M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.

M. Laurent Duplomb. La création de cette agence me laisse dubitatif.

Comment en est-on arrivé à devoir réfléchir à la cohésion des territoires ? Tout simplement parce que tout a été fait, depuis quelques années, pour vider de leur substance ces mêmes territoires.

Nous avions pour objectif de réduire de 50 milliards d’euros le budget de la France : 11 milliards à la charge des collectivités locales, 18 milliards à celle de la sécurité sociale et un peu plus de 20 milliards à celle de l’État. Au final, les collectivités locales ont réalisé 10,5 milliards d’économies, soit la quasi-totalité de l’effort demandé, et l’État seulement 4 milliards sur les 20 milliards prévus !

Après avoir appauvri les collectivités locales, et principalement les communes, on cherche aujourd’hui à leur venir en aide, notamment en les fusionnant. Mais la meilleure manière de les aider, c’est d’arrêter de leur piquer tout leur argent !

Je rappelle que les dotations supprimées n’étaient pas des subventions – ne l’oublions jamais ! –, mais la compensation de compétences transférées par l’État aux communes. Les compétences sont demeurées, mais nous n’avons cessé de supprimer les moyens de les exercer…

Or la cohésion consiste aussi à redonner confiance aux élus en leur laissant les moyens de prendre leurs propres décisions. Les maires et les conseillers municipaux sont les seuls vrais élus du peuple, ceux qui sont en lien direct avec la population.

La suppression de la taxe d’habitation fait encore disparaître un peu plus ce lien, car ceux qui la payaient pouvaient voir tous les jours quel usage en était fait dans leur commune.

Aujourd’hui, on va encore créer une agence qui va employer un certain nombre de fonctionnaires et coûter un certain nombre de millions d’euros, alors qu’il serait tellement plus simple de redonner le pouvoir à ceux que le peuple a choisis, à savoir les élus communaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, sur l’article.

M. Bernard Delcros. Nous le savons, tous les territoires ne sont pas sur un pied d’égalité en ce qui concerne l’élaboration, le montage et le suivi des projets.

Les élus savent quels projets mettre en œuvre sur leur territoire, mais se heurtent à des procédures souvent complexes pour monter les dossiers, mobiliser les financements, voire rassembler et fédérer tous les acteurs, y compris les acteurs étatiques, autour du projet concerné. D’autres fois, ce sont aux procédures de contrôle, notamment sur les fonds européens, qu’ils se heurtent.

Cette agence, que nous étions nombreux à appeler de nos vœux, offre une possibilité d’accompagnement aux territoires, qui pourront y faire appel s’ils le jugent opportun, sans obligation.

Cette agence, comme cela a déjà été souligné, permet aussi de rassembler différentes structures – CGET, EPARECA et Agence nationale du numérique. Il est important d’organiser cette mutualisation : nous nous sommes suffisamment plaints de la dispersion des structures et la perte en ligne qui l’accompagnait.

Je voudrais me réjouir que l’échelon retenu pour la déclinaison locale soit le département. Retenir l’échelon régional serait une erreur dans la mesure où la proximité avec les élus s’établit dans le cadre départemental. Il s’agit d’un point extrêmement important.

Il faudra, bien évidemment, que cette agence s’adapte aux réalités du terrain. Les problèmes ne sont pas les mêmes dans tous les territoires. Elle devra prioritairement accompagner les plus fragiles, notamment en termes d’ingénierie.

Je pense que l’État devrait également aider les collectivités qui en ont besoin à financer l’ingénierie en interne, souvent importante pour le suivi des projets.

Enfin, pour aller au bout de cette logique, je pense nécessaire de revenir, dans le secteur rural, à des contrats pluriannuels – peu importe leur dénomination – qui donnent de la visibilité et de la lisibilité aux élus, avec des crédits dédiés.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. La création de cette agence révèle un souci, car elle intervient après des années de destruction de la décentralisation et des moyens alloués aux collectivités territoriales.

Comme d’autres l’ont déjà souligné, je tiens à rappeler que les gouvernements précédents ont gelé, puis réduit fortement les dotations, laissant les collectivités en grande difficulté.

La création de cette agence intervient aussi après l’adoption de plusieurs lois, dont la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou loi MAPTAM, et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, que plusieurs ici même ont défendues et votées.

