Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, le Gouvernement vient de nous présenter son deuxième budget en propre, qui devrait en principe être celui de la confirmation du changement de cap et de la volonté réformatrice portée au cours de la campagne présidentielle.

Pourtant, le contenu de ce projet de loi de finances est finalement assez décevant. Il est décevant non seulement d’un point de vue budgétaire, puisque les grandes réformes se font encore attendre, mais aussi d’un point de vue fiscal, puisque aucune mesure majeure n’est finalement prise cette année, avec un taux de prélèvements obligatoires qui reste particulièrement élevé – il y a même de nouveaux impôts dont nous parlerons – et des mesures de première partie d’assez faible portée ou ayant quasi exclusivement vocation à faire du rendement.

L’an dernier, nous constations l’embellie économique dont vous bénéficiiez, messieurs les ministres, avec une apparente reprise solide de la croissance. Or, depuis le début de l’année, l’économie française croît deux fois moins vite que l’an passé.

Ce ralentissement a surpris par son ampleur et a conduit le Gouvernement à revoir son scénario de croissance à la baisse. Pour 2019, le scénario retenu reste crédible, selon les termes mêmes du Haut Conseil des finances publiques, avec des hypothèses sous-jacentes à la trajectoire budgétaire qui paraissent raisonnables, voire prudentes.

Votre scénario global est donc prudent, mais il est vrai que, particulièrement cette année, il est entouré de très fortes incertitudes. Je ne vais pas toutes les citer, mais, sur le plan international, nous avons des facteurs de risques très clairement identifiés : guerre commerciale, remontée du prix du pétrole. Sur le plan européen, nous devons faire face au Brexit et à la situation italienne. Je ne m’étends pas.

En interne, il y a des incertitudes s’agissant de la consommation des ménages. En effet, le rebond attendu au troisième trimestre a été beaucoup moins fort qu’escompté, après la panne du premier semestre. Les ménages n’ont pas anticipé la fameuse augmentation du pouvoir d’achat que certains pouvaient attendre et des inquiétudes s’expriment autour de la hausse des prix des carburants ou de la mise en œuvre du prélèvement à la source, qui annonce un effet « feuille de paie » au mois de janvier.

Ces éléments sont d’autant plus importants que la sensibilité de la trajectoire budgétaire au scénario paraît importante, tandis que notre dette se rapproche dangereusement du seuil de 100 % du PIB.

Cette trajectoire retient un déficit budgétaire en augmentation l’an prochain. Une première depuis 2009 !

Certes, cela s’explique par le ralentissement de la croissance et le reclassement de la dette de la SNCF, mais j’y ajouterai le relâchement de l’effort de maîtrise de la dépense. J’y reviendrai.

Vous vous êtes par ailleurs engagés dans des réformes qui ne sont pas financées, à l’instar de la suppression complète de la taxe d’habitation, mentionnée dans le programme de stabilité. Vous indiquez simplement qu’elle devra être financée par du déficit.

Même en neutralisant la transformation du CICE, ce que vous avez indiqué à l’instant, la France fait figure de mauvais élève en Europe, avec un déficit de 1,9 % en 2019, tandis que le reste de la zone euro est quasiment à l’équilibre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Vous oubliez l’Italie !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La comparaison des dynamiques d’endettement de la France et l’Allemagne ne laisse pas d’inquiéter. D’après le FMI, tenez-vous bien, la France devrait ainsi payer 31 milliards d’euros d’intérêts de plus que l’Allemagne à ses créanciers en 2022 ! Voilà comment se traduit le différentiel de dettes.

En tout état de cause, aussi peu ambitieux soit-il, le redressement des comptes publics prévu par le Gouvernement suppose la mise en œuvre d’un programme de 14 milliards d’euros d’économies. Pour ce faire, malheureusement peu de réformes structurelles et un recours aux vieilles ficelles : des mesures de rabot sur les prestations sociales, déjà évoquées lors du PLFSS ; des « fusils budgétaires à un coup », avec le décalage de certains allégements de charges sociales en octobre et le renforcement du cinquième acompte d’impôt sur les sociétés, qui vient ponctionner la trésorerie des entreprises ; des mesures structurelles d’ampleur très limitée et s’inscrivant assez largement dans la continuité du précédent budget. Ce sont, encore une fois, les secteurs du logement et de l’emploi qui produisent les efforts.

