Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le sénateur, votre question est proche de celle qu’a posée Mme Goulet : il s’agit de data mining et de l’utilisation de ces outils par les data scientists pour mieux identifier la fraude à la TVA.

Pour parachever ma réponse précédente, ce sont plus de trente équivalents temps plein dont les postes n’existaient pas il y a encore deux ans qui travaillent sur le sujet dans le ministère. Nous devons évidemment travailler aussi à l’échelle européenne.

Votre intervention me donne l’occasion, monsieur Capus, de compléter les propositions que je présenterai dans le cadre du prochain projet de loi de finances en lien avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Tout d’abord, la directive européenne doit être mise en application en 2021 et concernera seulement des montants inférieurs à 150 euros. Je souhaite que nous mettions en œuvre ses dispositions en France dès l’année prochaine, et non en 2021, et ce quel que soit le montant des transactions. C’est un point très important.

Ensuite, nous allons instaurer la facturation électronique, qu’utilise déjà l’État, pour toutes les entreprises françaises, que nous accompagnerons dans ce processus, singulièrement les plus petites d’entre elles. Ce procédé présente l’énorme avantage de nous permettre de récupérer toutes les données – numéros de SIRET, échanges de facturation, prête-noms – et de les entrer dans un système électronique, afin d’identifier en un seul clic ce que les agents peuvent des mois à repérer et qui échappe parfois aux contrôles fiscaux. Cette facturation électronique va également nous aider à utiliser l’outil que vous avez évoqué.

Nous établirons aussi une liste noire des plateformes, notamment étrangères, qui ne respectent pas les règles. Cela concerne deux types d’acteurs : ceux qui vendent le produit sans TVA, c’est-à-dire moins cher que le prix du marché officiel, et font ainsi une concurrence malsaine aux plateformes françaises ou à celles qui jouent le jeu ; ceux qui incluent la TVA au prix de vente, l’encaissent, mais ne la reversent jamais. De telles pratiques peuvent avoir lieu sur quelques plateformes étrangères que nous ne pouvons pas contrôler. Nous dresserons donc cette liste noire, les noms qu’elle comportera seront connus, et nous infligerons des amendes très élevées à ceux qui ne jouent pas le jeu des plateformes européennes ou françaises.

Enfin, c’est un point central, nous demanderons aux entrepôts logistiques de tenir un registre électronique des millions de petits colis qui arrivent dans notre pays tous les jours et dont on ne connaît pas forcément le vendeur. De surcroît, on ne sait pas si celui-ci paye ou non la TVA. Ces données et l’outil que vous évoquiez nous permettront de lancer les contrôles de la DGFiP ou des douanes.

Ces mesures très importantes feront partie du prochain projet de loi de finances.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, la TVA a été inventée en France au milieu du siècle dernier. Elle a prospéré depuis lors en faisant le tour du monde. La fraude à cette taxe, compte tenu des sommes en jeu, est un vrai sujet depuis longtemps.

S’agissant du e-commerce, je prends acte de vos annonces qui rejoignent d’ailleurs ce que proposait le rapporteur général, Albéric de Montgolfier, à l’occasion de son travail sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.

En parallèle, depuis près de trente ans, la fraude dite carrousel, qui représente 50 milliards d’euros à l’échelle de l’Europe, se poursuit. Elle existe depuis la mise en place du marché unique en 1993. Les criminels ont donc eu le temps d’affiner leurs stratégies de détournement pour échapper aux règles et ne pas s’acquitter de la taxe.

Libération, qui fait partie des trente-quatre journaux européens qui ont dénoncé cette fraude massive au début du mois, rappelle la dernière étude menée sur le sujet par Europol, selon laquelle nous ne confisquons actuellement qu’à peine plus de 1 % des profits criminels.

La Commission européenne a proposé une refonte du système de TVA transfrontalière en novembre 2017. Cela implique une modification des règles fiscales, qui exige l’unanimité des États membres. Nous l’attendons depuis un quart de siècle !

