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Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection des drapeaux des associations d'anciens combattants
Discussion générale (suite)

Drapeaux des associations d’anciens combattants

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection des drapeaux des associations d'anciens combattants
Article unique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative à l’interdiction de la vente des drapeaux des associations d’anciens combattants et à leur protection, présentée par Mme Françoise Férat et plusieurs de ses collègues (proposition n° 331, texte de la commission n° 389, rapport n° 388).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Férat, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)

Mme Françoise Férat, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous avons terminé l’année 2018 par des célébrations en l’honneur des soldats tombés pour la France et des millions de morts causés par la Première Guerre mondiale.

Le Président de la République a effectué une itinérance mémorielle dans les départements de l’Est et du Nord, qui ont payé un lourd tribut au cours de la Grande Guerre. Des honneurs ont été rendus aux combattants, tant aux quatre coins de notre pays que chez nos amis étrangers ; de nombreux pays avaient envoyé leurs enfants combattre aux côtés des Français lors de la guerre de 14-18.

Mon département, la Marne, situé au centre des conflits armés des deux guerres mondiales, était, bien entendu, au cœur des commémorations depuis quatre ans déjà. Les pouvoirs publics, les établissements scolaires, les collectivités locales, les associations culturelles ou celles des anciens combattants se sont mobilisés pour le centenaire de la fin de la Grande Guerre, au travers de cérémonies commémoratives, de spectacles, de lectures, de débats ou de chorales.

Les médias français se sont mobilisés pour rendre compte de l’indispensable travail mémoriel. Ceux du monde entier se sont massivement déplacés pour assister aux vibrantes cérémonies du 11 novembre 2018.

Hymnes nationaux scandés par les enfants, reconstitutions historiques en tenues militaires des différents pays, défilés patriotiques guidés par la fanfare… et les porte-drapeaux ! Une cérémonie commémorative n’aurait pas la même portée symbolique sans les trois couleurs hissées aux bras des anciens combattants et des bénévoles animés par le devoir de mémoire.

Chacun d’entre nous salue ces hommes, ces femmes qui arpentent les rues de nos villages et de nos villes, souvent plusieurs fois dans la journée, sous la pluie, le vent, la neige ou la canicule pour un périple historique, solennel, en hommage aux morts pour la France.

Chaque drapeau tricolore siglé de l’acronyme d’une association reflète une part de l’histoire de France. Chaque pavillon bleu-blanc-rouge évoque fièrement les épreuves dures et intenses traversées par notre pays : 14-18, 39-45, Algérie, Indochine, Afghanistan, Mali… Je ne pourrai malheureusement toutes les citer, cette liste n’ayant, hélas, pas de fin. Ces drapeaux colorent nos défilés et font la fierté des enfants qui assistent aux cérémonies. Les porte-drapeaux et leurs étendards manifestent fièrement l’hommage rendu par la Nation aux femmes et aux hommes tombés au combat.

La proposition de loi que je vous soumets évoque aussi la fierté, celle de faire partie de la même patrie, de se souvenir de ces valeureux jeunes enrôlés dans la défense de la liberté de leur pays et des valeurs auxquelles ils croyaient. « Le monde combattant a des droits sur nous », déclarait Georges Clemenceau, président du Conseil, le 20 novembre 1917 devant la Chambre des députés ; ce texte a vocation à réaffirmer ces droits et à poursuivre le devoir de mémoire.

En effet, les porte-drapeaux et les responsables des associations vieillissant, les sections locales disparaissent progressivement. La plupart des drapeaux trouvent refuge dans une autre association, entre les mains d’un autre bénévole perpétuant la mémoire au pied du monument aux morts et des stèles commémoratives, mais certains d’entre eux se retrouvent malheureusement dans des brocantes ou en vente sur des sites en ligne.

L’alerte m’a été donnée par des anciens combattants, lors d’assemblées générales de sections locales ; certains d’entre vous ont fait le même constat dans leur département, et me l’ont rapporté. Les organismes représentatifs des anciens combattants et du souvenir m’ont relaté des faits similaires dans toute la France ; ils se trouvent démunis face à ces situations.

Un drapeau tricolore est un objet commun que l’on peut acheter très simplement dans des magasins spécialisés ou sur internet ; tant mieux pour le patriotisme ! En revanche, un drapeau d’une association d’anciens combattants n’est pas un bien quelconque ; il est porteur de symboles, de valeurs, de respect pour nos aînés et l’histoire de France, ainsi que d’une forte empreinte historique et, bien souvent, sentimentale.

