Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Mme la rapporteur Cathy Apourceau-Poly et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste de la présentation, aujourd’hui, dans l’hémicycle du Sénat, de la très nécessaire proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés. Ce texte est soutenu unanimement par les sénateurs du groupe socialiste et républicain, au nom duquel j’interviens aujourd’hui.

Notons que cette proposition de loi a d’abord été déposée à l’Assemblée nationale, toujours sur l’initiative des parlementaires communistes, et cosignée par de nombreux députés, issus de plusieurs groupes politiques. Il se trouve cependant que le Gouvernement et sa majorité, gênés aux entournures, en ont bloqué l’examen. C’est donc au Sénat que nous pouvons aujourd’hui, fort heureusement, en discuter.

Cette situation constitue une nouvelle illustration, s’il en était besoin, de l’importance du Sénat dans notre vie politique et de l’importance du bicamérisme. C’est un fait dont il faudra se souvenir lors du futur examen au Parlement de la réforme constitutionnelle, qui interviendra en janvier prochain.

La proposition de loi que nous examinons répond aux attentes des personnes en situation de handicap et à celles de leurs associations de défense, qui dénoncent, depuis des années, la prise en compte du revenu du conjoint.

Rappelons, tout d’abord, que l’AAH bénéficiait à 1,13 million de personnes en 2017 et que, de 819 euros par mois pour une personne seule, elle atteindra 860 euros au 1er novembre 2018, puis 900 euros à la fin de l’année 2019.

Si ces revalorisations sont bien entendu positives, vous conviendrez, mes chers collègues, qu’elles aboutissent à des montants encore bien faibles, situés en dessous du seuil de pauvreté. Elles doivent être comparées aux montants des cadeaux fiscaux faits par le Gouvernement aux plus riches, qui se chiffrent, eux, en millions d’euros.

En outre, la revalorisation de l’AAH pour une personne seule s’accompagnera d’une baisse progressive pour les bénéficiaires en couple. Ainsi, le coefficient multiplicateur maximal est passé de 2 à 1,9 en 2018 et s’élèvera à 1,8 l’année prochaine, ce qui pourra exclure certains couples du bénéfice de l’allocation, dans des proportions dont nous ne connaissons pas l’ampleur, comme l’a regretté notre rapporteur.

Les couples percevant tous deux l’AAH connaîtront eux aussi une baisse nette des revenus du foyer. En effet, ceux qui perçoivent actuellement 1 638 euros verront le montant de leur allocation baisser à 1 625 euros. J’entends déjà qu’une différence de 13 euros, ce n’est rien, ou si peu… C’est peut-être peu pour les finances publiques, mais, pour boucler des fins de mois difficiles, une telle somme est absolument nécessaire dans bien des cas !

En quelque sorte, en revalorisant l’AAH, tout en réduisant le plafond, le Gouvernement reprend d’une main ce qu’il a donné de l’autre.

Les allocataires de l’AAH vivant en couple subissent ainsi une discrimination inacceptable, qui peut en amener certains, par exemple, à ne pas se marier ou à ne pas déclarer leur vie de couple pour ne pas perdre le bénéfice de l’allocation. Il est proprement scandaleux que certains soient contraints à cette extrémité. Cette situation ajoute de l’exclusion à l’exclusion.

Et que dire de cette dépendance de l’un à l’égard de l’autre dans le couple ? Elle est blessante, humiliante et rétrograde, spécialement pour les femmes, comme ma collègue Laurence Cohen l’a rappelé. Citoyenne à part entière, la personne handicapée n’a pas demandé à être privée de sa capacité à travailler et doit, à notre sens, avoir le choix de ne pas dépendre financièrement de son conjoint.

L’AAH n’est pas un minimum social comme un autre : c’est le calcul d’un degré d’invalidité, contraignant malheureusement la personne concernée à renoncer au travail. Je rappelle que, pour percevoir l’AAH, il faut se voir reconnaître un taux d’incapacité de 80 %, ce qui correspond à un handicap lourd, empêchant de travailler.

Mais qui dit renoncement au travail ne dit surtout pas renoncement à une vie sociale, culturelle ou familiale ! Or, bien souvent, les personnes handicapées n’ont que l’AAH pour seule ressource.