Quand nous disions qu’il fallait défendre les communes, défendre le département, et notamment son rôle et sa mission d’ingénierie auprès des collectivités locales et des plus petites communes qui disposent de moins de services, on nous traitait de ringards et on nous accusait de ne rien comprendre !

À force de détricoter notre territoire, à force de détricoter la République et de répéter à la fin de chaque phrase que l’on défend la décentralisation tout en la mettant à mal, il faut bien trouver une solution, la moins mauvaise possible, quitte à mettre tout le monde en difficulté.

On en vient donc à créer cette agence dont l’efficacité réelle sur les territoires reste à démontrer. Ancien ou nouveau monde, elle ne pourra redonner toute sa force à la cohésion et à l’aménagement du territoire de notre République si elle ne dispose pas des moyens humains et financiers nécessaires.

La question aujourd’hui n’est pas de s’opposer par principe à la création de cette agence en tant que telle, mais de rester très attentif à son devenir. Il s’agit aussi d’améliorer le texte à travers l’adoption de différents amendements, sans oublier comment nous en sommes arrivés là ni ce que les uns et les autres ont pu voter dans le passé.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, sur l’article.

M. Jean-Jacques Lozach. Cette agence nationale de la cohésion des territoires était attendue pour apporter davantage de simplification administrative et surtout d’efficacité dans le traitement et dans la gestion des dossiers, en particulier de ceux portés par les collectivités territoriales et par les structures intercommunales. Elle sera donc jugée sur sa capacité à faire avancer plus rapidement les projets de territoire.

Cette agence ne fonctionnera que si s’établit véritablement une synergie entre l’État et les collectivités territoriales.

Je me souviens de l’expression que le Président de la République avait employée, au mois de juillet 2017, lors de l’installation de la Conférence nationale des territoires. Il avait alors exprimé pour la première fois le souhait de mettre en place cette agence, « en lien avec les régions ».

Or je constate que cette solidarité avec les régions a pour l’instant disparu du texte. Il s’agissait pourtant d’une bonne idée, tant sont importantes les compétences des régions en matière d’aménagement du territoire.

À écouter les uns et les autres, je voudrais lancer une mise en garde : restons prudents, ne donnons pas à cette agence des ambitions totalement démesurées. Les ingrédients d’une bonne politique d’aménagement du territoire demeurent assis sur la qualité des équipements, des infrastructures, des services à la population… Or cette agence est essentiellement un élément nouveau en termes d’animation territoriale.

À cet égard, j’ai trouvé Mme la ministre particulièrement sévère, ce matin, à l‘égard du fonctionnement actuel des préfectures et, de façon générale, des services déconcentrés de l’État.

Je croyais, sans doute naïvement, que le rôle d’un préfet consistait déjà à mobiliser au mieux les financements pour faire avancer les projets locaux. À mon grand étonnement, j’ai aussi constaté la disparition de ce texte du secrétariat général pour les affaires régionales, le SGAR. Il joue pourtant un rôle essentiel, notamment pour la mobilisation des fonds européens.

J’espère enfin que cette agence jouera un vrai rôle de péréquation, le point départ de tout cela venant tout de même de l’incapacité de beaucoup de porteurs de projets à participer à des appels à projets et à des appels à manifestation d’intérêt.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, sur l’article.

Mme Anne-Catherine Loisier. Je voudrais rebondir sur les propos de M. Lozach.

Dans nos territoires, il est des agents de l’État qui œuvrent au quotidien à la cohésion, qui connaissent le terrain et les différents acteurs, qui accompagnent les projets d’ingénierie : les sous-préfets et les préfets.

Nous sommes nombreux ici à avoir porté, lorsque nous étions élus locaux, des projets parfois importants, sinon colossaux. Nous appelions alors notre sous-préfet qui organisait rapidement des réunions de coordination avec l’ensemble des services concernés, ce qui fonctionnait bien.

Je m’interroge donc sur la plus-value que peut apporter cette nouvelle agence.

M. Laurent Duplomb. Il n’y en a pas !

Mme Anne-Catherine Loisier. Qu’en sera-t-il du rôle des sous-préfets, de leur proximité et de leur réactivité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, sur l’article.