Je remercie les plus de cinquante cosignataires du texte, siégeant dans différents groupes politiques, d’avoir contribué à l’émergence de cette discussion aujourd’hui. Leur large soutien va, sans conteste, droit au cœur des bénévoles et des porte-drapeaux. Des courriers de remerciement m’ont ainsi été adressés dès l’enregistrement de la proposition de loi à la présidence, en février 2018. Cela montre aux soldats et aux victimes que nous ne les oublions pas.

J’ai voulu simplement retranscrire, au travers de ce texte, notre volonté de protéger les drapeaux des associations d’anciens combattants, qui sont une part de notre patrimoine commun.

La commission des affaires sociales, dont je salue le travail, notamment celui de la rapporteure, Élisabeth Doineau, a pris mes intentions en compte et consulté largement, au travers de ses auditions, les acteurs de la mémoire et du souvenir.

Nous avons reformulé une partie du texte pour lever les doutes juridiques et garantir dans le temps la force de cette protection. Les membres de la commission présidée par Alain Milon ont entendu les arguments de la rapporteure et ont adopté, à l’unanimité, les modifications que nous nous étions attelées à parfaire conjointement, dans l’intérêt de la sauvegarde des emblèmes mémoriels.

Chers collègues, il vous est proposé de considérer que le drapeau est un bien collectif, qui doit demeurer visible du grand public. Il ne doit pas être oublié dans un grenier ; il ne doit pas être mis aux enchères sur les sites de vente en ligne ; il ne doit pas être un vulgaire souvenir. Il est dans la mémoire collective ; il est notre patrimoine national !

Ainsi, il est proposé d’inscrire dans le droit qu’un drapeau portant les signes distinctifs d’une association d’anciens combattants est présumé, sauf preuve du contraire, appartenir à cette association. La prescription acquisitive ne pourrait ainsi plus être évoquée par la personne qui, ayant acquis d’une manière ou d’une autre un drapeau identifié comme appartenant à une association d’anciens combattants, revendiquerait en être le propriétaire légitime.

Les associations pourraient par ailleurs obtenir gratuitement la restitution d’un drapeau leur appartenant qui aurait été vendu à l’occasion d’une brocante ou sur internet.

La solution proposée préserve par ailleurs la capacité qu’ont les associations d’anciens combattants de disposer librement de leurs biens.

Enfin, en cas de dissolution d’une association d’anciens combattants, à moins que ses statuts ou son assemblée générale ne prévoient autre chose, il semble pertinent que ses biens – non seulement ses drapeaux, mais aussi, par exemple, ses archives – soient transférés à la commune de domiciliation. Celle-ci pourra les confier à des établissements scolaires, mais également à des musées ou à des fondations dont l’objet est la transmission de la mémoire, ou à toute autre structure qu’elle jugerait apte à perpétuer le travail mémoriel.

Pour information, sachez que, lors de l’année scolaire 2017-2018, plus de 300 projets, portés par autant d’établissements scolaires, ont reçu le label « Centenaire » de la part de la mission du Centenaire ; cela témoigne de l’implication des jeunes et de leurs enseignants pour faire vivre le souvenir de la Grande Guerre. Le devoir de mémoire doit notamment passer par les jeunes générations. Il faut que ces drapeaux soient des outils pédagogiques pour l’apprentissage de la citoyenneté.

Comme cela a déjà pu être expérimenté dans des lycées ou des écoles, un accord pourra être signé avec la mairie. Ainsi, le drapeau « reprendra vie » et pourra être porté par une classe, par exemple lors des cérémonies du 11 novembre ou du 8 mai.

Le Sénat, représentant des collectivités locales, fait évidemment confiance aux communes pour organiser la transmission du souvenir au travers des drapeaux. La rédaction que je vous propose accorde une pleine latitude d’action aux élus.

Madame la secrétaire d’État, la proposition de loi que je présente aujourd’hui repose sur des faits constatés par des anciens combattants, dont certains m’ont demandé comment agir, comment lutter contre cette dilapidation patrimoniale. Les organismes représentatifs que j’ai sollicités se trouvaient également démunis face à ce vide juridique.

