M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. « Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent

« Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps

« Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant

« Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir

« Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. »

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, ces vers de Louis Aragon célèbrent la mémoire des résistants du groupe Manouchian, principale force d’opposition directe aux Allemands en région parisienne, des partisans dotés d’un courage sans faille, qui furent fusillés le 21 février 1944 au Mont-Valérien. Alors que le dernier de ses membres s’est éteint en 2018, le devoir de mémoire, les 35 000 monuments aux morts et ces quelques vers restent les derniers remparts contre l’oubli des « grands anciens », ces morts pour la patrie qui ont sacrifié leur vie pour rendre la nôtre possible.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à protéger les drapeaux des associations d’anciens combattants en créant une présomption de propriété au profit de ces associations. Elle prévoit également le transfert des drapeaux, en cas de dissolution de l’association ou sur décision de son assemblée générale, à la commune compétente, chargée de relayer, auprès d’associations actives ou d’établissements scolaires, le devoir de mémoire des anciens combattants. Enfin, une association d’anciens combattants, une fédération ou la commune pourra obtenir gratuitement la restitution d’un drapeau détenu par un particulier. Nous soutenons pleinement cette initiative et saluons le travail de la sénatrice Françoise Férat.

Le réseau d’associations dont il est question s’est structuré dès l’année 1915 pour faire reconnaître les droits matériels et moraux des anciens combattants, des mutilés, des « gueules cassées », des démobilisés de la Grande Guerre.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, plus de 10 000 associations d’anciens combattants étaient actives sur le sol national. Chacune d’entre elles possède ses propres symboles, son drapeau tricolore chargé d’histoire et brodé de lettres d’or. Elles regroupent les anciens combattants des deux guerres mondiales, des guerres du Golfe, d’Algérie, de Yougoslavie, d’Afghanistan, et contribuent au devoir de mémoire reliant passé et présent.

Permettre à des générations de Français de mieux comprendre l’histoire de la France, d’en mesurer les sacrifices, de s’imprégner des valeurs républicaines pour éclairer leur avenir, leurs choix, leurs engagements : tels sont les enjeux du devoir de mémoire, que Simone Veil proposait de remplacer par un devoir d’histoire, articulant souvenir et transmission.

« La patrie ne s’apprend pas par cœur, elle s’apprend par le cœur », disait Lavisse. Elle s’apprend par la résonance à travers les siècles de ces noms d’hommes et de femmes qui se sont engagés pour défendre la vie, la liberté, l’avenir de la France. Ces noms, trop souvent, tombent dans l’oubli. Qui se souvient de Jeannette Guyot ? À 20 ans, elle traversait les bois et les champs dans la nuit silencieuse, suivie d’enfants, d’hommes et de femmes, les emmenant loin de la terreur. Jeannette Guyot, parachutée en bord de Loire pour repérer les zones de largage en vue du débarquement. Jeannette Guyot, ouvrant une antenne de radio clandestine à Paris, dans un tabac, à deux pas d’un bureau de la Gestapo… Seul un article d’un journal britannique annonça sa mort, le 10 avril 2016 ! En France, il n’y eut pas un mot dans la presse, à la radio, sur les réseaux pour lui rendre hommage.

Comprendre le passé, le regarder avec lucidité pour en saluer les grandes heures, sans renier les heures sombres, ce sont les conditions indispensables pour bâtir sur l’exemple. En honorant la mémoire des héros de la Nation, la commémoration anime un lien qui libère, érige un signe de concorde entre les générations Il est bien sûr du devoir de l’État, de la puissance publique en général, de maintenir cette mémoire vive, à l’image de la flamme du souvenir toujours entretenu, veillant nuit et jour la tombe du Soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe.

À l’heure où les symboles de la mère patrie sont tagués, dévastés, pris d’assaut par des casseurs bêlants, où le poison rampant de l’extrémisme se répand à travers une Europe fragilisée, où le communautarisme divise la France en son cœur, il nous faut veiller à maintenir vivants les souvenirs de notre histoire commune, à replacer les symboles de la République au centre de nos villes, de nos villages, dans nos écoles et nos mairies.