M. Jean-Marie Mizzon. La discussion s’ouvre et mon avis n’est pas encore totalement arrêté.

Je sens bien que l’État, à travers cette agence, essaie de renouer le dialogue avec le territoire. Ce besoin est parfaitement compréhensible. (M. Laurent Duplomb s’exclame.)

Toutefois, j’ai le sentiment que l’on veut préparer l’avenir avec des solutions du passé : les communes ont besoin d’aide réelle et on leur répond depuis Paris en créant une structure de plus, une usine à gaz – et au prix du gaz aujourd’hui, cela risque de coûter quelque argent… (Sourires.)

La discussion s’ouvre, certes, mais je ne sens pas quelle sera la valeur ajoutée pour les porteurs de projet, cette agence n’ayant aucune présence territoriale, comme l’a souligné Mme la ministre.

Comment imaginer être efficace en s’adressant au préfet ? C’est se bercer d’illusions… Peut-être trouverai-je des réponses dans le cours de la discussion. (MM. Laurent Duplomb et Jean-Marc Boyer applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, sur l’article.

M. Jean-Marc Boyer. J’ai bien écouté ce qu’a dit Mme la ministre et je n’ai pas retrouvé les mêmes objectifs ni les mêmes moyens qu’elle avait annoncés en commission, notamment sur les relations de cette nouvelle agence avec les cabinets d’ingénierie déjà mis en place dans plusieurs départements.

En effet, devant la carence des services de l’État, de nombreux départements ont mis en place un service d’ingénierie publique qui intervient en matière routière, agricole ou auprès des communes, qui y participent financièrement.

Comment les choses vont-elles s’organiser entre l’agence nationale de la cohésion des territoires et cette ingénierie propre aux départements ?

Je suis également inquiet de l’avenir de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR. Cette dotation est aujourd’hui attribuée par des commissions, présidées par le préfet, auxquelles participent les élus. Ces commissions vont-elles conserver les mêmes moyens et prérogatives qu’actuellement ?

Enfin, un dernier point me paraît essentiel : quel rôle les parlementaires vont-ils occuper dans cette agence ?

Aujourd’hui, nous ne servons à rien au sein des commissions de la DETR : le préfet a la main sur tous les dossiers dont les subventions dépassent un montant de 100 000 euros, le reste étant soumis à l’examen du sous-préfet avec validation substantielle des parlementaires. Or je crois essentiel de trouver des solutions beaucoup plus démocratiques. (Mme Sophie Primas et M. Laurent Duplomb applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l’article.

M. René-Paul Savary. Sans paraître nostalgique, je voudrais parler du temps où le cumul d’un mandat national avec un mandat local permettait d’assumer un certain nombre de responsabilités.

Monsieur le ministre, nous parvenions toujours à trouver des solutions avec les services de l’État qui avaient besoin d’être coordonnés. Quand il y avait une vraie volonté d’aboutir, les dossiers trouvaient leur conclusion soit dans le bureau du préfet, soit dans celui – à l’époque – du président du conseil général, soit dans celui du maire des grandes villes dans les zones métropolitaines. Quand la volonté existe, on arrive à faire en sorte que tout le monde s’entende.

Le problème, c’est que les élus des territoires n’ont aujourd’hui plus confiance dans la politique que mène le Gouvernement. Quelles que soient les solutions proposées, vous allez vous heurter à ce problème. Quand cette confiance, tout à fait essentielle, sera retrouvée, les élus, avec les services de l’État délocalisé, sauront se prendre en main.

Par ailleurs, pour mener à bien ces projets, il faut des moyens. Si vous concentrez vos moyens à l’échelon national, attitude très jacobine, vous ne les développez pas à l’échelon local.

Or il est important d’avoir les moyens de ses ambitions. Et l’on voit bien que, faute de moyens, certaines décisions ne sont pas prises et certaines réalisations ne sont pas faites, au détriment de l’aménagement du territoire et du bien-être de nos concitoyens. On en souffre particulièrement en milieu rural. Si cette agence devait voir le jour, veillez dès à présent à la décliner à l’échelon local, là où doivent se passer les choses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, sur l’article.

M. Michel Vaspart. Combien y a-t-il d’agences actuellement en France ? Un nombre considérable ! Avons-nous une évaluation du fonctionnement de ces agences ? Non !