Il est heureux qu’un groupe de travail soit réuni par le ministère pour traiter des questions relatives aux objets militaires et de guerre dans leur ensemble. Des constats de revente ou de tentative de revente de plaques funéraires de combattants se sont fait jour au cours des dernières semaines. Je suis ravie que ma proposition de loi, en gestation depuis 2017, inspire au-delà des travées du Sénat…

Il reste à faire, madame la secrétaire d’État ; commençons par la protection des drapeaux. Comment pourrions-nous évoquer la mémoire de nos grands-pères, tout en sachant que le drapeau qu’ils ont si fièrement porté se retrouve en vente sur internet ? Ces drapeaux sont les témoins du passé ; ils nous permettent de mesurer le prix de la liberté. Des hommes ont été tués, mutilés, blessés, choqués à vie en défendant notre liberté ou celle d’autres peuples. Mes chers collègues, rendons hommage à nos anciens ! Défendons leurs drapeaux ! Adoptons ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Férat et visant à protéger les drapeaux des associations d’anciens combattants. Elle a été cosignée par un grand nombre de collègues de différents groupes, signe du consensus qui règne au Sénat sur la question de la mémoire, s’agissant en particulier de la mémoire combattante.

Alors que la première génération du feu, celle de la Première Guerre mondiale, a disparu, et que s’éteignent progressivement les anciens combattants de la deuxième génération, et même ceux de la troisième, qui ont combattu durant la Seconde Guerre mondiale, en Indochine ou en Afrique du Nord, la question de la transmission de la mémoire aux jeunes générations apparaît plus que jamais d’actualité.

Chacun ici le sait pour le vivre sur son territoire : les associations d’anciens combattants jouent un rôle essentiel dans la politique mémorielle en assurant régulièrement les commémorations patriotiques qui rythment la vie de nos communes.

Compte tenu de l’âge de leurs membres, ces associations ont malheureusement tendance à disparaître. Il arrive donc que leurs drapeaux soient oubliés, délaissés dans une cave ou un grenier. Il arrive également qu’ils soient mis en vente, par exemple par les héritiers d’un ancien combattant, d’un porte-drapeau, que ce soit sur internet ou lors de vide-greniers ou de brocantes, ce qui peut évidemment choquer.

Le drapeau tricolore, que l’article 2 de la Constitution érige en emblème national, fait, depuis une date relativement récente, l’objet d’une protection juridique. L’outrage au drapeau constitue ainsi, selon les circonstances dans lesquelles il est commis, une contravention ou un délit, dont la punition peut aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement. Toutefois, cette protection concerne le symbole que le drapeau représente et non l’objet lui-même, qui est, du point de vue du droit, un bien matériel privé.

Malgré leur dimension patriotique et symbolique, les drapeaux appartenant ou ayant appartenu à des associations d’anciens combattants ne font pas exception. Au demeurant, ils sont librement acquis dans le commerce par ces associations.

Par ailleurs, les acheteurs de ces drapeaux ne sont pas nécessairement mal intentionnés. Il s’agit souvent de collectionneurs passionnés d’histoire qui entendent traiter ces objets avec respect.

Pour autant, aux yeux de certains de nos compatriotes, assimiler les drapeaux d’associations d’anciens combattants à des antiquités ordinaires conduit à nier leur dimension symbolique. Alors que le souvenir des grands conflits du passé tend à s’estomper, le commerce de ces drapeaux est légitimement mal vécu par les anciens combattants, qui y voient un manque de considération de la société pour les services qu’ils ont rendus à la Nation et qui craignent que le souvenir qu’ils entretiennent au moyen de ces drapeaux ne s’efface.

Devant ce constat, l’auteur de la proposition de loi a souhaité garantir une protection des drapeaux appartenant ou ayant appartenu à des associations d’anciens combattants. Cet objectif est partagé par la commission des affaires sociales, qui a toutefois, sur ma proposition, amendé le texte initial afin de lever des difficultés juridiques qu’il posait, notamment pour écarter tout risque d’atteinte au droit constitutionnel de la propriété privée.

Dans sa rédaction issue des travaux de la commission, la proposition de loi aménage le régime juridique de la prescription acquisitive, qui permet à un particulier de devenir légalement propriétaire d’un bien se trouvant en sa possession depuis un certain temps. Cette prescription ne serait ainsi plus applicable aux drapeaux appartenant à des associations d’anciens combattants, qui seraient présumés être la propriété de l’association dont ils portent les insignes, quand bien même ils auraient passé plusieurs années dans un grenier.

En outre, une association pourrait obtenir gratuitement la restitution d’un drapeau lui appartenant qui aurait été indûment vendu sur un marché, sans avoir à rembourser l’acquéreur.