Du côté de la sphère sociale, le Gouvernement se repose à la fois sur l’amélioration du contexte macroéconomique, s’agissant de l’assurance chômage, et sur les économies dégagées par les partenaires sociaux, pour les régimes complémentaires de santé et de retraite.

S’il convient d’être prudent quant au respect de la trajectoire prévue pour la sphère locale, laquelle repose notamment sur un rebond des dépenses d’investissement et les effets de la contractualisation, les premières données d’exécution mettent en évidence la pleine détermination des collectivités locales à participer à l’effort de redressement des comptes publics.

Au total, ce sont bien l’État et ses groupements qui porteront la totalité du besoin de financement, et ce pour la troisième année consécutive.

Le déficit budgétaire de l’État reste ainsi à un niveau particulièrement préoccupant. Après le vote de l’Assemblée nationale, il a quelque peu été dégradé, à hauteur de 99,1 milliards d’euros. On n’est pas loin des 100 milliards d’euros…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je le répète après Bruno Le Maire, l’État connaîtra ainsi son quarante-cinquième déficit budgétaire consécutif.

Du côté des recettes, la baisse de la fiscalité ne se matérialise pas vraiment. Sans le transfert aux administrations de sécurité sociale de 32 milliards d’euros, les recettes fiscales nettes de l’État seraient même en hausse de 18 milliards d’euros. On ne voit pas vraiment de baisse des prélèvements obligatoires.

S’agissant de la fiscalité écologique et énergétique, nous pensions que la nouvelle trajectoire de hausse de tarifs de TICPE allait notamment atteindre les ménages les plus modestes et ceux qui vivent en zone rurale, surtout si elle s’accompagnait d’une hausse du prix du pétrole. À cet égard, mes chers collègues, je vous invite à relire le compte rendu de nos débats de l’année dernière, lorsque Jean-François Husson, rapporteur spécial du budget de l’écologie, mettait en garde le Gouvernement contre de nouveaux « bonnets rouges », la trajectoire pluriannuelle lui paraissant insupportable en cas de hausse des cours du pétrole. Même si nous sommes face à des « gilets jaunes », ses prévisions se vérifient, alors qu’on lui avait ri au nez à l’époque.

Déjà, nous considérions qu’il s’agissait d’une simple mesure de rendement budgétaire et non d’une véritable politique en faveur de l’environnement. D’ici à 2022, je rappelle que la trajectoire qui a été adoptée à l’article 9 l’année dernière, mais pas par le Sénat, prévoit une hausse de 46 milliards d’euros, à partir des tarifs de 2017. Ce n’est pas rien ! Messieurs les ministres, errare humanum est, perseverare diabolicum : faisons attention à ce que nous disent les Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Que l’on ne se méprenne pas : je ne suis pas favorable à une fiscalité affectée, à l’instar, d’ailleurs, de la commission des finances, mais présenter, comme vous le faites, la TICPE comme un impôt écologique, c’est une escroquerie ! Même le fait de croire que la hausse des tarifs va inciter les ménages à changer leur mode de transport ne convainc pas, car vous oubliez ceux qui n’ont pas de solution alternative, notamment dans les zones rurales. Le président du Sénat a justement rappelé que 40 % des Français n’ont pas accès à un mode de transport collectif. Même avec la prime à la conversion, l’achat d’un véhicule écologique reste trop coûteux pour nombre de Français.

Par ailleurs, jusqu’aux annonces récentes du Président de la République, on constatait que les dispositifs de soutien que vous avez cités étaient en baisse. Le crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, a été divisé par deux ; la TVA à 5,5 % a été contenue ; les dépenses relatives au chèque énergie n’augmentent que lentement.

J’en viens maintenant aux dépenses de l’État, dont la trajectoire de baisse reste toujours aussi peu perceptible.

Certes, je le soulignais encore en début de semaine lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2018, le Gouvernement produit de réels efforts de sincérisation du budget. Pour une fois, il y a une note positive. Je me suis notamment félicité du taux de mise en réserve très bas.

