M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 5 est présenté par M. Adnot.

L’amendement n° 52 rectifié est présenté par MM. Collin, Gabouty, Requier, Roux, Arnell, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin, Jouve et Laborde et M. Vall.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 20

Remplacer les mots :

de l’année civile

par les mots :

des trois dernières années civiles

L’amendement n° 5 n’est pas soutenu.

La parole est à M. Yvon Collin, pour présenter l’amendement n° 52 rectifié.

M. Yvon Collin. L’article 1er définit comme redevables de la taxe sur les services numériques les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Cette taxe devrait s’appliquer dès 2019, donc sur le chiffre d’affaires réalisé en 2018. Cela ne tient pas compte – et cet amendement est du même esprit que les précédents – d’une caractéristique importante du secteur, à savoir la présence de sociétés jeunes est en forte croissance. Par ailleurs, comme la taxe est assise sur le chiffre d’affaires, elle s’appliquerait donc aussi aux sociétés réalisant peu ou pas de bénéfices, ce qui représente à l’évidence un risque pour leur pérennité.

Le double critère de 750 millions et de 25 millions d’euros crée un effet de seuil potentiellement dommageable aux start-up en particulier. C’est pourquoi nous proposons d’atténuer cet effet en considérant comme redevables de la TSN les sociétés dont le chiffre d’affaires aurait dépassé ces seuils au minimum au cours des trois années consécutives, ce qui permettrait à la fois de préserver leur croissance et de leur donner le temps d’accéder à une certaine profitabilité.

Bien sûr, cette modification ne bénéficierait pas aux gros acteurs, qui dépassent déjà de longue date ces seuils. C’est la même logique qui prévaut dans la loi Pacte, en vertu de laquelle le franchissement des seuils sociaux sera pris en compte après cinq années consécutives.

M. le président. L’amendement n° 53 rectifié, présenté par MM. Collin, Gabouty, Requier, Roux, Arnell, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin, Jouve et Laborde et M. Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 20

Remplacer les mots :

de l’année civile

par les mots :

des deux dernières années civiles

La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Cet amendement, un peu plus restrictif, tend à prendre en compte les deux années civiles. Si l’idée de limiter l’effet de seuil est la même, le Gouvernement pourrait être néanmoins plus enclin à accepter cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Carcenac, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mme G. Jourda, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 20

Remplacer les mots :

les deux

par les mots :

l’un des deux

La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. Notre amendement vise à donner plus de substance à une taxe dont nous approuvons le principe, mais qui reste extrêmement limitée, ne serait-ce que par son taux de 3 % sur les recettes générées par les services numériques offerts aux utilisateurs localisés en France. Aussi, nous proposons de supprimer la double condition de seuil prévue – chiffre d’affaires mondial et chiffre d’affaires réalisé en France – par une seule condition de seuil pour rendre la taxe applicable.

Il s’agit aussi de limiter les effets que ce double seuil entraîne au détriment de l’équité entre les différentes entreprises concernées.

M. le président. L’amendement n° 12, présenté par MM. Lurel et Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 21

Remplacer le nombre :

750

par le nombre :

500

La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Le présent amendement vise à abaisser d’un tiers le seuil international déclenchant la redevabilité de la taxe. En effet, 750 millions d’euros, cela apparaît comme un montant assez élevé, qui limite son rendement.

L’étude du cabinet Taj indique que seules vingt-sept entreprises atteindraient le double seuil, le Gouvernement indiquant lui une trentaine d’entreprises.

Concrètement, cela générera une différence de traitement forte entre les acteurs du secteur.

M. le président. L’amendement n° 13, présenté par M. Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 22

Remplacer le nombre :

25

par le nombre :

15

La parole est à M. Thierry Carcenac.

M. Thierry Carcenac. L’objet du présent amendement est d’abaisser le seuil national déclenchant la redevabilité de la taxe sur les services numériques à 15 millions d’euros. Ce montant serait-il plus illégitime, pour reprendre le terme de l’une de vos réponses devant l’Assemblée nationale, monsieur le ministre ? En effet, 25 millions d’euros, cela apparaît être un montant assez élevé, qui limite le rendement de la taxe, comme nous l’avons indiqué en présentant le précédent amendement du groupe socialiste et républicain.