Monsieur le ministre, le Président de la République se targuait, au moment de son élection, de pouvoir changer l’Europe. Pouvez-vous, dès lors, nous indiquer ce que vous comptez faire pour que l’Europe aboutisse enfin à cette harmonisation souhaitée et attendue des différents systèmes de collecte de TVA ? C’est d’abord une question de justice, notamment fiscale !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez raison et je partage, comme beaucoup de Français, le constat de cette lenteur, même si la Commission avance, et avance bien, tout en se heurtant à la règle de l’unanimité en matière de fiscalité. Celle-ci peut d’ailleurs constituer un avantage pour les pays membres, en ce qu’elle respecte leur souveraineté, mais elle est un désavantage lorsqu’il s’agit de mettre en place une politique fiscale cohérente, sinon commune. Je propose justement que nous n’attendions pas.

L’une des propositions que nous pourrions avancer, notamment dans le projet de loi de finances, sans attendre la décision des États, c’est qu’il revienne à la plateforme étrangère qui commerce de payer la TVA. Je suggère au Sénat de s’y intéresser.

Ainsi, à l’arrivée dans l’entrepôt logistique qui dessert notre pays de toute commande sur internet, alors que nous ne savons pas qui est le vendeur, si celui-ci paye la TVA, voire si la TVA est incluse dans le prix, la plateforme X ou Y, dont nous ne sommes pas certains qu’elle joue le jeu en l’espèce, devra acquitter la TVA, puisque nous connaîtrons la liste des colis reçus. De cette manière, nous ne demanderons pas la TVA à un vendeur situé au fin fond de la Chine, des États-Unis ou de l’Amérique du Sud, mais à la plateforme présente en France.

La taxe sera ainsi payée à la source et fera entrer des montants très importants dans les caisses de l’État. Le Sénat aura sans doute l’occasion d’évaluer, après un an ou deux, ce dispositif, dont vous indiquez, à raison, qu’Albéric de Montgolfier, votre groupe et nombre de vos collègues, l’ont déjà demandé.

Celui-ci exige un travail important, mais nécessaire, de la part des services de la DGFiP et des douanes, de même qu’un effort également important de la part des entrepôts logistiques, lesquels doivent s’équiper et établir la liste des colis par informatique. C’est ce que l’on doit à la lutte contre une fraude manifestement massive.

Cette proposition ne signifie pas que la France doit laisser tomber le combat européen, mais elle peut avancer et surtransposer, pour le coup, pour aller plus vite et plus loin. Il me semble qu’une telle démarche est dans l’esprit général de la Commission européenne et conforme à ce que vous souhaitez.

En outre, elle tend à rétablir l’équilibre entre, d’un côté, les plateformes françaises et, de l’autre, leurs concurrents étrangers qui ne joueraient pas le jeu de la fiscalité.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, s’agissant de la proposition que vous faites concernant la France, vous savez pouvoir compter sur le soutien du rapporteur général de la commission des finances, et, me semble-t-il, du Sénat.

Vous appelez également à un travail européen. Lors d’un récent entretien, le directeur général de la fiscalité à la Commission européenne a déclaré que, jusqu’à maintenant, l’Europe ne bougeait pas. Cela dure depuis vingt-cinq ans !

Attention à ne pas repousser une fois encore le délai, alors que le dossier est éminemment important pour récupérer de l’argent !

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fraude à la TVA est perçue comme un véritable enjeu public qui représente quelque 20 milliards d’euros de perte de recettes pour le fisc français.

Originaire d’un département d’outre-mer, j’ai voulu savoir si les départements et régions d’outre-mer, les DROM, qui font partie du territoire douanier de l’Union européenne, étaient eux aussi concernés par cette fraude. Je n’ai pu obtenir aucun renseignement ni aucune donnée auprès des services des douanes sur ce sujet. Il faut croire que la fraude à la TVA n’existe pas dans les territoires d’outre-mer ! Est-ce un fait vertueux ou est-ce dû aux régimes spécifiques instaurés pour les échanges entre l’Union européenne et les DROM ?

En effet, il est vrai que si la TVA est applicable dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, ceux-ci sont toutefois, en raison de leur éloignement et de leurs spécificités, considérés comme territoires d’exportation par la France métropolitaine par rapport aux autres États membres de l’Union européenne. À ce titre, les formalités douanières sont maintenues dans leurs échanges avec l’Union européenne, avec l’obligation de conserver les preuves de la réalité de l’exportation.