En revanche, en ce qui concerne la maîtrise des dépenses, nous restons sur notre faim. Alors que, sur le quinquennat, la loi de programmation des finances publiques prévoit une diminution de 1 % par an en volume, la cible pour 2019 s’avère d’ores et déjà dépassée, avec plus de 600 millions d’euros. Certes, la norme de dépenses « totales » devrait être respectée, mais il s’agit simplement d’une stabilisation.

Il convient aussi de noter que certaines dépenses annoncées ne sont pas prises en compte dans le budget de 2019 ni dans la programmation pluriannuelle.

Ainsi en est-il du service national universel : on ne sait pas si c’est 2 milliards ou 4 milliards d’euros de dépenses. Bizarrement, on n’en parle pas.

Les baisses de dépenses se concentrent sur le logement et l’emploi, comme l’an dernier. Nous ne nous y opposons pas, mais nous considérons que d’autres réformes mériteraient d’être menées. Or l’on voit que les vrais efforts de réformes de structure restent à faire. Celles-ci sont indispensables, car, sans elles, nous ne parviendrons pas à résorber nos déficits. Je pense notamment à la masse salariale de l’État, qui représente, avec le compte d’affectation spéciale « Pensions », 40 % des dépenses de l’État, à savoir 140 milliards d’euros. Vous n’annoncez qu’une diminution de 4 164 emplois, ce qui signifie que, pour parvenir à votre objectif de suppression de 50 000 emplois, 90 % de l’effort reste à faire d’ici à la fin du quinquennat. J’observe d’ailleurs que la masse salariale augmente de 1,6 % cette année.

Votre stratégie de réforme reste malaisée à décrypter. En témoigne la difficulté hallucinante que nous avons rencontrée pour obtenir les conclusions du comité Action publique 2022. C’est la preuve que vous n’assumez pas les économies structurelles. Pour notre part, nous pensons que nous ne pouvons pas faire l’impasse sur une vraie réflexion autour du champ d’intervention de l’État et des moyens qui lui sont assignés.

C’est la raison pour laquelle la commission des finances proposera plusieurs amendements en seconde partie, afin notamment d’augmenter le temps de travail dans la fonction publique et de porter de un à trois le nombre de jours de carence, en cohérence avec le secteur privé. Nous présenterons également un amendement, plus symbolique que budgétaire, tendant à réduire le nombre d’emplois dans les administrations centrales, qui voient curieusement leurs effectifs croître, de façon à laisser des agents publics sur le terrain, au contact du public. Nous proposerons en outre une rationalisation de l’Aide médicale d’État.

J’en viens maintenant à la question du pouvoir d’achat, qui devait être au cœur de ce budget.

Sur les 6 milliards d’euros que vous présentez comme étant en faveur du pouvoir d’achat, vous savez très bien que les deux tiers correspondent en réalité à la compensation du manque à gagner lié à la hausse de la CSG intervenue l’an dernier. Surtout, bizarrement, vous oubliez les mesures de hausses de prélèvements décidées par les partenaires sociaux, qui vont peser sur les Français. Vous oubliez également, mais le Sénat y a remédié, le quasi-gel des allocations et des retraites.

En réalité, faute de marges de manœuvre budgétaires, votre politique revient, pour l’essentiel, à transférer du pouvoir d’achat d’une catégorie de ménages à une autre, et non à augmenter le pouvoir d’achat agrégé par une vraie action sur la croissance.

En clair, les retraités, les ménages modestes et les classes moyennes supérieures sont les grands perdants de ce bonneteau fiscal et budgétaire.

Au niveau individuel, le constat est sévère.

C’est le cas notamment en matière de fiscalité de l’énergie, sur laquelle nous reviendrons. Le Sénat vous proposera une chose simple : la constance par rapport à l’an dernier.

Il faut le savoir, pour un ménage se chauffant au fioul domestique et utilisant une voiture diesel – ce n’est pas forcément un choix ; c’est le carburant des gens qui travaillent –, l’impact des hausses de fiscalité écologique représentera 136 euros en 2018 et 538 euros en 2022 !