Permettez-moi d’évoquer également les AAI, les autorités administratives indépendantes, qui ont fait l’objet, voilà quelques mois, d’une commission d’enquête dont le rapporteur était M. Jacques Mézard. Dans son rapport, il préconisait la fermeture de vingt AAI, soit la moitié des autorités existantes. Aujourd’hui, elles sont toujours au nombre de quarante !

On continue donc à créer des structures, alors que nous avons toutes celles qui sont nécessaires pour la gestion des territoires de la République, à condition qu’on les fasse fonctionner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, sur l’article.

M. Mathieu Darnaud. Je fais miens les propos tenus sur le fond. Il ne s’agit pas de reconstituer un « machin » de plus. Nous le savons tous, si l’on veut que ce type d’initiative fonctionne, deux aspects doivent être respectés.

Premièrement, il faut donner le pouvoir et la gouvernance aux élus des territoires, qui connaissent les ressorts et les problématiques de leur territoire. Je vous l’avoue, je suis un peu inquiet lorsque j’entends Mme la ministre nous dire que nous allons nous lancer dans des vagues de concertation pour identifier les outils, avec des plateformes existantes. Nous connaissons tout cela par cœur, les élus le vivent au quotidien ! Il faut arrêter ce type de fonctionnement.

M. Laurent Duplomb. On en a marre !

M. Mathieu Darnaud. Deuxièmement, la question des moyens constitue le nerf de la guerre quand on parle d’ingénierie, de développement des territoires et de problèmes de ruralité et de santé publique. S’il s’agit de créer une agence pour cacher la misère, nous allons dans le mur, à 200 kilomètres par heure, en klaxonnant. S’il s’agit de fédérer ce qui existe en le faisant intelligemment, comme nous avons essayé de le préfigurer dans la proposition de loi relative à la vitalité de la démocratie locale et à l’équilibre des territoires, je dis : « Chiche ! ».

Ce que nous devrions tous appeler de nos vœux, c’est un accompagnement avec une politique d’évaluation. Mais si on commence à aller vers une concertation excessive visant à identifier ce que tout le monde connaît, je crains qu’on se dirige vers un échec cuisant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.

M. Ronan Dantec. Je suis un peu dubitatif s’agissant des interventions précédentes. Si la politique d’aménagement du territoire fonctionnait dans ce pays, si les fractures territoriales étaient en train de se résorber, cela se saurait !

Lorsque nous avons auditionné, avec Hervé Maurey et la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, un certain nombre de personnes sur cette question, nous avons cherché à connaître la doctrine de l’État. Et nous avons été extrêmement surpris en constatant sa faiblesse sur plusieurs points.

Toute création implique obligatoirement un pari. Sinon, on ne fait rien, considérant que le pays va très bien, ce qui n’est pas le cas.

Je le rappelle, il s’agit de regrouper trois structures au sein d’une seule agence. Mathématiquement, il y aura donc une diminution du nombre d’agences.

Aujourd’hui, l’État a besoin de mieux comprendre ce qui se passe dans un certain nombre de territoires, pour « renourrir » sa doctrine. Non seulement la nouvelle agence soutiendra les territoires, dans un mouvement « descendant », mais elle permettra de faire remonter des informations, ce qui me paraît une idée intéressante. Ainsi, en partant du soutien concret à l’ingénierie pour un certain nombre de projets, l’État pourra se nourrir non pas uniquement d’éléments théoriques, mais aussi de situations concrètes. Je présenterai d’ailleurs un amendement sur la reproductibilité des projets, qui va justement en ce sens.

Aujourd’hui, les fractures territoriales existent, malgré la décentralisation – et ce n’est pas moi qui irai contre la décentralisation ! Il faut d’ailleurs que les régions, à qui on a donné des compétences d’aménagement du territoire, intègrent la dynamique globale. C’est peut-être un point sur lequel le projet devra évoluer. En tout état de cause, même si nous faisons confiance aux élus locaux, force est de constater que certains territoires n’ont plus les capacités d’ingénierie nécessaires.

Si cette agence agit en soutien sur ces territoires spécifiques – elle n’a pas besoin d’intervenir partout –, si elle joue un rôle concret, pour nourrir une doctrine d’aménagement du territoire dans notre pays, elle fera œuvre utile.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.

M. Franck Montaugé. Pour l’essentiel, les territoires sont modelés par l’économie, en particulier les entreprises qui s’y installent, y restent ou en partent.