Il convient aussi de préciser que la TVA n’a été introduite ni à Mayotte ni en Guyane et que les collectivités d’outre-mer sont exclues du territoire fiscal de la TVA.

Reste pendante la question de la TVA sur les ventes en ligne, qui pullulent dans les outre-mer, au grand dam des commerces locaux. Dans ce domaine il existe très certainement des cas de fraudes explicites, comme des produits sans facture ou sans TVA facturée au client. Cet avantage concurrence dangereusement le commerce local.

Monsieur le ministre, le temps n’est-il pas venu d’instaurer également des règles proportionnées et plus justes dans les départements d’outre-mer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le sénateur, le régime n’est pas uniforme sur le territoire national. Vous avez indiqué vous-même que la TVA ne s’appliquait pas partout ; des taux différenciés sont en vigueur et certains territoires pratiquent l’octroi de mer, qui est perçu par les collectivités ultramarines.

S’il fallait appliquer la TVA sur l’ensemble du territoire national, y compris dans les territoires ultramarins, quelques discussions seraient nécessaires dans la mesure où, jusqu’à preuve du contraire, à l’exception du point que nous avons donné aux régions, les recettes de cette taxe ne sont pas attribuées aux collectivités locales. Cela nous renvoie aux débats que nous aurons dans quelques mois sur la fiscalité locale.

Au regard de la cohérence de la politique fiscale du Gouvernement et de l’histoire de notre pays, je n’y vois pas malice : c’est un système qui fonctionne.

Y a-t-il une fraude à l’octroi de mer ou à la TVA différenciée ? Sans doute : dès lors qu’il y a de l’argent à gagner, il y a de la fraude, qu’il faut limiter.

Nous ne connaissons pas le montant de la fraude à la TVA à l’échelon national, car celle-ci, par définition, est cachée. La Commission européenne a fait une évaluation, que nous prenons au sérieux. S’agit-il toutefois de 18 milliards, de 20 milliards ou de 22 milliards d’euros ? L’estimation est difficile, mais nous savons que le montant de la fraude est élevé étant donné l’importance de cet impôt.

Il faudra pourtant que nous étudiions plus précisément, s’agissant de l’octroi de mer et de la TVA, en lien avec les collectivités locales d’outre-mer, comment mettre en place ce paquet TVA dans le cadre du projet de loi de finances. Je suis à votre disposition pour cela.

Vous avez posé une seconde question concernant les commandes sur internet par des habitants de Mayotte ou de Guyane, par exemple à des plateformes chinoises, américaines qui ne joueraient pas le jeu de la fiscalité.

Il n’y a alors aucune différence : les propositions que j’ai énoncées pour que cette TVA, qui garantit la solidarité nationale, entre dans les caisses de l’État pourraient valoir également pour les territoires ultramarins – name and shame, paiement à la source par les plateformes, obligation pour les entrepôts logistiques de tenir un registre, facturation électronique – quel que soit leur statut juridique.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, nous sommes tous conscients dans cet hémicycle de la gangrène que représente la fraude à la TVA pour notre économie. Nous savons tous que des réseaux criminels s’affranchissent de cette taxe, alors que les petits artisans, les commerçants, les entrepreneurs contribuent, eux, en toute honnêteté ; nous savons tous que ces flux alimentent les pires trafics de groupes criminels, jusqu’au financement d’organisations terroristes.

À ce mal qui s’attaque à la première ressource financière de l’État, il faut une réponse adaptée et forte. Ces dernières années, les gouvernements successifs ont fait le choix de la judiciarisation renforcée de la lutte contre la fraude à la TVA. En cas de doute, l’administration fiscale saisira ainsi de plus en plus souvent le parquet.

Pourtant, cette stratégie bute sur un obstacle majeur : l’insuffisance des moyens dévolus aux magistrats et aux juridictions pour remplir cette mission, insuffisance d’autant plus criante que les modus operandi de la fraude fiscale en général, et de la fraude à la TVA en particulier, ont évolué.