À partir de ces constats, la commission des finances proposera, comme elle l’a fait l’année dernière, de geler les tarifs de la TICPE à leur niveau de 2018, en supprimant la trajectoire prévue jusqu’en 2022. Nous ne ferons ainsi que confirmer le vote du Sénat l’an dernier.

Par ailleurs, je veux dire un mot sur la suppression du tarif spécifique du gazole non routier, le GNR, dont la hausse brutale ne peut que frapper. Certes, j’en conviens, il s’agit d’une niche – est-elle justifiée ? –, mais il nous paraît impossible de la remettre en cause sans tenir compte de son impact sur la compétitivité des entreprises industrielles concernées, en particulier les plus petites, celles qui n’ont pas la capacité de répercuter les hausses sur le client final. C’est une vraie perte de compétitivité, puisque le tarif du GNR va tripler. C’est pourquoi la commission des finances a adopté un amendement tendant à prévoir un dispositif de remboursement du montant de la hausse proposée pour les plus fragiles, à savoir les PME, à l’instar de ce qui existe pour les agriculteurs.

Toujours sur le thème de la fiscalité écologique, la commission a également décidé d’instaurer une exemption de taxe générale sur les activités polluantes pour les déchets ménagers et assimilés collectés au titre du service public de gestion des déchets pour la part qui reste à ce jour non valorisable, c’est-à-dire environ 30 % des déchets.

Nous aurons l’occasion de débattre de l’ensemble de nos amendements, qui sont principalement destinés à améliorer ou à corriger des dispositifs existants.

J’utiliserai la minute qu’il me reste à la tribune pour vous annoncer que, quelques semaines à peine après l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, le groupe de suivi constitué autour de cette thématique a jugé utile de s’emparer du sujet de l’arbitrage des dividendes, mis en lumière par le journal Le Monde et d’autres médias internationaux.

Nous vous proposerons un dispositif qui permet d’éviter que des actionnaires non résidents de sociétés françaises échappent à la retenue à la source qui doit être appliquée sur les dividendes qu’ils perçoivent, en prêtant, directement ou indirectement, leurs actions, au moment du versement du dividende, soit à une banque française, soit à un résident d’un pays lié à la France par une convention fiscale prévoyant une retenue à la source de 0 %. C’est un amendement important. Nos concitoyens, qui subissent aussi des hausses d’impôts, parfois légitimes, ne comprendraient pas que des dispositifs de fraude aident certains à bénéficier d’un taux d’imposition nul.

En conclusion, la commission des finances vous demande d’adopter les amendements qu’elle vous propose, ainsi que les économies en dépenses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Vincent Éblé, président de la commission des finances, Mme Victoire Jasmin et M. Bernard Lalande applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance du projet de loi de finances pour 2019, après un long temps d’examen en commission.

Je veux, en préambule, remercier l’ensemble de mes collègues de la commission des finances, mobilisés depuis plusieurs semaines déjà pour étudier en détail les mesures budgétaires et fiscales de ce budget 2019. Près de cinq cents personnes ont d’ores et déjà été auditionnées par le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux, et nous avons conduit plus de quarante heures d’auditions en commission plénière. J’associe à ces remerciements, bien sûr, l’ensemble de nos collègues des commissions saisies pour avis.

Ces travaux préparatoires, qui sont d’ailleurs loin d’être terminés, nous permettront d’avoir des échanges nourris avec le Gouvernement. Ils témoignent de l’engagement du Sénat à débattre et à amender ce projet de budget, qui, loin d’être un acte prévisionnel purement technique et comptable, ce qui justifierait que l’on en bâcle l’examen, constitue bien un acte fort et structurant de notre vie politique.

J’en viens donc maintenant à l’analyse des principales mesures de ce projet de loi de finances.

Pour ce qui concerne le cadrage macroéconomique, force est de constater que 2019 devrait marquer une déception, puisque la croissance s’établirait à 1,7 %, alors que le Gouvernement envisageait encore 1,9 % en juillet dernier.

