Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Chauvin, pour la réplique.

Mme Marie-Christine Chauvin. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse et de celles que vous avez données dans le courant de l’après-midi.

Les mesures que vous décrivez vont certes dans le bon sens, pour les entreprises jurassiennes, comme pour l’ensemble des entreprises françaises.

Toutefois, hélas, nous avons beaucoup de retard. Cette perte pour les caisses de l’État est supportée par le contribuable français.

À l’heure où nos compatriotes demandent plus de justice fiscale, il est extrêmement important de leur envoyer des messages forts. La lutte contre cette fraude y prend maintenant toute son importance.

Il est donc vraiment urgent d’agir, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre la fraude doit être une priorité, d’abord, pour des raisons morales et de justice, ensuite, en raison des pertes qu’elle représente pour nos finances publiques.

Si l’on retient les chiffres déjà cités de la Commission européenne, l’écart de TVA annuel dû à la fraude et l’évasion fiscales représente, pour l’ensemble de l’Union européenne, plus de 147 milliards d’euros.

S’agissant de la lutte contre la fraude à la TVA transfrontalière, je relève trois problématiques particulières.

Premièrement, il s’agit d’un problème commun européen, à dimension variable selon les États membres, et relevant de leur responsabilité.

Deuxièmement, le nouvel outil à la disposition des États, depuis le 2 octobre dernier, pour lutter contre la fraude à la TVA, le mécanisme d’autoliquidation, ne peut être appliqué par la France compte tenu des critères stricts de mise en œuvre de ce mécanisme dérogatoire et temporaire. L’écart de TVA en France n’est « que » de 12,3 % du total des recettes de TVA attendues. Or il faut un seuil de 25 % de l’écart de TVA dû à la fraude carrousel.

Troisièmement, la lutte contre la fraude à la TVA transfrontalière s’insère dans la problématique plus vaste de la fraude à la TVA et, plus largement, de la fraude et de l’évasion fiscales, ou de la fraude tout court, avec des causes multiples – les erreurs de calcul, les faillites, les cas d’insolvabilité – et des enjeux multiples.

Monsieur le ministre, vous venez d’annoncer que Bercy souhaite renforcer la lutte contre la fraude à la TVA. Je vous en félicite.

Ma question est double : la problématique de la fraude à la TVA transfrontalière justifie-t-elle des mesures et méthodes spécifiques, au-delà des dispositions usuelles ?

Quelle est la nature des dispositifs envisagés ? Avez-vous évalué leur coût pour les finances publiques, d’une part, pour les entreprises, d’autre part ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le sénateur, le Gouvernement propose un véritable arsenal de lutte contre la fraude à la TVA parce que les montants sont importants. Vous les avez rappelés. On joue du marché commun pour faire de la fraude intracommunautaire.

Selon la Commission européenne, le montant a été évalué à 20 milliards d’euros de manque à gagner pour les caisses de l’État, soit l’équivalent de 12 % de nos recettes fiscales. La moyenne pour l’Union européenne est de 13 %. Vous le constatez, on fait à peu près aussi bien que les autres, si je puis dire.

Plusieurs pays, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, ont mis en place des systèmes de lutte contre la fraude à la TVA. Nous nous inspirons de tous ceux qui fonctionnent pour appliquer, dès l’année prochaine, un mécanisme approprié sur le territoire national.

Je ne peux pas vous indiquer exactement le montant de la fraude, par définition cachée, car il est très difficile de le connaître. Le Président de la République, dans ses annonces postérieures au grand débat, a demandé au Premier président de la Cour des comptes de lui présenter, ainsi qu’au Gouvernement et au Parlement, un rapport expliquant le mieux possible quelle est la fraude, quels sont les montages et les impôts les plus fraudés. Ce rapport nous sera rendu avant la discussion du prochain projet de loi de finances, nous permettant de disposer d’un montant réaliste de la fraude.

J’entends beaucoup de chiffres cités par des gens qui semblent imaginer qu’il suffirait de lutter contre la fraude pour se dispenser de faire des efforts en matière de politique économique. Nos propositions nous permettront d’objectiver un certain nombre de choses, y compris en matière de lutte contre la fraude à la TVA.

Je le répète, après l’avoir dit à la tribune, l’évasion fiscale est importante et doit bien sûr être condamnée, car elle poignarde moralement le pacte républicain !

La fraude à la TVA, qui n’est pas forcément évidente et ne fait pas la une des journaux, représente un montant très important, peut-être plus élevé encore que celui de l’évasion fiscale, à laquelle nous pensons classiquement.

