M. Laurent Duplomb. Elle l’est toujours !

Mme Élisabeth Borne, ministre. Il est certain que l’abaissement de la vitesse autorisée ne touche guère les citadins. Cela dit, je me dois de rappeler que la mise en œuvre de cette mesure est à placer en regard du bilan de la mortalité routière, qui ne baissait plus.

L’objectif de sécurité routière ne doit pas être oublié. L’évaluation était prévue, dès le départ, au début de l’année 2020. C’est l’un des sujets discutés dans le cadre du grand débat, dont il ne faut pas préempter les conclusions. J’ajoute que, si le dispositif devait être adapté, il conviendrait naturellement de ne pas relâcher nos exigences en matière de sécurité routière.

L’une des difficultés de nos territoires, qui me tient à cœur, ce sont les déplacements du quotidien. Être à l’écart des métropoles ou des grands axes de communication, c’est insupportable. Mais je pense également à toutes les personnes qui n’ont pas d’autre option que leur véhicule individuel pour se déplacer, à ceux qui n’ont pas de voiture ou qui ne peuvent pas conduire.

Le développement des infrastructures peut être nécessaire, mais il n’est pas forcément suffisant. Je suis convaincue que l’on ne réglera pas les problèmes des territoires sans proposer des alternatives à l’usage individuel systématique de la voiture. Outre la question de l’enclavement, c’est aussi celle du pouvoir d’achat et de la capacité pour tous à accéder aux emplois, à la formation et aux services, ainsi que les enjeux de la protection de notre environnement, qui sont posés.

Pour lutter contre les fractures territoriales, sociales, environnementales, il faut une vision globale de la mobilité. C’est bien toute la philosophie du projet de loi d’orientation des mobilités, qui, outre la programmation des infrastructures, a pour ambition d’apporter de vrais outils pour permettre aux territoires de proposer des solutions concrètes.

Cela passe notamment par une amélioration de la gouvernance, mais aussi par l’innovation, qui, j’en suis convaincue, offre une grande diversité de solutions adaptables aux territoires. Tout l’enjeu est que ces innovations puissent se déployer grâce à la prise de compétence mobilité sur tout le territoire.

L’État accompagnera les territoires dans leur démarche. C’est d’ailleurs tout l’objet de la démarche France Mobilités, lancée à la suite des assises. Nous avons choisi d’accompagner les territoires sans attendre la loi, pour faire ce qui est déjà possible et anticiper ce qui le sera demain. Plus de cinquante territoires, essentiellement ruraux, ont déjà été sélectionnés pour leur démarche.

Les projets retenus sont divers et illustrent parfaitement la créativité et l’ingéniosité sur nos territoires. Que ce soient des expérimentations d’autopartage en milieu rural, des véhicules autonomes dans des territoires peu denses, des projets visant à structurer l’offre de mobilité en milieu rural, ce sont autant de réponses possibles aux problèmes de mobilité du quotidien de nos concitoyens.

Aussi, en conclusion, je ne puis que partager les constats et les grands enjeux portés par cette proposition de loi. Je suis ravie d’en débattre avec vous cette après-midi, mais je crois que ce sujet essentiel de l’enclavement de nos territoires aura vocation à être discuté dans le cadre de l’examen de la loi d’orientation des mobilités et que nous trouverons ensemble les solutions adéquates. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un rural, un montagnard qui vous parle, au nom des territoires.

Ruraux et montagnards, nous savons ce que c’est l’enclavement. C’est un quotidien qui crée un sentiment d’éloignement, une réalité d’éloignement quand le monde bouge autour de vous, mais que vous ne possédez pas les moyens de vous connecter, donc de faire bouger votre quotidien, d’être dans le move, comme on dirait dans la start-up nation(Sourires.)

Désenclaver nos zones rurales est vital pour notre développement. Les maîtres mots ici ne sont-ils pas l’accessibilité, la mobilité et la connexion ? La proposition de loi dont nous discutons rappelle les difficiles vérités des territoires enclavés, aggravées par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, qui a fait plus d’un dégât : sentiment d’abandon, fractures économiques et sociales, creusement des inégalités.

Il est grand temps d’agir. Cette proposition de loi n’est que l’ébauche d’un réel plan attendu par nos territoires. Ceux-ci ont besoin d’un véritable plan Marshall, avec des perspectives à long terme concernant la politique des transports. Le ministre Jacques Mézard a pu le préciser lors de l’examen de cette proposition de loi en commission : il a souhaité déposer un texte portant sur le désenclavement territorial avant que le projet de loi d’orientation des mobilités ne soit examiné au Sénat.