Cet aspect a été très peu abordé dans la discussion générale commune. Il est très surprenant que nous laissions de côté la question du rôle majeur confié par la loi aux conseils régionaux.

Nous sommes aujourd’hui dans un contexte de métropolisation à outrance. Nous devons répondre, avant de nous attaquer aux questions techniques, à une question politique : quelle place entend-on donner, dans ce pays, aux territoires qui ne sont pas des métropoles ?

S’il n’y a pas une volonté politique de composer avec le phénomène de métropolisation au bénéfice des territoires hors métropole, nous n’arriverons à rien ! On pourra créer toutes les agences que l’on veut, on pourra faire tous les regroupements, nous n’arriverons à rien qui soit efficace.

Telle est la question qui nous est posée, et l’objet de ce texte est à replacer dans la perspective de son traitement. Nous passons peut-être à côté de l’essentiel, bien qu’il soit toujours intéressant de discuter de la manière dont on peut mieux s’organiser, au niveau de l’État, pour accompagner les territoires.

Je le répète, si on met de côté les régions et qu’on laisse, comme le prévoit le texte, l’État fonctionner indépendamment des régions et de leurs compétences majeures en matière de développement économique – je vous le rappelle, on a agrandi les régions pour « booster » l’économie nationale –, on passe à côté de l’essentiel.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite revenir sur quelques points de cette proposition de loi, à la fois comme membre du Gouvernement, mais aussi en tant qu’ancien président d’un conseil départemental, celui de l’Eure, et ancien maire.

Aujourd’hui, dans nos territoires, l’offre d’ingénierie est insuffisante, mais existe bel et bien, il faut le rappeler. Cela a été dit, la loi NOTRe a parfois abîmé l’ingénierie que les conseils départementaux proposaient aux collectivités territoriales dites « infra », à savoir les syndicats, les EPCI et les communes. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai signé une circulaire destinée à l’ensemble des préfets de France, qui doivent faire remonter tous les « irritants » liés à l’application de la loi NOTRe.

La situation pose d’ailleurs très clairement la question de la participation des conseils départementaux dans les sociétés d’économie mixte et les SPL, les sociétés publiques locales, qui sont bien souvent les véhicules juridiques et administratifs accompagnant cette ingénierie. Un rapport sénatorial avait d’ailleurs pointé du doigt un certain nombre de problèmes. Pour ma part, je souhaite qu’on puisse avancer rapidement sur ce sujet.

L’ingénierie existe. Il convient donc de la préserver et de cesser de la remettre en cause, comme l’a malheureusement fait la loi NOTRe, que j’ai toujours combattue en tant qu’élu local et que j’accepte désormais puisque j’accepte la loi, mais au sujet de laquelle je souhaite faire avancer les choses. Les conseils régionaux ne se sont pas substitués aux conseils départementaux dans leurs missions d’ingénierie. Ce n’est pas une critique, c’est un fait, particulièrement vrai dans les territoires ruraux. Il convient donc de préserver l’ingénierie locale.

Aux orateurs qui se sont interrogés sur une éventuelle recentralisation de l’ingénierie locale à l’échelle nationale, je réponds que tel n’est pas le cas. Au contraire, l’essentiel des besoins d’ingénierie de nos collectivités territoriales provient souvent des communes les plus rurales, qui n’ont pas, pour monter un dossier, d’ingénieur territorial, de directeur des services techniques, de chef de service pour la commande publique ou les affaires financières, pour utiliser des termes concrets. En effet, sur la durée d’un mandat, une commune de 300 ou 400 habitants n’a besoin de monter un projet concret qu’une, deux ou trois fois.

Il arrive que l’ingénierie existe déjà, au gré des choix des élus départementaux ou intercommunaux. Les EPCI, qui se sont étoffés, sont aussi là pour faire vivre la solidarité et la mutualisation.

J’ai été président délégué d’une communauté d’agglomération, dans laquelle on a mutualisé des services support, pour permettre aux communes rurales de ladite agglomération d’utiliser les services supports de la ville-centre, à savoir la commune de Vernon.

Il n’est pas question de remettre en cause ou d’abîmer tout cela. J’ai en effet entendu dire des choses qui ne sont pas prévues par le texte. Je veux bien essuyer des critiques pour ce qui concerne le texte de la proposition de loi, lequel, je le rappelle, n’émane pas du Gouvernement, mais je ne veux pas me faire critiquer pour ce qui n’y est pas.