Chers collègues, les drapeaux des associations d’anciens combattants sont de ces symboles que nous avons la responsabilité de protéger. Il y va à la fois de notre héritage et de notre liberté de destin, tant il est vrai, comme l’affirme René Char dans Les Feuillets dHypnos, que « notre héritage n’est précédé d’aucun testament ». (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord prendre un instant pour adresser, au nom de mon groupe, une pensée attristée à la famille de Marc Laycuras, médecin militaire, qui vient de perdre la vie au Mali. Nos condoléances vont également à ses frères d’armes qui poursuivent un difficile combat contre le terrorisme islamiste dans la bande sahélo-saharienne.

De même, je tiens à rendre hommage aux associations d’anciens combattants, tant pour leur travail patient auprès de ceux qui ont payé un lourd tribut à la Nation que pour leur contribution au devoir d’histoire et de mémoire.

C’est une évidence, ces associations participent à la transmission de la mémoire et des valeurs de notre pays. À l’échelle de nos territoires, elles œuvrent en faveur d’un maillage de la perpétuation du souvenir.

Je veux remercier à mon tour François Férat et Élisabeth Doineau pour leurs travaux et leur capacité d’écoute. Beaucoup d’entre nous ont été sollicités à propos des difficultés relatives à la protection des drapeaux d’associations d’anciens combattants. Rappelons que ce sont des objets mémoriels uniques. En tant que représentants des territoires, nous ne pouvons qu’y être très attachés, car ils sont porteurs d’une valeur symbolique très forte. Emblèmes de la Nation française, ils témoignent de l’engagement patriotique des territoires composant la France qui ont participé aux épreuves de la guerre et à la défense de notre pays.

Cependant, beaucoup d’associations d’anciens combattants sont dissoutes du fait de la disparition de leurs membres, qui, ne l’oublions pas, étaient autant de délégués précieux et directs de cette mémoire dont la transmission doit être assurée.

Rien ni personne n’échappant aux outrages du temps qui emporte tout, y compris ce que les hommes peuvent avoir de plus précieux, il n’est pas surprenant que des drapeaux puissent être proposés à la vente. Cela peut apparaître comme une double offense : offense à la mémoire de ceux qui les ont portés, offense à la mémoire des anciens combattants qu’ils représentent.

Pour autant, leur vente n’est nullement illégale. Plus largement, il nous faut répondre à la question du devenir des objets mémoriels et de leur marchandisation éventuelle, qui peut parfois poser d’importants problèmes éthiques.

Pour le cas particulier des drapeaux d’associations d’anciens combattants, il revient au législateur d’organiser leur conservation dans une logique de préservation et de transmission de la mémoire, sans pour autant entraver le droit de propriété et possession, ainsi que la prescription acquisitive.

Je salue donc l’initiative de notre collègue Françoise Férat, qui nous a permis d’aborder cette question. Toutefois, interdire à son propriétaire légitime de vendre un drapeau ayant appartenu à une association d’anciens combattants serait de nature à mettre en cause le droit de propriété, droit fondamental inscrit dans notre Constitution.

De fait, nous sommes satisfaits de la solution juridique proposée par notre rapporteure. La création d’une exception au principe de la prescription acquisitive pour les associations leur permettra, d’une part, de conserver la propriété des drapeaux grâce à la présomption de propriété, et, d’autre part, de se les faire restituer gratuitement, ce qui est important, car leurs moyens sont limités.

Enfin, je salue l’alinéa relatif à la « conservation » des drapeaux en cas de dissolution des associations. Leur transmission à la commune de domiciliation permettra au territoire de conserver ce qui n’est autre qu’un témoignage de sa propre histoire. Quant à la possibilité de les confier à un établissement scolaire ou à une association, c’est également une très bonne chose, un moyen de donner une deuxième vie à ces drapeaux et, ainsi, de prolonger l’œuvre de mémoire auprès des générations suivantes.

Tout le monde souscrit, me semble-t-il, au discours prononcé par Ernest Renan à la Sorbonne en 1882, dans le contexte de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace-Lorraine. On en retient généralement que « la Nation est une âme, un principe spirituel » et qu’elle se perpétue par « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, le plébiscite de tous les jours », mais on oublie trop souvent que Renan ajoutait que si cette âme, ce principe spirituel trouve sa force et sa légitimité dans le présent, il le trouve aussi dans le passé, ce passé qu’il qualifiait de « possession en commun d’un riche legs de souvenirs » alimenté par « la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis […] lui-même constitué par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. »

De ce point de vue, cette proposition de loi n’est pas que technique. Elle s’inscrit, d’une certaine façon, pleinement dans cet esprit cher à Ernest Renan, qui fait l’une des singularités de notre pays. C’est une raison supplémentaire pour que nous apportions tout notre soutien à ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Françoise Férat vise à protéger le devenir des drapeaux des associations d’anciens combattants en interdisant leur vente.