Dans un référé de 2018, la Cour des comptes soulignait que seuls 30 % des fraudes financières débouchaient sur une poursuite pénale. Le projet européen rassemblant quarante rédactions et intitulé Grand Theft Europe, dans une étude fouillée, relève que le parquet national financier ne traite actuellement que cinquante-quatre affaires de fraude à la TVA. Son activité ne lui permet de s’attaquer qu’à un total de 918 millions d’euros indûment détournés des caisses de l’État, quand on estime à près de 20 milliards d’euros le coût de la fraude à la TVA en France.

Ces chiffres résultent non pas d’un déficit d’implication des services répressifs et judiciaires – je tiens d’ailleurs à saluer le travail de leurs agents sur le terrain –, mais d’une désorganisation de nos services et d’une difficulté à orienter les affaires. Ils révèlent surtout un manque de moyens criant. Comment s’en étonner, dès lors que les effectifs du parquet national financier sont restreints à dix-huit magistrats et dix-huit personnels d’appui ?

Ainsi, la première conséquence de ce manque de moyens est le faible nombre de dossiers effectivement traités. Deux autres en découlent : la lenteur des procédures et la focalisation, rappelée par le Syndicat de la magistrature, de la réponse judiciaire sur des montants relativement modestes, de l’ordre de 300 000 euros en moyenne, qui conduit à évacuer les grands trafics internationaux en matière de TVA.

Monsieur le ministre, j’ai deux questions. Quels moyens supplémentaires comptez-vous affecter à l’appareil judiciaire pour prendre toute la mesure de la fraude à la TVA ? Face à la complexification des affaires, qu’il faut reconnaître, quelles pistes de coopération judiciaire internationale envisagez-vous aujourd’hui ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le sénateur, je partage vos constats, mais pas votre proposition de moyens supplémentaires pour la justice.

Nous en avons débattu lors de la suppression du verrou de Bercy : nous constatons parfois – nous pouvons le regretter – que les magistrats, qui sont indépendants et dont il ne m’appartient pas de juger les décisions, infligent peu de condamnations, notamment à des peines de prison ferme, aux auteurs de délits proprement fiscaux, sans lien avec le crime organisé, la délinquance de droit commun ou les trafics.

Cela tient-il aux services instructeurs, en particulier au fait que la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, la BNRDF, ou les polices judiciaires ne sont pas strictement expertes en fiscalité ? Il s’agit en effet d’une matière très compliquée, qui est l’apanage de spécialistes. C’est la raison pour laquelle nous avons créé la police fiscale, une action dont nous tirerons les conséquences. Le service d’enquêtes douanières a d’ailleurs obtenu de très beaux résultats dans des affaires qui ont débouché sur des condamnations par la justice, parce que, entre douaniers et agents du fisc, des spécialistes y avaient travaillé.

Je ne suis donc pas certain que la discussion que nous avons au sujet de la justice se résume à un manque de moyens, en tout cas humains.

En revanche, nous devons nous poser la question des moyens juridiques : nous proposerons peut-être dans le cadre du prochain projet de loi de finances que les agents du fisc puissent faire des coups d’achat sous pseudonyme, afin d’identifier ceux qui ne payent pas la TVA, comme le font les douaniers lorsqu’ils luttent, par exemple, contre le tabac illicite. On peut ajouter trois cents agents du fisc dans les services judiciaires, si vous le souhaitez, mais s’ils n’ont pas cette faculté, ils rencontreront des difficultés.

L’un de nos grands problèmes était l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvions de sanctionner les plateformes complices de ceux qui ne payaient pas la TVA. Vous avez rendu cette sanction possible en adoptant la loi relative à la lutte contre la fraude, acceptant l’idée que nous puissions sanctionner les intermédiaires, comme les conseils véreux. Nous le ferons pour les plateformes qui ne jouent pas le jeu. Là encore, on peut ajouter des moyens humains, mais sans les moyens juridiques de condamner, cela ne servirait pas à grand-chose.

Enfin, il est très important, pour lutter contre la fraude à la TVA, de repérer tout de suite les faux numéros d’entreprises, afin de bloquer très vite les montants de fraude. Ce n’est pas simplement une question de moyens physiques, il nous faut les moyens matériels et informatiques pour détecter et bloquer très rapidement ces numéros délictueux.