Cela crée une différence de traitement forte entre les acteurs du secteur, qui ne nous apparaît pas opportune et qui pourrait même se révéler contre-productive.

Le présent amendement vise donc à abaisser d’environ 40 % le seuil national en question.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances. Comme le ministre l’a rappelé, ce projet de loi est directement issu d’un projet européen.

En mai 2018, le Sénat avait adopté une résolution européenne – approuvée par tous, me semble-t-il – relative à cette taxe sur les services numériques. De fait, ces différents amendements visent soit à en modifier le contour, soit à modifier les seuils de redevabilité.

La commission a préféré, par cohérence, s’en tenir au projet européen, quand bien même celui-ci n’a pas abouti, à savoir 750 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial et un champ limité à la valeur créée par les utilisateurs français – le seuil de 25 millions d’euros, cumulatif, diffère quant à lui du projet européen.

La question de l’équité entre le commerce physique et le commerce en ligne n’est pas réglée par ce texte de loi, et c’est là un vrai sujet – pour le coup, je suis d’accord avec le Gouvernement. C’est un problème extrêmement complexe, qui dépasse les seuls impôts nationaux et peut concerner tout aussi bien des impôts locaux, comme la Tascom. Cette dernière frappe aujourd’hui les commerces physiques, mais non les entrepôts, y compris ceux du e-commerce, ni même le e-commerce.

Ce sujet est d’autant plus complexe que le modèle n’est pas unique : certaines enseignes pratiquent aussi bien la vente directe sur place que la vente en ligne ou des modèles mixtes, à savoir vente en ligne et retrait en magasin. Dans ce dernier cas, par exemple, il devient très difficile de définir les périmètres.

Cette question mériterait une approche beaucoup plus globale. Frapper également la vente en ligne, comme le suggèrent les auteurs des premiers amendements, pourrait emporter des conséquences extrêmement importantes pour des enseignes que nous connaissons bien et dont certaines ont su prendre le virage du numérique, ou sont en train de le prendre. Toutes les grandes enseignes réfléchissent à la façon d’assurer à la fois une présence physique sur l’ensemble du territoire et une présence numérique forte.

Pour ces raisons, la commission est défavorable à l’amendement n° 37 rectifié, qui vise à élargir l’assiette de la taxe aux services de vente en ligne. Encore une fois, il s’agit d’un sujet important, mais hors du champ de cette taxe, dont nous devons nous efforcer de garder la cohérence.

La commission est également défavorable à l’amendement n° 27, qui nous semble déjà satisfait : les communications électroniques entrent bien dans le champ de la taxe. Il ne s’agit pas uniquement des communications effectuées via une tablette ou un ordinateur, mais aussi par téléphone.

De même, la commission est défavorable à l’amendement n° 29, qui vise à introduire un critère d’établissement stable. Si nous essayons d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires, ce qui n’est pas forcément le plus satisfaisant, c’est justement parce que nous ne parvenons pas à déterminer ce que serait un établissement stable. Introduire de nouveau cette notion nous semblerait contre-productif.

L’amendement n° 2 rectifié vise à modifier le seuil du chiffre d’affaires en retenant une moyenne sur trois ans. Ce dispositif nous semble incompatible avec celui que nous avons adopté voilà quelques instants, qui limite la taxe pour trois ans : par définition, on ne peut connaître de manière rétroactive le chiffre d’affaires. La taxe serait donc inopérante, raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.

La commission est également défavorable à l’amendement n° 52 rectifié, quasiment identique au précédent.

L’amendement n° 53 rectifié reprend le même dispositif, mais sur deux ans. Pour les mêmes raisons, la commission y est défavorable.

L’amendement n° 11 tend à supprimer le caractère cumulatif des deux seuils de 750 millions d’euros et de 25 millions d’euros, ce qui reviendrait à frapper énormément d’entreprises. S’arrêter à 25 millions d’euros de chiffres d’affaires d’activités numériques provoquerait en effet des dégâts considérables.