Dans cette perspective, le texte adopté par la commission prévoit le transfert à la commune des drapeaux appartenant à une association d’anciens combattants en cas de dissolution de celle-ci et à défaut de dispositions statutaires ou de décision de l’assemblée générale fixant la destination de ces drapeaux. Par la suite, ces mêmes drapeaux pourront être confiés par la commune à des établissements scolaires ou à d’autres associations d’anciens combattants.

Dans le cas où un porte-drapeau décède, les drapeaux qu’il conservait devront être restitués aux associations d’anciens combattants, à leurs « ayants droit » ou à toute personne attachée au devoir de mémoire et au souvenir.

L’alinéa 5 de l’article unique crée judicieusement, me semble-t-il, une présomption de propriété pour les drapeaux portant les signes distinctifs d’une association d’anciens combattants. L’alinéa suivant permet à une association d’anciens combattants ou, à défaut, à une fédération ou à la commune dans laquelle l’association était domiciliée d’obtenir gratuitement qu’un drapeau se trouvant entre les mains d’un particulier lui soit restitué.

Il s’agit à la fois de prévoir les règles applicables en cas de disparition de la personne ou de l’association conservant des drapeaux et de prévoir des sanctions pour garantir leur application. Ce texte couvre l’ensemble des hypothèses possibles afin de protéger cette part incontournable de notre patrimoine mémoriel.

Sur le plan des sanctions, le texte initial comprenait une disposition déjà inscrite dans le droit civil actuel, qui dispose en effet que, le porte-drapeau pouvant être considéré comme dépositaire d’un bien qui n’est pas le sien, il est tenu de le restituer au propriétaire, aux termes de l’article 1915 du code civil. En cas de décès, cette obligation se reporte sur ses héritiers. Le dépositaire doit ainsi restituer le bien et, s’il ne le fait pas, il peut être poursuivi pour abus de confiance, infraction punie de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

Autrement dit, le droit existant comporte déjà une mesure coercitive garantissant au mieux l’application des dispositions de ce texte.

De plus, nous sommes toutes et tous ici d’accord pour reconnaître que ces drapeaux constituent un symbole fort de l’histoire de notre pays. Aussi cette partie de notre héritage est-elle à préserver et à transmettre. C’est pourquoi je tiens à insister sur le bon sens dont témoigne cette proposition de loi qui « laisse ouverte » la possibilité de léguer ces drapeaux à d’autres associations d’anciens combattants ou à des établissements scolaires et qui encourage les communes à le faire.

Au-delà de la question du devenir des drapeaux, cette proposition de loi prend en compte la problématique de la protection de notre histoire et vise à adapter notre politique mémorielle, qui s’appuie largement sur les associations d’anciens combattants, de moins de moins nombreuses.

Les sénateurs du groupe La République En Marche voteront en faveur de l’adoption de ce texte de bon sens, qui vient soutenir l’action des communes et des associations qui œuvrent à la sauvegarde et à la transmission de notre mémoire historique. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre rapporteure, Élisabeth Doineau, qui a fourni un travail important sur ce texte avec la commission des affaires sociales, ainsi que notre collègue Françoise Férat, à l’origine de cette proposition de loi.

J’ai été moi-même interpellée à plusieurs reprises par les associations d’anciens combattants exprimant leurs inquiétudes devant la dispersion de leurs drapeaux. Après ceux de la Grande Guerre, les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, d’Afrique du Nord et d’Indochine disparaissent à leur tour. Avec eux, c’est évidemment la mémoire des terribles conflits du XXe siècle qui disparaît, ainsi que les symboles de ces guerres.

À ce titre, les ventes de drapeaux d’associations d’anciens combattants dans les brocantes ou sur internet mettent en péril notre patrimoine mémoriel. Il est donc indispensable d’en finir avec cette marchandisation et cette liquidation des emblèmes des conflits passés.