Si cette proposition est donc l’ébauche, nous pourrions nous attendre à ce que le projet de loi d’orientation des mobilités soit le plan Marshall pour nos transports. Vous affirmiez à ce sujet, madame la ministre, lors de votre audition au Sénat la semaine dernière, que le Président de la République, dès la campagne électorale et le début de son mandat, avait souhaité faire une pause dans les grands projets, afin de prendre le temps de construire une rupture, avec un objectif majeur : répondre aux besoins de tous et dans tous nos territoires.

Nous voilà avec un projet de loi d’orientation doté d’un objectif qui laisse circonspect. Nous ne vous demandons pas de « construire une rupture », mais de construire des routes sûres, d’améliorer les dessertes ferroviaires et d’accélérer le numérique dans tous les territoires !

Nous avons des projets d’ampleur, et vous les connaissez : améliorer, bien sûr, la desserte par les trains d’équilibre du territoire, ou TET, et la moderniser.

Je me permets tout de même de vous rappeler le POCL, la ligne ferroviaire à grande vitesse tant attendue Paris-Orléans-Clermont-Lyon, qui permettra un désenclavement ferroviaire certain d’une grande partie du Grand Centre, de l’Auvergne et du Massif central. Sa réalisation serait un réel signe de considération pour nos territoires ruraux et enclavés. Paris-Clermont en deux heures trente, et des ruraux à moins de soixante minutes d’automobile d’une gare desservie par une ligne à grande vitesse, voilà du concret contre le désenclavement ! Certes, je verrai peut-être la ligne POCL en déambulateur, mais j’y crois fermement. (Sourires.)

Par ailleurs, soyons vigilants à pérenniser les lignes aériennes de service public et faire en sorte que leur desserte reste régulière face à l’impératif de rentabilité. Les dispositions de cette proposition de loi sont positives à cet égard. Restez dans la droite ligne de celles-ci, madame la ministre, et n’abandonnez pas nos petites lignes. Pour certaines zones rurales, pas d’avion, pas d’accessibilité, c’est une condamnation à rester isolées. Il y a ici un réel sujet d’actualité avec la redéfinition actuelle des lignes d’Air France et de HOP !. Le Puy-de-Dôme peut vous en parler !

Le « transport virtuel » est aussi essentiel – je veux parler de la couverture numérique. Le marché de l’emploi évolue vers des métiers de plus en plus connectés grâce aux nouvelles technologies. Il est vital que le monde rural puisse saisir cette occasion.

Enfin, nous ne pouvons pas parler de transport sans évoquer la limitation à 80 kilomètres par heure, et pour cause : la proposition de loi y consacre deux de ses six articles.

Aujourd’hui, les Français parcourent en moyenne 45 kilomètres par jour, contre 5 kilomètres dans les années soixante. La distance moyenne entre le lieu de résidence et le lieu de travail est de 28 kilomètres pour un habitant des zones rurales, et la distance moyenne du domicile aux commerces a augmenté de 30 % en quinze ans.

On ne peut donc que corroborer la nécessité de ne pas adopter des normes centralisées qui s’imposent sans distinction, comme cela a été fait pour les 80 kilomètres par heure. Donner la compétence aux présidents de département et aux préfets de relever la vitesse maximale autorisée sur les routes dont ils ont la gestion est positif, car les réalités du terrain seront prises en compte.

Toutefois, permettre de relever la vitesse ne doit pas aboutir à mettre en cause la responsabilité de nos élus face à une mortalité qui continuera sur nos routes, si faible soit-elle. En effet, les accidents ne sont pas uniquement liés à la vitesse à 90 kilomètres par heure ; ils dépendent surtout du comportement des conducteurs et de l’état du réseau routier.

Une étude précise et objective des causes de mortalité sur les tronçons désormais limités à 80 kilomètres par heure est nécessaire. Rien ne permet d’affirmer que cette mesure a permis de réduire le nombre de tués. Les causes sont diverses et n’ont rien à voir avec la fixation de la vitesse limite à 90 ou à 80 kilomètres par heure.