Pour mesurer les difficultés d’insertion des personnes souffrant d’un handicap, je veux insister sur un chiffre particulièrement éclairant : seuls 6 % des allocataires de l’AAH sortent du dispositif d’une année sur l’autre, d’après une étude récente. C’est dire si l’AAH, son maintien à taux plein, sa revalorisation régulière sont essentiels pour nos concitoyens touchés par le handicap.

Cependant, force est de constater que le Gouvernement, au-delà des déclarations de principe et d’affichage sur la nécessité de mener une politique inclusive, n’apporte malheureusement qu’une réponse comptable, difficilement justifiable et décalée par rapport aux réalités vécues.

Nous avons déjà constaté ce décalage entre l’affirmation de grands principes et la réalité concrète à l’occasion des débats parlementaires sur le projet de loi ÉLAN. En l’espèce, l’article 18 de ce texte, relatif à l’accessibilité des logements pour les personnes handicapées, prévoit que seuls 20 % des nouveaux logements collectifs leur seront accessibles, alors que la loi de 2005 prévoyait, pour ces mêmes programmes neufs, un taux de 100 %. C’est un recul sans précédent pour les droits des personnes handicapées, qui sont bien pris en considération sur le papier et dans les discours des ministres, mais qui ne le sont, hélas, ni dans leurs actes, ni dans leurs politiques, ni dans notre réalité.

Je ne demande qu’à être démentie, tout du moins aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, en vous voyant apporter votre soutien à cette très attendue proposition de loi de nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste – attendue par les intéressés, attendue par le mouvement associatif, lequel est extrêmement inquiet, attendue et espérée par nous-mêmes, sénateurs et sénatrices du groupe socialiste et républicain.

L’adoption du texte ne mettrait pas en péril, tant s’en faut, l’équilibre des finances publiques – je rappelle que seuls 23 % des allocataires de l’AAH sont en couple. Ce serait un geste de solidarité, de fraternité et un bon signal envers nos concitoyens les plus exposés et les plus fragiles, déjà durement frappés par leur situation de personnes handicapées. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste et républicain, qui ne peuvent accepter que les politiques publiques se réduisent à la recherche d’équilibres budgétaires, voteront avec détermination et enthousiasme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui pour examiner une proposition qui touche à un sujet auquel nous sommes, je crois, tous sensibles : la vie quotidienne des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés.

Attribuée à environ 1 million de personnes en situation de handicap, l’AAH prend en compte l’ensemble des ressources retenues dans le calcul de l’impôt sur le revenu.

Si nous sommes tous d’accord pour considérer l’AAH comme un outil indispensable à l’inclusion des personnes handicapées dans notre société, les avis divergent quant à une éventuelle réforme de son mode de calcul.

Je m’efforcerai de détailler la position du groupe du RDSE sur ce sujet.

Les auteurs de la proposition de loi déplorent une situation de dépendance financière des personnes handicapées à l’égard de leur conjoint, en raison du caractère dégressif de l’AAH, qui prend en compte l’ensemble des revenus du foyer.

Bien sûr, nous considérons que tout doit être mis en œuvre pour garantir le maximum d’autonomie des personnes en situation de handicap et limiter ainsi le niveau de dépendance à l’égard de leurs proches, à tous les âges de la vie. Malgré une reconnaissance croissante et heureuse de l’engagement des proches aidants – nous en discuterons demain –, c’est bien la société tout entière et dans toutes ses dimensions qui doit être aux avant-postes dans ce domaine, pour permettre l’émancipation de chacun.

À cet égard, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fait figure de modèle et s’est imposée comme le fondement de toutes les réformes entreprises dans ce domaine. Elle pose notamment comme principes fondamentaux l’émancipation et la pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap et rappelle qu’une société plus juste et apaisée est une société inclusive.

La proposition de loi que nous examinons intervient dans un contexte particulier de modification des règles de l’AAH par le Gouvernement. En effet, ce dernier a annoncé plusieurs revalorisations exceptionnelles, qui porteront l’AAH à 860 euros en novembre 2018 et 900 euros en novembre 2019, ce qui équivaut à une augmentation significative de 80 euros pour les allocataires.