Même si nous comprenons que l’interdiction de la vente de drapeaux par leurs propriétaires pourrait induire un risque d’atteinte au droit constitutionnel de propriété, nous regrettons que cette interdiction n’ait pas été maintenue, au nom du principe de l’exception culturelle. En effet, le patrimoine mémoriel peut être considéré comme faisant partie du patrimoine culturel.

Les modifications du texte proposées par la commission permettront de limiter, malgré tout, les ventes de drapeaux d’associations d’anciens combattants, en prévoyant au bénéfice de celles-ci une exception au principe de prescription acquisitive. Ainsi, si un particulier possède un drapeau d’une association d’anciens combattants, il pourra lui être demandé à tout moment de le remettre à cette association. Désormais, dès lors qu’un drapeau portera les signes distinctifs d’une association d’anciens combattants, il sera présumé appartenir à cette association, sauf preuve du contraire. Les associations pourront récupérer gratuitement leurs drapeaux qui viendraient à être vendus indûment. C’est une mesure de sécurité indispensable dès lors que la vente des drapeaux demeure autorisée.

Afin de garantir la préservation de notre patrimoine, les drapeaux d’associations dissoutes pourront être transférés à la commune de domiciliation.

La proposition de loi relative à la protection des drapeaux des associations d’anciens combattants va donc renforcer la sauvegarde de notre mémoire. Je profite de l’examen de ce texte pour rappeler au Gouvernement, qui a diminué les crédits alloués à la politique de mémoire de 2,79 millions d’euros en 2019, soit de plus de 20 % par rapport à 2018, que la protection de notre mémoire passe également par l’arrêt des réductions de budgets. Si l’on souhaite prévenir la marchandisation des drapeaux sur les marchés, il faut aussi maintenir les subventions aux associations d’anciens combattants ! Je pense, en particulier, à l’Association républicaine des anciens combattants, l’ARAC, dont l’État a supprimé la subvention d’action sociale de 70 000 euros.

Le libéralisme économique promu par le Président de la République et le Premier ministre est contraire au respect et à la préservation du patrimoine mémoriel. Celui-ci joue pourtant un rôle essentiel pour convaincre les jeunes générations de la nécessité de l’engagement contre la guerre, pour la paix, pour l’amitié et la solidarité entre tous les peuples, seule voie pour construire l’avenir auquel aspirent toutes les femmes et tous les hommes conscients de leur fraternité. Par les temps qui courent, il n’est pas inutile de le rappeler ici…

En conclusion, pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera en faveur de l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret.

Mme Corinne Féret. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, je suis née dans un territoire, le Calvados, riche d’histoire, de moments glorieux et d’autres plus douloureux. Dans mon département, que je représente ici, le rôle des associations d’anciens combattants n’est plus à démontrer, tant il est essentiel. Elles assurent régulièrement les commémorations patriotiques qui rythment la vie de nos communes, de nos villages, et font un travail remarquable auprès des plus jeunes générations, rappelant sans cesse que la liberté dont elles jouissent aujourd’hui est due au sacrifice de beaucoup de leurs aînés.

Tout doit être entrepris pour faire vivre la mémoire combattante. Malheureusement, nos anciens combattants des deuxième et troisième générations du feu s’éteignent progressivement. De fait, les associations représentatives du monde combattant ont tendance à disparaître et, avec elles, leurs drapeaux. Oubliés au fond d’un grenier, parfois vendus par les familles d’anciens combattants, ces drapeaux doivent être mieux protégés, afin que le souvenir qu’ils entretiennent ne s’efface jamais. Rappelons d’ailleurs qu’un porte-drapeau n’est pas le propriétaire du drapeau et qu’il n’a donc pas à décider de l’avenir de cet emblème, et ses proches encore moins.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise est le fruit du large consensus dont le Sénat sait faire preuve sur la question de la mémoire combattante. Elle vise à garantir une protection aux drapeaux appartenant ou ayant appartenu à des associations d’anciens combattants.