En conclusion, les six articles de cette proposition de loi ne sont, je l’espère, mes chers collègues, madame la ministre, qu’un appel pour un vrai plan Marshall pour nos transports et notre désenclavement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment améliorer les déplacements dans les zones rurales et périurbaines ? Comment garantir à chacun la possibilité de se déplacer pour accéder à l’emploi, à la formation, à la santé, à la culture ? En somme, comment désenclaver nos territoires ? Ces questions fondamentales ont fait l’objet, vous l’avez dit, madame la ministre, de débats riches et intenses à l’occasion des Assises nationales de la mobilité.

En effet, nous le savons, nos concitoyens ne sont pas égaux face aux transports. Parmi les formes d’inégalité qui limitent la mobilité, le facteur géographique d’éloignement dans les territoires de faible densité est une réalité qui touche tous nos concitoyens. Ainsi, les territoires moins denses, ruraux, périurbains, les petites villes et villes moyennes, les quartiers périphériques peuvent être fragilisés au regard d’une mobilité qui est loin d’être aisée.

Cette fragilité, cette fracture, cet enclavement sont vécus au quotidien par des millions de nos concitoyens. Or l’accès quotidien à l’emploi, à l’éducation, à la santé, aux commerces, aux relations sociales, aux loisirs est une condition essentielle d’exercice des droits fondamentaux de liberté, d’égalité et de citoyenneté, et c’est à ce titre que le désenclavement des territoires doit être une priorité.

Dans son rapport, notre collègue Jean-Pierre Corbisez nous rappelle que la France compte de nombreux territoires enclavés. Cette situation pose des problèmes quotidiens à nos concitoyens, qui rencontrent des difficultés à accéder à un emploi, à des services publics ou à des biens de consommation courants. La persistance de cet enclavement se double d’une montée des inégalités économiques et sociales entre les territoires et alimente un sentiment d’éloignement d’une partie de la population. Ce sentiment d’abandon d’une certaine frange de la population s’est cristallisé, ces derniers mois, autour du mouvement des gilets jaunes.

En réponse, le Président de la République a engagé un grand débat national permettant à tout un chacun de faire valoir son opinion. Ce grand débat est en cours et il serait opportun d’en attendre l’issue pour proposer les solutions les plus adéquates, en matière de désenclavement comme pour d’autres questions essentielles.

L’enclavement des territoires résulte avant tout d’une offre de mobilité, notamment en transports collectifs, insuffisante, ainsi que d’un manque d’infrastructures de transport adaptées, et chacun peut constater aujourd’hui à quel point cette absence de solution de mobilité alimente un sentiment d’abandon d’une partie de notre population.

Concernant l’aérien, point saillant du texte, bien que les élus locaux perçoivent le plus souvent la force symbolique de la présence d’un aéroport sur leur territoire, le rapport du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, de janvier 2017 insiste sur la nécessité d’études approfondies sur les recouvrements de zones d’attraction des aéroports, avant d’examiner localement une offre aéroportuaire.

Le transport aérien contribue-t-il pertinemment au désenclavement des territoires les moins desservis en France métropolitaine ?

Le prix moyen du billet pour les petites lignes aériennes pose la question d’une véritable perspective de désenclavement de ces territoires. En effet, le coût du transport qui permettra le désenclavement de ces territoires aura une influence sur le nombre de citoyens touchés par la mesure. Or on peut facilement douter que le coût du transport aérien permette un désenclavement le plus large possible pour ces territoires. Le montant de subventions que nécessiterait un tel programme est à comparer au bénéfice qu’en retirerait l’ensemble des populations de ces territoires.

Aussi, il me semble que certaines mesures de cette proposition de loi, notamment celles relatives à l’aérien, mériteraient d’être creusées et nécessiteraient une étude d’impact approfondie, en particulier sur le plan financier. Avant de légiférer, il conviendrait d’anticiper le montant des subventions qui seraient nécessaires au développement d’aéroports de désenclavement.

Oui, nous voulons tous contribuer au désenclavement des territoires. Le métropolitain que je suis peut vous dire que le désenclavement est également nécessaire sur certaines parties géographiques des métropoles.

Pour autant, cette proposition de loi arrive un peu tôt, puisqu’il serait opportun que nous attendions les conclusions du grand débat national et elle intègre bien des points que nous examinerons à partir du 19 mars prochain dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités. Si l’on ne peut qu’être favorable au désenclavement des territoires, je le disais, la question du financement reste posée.