Il me semble que l’on peut s’accorder sur l’appréciation du Gouvernement : un seuil de 750 millions d’euros ne concerne que des entreprises ayant déjà une taille internationale, et pas forcément françaises. Passer d’un dispositif cumulatif à un dispositif alternatif entraînerait un changement d’assiette considérable. Nous sortirions alors de la logique de la taxe telle qu’envisagée dans le projet européen. L’avis est donc défavorable.

L’amendement n° 12 vise à abaisser le seuil de 750 millions à 500 millions d’euros. Je ne vois pas en quoi cela serait plus pertinent, et ce d’autant plus que le seuil de 750 millions d’euros avait été assez largement approuvé. La commission est donc défavorable à cet amendement.

Enfin, la commission est défavorable à l’amendement n° 13, qui tend à abaisser le seuil du chiffre d’affaires national de 25 millions à 15 millions d’euros.

Toutes les opinions se sont exprimées au travers de ces différents amendements : certains trouvent que la taxe est trop large, d’autres qu’elle ne l’est pas assez… Le choix de la commission est d’en rester à l’équilibre trouvé dans le projet européen, aujourd’hui repris par le Gouvernement. Le sujet est extraordinairement complexe et assez incertain sur le plan juridique. La France fait office de précurseur en la matière.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

Je souhaiterais rappeler que nous avons travaillé pendant près de deux ans sur les contours de cette taxe avec les services juridiques et fiscaux de la Commission européenne.

Nous avons trouvé un équilibre autour d’un chiffre d’affaires mondial de 750 millions d’euros et d’un chiffre d’affaires national de 25 millions d’euros.

Nous avons trouvé un équilibre autour de la base fiscale, à savoir le chiffre d’affaires.

Nous avons écarté la notion d’établissement stable numérique, laquelle est bien documentée juridiquement, mais moins fiscalement.

Au final, nous sommes arrivés à une proposition dont nous voulons aujourd’hui rester le plus proche possible, ne serait-ce que parce qu’il sera utile, dans les étapes ultérieures, de pouvoir nous référer au texte de la Commission européenne plutôt qu’à une taxe qui nous serait propre et qui reposerait sur des éléments trop différents de ceux que pourraient retenir les autres États membres ou ceux de l’OCDE. C’est la raison pour laquelle tous les amendements visant soit à modifier les seuils, soit à retenir une autre base taxable que le chiffre d’affaires ne nous paraissent pas opportuns. Je rejoins donc exactement l’argumentaire du rapporteur et invite les auteurs de ces amendements à les retirer ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.

L’autre sujet qui a été soulevé, et dont Albéric de Montgolfier a très bien expliqué les enjeux, concerne la taxation des commerces en ligne. Je voudrais vous inviter à laisser de côté cette question, qui n’est absolument pas comparable avec la taxation du numérique et dont les incidences économiques peuvent être absolument majeures.

Quelle différence y a-t-il, par exemple, entre un agent immobilier exerçant à Melun, à Biarritz ou à Évreux, qui met des biens immobiliers en ligne, et le site Booking.com, qui croise des millions de données pour mettre en relation des utilisateurs ? Booking réalise des bénéfices grâce à cette mise en relation et à ces millions de données agrégées sans être taxé au même niveau que d’autres PME ou que cet agent immobilier de Melun, de Biarritz ou d’Évreux. Nous rétablissons donc une justice au travers de la mise en place de cette taxation du numérique. Mais si vous taxez l’agent immobilier qui a mis des biens en ligne, vous allez le pénaliser alors même qu’il paye déjà l’impôt sur les sociétés, les impôts locaux et l’intégralité des impôts nationaux auxquels il est assujetti. Vous allez donc créer une injustice.

Je pense également, par exemple, à un fabricant de chaussettes en coton, près de Lille, que j’ai rencontré récemment. Comme son seuil de rentabilité est très faible, il n’a pas de boutique et vend toute sa production en ligne. En revanche, il effectue les livraisons lui-même. Il va donc payer tous ses impôts – impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu, s’il s’agit de revenus propres – et la TICPE sur le gazole qu’il consomme pour effectuer ses livraisons. Et vous allez lui faire payer une taxe supplémentaire, parce qu’il commercialise ses chaussettes sur internet, alors même qu’il ne profite absolument pas de l’effet de masse lié aux millions de données en ligne !