Toutefois, nous regrettons que d’autres mesures atténuent son véritable impact. Je veux simplement évoquer la baisse du coefficient de prise en compte des revenus du conjoint, qui entraîne de facto une baisse progressive du plafond de ressources pour les couples, ainsi que l’article 65 du projet de loi de finances pour 2019, qui propose de revenir sur l’indexation de l’AAH sur la hausse des prix.

Nos collègues du groupe CRCE proposent de supprimer la prise en compte du revenu du conjoint dans la base de calcul de l’AAH. Nous comprenons bien la spécificité de l’AAH, laquelle permet de faire face à une situation qui, dans la majorité des cas, n’a pas vocation à s’améliorer. Toutefois, pour la plupart des minima sociaux, comme le RSA, les revenus du conjoint sont également pris en compte : c’est bien la situation familiale dans sa globalité qui est examinée. En ce sens, le traitement des situations au coup par coup que nous proposent les auteurs de cette proposition de loi entraînerait une rupture d’équité entre les minima sociaux.

Par ailleurs, selon ces mêmes auteurs, le principe de l’allocation est de garantir l’autonomie de la personne. Or l’objectif premier de l’AAH est non pas de garantir l’autonomie de son bénéficiaire, mais d’« assurer un minimum de ressources », donc de lutter contre la grande pauvreté des personnes en situation de handicap. À ce titre, il paraît cohérent, en l’état des autres prestations, de prendre en compte l’ensemble des ressources du foyer. Quant à la PCH, elle a pour objectif de compenser le handicap.

Tentons de prendre un peu de hauteur sur la question : nous saluons de nouveau l’augmentation significative de l’AAH et, en même temps, nous mesurons l’ampleur du travail qui reste à accomplir. La lutte contre la pauvreté des personnes handicapées et la compensation par l’État des entraves particulières engendrées par leur situation ne sont que les parties émergées de l’iceberg. L’accueil fragile et imparfait qui leur est réservé dans la société demeure un frein à leur pleine inclusion.

Le handicap, aussi individuel soit-il, est accentué par la faible accessibilité des établissements recevant du public, mais aussi par la faible adaptation du marché de l’emploi et de la formation, tout comme par l’offre encore insuffisante d’activités sportives ou culturelles mises à la disposition des citoyens concernés. Dans cette vision globale, l’environnement familial et social, donc la solidarité familiale, joue bien évidemment un rôle majeur.

En conséquence, penser l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation de handicap sous le seul angle de la suppression des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’AAH serait passer à côté de l’enjeu majeur des moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif d’une société inclusive, comme doit l’être celle d’un pays comme la France.

Conscients de toutes les difficultés qui demeurent dans la vie des personnes handicapées et de la nécessité d’y apporter des solutions diverses et complexes et mesurant les conséquences que l’adoption de cette proposition de loi aurait sur les autres prestations sociales, la majorité des membres du groupe RDSE s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui la proposition de loi n° 434, déposée par Laurence Cohen, qui tend à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés.

À titre préliminaire, je veux rappeler que cette aide financière a pour but de garantir un minimum de ressources. Elle est l’expression de la solidarité nationale. Cumulable avec d’éventuels dispositifs et pouvant compléter d’autres ressources, elle n’en demeure pas moins un minimum social à part entière.

Je veux m’arrêter quelques instants sur la genèse – elle a son importance – de cette initiative parlementaire. Celle-ci s’est exprimée au Sénat au travers d’une question de notre collègue Bernard Jomier, puis a pris forme à l’Assemblée nationale, d’abord avec une première proposition de loi, déposée le 17 janvier 2018 par Laurence Trastour-Isnart, membre du groupe Les Républicains, puis avec une seconde, déposée le 21 mars 2018 par Marie-George Buffet. Elle a fait d’ailleurs l’objet d’une adhésion transpartisane.

Le texte a été renvoyé en commission des affaires sociales, et non en commission spéciale, contrairement à ce qu’avait souhaité le groupe Gauche démocrate et républicaine. Je prends note de l’opposition formée par la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, et je la regrette. En effet, j’estime qu’il eût été préférable d’aboutir à la constitution d’une telle commission. Celle-ci aurait permis à la représentation nationale d’envoyer un message politique clair à destination de nos concitoyens : celui d’une réelle prise en compte de leurs attentes.