À L’heure où les trois quarts de nos concitoyens utilisent leur voiture pour leurs trajets domicile-travail, la loi d’orientation des mobilités propose d’apporter des solutions de substitution à l’usage individuel de la voiture, ce qui semble un tantinet dissonant avec l’objet de cette proposition de loi. Dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités, l’accent est mis sur le travail avec les collectivités locales, qui permettra de bâtir des réponses au désenclavement à partir des réalités du terrain.

Avec une méthode claire, vous l’avez rappelé, madame la ministre, le Gouvernement doit s’engager sur des projets qu’il sait pouvoir réaliser et qui répondent aux besoins des habitants, en s’assurant de l’effectivité des ressources par rapport aux engagements pris. J’ai déjà pu constater l’efficacité de la méthode lors de la signature du contrat de transition écologique du territoire de la Sambre-Avesnois, dans le cadre duquel la mise à 2x2 voies de la RN 2 a été annoncée, avec les financements afférents, après plus de quarante ans d’attente.

De la même manière, je voudrais ici rappeler le pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, lancé sur l’initiative du ministre Mézard, doté d’une enveloppe de 5 milliards d’euros, qui reconnaît et consolide les villes moyennes dans leurs fonctions de centralité, car elles irriguent les communes petites et rurales environnantes, qu’il s’agisse de l’offre de santé, d’éducation, d’accès au ferroviaire, au commerce, à l’emploi ou aux services administratifs.

En définitive, le désenclavement des territoires doit être une préoccupation majeure, particulièrement dans notre assemblée. Néanmoins, nous sommes à l’aube du démarrage de la discussion sur la loi d’orientation des mobilités.

Même si ce texte soulève de vraies questions, qui convergent avec l’ambition du Gouvernement, je pense que celles-ci pourront largement être débattues et traitées dans le cadre de l’examen et de l’enrichissement de la loi d’orientation des mobilités. C’est pourquoi le groupe La République En Marche s’abstiendra. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi proposée par le groupe du RDSE visant à faciliter le désenclavement des territoires. Il est évident que nous partageons le constat initial de ce texte, lorsqu’il pointe l’accroissement de la fracture territoriale et l’enclavement de certains territoires ruraux confrontés à un manque d’attractivité et à une disparition des services publics.

La mobilisation depuis des mois des gilets jaunes, exaspérés notamment par l’injustice territoriale, témoigne de cette paupérisation qui frappe les zones périurbaines, les villes petites et moyennes. Ils voient leurs commerces disparaître les uns après les autres, la vacance grandissante des logements qui ne trouvent pas de locataires et l’accessibilité aux services publics locaux se réduire comme peau de chagrin. Tout cela nourrit un sentiment très fort d’abandon des pouvoirs publics.

Face à l’expression d’un tel attachement à l’égalité des territoires, on en viendrait presque à se demander pourquoi notre éminent collègue a participé à un gouvernement qui, par ses mesures, a, pas à pas, aggravé la fracture territoriale…

En effet, et c’est le moins que l’on puisse dire, le bilan du Gouvernement en la matière n’est pas bon. La réforme ferroviaire va immanquablement conduire à l’abandon d’un certain nombre de lignes du quotidien jugées trop peu rentables. La réforme de la justice menace les petites juridictions. Sans attendre la réforme de la santé, l’accès aux soins se réduit. On pense notamment aux maternités qui ferment les unes après les autres. Pis encore, l’épée de Damoclès de la suppression de 70 000 fonctionnaires territoriaux pèse sur les collectivités locales.

À la lumière des enjeux évoqués, à quelques jours du débat sur la loi d’orientation des mobilités, vous comprendrez dès lors qu’au-delà de son objectif ambitieux, le contenu de cette proposition, notamment dans sa version initiale, nous a semblé à la fois lacunaire et totalement inadapté.

Il est lacunaire, car les solutions contre l’enclavement se limitent au prisme de l’accessibilité physique des territoires. S’il s’agit évidemment d’un des éléments de l’enclavement, celle-ci n’est ni exclusif ni suffisant. Bien sûr, ces territoires souffrent de l’absence de transports, et surtout d’ailleurs de solutions de mobilités internes. Cependant, si de nombreux Français se relaient sur les ronds-points tous les samedis depuis des mois, c’est aussi parce qu’ils souffrent durement de la fermeture des écoles, des hôpitaux, des bureaux de poste et autres maternités.