Le sujet nécessite donc, bien sûr, un peu de moyens humains, mais aussi beaucoup de moyens juridiques, que nous proposons de mettre en place dans le prochain projet de loi de finances, lequel aura une dimension de lutte contre la fraude.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis une trentaine d’années, les États de l’Union européenne coopèrent, mais le constat est toujours le même : on estime que, au total, quelque 150 milliards d’euros sont perdus chaque année. On mesure la dimension de ce problème lorsque l’on sait que le budget de la politique agricole commune s’élève à 58 milliards d’euros.

L’Europe s’est dotée d’outils de lutte contre la fraude, notamment la fraude à la TVA transfrontalière, comme l’unité de coordination de la lutte antifraude, l’UCLAF, créée en 1988 et devenue en 1999 l’Office européen de lutte antifraude, ou OLAF, qui jouit d’un pouvoir d’enquête indépendant. Le bilan de l’activité de cet organisme, qui coûte 60 millions d’euros, est très intéressant, car ses investigations permettent d’identifier des fraudes qui font l’objet de recouvrements se chiffrant en milliards d’euros. Cet investissement est donc très profitable.

Ces enquêtes administratives se heurtant toutefois à l’absence d’une instance juridique européenne, la décision a été prise de créer un parquet européen, qui sera opérationnel dans les vingt-deux pays de l’Union qui ont accepté d’y participer, car il s’agit d’une coopération renforcée. La Commission européenne est chargée de sa mise en œuvre.

Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur le temps nécessaire à l’installation de ce parquet européen. Le processus se poursuit-il correctement ? Nous voyons bien que c’est urgent, mais on nous parle d’une mise en place en 2020 ou 2021 ! Cette création nous paraît une bonne réponse, mais va-t-elle assez vite ?

Selon vous, en outre, ce parquet suffira-t-il, tel qu’il est dimensionné aujourd’hui, à répondre à l’ampleur des problématiques qu’il devra prendre en charge ?

Quelle est l’action de la France à ce sujet et quand verrons-nous ce dispositif à l’œuvre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Madame la sénatrice, il me semble que votre question s’adresse plutôt à la garde des sceaux, car je ne suis pas un grand connaisseur de la date à laquelle le parquet européen sera opérationnel.

Comme je l’ai indiqué, la France considère que le processus est un peu lent et relève une divergence entre la volonté de la Commission, des États et des peuples – lutter par la coopération contre cette fraude, laquelle existe depuis la création du marché unique, dont elle est une sorte de conséquence – et la lenteur consécutive à la règle de l’unanimité ou aux difficultés à accepter un parquet européen ou des régulations communes.

Toutefois, indépendamment du moment, dont je ne peux vous donner la date, où elle fera pression sur le Parlement européen, sur les États et sur la Commission à propos de l’installation de ce parquet, la France peut avancer très vite seule.

Elle va le faire, notamment en adoptant des solutions visant à lutter contre des fraudes très importantes, en mettant en place, par exemple, une sorte de TVA à la source. Cela représente des milliards d’euros ! Je sais que le parti communiste m’approuve, car j’ai souvent parlé avec M. Roussel, à l’Assemblée nationale, de faire payer les entreprises à la source.

Je suis prêt, également, à discuter de la possibilité de scinder la TVA. Les banques pourraient jouer le rôle de répartiteur entre ce qui revient à l’État et ce qui revient à l’entreprise. Je sais toutefois que l’administration fiscale y est rétive depuis longtemps, et que cela pose d’autres problèmes. Pourtant, les refacturations et les temps d’attente sont propices à la fraude.

Nous devons avancer indépendamment de l’Europe, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire pression sur les instances européennes pour avancer en même temps.

Nous avons beaucoup de choses à faire, mais, s’agissant d’un impôt très important qui concerne l’entreprise et le consommateur, il faudra faire attention, car la question est très technique. On m’a d’ailleurs proposé de procéder par ordonnances, mais je préfère inscrire directement ces mesures dans le projet de loi de finances. La tâche sera très compliquée, sans doute, mais le règlement de cette question très importante avancera, malgré la vitesse d’escargot qu’adoptent parfois les instances européennes.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cas d’échanges transfrontaliers, on assiste à des fraudes à la TVA, notamment à des fraudes carrousel. Depuis une dizaine d’années, la stratégie de l’administration fiscale consiste à réprimer également le comportement du fournisseur ou de l’acquéreur qui aurait traité sciemment avec des clients ou des vendeurs défaillants.

