nous avons eus hier et avant-hier, sur les avis conformes et sur les avis simples. Sur certains sujets, on m’explique que l’avis simple est vraiment insuffisant, qu’il faut passer à l’avis conforme ; sur d’autres, on me dit strictement l’inverse ! (Exclamations.)

M. Philippe Dallier. Ce ne sont pas les mêmes sujets !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas comparable !

Mme Cécile Cukierman. Précisément, il ne s’agit pas de questions de principe !

M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de rester calmes. Vous pourrez vous exprimer lors de la discussion de l’amendement de suppression que nous nous apprêtons à examiner.

Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre. Cet argument ne vous fait pas plaisir, je l’entends ; mais les deux situations sont exactement identiques.

Nous pourrons y revenir. Mais mon propos n’est que le strict reflet de la réalité ; que cela vous fasse plaisir ou pas ne change rien à l’affaire !

C’est exactement comme pour les architectes : certains veulent toujours plus d’architectes dans les procédures ; je rappelle néanmoins que le Sénat a voté, hier, l’extension aux CUMA, les coopératives d’utilisation de matériel agricole, de la dispense de recours à un architecte pour les constructions inférieures à 800 mètres carrés.

M. Marc-Philippe Daubresse. L’architecte n’est pas un élu local !

M. Jacques Mézard, ministre. Si ! Certains sont même parlementaires, et l’ont rappelé publiquement, dans cette enceinte, il y a deux jours…

M. Marc-Philippe Daubresse. Certes, mais les deux fonctions ne se recouvrent pas pour autant !

M. Antoine Lefèvre. Je vous ai même entendu dire, monsieur le ministre, que les architectes étaient plus forts pour se défendre que les avocats ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard, ministre. Merci, monsieur Lefèvre, de ces propos particulièrement pertinents. Que l’on fasse de cette question un point fort du débat, c’est tout à fait légitime. Mais, s’agissant des objectifs visés par le Gouvernement, ne travestissons pas la réalité.

M. le président. L’amendement n° 169, présenté par Mme Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Après nos trois prises de parole sur l’article, nous considérons qu’il est défendu, monsieur le président.

Mes chers collègues, si vous souhaitez que nous avancions vraiment notre débat, je vous invite à voter cet amendement : son adoption en ferait « tomber » beaucoup d’autres. (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur Gay, vous proposez de supprimer un article que nous avons souhaité maintenir ; vous allez donc à l’encontre de la position de la commission.

Je rappelle tout de même que, dans cet article, il est non seulement question de la vente de logements sociaux, mais également des nouvelles compétences qui sont dévolues aux organismes d’HLM.

Quoi qu’il en soit, nous souhaitons que le débat ait lieu, ce qui suppose que cet article ne soit pas supprimé. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jacques Mézard, ministre. Eu égard à ce que je viens d’avoir l’honneur d’exposer devant la Haute Assemblée, l’avis du Gouvernement est défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. S’agissant de l’objectif des 40 000 logements vendus, vous avez raison, monsieur le ministre : nous avons l’habitude, dans ce pays, de fixer des objectifs ambitieux pour le simple plaisir de l’affichage, sur l’air du « nous verrons bien ».

M. Philippe Dallier. Sur la rénovation énergétique comme sur bien d’autres sujets, on affiche des objectifs dont on sait pertinemment que l’on ne les atteindra pas.

Toutefois, la très grande différence, ici, c’est que votre réforme du logement social repose essentiellement sur l’atteinte de l’objectif des 40 000 logements vendus.

M. Marc Daunis. Bien entendu !

M. Philippe Dallier. Ce ne sont pas les mesures de contrepartie engagées par la Caisse des dépôts et consignations qui donneront aux bailleurs l’air dont ils ont besoin ; quant aux mesures de regroupement – hier, je vous ai demandé combien de dizaines de millions d’euros vous en attendiez –, j’ai cru comprendre que vous ne fondiez pas sur elles énormément d’attentes. Que reste-t-il pour sauver les bailleurs ? La vente d’HLM !

Le chiffre de 40 000 logements vendus est avancé. Abstraction faite des problèmes que cela pose en matière de concentration des ménages les plus pauvres, j’espère que cet objectif sera atteint ; à défaut, le système sera complètement planté !