Pour reprendre les mots d’André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine de l’Assemblée nationale, l’acceptation de cette demande aurait été « un geste fort », montrant « que les députés écoutent les attentes sociales et dépassent les clivages quand il faut prendre des mesures de justice et de bon sens ». De plus, elle aurait permis de mener une réflexion pluridisciplinaire, d’avoir une vision globale sur l’application de cette proposition et, probablement, d’envisager une réforme de plus grande ampleur sur le sujet. J’y reviendrai dans quelques instants.

En ce qui concerne nos débats, je veux avant tout saluer les travaux de notre collègue rapporteur. Nous rejoignons le constat qu’elle a dressé et sa présentation de la philosophie dans laquelle s’inscrit cette allocation.

Par ailleurs, ce texte rappelle, dans ses motifs, l’importance, pour l’allocataire, de voir son autonomie assurée. Le groupe Union Centriste, au nom duquel je m’exprime cet après-midi, demeure pleinement attentif et sensible à cette préoccupation.

Il me vient en mémoire cette belle conclusion formulée par Sylvain Tesson dans une œuvre récompensée en 2011 par un prix dont le nom résonne si particulièrement dans ces murs – je veux bien évidemment parler du prix Médicis Essai – : « L’autonomie pratique et matérielle ne semble pas une conquête moins noble que l’autonomie spirituelle et intellectuelle. »

Ainsi, comme l’ont précisé très justement ses auteurs, cette proposition de loi tend à améliorer la situation matérielle et morale de tout allocataire vivant en couple.

Surtout, l’allocation aux adultes handicapés a une portée sociale, mais aussi un impact familial, que tous les membres de cet hémicycle mesurent. En effet, son montant est dégressif dès lors que les revenus du conjoint s’élèvent à 1 126 euros par mois et son versement cesse à partir de 2 200 euros.

Les conséquences en termes d’unions sont avérées. C’est pourquoi l’article 1er du texte vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le versement de l’AAH quand celle-ci est versée en complément des autres ressources du bénéficiaire. L’article 2 le prolonge en visant, cette fois, le plafonnement de l’aide financière.

La baisse du coefficient de prise en compte des revenus du conjoint, à 1,8 au 1er janvier 2020, empêchera les allocataires vivant en couple de bénéficier pleinement de l’augmentation à 900 euros.

Certes, ce tour de passe-passe comptable est choquant et critiquable. Cependant, il convient de préciser que d’autres minima sociaux, en lien ou non avec le handicap, prennent en compte les ressources du foyer. C’est notamment le cas du revenu de solidarité active. D’autres prennent même en considération le montant du patrimoine, par le biais des relevés de compte, comme l’aide personnalisée au logement.

Par conséquent, si la question de la refonte se pose pour l’allocation aux adultes handicapés, elle demeure également légitime pour l’allocation supplémentaire d’invalidité, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, le revenu de solidarité outre-mer, l’allocation veuvage et tant d’autres encore.

Christophe Sirugue, dans un rapport remis au Gouvernement le 18 avril 2016, nous invite d’ailleurs à « clarifier l’architecture des minima sociaux » pour « renforcer son acceptabilité et fonder le consentement de tous à l’effort de solidarité ». Plus récemment, les rapports remis par Christine Cloarec-Le Nabour et Julien Damon, puis par Claire Pitollat et Mathieu Klein corroborent les besoins de rationalisation et de simplification des minima sociaux.

Notre rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe, conduit actuellement une réflexion sur cette thématique au sein du groupe Union Centriste.

Mes chers collègues, vous comprendrez que, à elle seule, l’adoption de cette proposition de loi ne traiterait malheureusement qu’une partie du problème. Il serait préférable d’envisager une réforme d’ensemble, plus complète, sur les différentes allocations. Nous nous devons d’impulser une politique qui s’inscrirait dans ce sens. C’est l’essence même des travaux de la Haute Assemblée.

Enfin, nous ne pouvons pas ignorer l’aspect budgétaire du dispositif proposé.