Ces exceptions au droit commun sont apparues justifiées à la commission des affaires sociales, eu égard au caractère symbolique et patriotique des drapeaux en question et à la nécessité d’éviter que la disparition de nombreuses associations n’entraîne leur dispersion.

Cette mesure devra s’accompagner d’une réflexion approfondie sur la perpétuation de la mémoire combattante, et je sais, madame la secrétaire d’État, que vous avez pris l’initiative de former un groupe de travail sur cette thématique.

Voilà un peu moins d’un an, le Sénat examinait une proposition de loi relative à l’attribution de la carte du combattant aux soldats ayant servi en Algérie entre 1962 et 1964. Cette proposition de loi a été, pour le Gouvernement, l’occasion d’annoncer sur ce point précis une avancée depuis longtemps attendue par le monde combattant. Je forme donc le vœu qu’une fois encore l’initiative du Sénat joue un rôle d’aiguillon pour l’action gouvernementale.

La commission des affaires sociales ayant adopté cette proposition de loi à l’unanimité, j’ose espérer qu’un même consensus émergera dans l’hémicycle cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des armées. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, bleu, blanc, rouge : ces trois couleurs nous parlent de notre histoire ; elles nous disent une part de notre héritage.

Ces trois couleurs, nous y sommes tous, j’en suis persuadée, profondément attachés. Au fronton de nos mairies, de nos bâtiments officiels, au balcon de certains particuliers, dans la liesse populaire comme dans les heures de drame, ce drapeau est notre symbole de ralliement.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, « le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie » : c’est ce que disait en 1848 Alphonse de Lamartine, le grand poète national et républicain. Cela est toujours valable aujourd’hui.

Sous ce drapeau, des femmes et des hommes ont porté l’uniforme, ont affronté le feu et sont morts pour la France. Ils l’ont fait en 1914, en 1940, en Indochine, en Algérie, dans nos opérations extérieures. Nos soldats le font encore avec dévouement et courage au Levant, au Sahel et dans d’autres endroits du monde.

En cette occasion, je veux saluer la mémoire du médecin-capitaine Marc Laycuras, mort pour la France ce mardi au cours de l’opération Barkhane.

Les drapeaux d’associations combattantes et patriotiques sont des symboles importants. Nous y sommes tous attachés ; nous sommes tous des défenseurs actifs de la mémoire de toutes les générations du feu.

C’est cet attachement qui nous réunit aujourd’hui. C’est l’estime et l’admiration que nous portons au monde combattant, aux femmes et aux hommes qui ont servi et qui servent notre pays, qui nous rassemblent.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie du fond du cœur de votre intérêt pour les questions liées au monde combattant et à ses associations. Je loue votre souci de préservation de la mémoire et de mise en valeur des drapeaux associatifs.

Ces femmes et ces hommes, nous les rencontrons dans nos territoires, nous participons à leurs réunions, nous partageons avec eux des moments d’unité lors des commémorations et des journées nationales. Les porte-drapeaux y occupent une place singulière. Au sens propre, ils portent la Nation. Je les en remercie chaque fois que je les rencontre.

Ils sont de toutes les générations. En novembre dernier, dans les Ardennes, lors des commémorations du centenaire de l’armistice de 1918, j’ai rencontré un jeune écolier qui tenait son rang parmi les porte-drapeaux. J’ai eu le plaisir de lui remettre symboliquement, au nom du ministère des armées, son drapeau tricolore et, tout simplement, de le remercier. C’est un exemple que je voulais mettre en valeur, car je crois qu’il faut être optimiste et convaincu que la transmission et la perpétuation de la mémoire combattante sont déjà sur de bons rails.

Oui, le monde combattant évolue et se transforme. Oui, le nombre de ressortissants de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC-VG, diminue. Cette baisse démographique est naturelle. Ainsi, la disparition des deuxième et troisième générations du feu d’ici à quelques années aura pour conséquence la disparition d’associations d’anciens combattants. Nous nous y préparons.

Cette proposition de loi pose de bonnes questions, et c’est pour cette raison que j’ai étudié attentivement son dispositif avec mes services.

Pour autant, disons-le de façon simple et franche, certaines réponses proposées me paraissent superfétatoires, de nombreuses problématiques abordées étant d’ores et déjà traitées par des textes et des règlements en vigueur. Souvent, le droit comme la pratique actuelle permettent de répondre à ces situations.