Il existe également une ingénierie de l’État. S’est-elle dégradée depuis ces quarante dernières années ? La réponse est « oui ». Je ne m’en sens pas particulièrement responsable !

M. Pierre-Yves Collombat. Moi encore moins !

Mme Cécile Cukierman. Vous n’êtes jamais responsable, monsieur le ministre !

M. Laurent Duplomb. Il y a un passif !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je n’ai jamais défendu ce genre de choses, comme vous pourrez le constater en regardant ma fiche Wikipédia avec beaucoup d’intérêt. (Mme Cécile Cukierman proteste.)

J’ai trente-deux ans. Je veux bien me faire engueuler pour ce qu’on fait aujourd’hui, mais je ne veux pas qu’on me reproche ce que je n’ai pas fait. (Mme Cécile Cukierman proteste de nouveau.) Vous n’êtes jamais responsable de ce qui a été fait, c’est bien connu, madame la sénatrice !

Il s’agit de rationaliser cette ingénierie, qui fait de plus en plus défaut sur les territoires de l’État et est éclatée entre de nombreux opérateurs. Vos interventions témoignent d’ailleurs parfois, je le dis avec respect, parce que j’aime le Sénat, d’une approche intéressante. Un certain nombre d’opérateurs de l’État offrent une ingénierie qui n’est pas au contact des territoires, et encore moins au contact des préfets. J’étais secrétaire d’État à la transition écologique, et j’ai vu comment l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, petit à petit, avait pu, parfois, prendre du recul par rapport aux élus locaux et au corps préfectoral.

Il existe deux modèles. Le premier est celui de l’ANAH, où le préfet est délégué départemental de l’agence. Les élus l’ont identifié comme tel. Si l’on peut toujours critiquer le corps préfectoral, il reste toujours, lui aussi, à portée d’engueulade et de dialogue. C’est beaucoup moins vrai des patrons d’administration centrale, aussi respectables soient-ils, qui sont à Paris.

Il s’agit donc de créer une agence, qui n’est pas, je tiens à le préciser, notamment pour l’établissement du compte rendu des débats, une autorité administrative indépendante.

M. Michel Vaspart. Je le sais bien !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Comme vous êtes celles et ceux qui écrivent la loi, nous devons nous accorder sur des éléments juridiques. Une agence possède un ministre de tutelle, lequel fait partie d’un gouvernement responsable devant le Parlement. Ses crédits sont votés par le Parlement. Une autorité administrative indépendante est, comme son nom l’indique, indépendante et ne possède donc pas de ministre de tutelle. Ses crédits sont votés dans les conditions que vous connaissez.

Je le redis, ce n’est pas un « machin », que l’on pose à côté, loin de tout, notamment du Parlement et du Gouvernement. C’est bel et bien un établissement public – des amendements ont été déposés sur ce point –, qui sera sous la tutelle d’un ministre, donc d’un gouvernement responsable devant le Parlement, lequel viendra chaque année présenter des crédits que vous jugerez suffisants ou insuffisants, conformément à votre rôle.

S’agissant du rôle des préfets, il faut rationaliser : la présence territoriale de l’État reste principalement assurée par le corps préfectoral. Concernant le fonctionnement de l’État, il existe un préfet de département depuis Napoléon. Plus récemment est apparu le préfet de région, lequel, depuis quelques années, possède un rôle de coordination en matière d’aménagement du territoire, à la suite de l’adoption d’un amendement présenté par M. le sénateur Mathieu Darnaud. En effet, face à la montée en puissance des conseils régionaux, on a donné des pouvoirs d’organisation et d’aménagement au préfet de région. C’est bien pour cela que le SGAR, qui n’a pas disparu, contrairement à ce que j’ai pu entendre, coordonne, aux côtés du préfet de région, les politiques régionales. Le préfet de département a ses sous-préfets d’arrondissement. Je le rappelle, ce gouvernement n’entend pas fermer les sous-préfectures. Précisément, à Avesnes-sur-Helpe, commune évoquée par Mme la ministre au moment où j’arrivais, c’est le sous-préfet qui est, au quotidien, le « monsieur ingénierie », notamment pour établir un contrat de transition écologique comme celui que j’ai signé hier avec les élus du territoire.