Je suis prêt à ouvrir ce débat, mais je sais que le marchand de chaussettes, dont le commerce est en partie physique et qui s’acquitte déjà d’autres impôts, vous dira que cette taxe est injuste. Il s’agit d’un vrai débat, dont il faut évaluer toutes les conséquences.

Comme toujours en matière fiscale, il faut prendre son temps. C’est un sujet compliqué qui peut entraîner des effets de bord, des incidences qu’on ne maîtrise pas. Une fois ce travail effectué, nous trancherons alors sur l’opportunité de taxer ou non le commerce en ligne.

Pour le moment, je vous demande de laisser de côté cette question, qui n’est en rien comparable avec celle de la taxation du numérique qui nous occupe ce soir.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.

M. Jean-François Rapin. J’entends bien les arguments du rapporteur et du ministre. Toutefois, je reprendrai ceux que j’ai déjà exposés en commission des finances sur la ligne de partage entre commerce physique et commerce numérique.

Nous ne disposons pas de chiffres exacts sur cette question : vous nous aviez dit que certaines enseignes réalisaient près de 50 % de leur activité en ligne, ce qui ne semble pas correspondre à la réalité, eu égard aux contacts que j’ai pu avoir avec certains membres de la commission.

Mon amendement vise simplement à rétablir une certaine forme d’équité. M. le ministre nous dit que le moment de tenir ce débat n’est pas encore venu. Mais quand pourrons-nous l’avoir ? Le commerce de proximité pâtit de la concurrence du numérique. Certaines villes, petites et moyennes, et certains villages en souffrent terriblement. C’est la raison pour laquelle je souhaite réorganiser la contribution physique à l’aménagement du territoire et compenser en partie la disparition de certaines aides, notamment le Fisac. Quand pourra-t-on débattre de cette question ? C’est plus qu’urgent.

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.

M. Julien Bargeton. J’ai été convaincu par les explications du rapporteur et du ministre, qui souhaitent ne pas trop toucher à cette taxe pour mieux convaincre nos partenaires européens de l’appliquer, ce que nous souhaitons tous. Il est donc important de ne pas la fragiliser en termes juridiques ou techniques et de ne pas modifier l’assiette, c’est-à-dire la base taxable, les contours des activités et les seuils retenus.

Ces trois derniers sujets étant écartés, il en reste un dont nous pouvons discuter, et c’est tout l’objet de l’amendement de M. Collin, celui des années à prendre en compte. J’ai déposé un amendement qui va dans le même sens et dont j’ignore encore le sort qui lui sera réservé.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Défavorable ! (Sourires.)

M. Julien Bargeton. Il s’agit d’éviter de pénaliser des licornes françaises prenant leur envol et qui risqueraient d’être bloquées de manière encore précoce, alors qu’elles cherchent à s’associer à un grand groupe, par exemple.

Je voterai donc l’amendement n° 53 rectifié. Il me semble que deux ans sont un bon compromis.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. Je peux en partie comprendre les arguments de M. le ministre concernant l’amendement n° 12, mais je ne les approuve pas tout à fait.

Le Gouvernement refuse l’abaissement du seuil à 500 millions d’euros au seul motif qu’il faut rester, dans le cadre des négociations engagées, le plus proche possible de ce qui est déjà sur la table. Encore une fois, je peux l’entendre, mais l’avis du Conseil d’État diffère. Selon lui, la différenciation de traitement entre grandes et petites entreprises se justifie par le modèle économique spécifique des entreprises numériques, à rendement croissant et à coûts décroissants. Or les entreprises françaises vont pouvoir – j’espère avoir bien lu – déduire cette taxe de leur bénéfice imposable.