Les auteurs de la proposition de loi estiment à 250 000 le nombre de bénéficiaires concernés, mais combien de temps ce chiffre sera-t-il valable ? Celui-ci est appelé à évoluer. Par corrélation, le budget finançant ces mesures le sera inéluctablement.

Comme l’indique la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, dans une publication rendue publique le 15 octobre dernier, le nombre de bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés a doublé depuis 1990, pour atteindre 1,13 million de personnes à la fin de l’année 2017. Le contexte démographique et économique explique en partie cette considérable évolution.

À cet égard, la présentation du mécanisme de financement soumis à notre approbation ne semble pas suffisamment convaincante.

C’est pourquoi, même si nous soutenons l’esprit général du texte, nous appelons de nos vœux une réforme globale des minima sociaux, qui ne devra pas oublier la spécificité des personnes handicapées et qui pourrait réviser le mode de calcul de l’AAH. La solidarité devra être coordonnée avec les prestations de compensation.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe Union Centriste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui concerne l’AAH.

Selon la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE, le titulaire de cette allocation doit pouvoir conserver ce revenu sans que soient prises en compte les ressources du conjoint ou de la famille. Il s’agit donc de désindexer cette aide sociale de l’État de la situation maritale de la personne handicapée.

L’AAH, qui ouvre droit actuellement au versement mensuel d’une somme de 819 euros, fonctionne en intégrant les revenus du conjoint. Elle relève donc non pas d’une logique d’indemnisation, mais d’une logique de solidarité. Elle a été créée en 1975 par le gouvernement de Jacques Chirac. Actuellement, plus de 1 million de personnes la perçoivent.

Dans la plupart des cas, l’AAH est versée à des personnes présentant une invalidité supérieure ou égale à 80 %. La demande est instruite par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. Les titulaires de l’AAH souffrent, en effet, d’un handicap souvent lourd et de graves difficultés à trouver un travail adapté.

L’AAH est une solidarité différente de la PCH, la prestation de compensation du handicap, dont les critères et les modalités d’attribution sont tout à fait distincts : le versement de la PCH ne tient pas compte des ressources, contrairement à celui de l’AAH.

Le Gouvernement a consenti un effort significatif, puisqu’une première augmentation de 41 euros portera le montant de l’allocation à 860 euros au 1er novembre 2018, quand une seconde interviendra en 2019, qui fera passer ce montant à 900 euros. C’est un effort important à l’échelle du quinquennat.

En revanche, le Gouvernement a gelé le plafond de l’AAH versée aux couples, 23 % des allocataires étant concernés. En outre, le montant de l’AAH en couple devient dégressif si le conjoint du bénéficiaire perçoit plus de 1 126 euros et l’allocation n’est plus versée lorsque le conjoint perçoit plus de 2 200 euros.

Le plancher de 1 126 euros, qui déclenche la dégressivité de l’AAH, et le plafond de 2 200 euros devraient évoluer. Cela me paraît souhaitable, mais une décision en ce sens doit évidemment être précédée d’une étude et ne pas contrevenir aux possibilités budgétaires de l’État.

Selon nous, la solidarité doit tenir compte des ressources du couple. La suppression totale de la prise en compte des revenus du conjoint et de la famille dans le versement de l’AAH ne nous paraît pas possible. Il est normal, dans le cadre de la solidarité, qu’il soit tenu compte des revenus du couple, tout en faisant évoluer le plancher et le plafond. Et pourquoi ne pas maintenir une somme inaliénable, quel que soit le plafond retenu ?

La présente proposition de loi me semble un appel en ce sens. Elle me paraît donc utile. C’est d’ailleurs pour cette raison que je me suis abstenu en commission.

Par ailleurs, nous sommes favorables à un rapport relatif à la situation sociale et financière des bénéficiaires de l’AAH, aux possibilités de retour à l’emploi qui leur sont offertes dans le cadre des ESAT, les établissements et services d’aide par le travail, ou des entreprises adaptées et à la prise en compte des difficultés qu’ils rencontrent, afin de les aider à revenir – c’est quelquefois possible – en milieu ordinaire.