Il nous faut en effet protéger ces drapeaux, à la dimension patriotique et symbolique forte ! Je me rappelle très bien, par exemple, l’émotion qui a été la mienne, en juillet 2015, lorsque le drapeau hissé à la libération de Caen, en 1944, s’est mis à flotter de nouveau au vent lors de la cérémonie commémorative. Il avait disparu depuis soixante et onze ans…

La version initiale de la proposition de loi de Mme la sénatrice Françoise Férat posait un certain nombre de difficultés juridiques, notamment parce qu’elle portait atteinte aux droits attachés à la propriété. Il convenait d’y remédier. Dans sa version issue des travaux de la commission des affaires sociales, le texte prévoit désormais le transfert à la commune des drapeaux appartenant à une association d’anciens combattants, en cas de dissolution de celle-ci et à défaut de dispositions statutaires ou de décision de l’assemblée générale organisant leur devenir. Il crée par ailleurs une présomption de propriété lorsqu’un drapeau porte les signes distinctifs d’une association d’anciens combattants. Il permet également à cette dernière, ou sinon à une fédération ou à la commune dans laquelle l’association était domiciliée, d’obtenir qu’un drapeau se trouvant entre les mains d’un particulier lui soit restitué gratuitement.

Enfin, le quatrième alinéa de l’article unique de la proposition de loi rappelle la possibilité, pour une commune qui serait devenue propriétaire d’un drapeau d’association d’anciens combattants, de le confier, par exemple, à un établissement scolaire ou à une autre association représentative du monde combattant, afin d’en assurer la conservation.

Tout cela va dans le bon sens pour la politique mémorielle de la France, sans contrevenir au principe d’indépendance du monde associatif.

Je ne peux terminer mon intervention sans remercier les représentants calvadosiens de l’Union nationale des combattants et de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie, ainsi que le directeur de l’ONAC-VG, que j’ai eu le plaisir d’auditionner dans le cadre des travaux en commission sur cette proposition de loi.

Je tiens également à évoquer, avant de conclure, les commémorations qui se tiendront en juin prochain dans le Calvados. Deux mois, presque jour pour jour, nous séparent aujourd’hui du 6 juin 2019 et de la célébration du souvenir des 150 000 soldats qui ont débarqué en Normandie il y a soixante-quinze ans. Il s’agira sans doute du dernier anniversaire célébré avec cette ampleur en présence de vétérans. Si l’organisation d’une cérémonie internationale en présence notamment de chefs d’État semblait une évidence, c’est plutôt l’incertitude et l’incompréhension qui dominent aujourd’hui localement, le lieu de cette cérémonie n’étant toujours pas connu !

Cette situation est mal vécue par les associations représentatives du monde combattant, par les élus et, plus largement, par la population calvadosienne dans son ensemble, très attachée à ces cérémonies. Il devient urgent qu’une décision soit prise, afin que les différentes parties prenantes puissent s’organiser, et ainsi rendre compte de l’importance de ce qui s’est passé, sur nos plages, pour libérer l’Europe occupée, le 6 juin 1944, et rendre hommage à ceux qui ont combattu et, pour beaucoup, sacrifié leur vie.

Le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, je veux saluer l’initiative de Françoise Férat, auteur de cette proposition de loi relative à la protection des drapeaux des associations d’anciens combattants.

Madame la secrétaire d’État, vous avez souligné que des dispositions législatives existent déjà, mais nous voulons surtout mettre en exergue, au travers de ce texte, la vente de ces drapeaux sur internet, et inviter la représentation nationale et, au-delà, la société, à s’interroger sur leur signification et leur portée symbolique.

Nous formons une nation qui a gagné sa liberté au prix du sang versé. Cela explique l’émotion qui ressort lors de chaque rencontre organisée par des associations du monde combattant. En tant que membre de l’Union nationale des combattants et du Comité du souvenir du général de Gaulle, je participe régulièrement à leurs réunions, et je puis témoigner qu’aucune ne se déroule hors la présence du drapeau tricolore. Le respect envers ceux qui se sont battus pour ce dernier rend ces moments solennels.

C’est donc bien un symbole qui est en jeu, pour notre pays mais également pour nos communes. Ne l’oublions pas, les drapeaux des associations du monde combattant constituent un héritage. Il convient de les préserver.

La discussion de ce texte intervient d’ailleurs à un moment qui est loin d’être anodin, mes chers collègues. Voilà plusieurs mois, nous commémorions le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Chacun de nous, dans son territoire, a pu voir des citoyens, jeunes et moins jeunes, rassemblés en masse pour rendre hommage à nos héros engagés sur le front pour repousser l’ennemi et pour que la bannière de notre pays continue de flotter. Beaucoup ont même donné leur vie pour la liberté, pour la fraternité de notre peuple. À travers ces cérémonies, locales et nationales, nous mettons en avant leur engagement, mais aussi celui de ces femmes faisant vivre leur famille et jouant un rôle indispensable dans les campagnes, les hôpitaux, sans oublier l’économie du pays.