À titre d’exemple, le cas envisagé au premier alinéa de la rédaction proposée pour l’article L. 351-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, qui vise les biens des associations, et pas seulement leurs drapeaux, ne devrait pas se produire. En effet, en l’absence de précision sur la dévolution des biens dans les statuts de l’association, l’assemblée générale décidant la dissolution doit statuer sur ce point. Si tel n’est pas le cas, le décret du 16 août 1901 pris pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 prévoit la nomination d’un curateur chargé de convoquer ladite assemblée générale. Si cela s’avère impossible, parce que l’association ne compte plus aucun membre, la loi dispose que les biens sont remis à la commune de résidence de l’association.

Aujourd’hui, si un drapeau, propriété d’une association, est trouvé entre les mains d’une autre personne, la loi dispose que l’association peut légitimement revendiquer le drapeau dans un délai de trois ans. Je note que le paragraphe III de la rédaction proposée pour l’article L. 351-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre prévoit plusieurs dérogations inédites au code civil. En outre, certaines dispositions entraîneraient, pour les possesseurs d’un tel drapeau l’ayant acquis légalement et de bonne foi, un préjudice qui ne semble justifié par aucun motif d’intérêt général. La frontière est mince avec la privation pure et simple du droit de propriété sans indemnité, contraire à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ainsi, ce paragraphe III apparaît, dans son ensemble, contraire à la Constitution.

Les associations que j’ai réunies au sein d’un groupe de travail se penchent actuellement sur la question du patrimoine des associations. Nous les avons consultées cet après-midi encore ; peut-être ne rencontrons-nous pas les mêmes personnes que vous, mais les représentants nationaux des grandes associations patriotiques nous ont confirmé qu’ils ne souhaitaient pas ce dispositif, le jugeant inutile et contraignant.

En effet, certaines associations ont déjà mis en place des dispositifs internes, qu’elles estiment efficaces et suffisants. Ainsi, le retour des drapeaux des sections à l’association nationale est une pratique courante. Par ailleurs, je remarque que nombre de communes et d’associations confient déjà des drapeaux associatifs à des établissements scolaires. Je citerai tout particulièrement, à cet égard, le Souvenir français, qui fait un travail formidable auprès des écoles.

Enfin, je signale que ces drapeaux associatifs ne sont pas des biens publics, contrairement aux drapeaux des unités combattantes. Il s’agit seulement de biens associatifs, ce qui ne veut pas dire, bien entendu, qu’ils n’ont pas de valeur, mais il n’est pas du rôle de l’ONAC-VG d’en tenir un inventaire.

Je le répète, de nombreuses communes conservent déjà ces drapeaux. Elles le font volontairement, avec engagement et patriotisme. Je crois que nous pouvons ici les saluer. Toutefois, nous le savons, de petites communes n’auront parfois ni la capacité ni la volonté d’entretenir les drapeaux qui pourraient leur être confiés. Nous devons y être attentifs, afin de pouvoir mener des actions préventives auprès des associations pour qu’elles remettent leurs drapeaux soit à des fédérations nationales, soit à d’autres associations bien vivantes, comme le Souvenir français.

Parce que la question de l’avenir et de la pérennité du monde combattant est majeure, le groupe de travail que j’évoquais à l’instant est complètement mobilisé sur cette question. Nous y travaillons en parfaite concertation avec les associations, à leur demande d’ailleurs, car elles sont bien conscientes que leur avenir pourrait être difficile. Le champ du questionnement excède largement le seul problème du drapeau : il inclut aussi les archives, les biens immobiliers, les participations financières. Les conclusions du groupe de travail me seront rendues avant l’été. Je les partagerai bien sûr avec vous, souhaitant travailler en collaboration avec les assemblées, qui manifestent toujours un grand intérêt pour le monde combattant.

En conclusion, l’intention des auteurs de cette proposition de loi est tout à fait louable. Je la comprends parfaitement. Madame Férat, je vous remercie d’avoir élaboré ce texte, après avoir été alertée par certaines personnalités du monde combattant, mais, je le répète, il est déjà satisfait par le droit en vigueur.

Pour cette raison, je ne puis donner un avis favorable à cette proposition de loi au nom du Gouvernement, mais je m’en remets à la sagesse du Sénat. Je vous remercie très sincèrement, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de votre attachement au monde combattant et à la préservation active de la mémoire de notre pays. Cette mémoire doit rester bien vivante, et je sais votre souci de sa transmission aux jeunes générations. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, faut-il rappeler ici, au Sénat, combien les associations d’anciens combattants sont un vecteur essentiel de la transmission de la mémoire collective ? Nous sommes nombreux à les côtoyer régulièrement sur le terrain, en tant qu’élus locaux. Nous connaissons la qualité et la vitalité de leur engagement pour relayer cette mémoire combattante qui nous est si chère.