M. Philippe Dallier. Si 8 000 logements en HLM seulement sont aujourd’hui vendus chaque année, c’est bien parce que les locataires ne peuvent pas acheter. On va donc aller chercher des acteurs comme Action Logement, pour les enjoindre à se porter acquéreurs, ce qui va amener de l’argent frais. C’est très bien, mais, au bout du compte, lorsque ce portage sera terminé, à défaut d’acheteurs, que fait-on ?

M. Philippe Dallier. C’est la question qu’il faut se poser.

Effectivement, monsieur le ministre, vous allez, pendant un temps donné, donner de l’argent frais aux bailleurs, qui vous auront vendu des logements occupés par les locataires. Que fait-on au bout du compte ? On verra bien !

Certes, le dispositif a été bordé de telle manière que le privé ne puisse pas venir s’immiscer au milieu de cette histoire pour, profitant d’un bel effet d’aubaine, récupérer les logements. Nous avons instauré les garde-fous nécessaires.

Reste que vous êtes en train de pousser les problèmes devant vous. En définitive, que se passera-t-il ? On peut toujours dire : « Après nous, le déluge », et se contenter de se donner de l’oxygène pendant quelques années malgré la RLS, la réduction de loyer de solidarité. Mais au bout du compte, on ne sait pas ce qui va se passer.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous ne voterons pas la suppression de l’article, même si nous sommes contre la vente ; le choix du Sénat a en effet été d’instituer toute une série de garde-fous relatifs à l’accord conforme du maire ou aux missions des organismes d’HLM. Nous souhaitons que ces propositions puissent peser dans le cadre de la CMP, et nous espérons que le Gouvernement nous entendra.

Je n’ai pas l’habitude de défendre Nicolas Sarkozy, comme chacun peut l’imaginer. (Sourires.)

M. Philippe Dallier. Cela ne nous a pas échappé !

M. Roger Karoutchi. Il vous manque, reconnaissez-le !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Une différence notoire distingue néanmoins son action de celle qui est aujourd’hui menée, M. Dallier l’a expliqué : seules des personnes physiques pouvaient acheter, selon une logique qui me semblait relever d’une utopie irresponsable,…

M. Roger Karoutchi. Généreuse !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. … celle du « tous propriétaires ». La logique et les outils mobilisés pour la mettre en œuvre étaient donc différents.

Mme Valérie Létard. Tout à fait !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Désormais, on ouvre la boîte de Pandore des personnes morales.

Quel est le bilan de l’action engagée par Nicolas Sarkozy ? Vous avez dit 8 000, monsieur le ministre ; ce sont en réalité 9 000 logements en HLM qui ont été vendus chaque année, grosso modo, ces dernières années – il est même arrivé, une année, que le nombre de ventes s’élève à 13 000.

Qu’en est-il de ces logements vendus ? Sur 8 000 ou 9 000 logements, un tiers est vendu au locataire occupant : cela fait 3 000 ; pour les locataires, ce n’est pas la révolution, ni la grande flambée de l’accession à la propriété. Un deuxième tiers est vendu à d’autres locataires d’HLM – la décote, par rapport au premier cas, est différenciée. Un dernier tiers est vendu à d’autres personnes qui ne sont pas locataires d’HLM.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Au bout de quelques années, que constate-t-on ? Seuls 62 % des acheteurs d’un logement en HLM continuent de l’occuper ; quelque 40 % d’entre eux environ le louent, et pour un loyer plus cher que l’ancien loyer en HLM.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Autrement dit, 40 % des logements qui ont été sortis du parc locatif ne l’ont pas été au profit de ménages devenus propriétaires malgré de faibles ressources, mais afin de permettre à de nouveaux bailleurs de pratiquer des loyers plus élevés que les loyers d’HLM. Où est l’intérêt public ici ?

Pourquoi 100 000 logements sociaux sont-ils mis en vente ? Parce que les organismes savent pertinemment qu’il faut en proposer 100 000 pour en vendre 9 000. N’y voyez là aucun enthousiasme à vendre : 100 000, c’est tout simplement le nombre de logements qu’il faut mettre sur le marché pour en écouler 9 000.

Il fallait, selon moi, s’en tenir aux dispositifs existants ; je félicite la commission pour les travaux qu’elle a menés, afin d’essayer d’encadrer tout cela raisonnablement.