Par ailleurs, l’abaissement du seuil permet d’assurer une plus grande équité fiscale entre entreprises. Nous pourrons ensuite nous rapprocher de ce que l’Europe et peut-être aussi l’OCDE feront demain.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Que M. le ministre ne quitte pas cet hémicycle avec trop d’inquiétudes pour son fabricant de chaussettes en coton : même si nous instituions la taxe sur le commerce électronique des biens physiques, il est peu probable que son chiffre d’affaires atteigne 750 millions d’euros à l’international,…

M. Bruno Le Maire, ministre. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…

M. Arnaud Bazin. … ni même 25 millions d’euros au plan national.

Si l’on devait travailler un jour sur cette question, ce que je souhaite, nous établirions des seuils permettant d’épargner les petits producteurs divers et variés que vous avez évoqués.

L’intérêt de cet amendement que j’ai cosigné est d’ouvrir le débat. Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que vous acceptiez de le tenir. Afin de quitter cet hémicycle à notre tour tout à fait rassurés, pourriez-vous nous donner quelques précisions quant au calendrier ?

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La proposition initiale de la Commission européenne reposait sur une base large : publicité, intermédiation des plateformes de services, notamment celles des voyagistes, valorisation des médias fournis par les utilisateurs, valorisation des données individuelles. La France a soutenu cette proposition de taxe, dont la recette attendue était de 3 milliards à 5 milliards d’euros la première année et de 8 milliards d’euros en rythme de croisière, dont 1 milliard d’euros pour la France – soit un montant nettement supérieur à ce qui est prévu aujourd’hui.

Une telle taxe n’est donc pas susceptible d’être considérée comme antinomique avec les règles européennes. La base en a été réduite pour parvenir à un compromis avec l’Allemagne, et donc à un accord avec les Vingt-Trois, des pressions américaines étant à l’origine de certains points de blocage, comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises.

À partir du moment où la France prend l’initiative de mettre en place un système pérenne et crédible, pourquoi ne pourrait-elle s’adosser à la proposition initiale ? Comme tout le monde l’a souligné, ce n’est pas demain la veille qu’on parviendra à un accord européen ! Autant instaurer une taxe raisonnable, équilibrée et conforme aux règles européennes sur le commerce de proximité, lequel commence à souffrir sérieusement de la concurrence du commerce en ligne, et qui ne menacerait pas, comme l’ont souligné plusieurs de nos collègues, les petites opérations de vente en ligne.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Il me semble que le Sénat avait adopté, en 2016, en 2017 et en 2018, la notion d’établissement stable virtuel et le principe d’une taxe nationale sur le numérique…

Les propos de M. Bazin sur le fabricant de chaussettes évoqué par M. le ministre sont très justes. Mais pourquoi M. le ministre a-t-il aussi évoqué Booking.com ? Il s’agit d’un appel du pied, sachant que les sénateurs du groupe Les Républicains ont déposé des amendements concernant des sites de réservation. Mais il s’agit aussi d’un aveu : le ministre pense que le seul compromis possible à l’échelle européenne et internationale porte sur la publicité et sur l’utilisation des données.

Il faut parler franco, monsieur le ministre, il faut être clair. Les rapports de force à l’échelle internationale font que seule une taxe sur la publicité et l’utilisation des données est envisageable, quelle que soit l’attitude de la France. C’est de cela que nous devons débattre, de manière sincère et responsable.

Nous voterons contre les amendements visant à abaisser les seuils de 750 millions à 500 millions d’euros et pour les amendements nos 11, 12 et 13. Nous voulons en effet que les choses avancent sans tenir de double langage par rapport à ce que nous avions adopté en 2016, en 2017, en 2018 et en 2019. Nous restons cohérents, même si nous comprenons que plusieurs de nos collègues ne partagent pas notre opinion.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je voudrais revenir un instant sur la question tout à fait essentielle évoquée par Jean-François Rapin.

La commission des finances, dont plusieurs membres qui y siègent depuis un certain temps peuvent en témoigner ici, a été la première à soulever la question de la fiscalité numérique sous l’angle de l’équité de traitement entre commerce physique et commerce électronique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Nous nous penchons sur cette question depuis des années. Ce souci d’équité a systématiquement guidé nos propositions concernant, par exemple, l’économie solidaire, les VTC ou les locations d’appartements venant directement concurrencer l’hôtellerie traditionnelle.