Que ce soit lors des commémorations qui jalonnent le calendrier national ou lors de leurs assemblées générales, les associations d’anciens combattants honorent toujours, par leur présence encore active, nombre de villages et de villes de France.

Le jour viendra où le dernier combattant de la Seconde Guerre mondiale, puis celui de la troisième génération du feu, s’éteindront. Le dernier Poilu nous a quittés en 2008. Selon la dernière prospective sur l’évolution du nombre de ressortissants de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, les anciens combattants auront perdu plus du tiers de leur effectif entre 2013 et 2023. Dans ces conditions, on le sait, nous assistons à l’extinction progressive de la majorité des associations d’anciens combattants qui s’étaient constituées au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Aujourd’hui, au travers de cette proposition de loi, il est avant tout question de la seule protection des drapeaux, la dissolution ou la fusion d’une association affectant parfois le sort des étendards jusqu’alors arborés fièrement par les porte-drapeaux qui avaient le privilège d’exercer cette fonction honorifique.

La dimension symbolique des drapeaux d’associations d’anciens combattants, que chacun d’entre nous mesure bien, mérite une attention toute particulière. À cet égard, je salue l’initiative de notre collègue Françoise Férat, qui s’est faite, si j’ose dire, la porte-voix de cette cause qui fait consensus.

En effet, il est choquant de retrouver les drapeaux d’associations d’anciens combattants sur les étals des brocantes et des vide-greniers ou sur les sites de vente en ligne.

Si l’on peut comprendre l’intérêt d’un public passionné pour ces drapeaux distingués, leur fin mercantile est mal vécue au regard des sacrifices que reflète symboliquement notre emblème national. La charge historique et émotionnelle que véhiculent ces drapeaux impose d’assurer une protection que le droit actuel ne permet pas suffisamment. L’auteur de la proposition de loi l’a très justement rappelé.

Le texte initial prévoyait un dispositif unique pour, d’une part, organiser la restitution des drapeaux d’associations d’anciens combattants, et, d’autre part, en interdire la vente. La commission, sous l’impulsion pertinente de Mme la rapporteure, l’a récrit afin de contourner les difficultés liées au droit de propriété garanti par la Constitution, en proposant notamment une exception à la prescription acquisitive pour les drapeaux portant les signes distinctifs d’une association.

Madame la rapporteure, le RDSE approuve, bien entendu, le texte issu des travaux de la commission, qui respecte l’intention initiale des auteurs de la proposition de loi, à savoir la protection des drapeaux, ainsi que leur restitution aux associations, aux communes ou aux écoles.

Pour ma part, je proposerai un amendement, soutenu par mon groupe, visant à mentionner clairement les musées comme des destinataires éventuels de ces drapeaux. Ils sauront eux aussi les valoriser au profit de la mémoire nationale.

« Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates comme on allume des flambeaux », écrivait Victor Hugo en 1948. Avec modestie et toutes proportions gardées, j’ajouterai qu’il faut continuer de sortir les drapeaux, car ils ne sont pas seulement le témoignage d’un passé révolu ; ils sont aussi le rappel des valeurs de fraternité et de solidarité dont nos sociétés ont toujours grandement besoin.

Dans un contexte où le service militaire n’existe plus, où le rapport au temps a changé pour plus d’immédiateté, où d’autres mémoires, tout aussi légitimes, émergent, il n’est pas facile de perpétuer la mémoire combattante auprès des jeunes. Si elle est éternellement gravée dans le marbre des monuments aux morts ou des mémoriaux, il faut aussi s’employer à la rendre vivante, pour que les anciens combattants ne soient pas uniquement un souvenir d’hier, mais aussi le symbole de notre liberté d’aujourd’hui.

Il est par conséquent important de soutenir toutes les démarches qui apportent une pierre supplémentaire à la politique de mémoire que mènent au quotidien l’État, les collectivités locales et leurs élus, ainsi que les associations.

J’ai, à cet instant, une pensée affectueuse pour Gianni, porte-drapeau de 7 ans, à qui j’ai offert dernièrement un drapeau. Le RDSE votera avec force et conviction cette proposition de loi qui contribue à l’entretien de la mémoire combattante et qui instaure le respect de tous les drapeaux qui la représentent. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)