Aucune mention n’est faite dans ce texte des impacts de la mise en concurrence des territoires, des politiques de réduction de la dépense publique ou de celles qui ont conduit à libéraliser les services publics et à réduire leur présence territoriale par la privatisation. Les services publics sont pourtant essentiels pour résorber la facture territoriale.

Le rôle primordial des documents d’urbanisme – plan local d’urbanisme intercommunal, schéma de cohérence territoriale – traçant les orientations à long terme en cohérence avec des projets de territoires souhaités localement n’est pas plus évoqué.

Il est inadapté, car l’égalité territoriale ne se résume pas à relier des zones-dortoirs à des métropoles qui concentreraient tous les services. Ce n’est pas notre vision de l’aménagement du territoire. Ce prisme est tellement réducteur que l’on en viendrait presque à se demander si cette proposition de loi a un autre objet que de faciliter la vie de quelques responsables politiques et acteurs économiques qui font des allers et retours fréquents vers la capitale ou les métropoles régionales…

Alors que la question climatique se pose avec une acuité toute particulière, comment peut-on, comme cette proposition de loi, n’envisager la mobilité que par les airs et par la route en omettant le rail ? Construire des aéroports tous les 200 kilomètres est une vision de l’aménagement du territoire des années soixante-dix, que n’aurait d’ailleurs pas renié Pompidou. De cette époque, nous avons hérité d’une soixantaine d’aéroports peu utiles et déficitaires, que l’on maintient sous perfusion d’argent public, quand on laisse mourir les lignes de chemin de fer.

Dans l’Isère, que je connais bien, le département vient de voter une subvention de plus de deux millions d’euros pour maintenir à flot l’aéroport de Grenoble-Alpes-Isère. A-t-on vraiment envie de flécher les dépenses publiques vers un mode de transport aussi peu rentable qu’écologiquement polluant ? Par ailleurs, avec quel argent comptez-vous le faire ? Pas l’ombre d’une piste de financement n’est avancée dans la proposition de loi.

La fracture territoriale ne se résorbera pas par le simple amas de bonnes volontés et par des textes de loi inapplicables, mais avec des moyens concrets. Elle implique de revitaliser les territoires par la création d’emplois; par une véritable politique de soutien à l’agriculture, à l’artisanat, par une reconquête industrielle et par la relocalisation des sites de production.

Penser l’aménagement du territoire nécessite d’inscrire au cœur des politiques de mobilité les enjeux de report modal de la route vers le rail, et il nous semble incroyable qu’il n’en ait pas été fait mention une seule fois dans ce premier jet de proposition de loi. Car ce sont les lignes de chemin de fer régionales qui repeuplent les campagnes, pas les autoroutes, qui les traversent comme des tunnels, ou les aéroports.

Nous saluons néanmoins les évolutions positives du texte en commission, et je tiens ici à remercier notre rapporteur et notre collègue Ronan Dantec, dont les amendements visant remplacer le critère de distance avec un aéroport par celui de la proximité avec une gare desservie par une ligne à grande vitesse. Ce changement fait sens. Il en va de même pour la réécriture de l’article 2, qui était flou et qui laissait penser que l’État pourrait déroger aux normes environnementales de construction des infrastructures dans certains territoires enclavés, ce qui ne pouvait constituer une solution acceptable.

Néanmoins, cela ne suffira pas pour voter en faveur d’un texte qui propose une vision aussi réductrice d’un enjeu aussi majeur. Nous choisissons donc de nous abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi aborde un objectif auquel nous ne pouvons qu’adhérer : le nécessaire désenclavement des territoires, pour trouver une réponse aux fractures territoriales, sociales et démographiques qui traversent notre pays. Il faut en effet résolument s’attaquer aux causes de l’enclavement et lutter contre un sentiment qui se généralise aujourd’hui, celui de l’exclusion d’une grande partie de nos concitoyens. Cohésion des territoires et lutte contre la marginalisation vont de pair.

À ce titre, nous soulignons la qualité du travail du rapporteur et de la commission, qui a permis d’améliorer le texte sur plusieurs points, notamment sur l’objectif de désenclavement à l’horizon 2025, dont devront tenir compte les schémas nationaux des infrastructures de transports et les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. Nous soutiendrons donc ce texte.