Cependant, en l’état, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires ne voteront pas cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous faut nous prononcer aujourd’hui sur une proposition de loi de notre collègue Laurence Cohen, qui vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés, aide financière accordée aux personnes atteintes d’un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 % ou compris entre 50 % et 79 % en cas de restriction durable d’accès à l’emploi ne pouvant être compensée par un aménagement de poste. En effet, les revenus du conjoint étant pris en compte dans le calcul de cette allocation, le montant de celle-ci devient dégressif à partir de 1 126 euros et son versement est suspendu dès 2 169 euros par mois.

Pour mes collègues auteurs de la proposition de loi, la prise en compte des ressources du conjoint serait contraire au principe même de l’allocation, qui est de garantir l’autonomie du bénéficiaire. Elle instaurerait une relation de dépendance financière de l’allocataire à l’égard de son partenaire. Or, en réalité, l’AAH est destinée à compléter les autres ressources de la personne en situation de handicap et se cumule à d’autres aides qui sont, elles, individuelles, notamment le complément de ressources, ouvert pour chacun des membres du couple, la majoration pour la vie autonome, la pension d’invalidité et, éventuellement, le RSA.

De plus, il convient de préciser que l’AAH est une prestation en espèces, et non en nature : elle vise à combler une perte de revenus. Or toute attribution de revenus en espèces, surtout dans le cadre des politiques de solidarité, est réalisée sur la base du foyer.

L’AAH est donc un complément bien distinct de la PCH, laquelle est destinée à répondre, par une prestation en nature, aux dépenses liées à l’autonomie et aux besoins nés des difficultés de la vie quotidienne.

Nous avons la chance d’avoir, en France, un système de solidarité comme il en existe rarement dans le monde, protégeant les plus vulnérables par l’effort national. Il faut en avoir conscience. Nous pouvons, animés de cet esprit, continuer de le parfaire.

Il serait plus pertinent, à mon sens, de se pencher sur la PCH pour redéfinir ses périmètres et son montant, afin de l’adapter au mieux à notre société en mutation. C’est cette aide qui devrait et qui doit être revalorisée en priorité, car il faut plus de moyens pour le handicap.

Chers collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, je suis en désaccord avec le dispositif de votre proposition de loi. En effet, je considère que c’est la PCH qu’il serait logique et utile d’augmenter.

De plus, la volonté de nier la situation familiale du bénéficiaire pour individualiser l’allocation, l’arracher à la dépendance financière de sa famille ou de son partenaire participe de cette vision individualiste de l’homme et de la société qui tend vers un éclatement du lien social et une déconstruction de la famille. En effet, cela revient à penser l’individu en dehors des structures dans lesquelles il est incorporé et à considérer la société comme une simple addition d’individus autonomes aux intérêts propres.

En revanche, je vous rejoins sur la raison qui vous a poussés à déposer cette proposition de loi. Le montant de l’AAH va être porté de 819 euros à 860 euros au 1er novembre 2018, puis à 900 euros l’an prochain, sur décision et conformément à l’engagement électoral du Président de la République.

Néanmoins, par la loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement a prévu que les règles de prise en compte des revenus d’un couple percevant l’AAH seront rapprochées de celles qui sont appliquées aux autres bénéficiaires des minima sociaux, lesquelles sont bien moins avantageuses. Il s’agit là d’une manipulation purement technocratique. Par un savant calcul et par un jeu de balances, le plafond de ressources restera le même. L’augmentation de l’AAH n’aura donc strictement aucun impact sur les allocataires vivant en couple, ainsi que le rapport budgétaire de l’année dernière l’avait indiqué.

Quelle est donc cette mesure qui donne d’une main pour reprendre de l’autre ? Quelle est donc cette mesure qui permettra au Gouvernement de se vanter d’avoir augmenté une allocation alors que, en réalité, rien ne change pour une bonne partie des personnes concernées ? Quel est donc ce gouvernement qui utilise le handicap pour construire de fausses mesures non pas en faveur des bénéficiaires de cette allocation, mais dans son intérêt propre, en pensant sans aucun doute à son image ?

Au reste, cela ne s’arrête pas là : le Gouvernement a annoncé son souhait de supprimer le complément de ressources de 179 euros dont bénéficient les personnes handicapées à 80 % qui n’ont pas pu travailler depuis un an, à savoir les plus démunis. Inutile de vous dire, mes chers collègues, que je trouve cette manipulation inacceptable !

Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)