C’est bien leur courage qui rayonne à travers ces drapeaux ! Mais, permettez-moi de le souligner, en cette période de conflits et de tensions, le texte soumis à nos débats revêt une tout autre dimension. Certains, il faut le dire, s’en prennent sans vergogne aux symboles de la République, à nos forces de l’ordre, d’autres brûlent des véhicules de la force Sentinelle ou dégradent des lieux historiques. Je pense notamment à l’Arc de Triomphe, qui, érigé au lendemain de la bataille d’Austerlitz, manifeste aux peuples du monde entier les victoires de l’armée française. Pourtant, quelle fierté de voir là aussi ce grand drapeau voler avec liberté lors des cérémonies officielles !

En ces temps troublés, il est urgent de revenir aux fondamentaux et de rappeler l’importance de ce travail de mémoire pour nos combattants d’hier et d’aujourd’hui. Oui, c’est bien l’esprit du souvenir qui doit ranimer notre société, ce même esprit qui a fait naître ces associations que nous défendons par le biais de ce texte. Leur vocation était de passer le témoin aux générations suivantes et de rappeler que la liberté se gagne au prix le plus fort.

Ce travail de mémoire doit être préservé, dans ses actions mais aussi dans ses symboles. Tel est bien l’objet de cette proposition de loi.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le monde combattant comptait près de 10 000 associations. Elles sont intimement liées à l’histoire de leur commune. Encore aujourd’hui, des porte-drapeaux se mobilisent pour perpétuer avec fierté ce message de l’histoire. Sentinelles de la mémoire, ils incarnent un idéal. Leur mission n’est pas n’importe laquelle : elle est de rendre hommage, au nom de la Nation française, aux combattants et aux disparus. Ils font un travail remarquable ; je veux les en remercier.

Contrairement à ce que l’on peut parfois entendre dire, ils ne sont pas nécessairement âgés. Je pourrais vous citer des exemples de jeunes fiers de reprendre le flambeau. Je le disais à l’instant, c’est une émotion, mais aussi une fierté.

Ce drapeau a perduré malgré les épreuves et il continuera à flotter en dépit des vents et des tempêtes de l’histoire. Cependant, il est regrettable de devoir constater la disparition d’objets liés à ces associations, comme le rappelait notre collègue rapporteure Élisabeth Doineau. Moralement, cela suscite une inquiétude. Mes chers collègues, il nous faut être attentifs à cette situation : un drapeau, ce n’est pas n’importe quel symbole, ce n’est pas n’importe quel bien ; c’est l’âme d’une nation, ce sont les couleurs d’un peuple, c’est le témoin de notre histoire commune. En se battant pour la patrie, des hommes l’ont brandi avec fierté.

Par conséquent, nous devions nous pencher sur les cas de revente de drapeaux d’associations d’anciens combattants. L’histoire ne se monnaie pas. Il nous appartient, en tant que législateur, d’y veiller. Tel est l’objectif atteint au travers de cette proposition de loi. Ainsi, grâce à l’adoption de ce texte, le drapeau qui portera les signes distinctifs d’une association d’anciens combattants sera présumé lui appartenir.

Par ailleurs, l’association originellement propriétaire d’un drapeau vendu dans une foire, sur un marché ou à l’occasion d’une vente publique, voire sur internet, la fédération d’associations à laquelle elle appartenait ou, à défaut, la commune dans laquelle elle était domiciliée, pourra se le faire rendre à titre gratuit.

Ce sont des dispositions importantes, qui visent à protéger les associations et à les valoriser dans leur action.

En outre, ce texte n’oublie pas les communes. Ainsi, en cas de dissolution d’une telle association, à défaut de dispositions statutaires ou de décision de l’assemblée générale ad hoc, ses biens seront transférés gratuitement à la commune de domiciliation. Celle-ci pourra d’ailleurs confier les drapeaux à un établissement scolaire ou à une autre association d’anciens combattants, le but étant à la fois d’assurer leur conservation et de perpétuer la transmission de la mémoire.

Le groupe Union Centriste votera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche. – Mme Corinne Féret applaudit également.)