L’accélération de l’activité, dont certains prédisaient qu’elle résulterait quasi automatiquement – je n’ai pas dit magiquement – des réformes gouvernementales, ne s’est toujours pas manifestée et le contexte international est malheureusement de plus en plus incertain, comme vient de le rappeler l’OCDE.

Dans le même temps, les efforts de redressement de nos finances publiques ne sont pas à proprement parler au rendez-vous. Je rappellerai simplement que, sous le précédent quinquennat, le déficit est passé de 5 % à 2,7 % du PIB, en diminuant chaque année, dans une conjoncture économique pourtant très défavorable. Entre 2017 et 2019, il passera de 2,7 % à 2,8 % du PIB. Nous ne faisons pas le minimum d’ajustement structurel requis par nos engagements européens ; nos résultats en matière de déficit public sont moins bons que ceux de nos principaux partenaires européens, et la dette publique continue de croître. Il y a lieu de nous en inquiéter dans un contexte de montée des incertitudes économiques dans le monde et dans la zone euro.

J’en viens maintenant au volet fiscal de ce budget 2019, qui témoigne en creux non seulement de l’inefficacité, mais également de l’iniquité des mesures prises par la majorité gouvernementale l’an passé. En effet, ciblées sur les catégories sociales les plus favorisées – je pense à la suppression de l’ISF et à la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital –, celles-ci ont eu un coût de près de 5 milliards d’euros. J’ajoute que la baisse de la taxe d’habitation pour 7 milliards d’euros sur deux ans, si elle ne concerne pas les mêmes catégories de contribuables, n’en met pas moins à mal l’autonomie financière des collectivités locales.

Faute de maîtrise réelle de la dépense publique, le Gouvernement n’a pu que compenser ces mesures fiscales coûteuses par la hausse d’autres impositions, dont les effets se prolongeront en 2019 : hausse de la CSG sur les retraités ou encore hausse graduelle, sur cinq ans, de la TICPE.

À cet égard, le présent projet de loi de finances consolide le recours à la fiscalité énergétique, avec la suppression de l’exonération pour le gazole non routier, qui aura une incidence directe et très pénalisante sur nombre de petites et moyennes entreprises. Nombre d’orateurs reviendront sur ce point : la fiscalité énergétique sur les entreprises et les ménages progressera de 6,6 milliards d’euros sur deux ans, alors que les solutions alternatives n’existent pas encore, et donc ne permettent pas de réaliser la transition énergétique à laquelle nous aspirons tous.

Le pouvoir d’achat d’un certain nombre de ménages modestes, en particulier retraités et ruraux, sera incontestablement amputé l’an prochain. Pour nombre de nos concitoyens, le « budget du pouvoir d’achat » est bien loin de ses promesses. Sans doute y a-t-il là un puissant moteur de mécontentement, et il n’est pas nécessaire de chercher beaucoup plus avant les motifs de ce que nous constatons jour après jour sur nos routes et nos ronds-points.

Pour ce qui concerne les dépenses, les mêmes missions que l’an passé sont sacrifiées, et en premier lieu les missions « Travail et emploi » et « Logement ».

Comment dire mieux que ce sont les plus modestes des Français qui payent vos politiques !

Le Gouvernement fait le choix du désengagement du service public de l’emploi, alors même que le taux de chômage reste très élevé, au-dessus de 9 % de la population active ; il prend le risque de faire encore chuter la construction de logements sociaux, déjà amorcée, et il rabote les pensions et les prestations sociales en les désindexant.

Ces orientations dessinent un désengagement des politiques sociales conduites par l’État, désengagement que le plan Pauvreté ne peut masquer.

Le Gouvernement avait promis que, grâce au processus Action publique 2022, il trouverait les économies structurelles faisant aujourd’hui défaut. Il faut tout d’abord noter que, après avoir présenté ce processus comme un élément de crédibilité de la loi de programmation des finances publiques, il a refusé de rendre ses conclusions publiques. Notre commission, par mon intermédiaire, a dû menacer de recourir aux pouvoirs de la LOLF pour obtenir ce rapport. Or toute transformation de l’action publique doit se faire dans la transparence et le débat, surtout que le Premier ministre a affirmé, ici même, lors des questions d’actualité au Gouvernement, qu’il s’agissait d’un outil pour la réflexion du Gouvernement et qu’il a refusé de nous le transmettre. Bien sûr, la représentation nationale, elle, n’a pas à réfléchir… (Sourires ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je note d’ailleurs à ce sujet que les parlementaires et les citoyens ne disposent toujours pas de l’ensemble des informations nécessaires pour pouvoir juger de la pertinence des mesures que le Gouvernement propose.