Sur ce dernier point, nous avons voulu faire en sorte que les revenus dégagés par la location de son appartement soient bien déclarés à l’administration fiscale. De même, nous avons souhaité instaurer une forme d’équité fiscale entre les chauffeurs de VTC et les chauffeurs de taxi. L’idée étant toujours d’éviter l’apparition d’un no mans land, d’une zone qui ne soit pas couverte par le champ fiscal et venant concurrencer directement des commerces ou services traditionnels qui, eux, sont taxés.

Ces propositions, parfois malgré l’opposition des gouvernements successifs, ont été inscrites dans la loi. Je pense notamment à la transmission automatique des revenus via les plateformes et à la responsabilité solidaire de ces dernières en matière de paiement de la TVA. Il s’agit, là encore, d’une forme d’équité : il n’y a pas de raison pour que le commerce physique s’acquitte de la TVA et que ce qui passe à travers les importations et les avoirs à valeur négligeable y échappe.

Nous avons moins avancé sur la question de l’équité de traitement entre commerce physique et commerce électronique. Il s’agit d’une question très compliquée, les modèles se superposant les uns aux autres : un magasin peut en effet recevoir des commandes par les deux voies, physique et électronique.

Nous devons regarder cette question, y compris sous l’angle de la fiscalité locale, et notamment de la Tascom. Plusieurs d’entre vous étaient intervenus lors de l’examen de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Il s’agit d’un vrai sujet.

Enfin, je vais me permettre de répondre à la place du Gouvernement sur la question du calendrier : le bon moment pour en débattre sera l’examen du projet de loi de finances pour 2020. Nous vous ferons alors, monsieur le ministre, mes chers collègues, des propositions pour assurer cette équité de traitement entre commerce physique et commerce en ligne. Il s’agit d’un sujet majeur, sur le plan de la fiscalité nationale comme sur celui de la fiscalité locale.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je voudrais profiter de ce débat pour répondre à certaines questions et lever certaines ambiguïtés.

La taxe porte sur trois catégories de services taxables, qui reprennent exactement le champ de la première version de la directive. Par souci de compromis, notamment avec l’Allemagne, nous sommes ensuite parvenus à une proposition plus restreinte.

Ces trois catégories concernent l’intermédiation entre internautes avec les plateformes, la fourniture de prestations de ciblage publicitaire, ce qui vous permet de recevoir toutes les secondes sur vos iPhone un certain nombre de messages publicitaires, et la vente à des tiers des données des internautes, laquelle n’est pas aujourd’hui taxée à la juste mesure et permet justement de réaliser ce ciblage publicitaire

La première version de la directive, à la fin de l’année 2018, comportait l’intégralité de cette base taxable. Olaf Scholz, mon homologue allemand et vice-chancelier, et moi-même nous sommes ensuite revus et avons trouvé un accord pour restreindre cette base à la seule question des données publicitaires. À mon sens, le champ initial est le seul qui soit raisonnable et efficace.

M. Pascal Savoldelli. Voilà la vérité !

M. Bruno Le Maire, ministre. Comme l’a souligné M. Rapin voilà quelques instants, le sujet du commerce en ligne est très important. Je crains seulement qu’en taxant le commerce en ligne nous n’arrivions pas à épargner les plus petits commerces. Je vous invite donc à la plus grande prudence. Plusieurs d’entre vous ont d’ailleurs souligné la complexité du sujet.

En ce qui concerne le calendrier, je vous rappelle que l’article 1er bis, introduit par amendement à l’Assemblée nationale, prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport dressant un état des lieux de la fiscalité pesant sur les entreprises du secteur du commerce précisant les différences de prélèvement entre les entreprises du commerce physique et les entreprises du commerce en ligne, notamment transnationales. Ce rapport est en cours de rédaction. Il sera remis à la rentrée, c’est-à-dire avant l’examen du projet de loi de finances pour 2020, ce qui permettra d’ouvrir alors le débat de la fiscalité du commerce en ligne sur des bases précises.