Cette approche est tout à fait pertinente ; elle a un effet dissuasif et permet de sanctionner tout acte de complicité avéré, qui peut alors faire l’objet d’un redressement fiscal, mais aussi d’une procédure pénale. Il s’agit là de procédures totalement indépendantes, ce qui ne pose pas de problème de principe si leurs résultats sont convergents.

En revanche, une entreprise dont l’absence de complicité a été reconnue et dont la responsabilité a été entièrement dégagée dans le cadre de la procédure pénale, dont la bonne foi a donc été admise, peut faire l’objet d’un redressement fiscal maintenu, en particulier si l’entreprise fraudeuse a disparu ou a organisé son insolvabilité. L’administration fiscale se retourne alors vers celle qui a encore de l’argent, alors que sa complicité n’est pas avérée.

Pour les entreprises subissant cette double peine, qui concerne parfois des sommes qu’elles n’ont même pas encaissées, n’est-il pas indispensable de définir un dispositif d’harmonisation des procédures de manière à prévenir des dégâts collatéraux injustes ?

Le déploiement d’une stratégie d’implication des entreprises complices, parfaitement justifié, ne doit-il pas être mieux encadré pour éviter de mettre en difficulté des entreprises qui n’ont pas commis de fraude ? Ces cas sont minoritaires, mais ils existent.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Merci, monsieur le sénateur, d’avoir souligné l’efficacité des services fiscaux et de la stratégie adoptée depuis un certain temps sur la TVA, malgré les trous dans la raquette que nous allons combler.

Votre question est pleine de bon sens. Vous avez adopté la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite « du droit à l’erreur », grâce à laquelle la bonne foi est reconnue par nature. Ce texte s’applique parfaitement au cas que vous décrivez.

Je ne suis pas moi-même informé de situations particulières conformes à ce que vous expliquez, mais il en existe sans doute. Si vous connaissez des gens dont nous sommes certains qu’ils n’ont pas participé à la fraude, ou au moins pour lesquels l’administration ne dispose d’aucun élément laissant penser le contraire, alors que l’on se retourne vers eux en leur imposant cette double peine, n’hésitez pas à nous le faire savoir.

L’administration fiscale devrait d’elle-même considérer qu’elle n’a pas à se retourner contre eux, mais si elle le faisait, par habitude ou par volonté de récupérer les sommes en cause – c’est légitime, car c’est ce qu’on lui demande, même si cela peut contredire la réalité des choses –, je vous prie de faire remonter l’information.

Dans votre introduction, vous évoquiez des différences entre les jurisprudences administratives et les jurisprudences pénales ; nous en avions discuté au sujet du verrou de Bercy. Il n’y a pas de primauté d’une juridiction sur l’autre et la difficulté est dans la cohérence entre les décisions du juge administratif, qui est le juge de l’impôt, et celles du juge pénal. Nous avons tous envie, en effet, de pénaliser les cols blancs, ceux dont la seule crainte n’est pas une énième amende, mais bien une peine de prison.

La difficulté de coordination vient du fait qu’aucune de ces deux juridictions ne l’emporte sur l’autre. Depuis la fin du verrou de Bercy, cela concerne également les particuliers.

Il convient d’éviter de se livrer à des absurdités shadokiennes et, tout en respectant l’indépendance du juge administratif comme celle du juge judiciaire, de faire preuve de bon sens dans l’application des jugements. Telle est la consigne qui est donnée à l’ensemble des administrations françaises, singulièrement à l’administration fiscale, soulignée par la loi précitée.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour la réplique.

M. Jean-Marc Gabouty. Je vous remercie, monsieur le ministre. En effet, un contribuable ou un citoyen ne peut pas comprendre, alors qu’il a été totalement innocenté dans le cadre d’une procédure pénale engagée par l’État, qu’on le recherche en paiement pour un redressement fiscal. Son sort peut même dépendre de la solvabilité du fraudeur ! C’est ubuesque, et l’indépendance des procédures pose tout de même problème.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.