L’an passé, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, j’avais présenté un amendement pour donner l’accès au « code source » des dispositions fiscales proposées par le Gouvernement, ce qui permettrait de ne pas dépendre, pour la moindre simulation fiscale, du bon vouloir de celui-ci et des services de Bercy. Cet amendement n’a pas été retenu par l’Assemblée nationale, mais je le présenterai de nouveau. Messieurs les ministres, nous sommes déterminés à refuser de légiférer à tâtons. Notre démocratie en sortirait d’autant plus renforcée.

Je terminerai en évoquant le même sujet que le rapporteur général. Le Sénat, qui a travaillé depuis plusieurs années sur le thème de la lutte contre la fraude fiscale, a adopté des dispositions en matière de responsabilité des plateformes en ligne pour la collecte de la TVA. Il a enrichi le projet de loi de lutte contre la fraude.

Les membres du groupe de suivi que nous avons mis en place au sein de notre commission des finances proposeront, une fois de plus, une initiative transpartisane, pour soumettre les dividendes versés à des ressortissants étrangers à une retenue à la source effective. Il n’est en effet pas possible de demander à nos concitoyens des efforts s’ils n’ont pas le sentiment que tout le monde y consent et y concourt.

J’espère ainsi que, malgré nos probables divergences sur un certain nombre de mesures contenues dans ce projet de loi de finances, nous saurons tous nous réunir autour de cette ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Discussion générale (début)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° I-658.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale.

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Éric Bocquet, pour la motion.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, loin de nous l’idée d’esquiver le débat avec le dépôt de cette question préalable.

M. Éric Bocquet. Bien au contraire, nous voulons l’approfondir et lui consacrer plus de temps, faire en quelque sorte un point d’étape dix-huit mois après l’avènement du « nouveau monde ».

M. Éric Bocquet. « Exaspération », cela peut paraître un mot assez fort, pour d’aucuns excessif, mais le fait est que c’est ce sentiment qui semble aujourd’hui profondément ressenti par un nombre important de nos compatriotes et concitoyens devant la politique menée par le Gouvernement.

Les idées semblent d’ailleurs avoir pris de la vitesse pour se répandre dans l’opinion comme une traînée de poudre et nous sentons confusément que les choses ne peuvent continuer de la sorte.

Il semble bien loin le temps du printemps 2017 où, après une victoire obligée, le Président de la République obtint la majorité parlementaire dont il avait besoin pour mener son programme.

Cet argument des « engagements tenus », sans cesse ressassé depuis, commence tout de même à souffrir de n’avoir été partagé que par un peu plus de 15 % du corps électoral, soit la majorité la plus étroite obtenue par un vainqueur depuis l’inversion du calendrier électoral en 2002.

Force est aujourd’hui de constater, depuis les rues de nos villes jusqu’aux péages d’autoroute en passant par l’entrée des usines ou le portail des écoles, que nous sommes à la recherche de ces fameux 15 %.

Il faut dire que la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui n’a nullement favorisé la relance de l’investissement productif, ne concernait que 350 000 ménages sur près de 40 millions de foyers fiscaux.

Quant à l’exonération de taxe d’habitation, que changeait-elle à la situation de ceux qui ne la payaient déjà pas parce qu’ils étaient trop chichement payés ou parce que leur retraite était trop modeste ?

En revanche, la limitation de la taxe sur les dividendes, alors même que ceux-ci explosent, aura coûté 2 milliards d’euros aux deniers publics, pour profiter à quelques milliers de privilégiés figurant parmi les 800 000 contribuables déclarant plus de 100 000 euros de revenus annuels.

Le Gouvernement entend encore charger la barque, en en rajoutant notamment sur la fameuse fiscalité écologique déjà évoquée !