Ainsi, 26 % du territoire national accueillent 5,6 % de la population. Ces territoires se distinguent par une faible densité, bien sûr, souvent de faibles ressources économiques, un départ des forces vives et des jeunes et le vieillissement de la population. Si cette situation est devenue critique dans les territoires les plus enclavés, elle est le fruit de notre histoire, de la métropolisation et d’une décentralisation qui n’a pas complètement joué son rôle. Les dynamiques urbaines de la France ont concentré mécaniquement l’activité économique porteuse d’emplois, les métiers qualifiés ou d’avenir et la création de richesses.

Il en découle un sentiment diffus de malaise dans les campagnes, renforcé par l’isolement géographique. Cette « France périphérique » ne compte plus les maternités et les classes qui ferment, ni les lignes de trains supprimées. Elle subit aussi la désertification médicale. Dans l’ensemble de ces territoires, le nombre de communes équipées en services publics a fortement diminué depuis les années quatre-vingt. La part des gares ferroviaires y a, par exemple, baissé de 41,8 %. Pour elles, l’enjeu du désenclavement est essentiel.

Seulement 14 % des 15-29 ans vivent dans l’espace rural. Il faut donc faire émerger les projets ruraux, car ces territoires sont un vivier futur : ils regorgent d’espaces économiques actifs, mais aussi d’une qualité de vie indéniable. La ruralité doit prendre sa part entière aux défis d’aujourd’hui : la transition énergétique, le numérique, la mobilité.

La proposition de loi n’évoque pas le devenir des petites lignes, pourtant indispensables dans le report modal, le mix des transports. Seraient-elles d’ores et déjà condamnées ? Madame la ministre, vous avez récemment affirmé que l’entretien des réseaux avait été négligé et qu’il fallait réinjecter des finances pour « s’occuper de la mobilité et des déplacements du quotidien. » Ce que nous regrettons, une fois de plus, ce sont les chiffres.

Depuis 2011, quelque 744 kilomètres de petites lignes ont été fermés et la loi pour un nouveau pacte ferroviaire ne laisse rien présager de bon. Plusieurs syndicats ont déjà dénoncé « le sabotage des projets de maintien des petites lignes de la part de SNCF Réseau ». Dans ma région, l’Occitanie, ce sont 40 % des petites lignes qui fermeraient à l’échéance 2021.

Vous annoncez vouloir favoriser le développement des véhicules électriques pour sortir de la dépendance au pétrole, mais la mobilité de demain exige également la restauration et le maintien de ces petites lignes. Restructurer les réseaux en tenant compte de l’objectif de désenclavement est incontournable.

Il faut renforcer les pôles d’échanges autour des lignes existantes. On supprime les très petites lignes, mais parfois aucune autre infrastructure n’existe. C’est le volontarisme politique qui valorisera nos territoires ruraux et donnera du sens à la mobilité sociale et professionnelle.

L’enclavement géographique ne peut plus avoir pour corolaire le déficit des services publics, la marginalisation numérique et la persistance d’infrastructures de transports insuffisantes. Quels que soient les efforts de ces territoires pour s’en sortir, les initiatives seront en partie entravées.

Ces territoires sont logiquement aujourd’hui le royaume de la voiture individuelle, dont il est nécessaire de sortir, nous sommes d’accord. Ainsi, quelque 80 % des personnes travaillant dans une commune où elles ne résident pas utilisent leur véhicule. L’Insee révèle que 58 % des actifs qui travaillent à moins d’un kilomètre de leur lieu de travail s’y rendent en voiture.

Les véhicules électriques pour sortir de cette dépendance au pétrole doivent s’accompagner d’une réelle politique en faveur du ferroviaire. Nous espérons que vous en tiendrez compte dans la loi à venir sur les mobilités.

Qui dit mobilité dit, enfin, vitesse abaissée à 80 kilomètres par heure. Appliquée depuis le 1er juillet 2018 sur les routes secondaires et très critiquée par bon nombre d’élus locaux et de « gilets jaunes » – c’est l’actualité –, cette mesure illustre une prise de décision unilatérale, qui n’a pas su tenir compte, notamment, des préconisations sénatoriales.

Le groupe de travail du Sénat avait pourtant relevé les insuffisances de l’expérimentation conduite. Il avait souligné la nécessité de revoir la méthode envisagée par le Gouvernement, au bénéfice d’une réduction de la vitesse sur les routes les plus accidentogènes, en incluant un travail avec les départements.