Il n’est donc pas question de remettre cela en cause. Encore une fois, si je veux bien me faire houspiller pour ce qui figure dans la proposition de loi, je ne veux pas me faire houspiller pour ce qui n’y est pas.

Dans le cadre de la discussion des amendements, vous débattrez pour savoir comment il convient d’associer les parlementaires. Vous serez toujours plus associés, demain, avec l’ANCT que vous ne l’êtes aujourd’hui avec l’Agence du numérique, dont vous ne faites pas partie, l’EPARECA, où vous siégez, ou le CGET, qui est par définition une administration centrale, à laquelle vous pouvez avoir accès, notamment dans le cadre d’auditions, mais pas en termes de contrôle ou de gouvernance.

Vous pourrez avoir un débat sur le fait de savoir si ces mesures sont suffisantes. Sur ce point, je vous laisserai bien évidemment vous prononcer souverainement. Quoi qu’il en soit, ce sera mieux demain qu’hier.

J’en viens à la DETR, à la DSIL, la dotation de soutien à l’investissement, et à la DPV, la dotation politique de la ville. Par ailleurs, je vous l’annoncerai au début du mois de décembre, au moment de l’examen du budget de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », nous créons la DSID, la dotation de soutien à l’investissement des départements, qui améliorera les critères de la DGE des départements. Le montant total de ces dotations s’élève à 2 milliards d’euros pour 2019, du moins si vous décidez de voter ce budget.

Une telle somme est inédite, puisqu’on n’a jamais consacré autant d’argent à l’investissement local, même si on peut toujours dire que c’est insuffisant. Je le rappelle, le gouvernement précédent avait créé la DSIL, parce qu’il diminuait la DGF. Pour sa part, ce gouvernement ne baisse pas la DGF, et augmente les crédits d’investissement. (M. Laurent Duplomb s’exclame.)

Craignez-vous que ces crédits soient absorbés par l’agence nationale de la cohésion des territoires ? Je ne comprends pas ce que vous redoutez ! Si telle est votre crainte, la réponse est « non ».

Une offre d’ingénierie est un support soit d’ingénierie technique pure soit d’ingénierie financière ou juridique. Avec la création de l’agence nationale de la cohésion du territoire, on ne touche en aucun cas aux crédits de la DETR et de la DSIL. Sinon, on mélangerait deux sujets qui n’ont rien à voir entre eux ! (M. Laurent Duplomb proteste.)

Aujourd’hui, un maire d’une commune rurale de 300 habitants doit déposer un dossier pour obtenir une DSIL, des crédits européens ou du Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT. Vous le savez très bien, mesdames, messieurs les sénateurs, parce que bien souvent vous vous tournez vers nous après avoir été saisis par les élus locaux. L’agence nationale de la cohésion des territoires sera là pour apporter une réponse à ces situations. À l’heure actuelle, cela se passe de manière un peu empirique.

Je souhaitais donc rétablir quelques vérités sur la DETR. D’une manière inédite au cours de ces dix dernières années, nous accordons des crédits importants à l’investissement local. Certes, on peut encore avoir un débat sur le fait de savoir si ces sommes seront suffisantes.

Nous devons nous accorder sur un texte qui, vous le sentez bien, peut être l’occasion d’un vrai débat sur la question de savoir s’il répond de manière satisfaisante aux attentes. Il s’agit d’une proposition de loi, et non pas un projet de loi. Par ailleurs, dans la mesure où je viens d’être nommé dans ce ministère aux côtés de Mme Gourault, je me sens assez libre d’examiner vos amendements de manière très bienveillante. Certains textes sont parfois déjà bien ficelés en amont ; il s’agit juste de les « faire passer ». D’autres sont de beaux points départ, pour lesquels la discussion au Sénat et à l’Assemblée nationale – surtout au Sénat, en l’espèce, compte tenu de la nature de ce texte – permet d’atterrir sur du positif.

Je pense donc que, par votre droit d’amendement, ce texte peut être largement amélioré. Il s’agit d’un beau point de départ pragmatique. Certains d’entre vous ont parlé de renouer le fil avec les élus. Bien sûr ! Chacun le souhaite, s’il aime un peu notre République. Personne n’a envie de voir le fossé se creuser entre l’État et les collectivités territoriales.