C’est un point essentiel, et je remercie le groupe du RDSE de nous permettre de défricher le débat avant la discussion du projet de loi de finances.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux, pour la réplique.

M. Yves Bouloux. Je remercie M. le ministre de sa réponse.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, casse du siècle, arnaque au carbone, escroquerie de la mafia du CO2… La fraude à la TVA sur les quotas carbone, révélée en décembre 2009 par Europol, a fait l’objet de nombreuses qualifications.

La combine est simple. Des fraudeurs achetaient des quotas de CO2 hors taxe en passant par des sociétés basées à l’étranger pour les revendre en France à un prix incluant la TVA, une TVA collectée, mais jamais reversée à l’État français.

Fruit de la délinquance financière, l’affaire a provoqué une véritable onde de choc, et pour cause ! Au-delà des sommes d’argent concernées et du préjudice financier pour les États et la collectivité, dont on peut rappeler qu’il a été de l’ordre de 1,6 milliard d’euros pour le budget français et de 5 milliards d’euros pour l’Union européenne, cette vaste escroquerie a une résonnance particulière dès lors qu’elle révélait les failles d’un système qui avait érigé la vertu en axe constitutif : inciter les entreprises les plus polluantes à réduire leurs émissions sous peine d’être sanctionnées financièrement.

On le sait, le caractère immatériel des transactions, la vitesse de rotation des quotas et la faiblesse du contrôle exercé sur le marché ont favorisé la fraude à la TVA sur les quotas carbone : les abus se sont multipliés.

Cette fraude a frappé une politique centrale de l’Union européenne, consacrée à la lutte contre le changement climatique, ce qui est plus dérangeant encore : une telle action n’aurait pas dû souffrir la moindre approximation, étant donné l’objectif d’exemplarité qui lui avait été assigné.

La fraude à la TVA a non seulement lésé les finances publiques, mais porté préjudice à la politique climatique dans son ensemble et pénalisé les entreprises.

Les dispositions mises en œuvre à titre temporaire vont-elles devenir permanentes ? Quelle est la position du Gouvernement en la matière ? Comment la France entend-elle articuler la réforme de la TVA avec celle des quotas de CO2, qui doit entrer en vigueur d’ici à 2021 ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le sénateur, je peux vous l’assurer, la fraude à laquelle vous faites référence a cessé, et pour cause : la TVA n’est plus appliquée aux quotas carbone. Peut-être aurons-nous l’occasion d’aborder cette question plus en détail, en lien avec mes services.

Au titre des certificats, une autre fraude massive a été détectée. Avec Tracfin, avec les services du ministère de la transition énergétique, placés à l’époque sous l’autorité de M. Nicolas Hulot, et avec la DGFiP, nous avons mis en place une politique fiscale pour lutter spécifiquement contre ce détournement, qui, à l’évidence, permettait un recyclage d’argent. Le bilan de notre action doit encore être dressé. Quant aux fraudes portant sur les quotas carbone, comme dirait Fernand Raynaud, « ça a eu payé, mais ça ne paye plus ». (Sourires.) Aussi, je tiens à vous rassurer.

À l’instar des niches fiscales, les dispositifs que nous déployons au titre de la transition écologique sont susceptibles d’être détournés : les passagers clandestins peuvent utiliser à leur profit les politiques publiques, abuser de la bonne foi des entrepreneurs, voire de ceux qui commandent les travaux et les aménagements.

Plus largement encore, les fraudes peuvent naître de toute incitation fiscale. Plus celle-ci est généreuse, plus les personnes mal intentionnées sont tentées de s’engouffrer dans la brèche. Mais, au sujet des certificats, nous avons eu une réaction très forte, grâce à laquelle des recettes supplémentaires vont arriver dans les caisses de l’État : vous le constaterez en examinant les prochains projets de loi de règlement.

Conclusion du débat

Mme la présidente. Pour clore ce débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier Yvon Collin. Vice-président, depuis vingt-huit ans, de la commission des finances, notre collègue a insisté pour que nous inscrivions ce débat, technique, mais très important, dans la niche réservée à notre groupe,…

M. Gérald Darmanin, ministre. Il a bien fait !

M. Jean-Claude Requier. … ce que nous avons fait avec grand plaisir. D’ailleurs, malgré son caractère aride, le sujet proposé a suscité un intérêt dont je me félicite.

Monsieur le ministre, en la matière, il est rare que nous ne suggérions pas des dépenses nouvelles…

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

M. Jean-Claude Requier. Nous préconisons en principe de baisser la TVA, d’accorder telle ou telle subvention. En l’occurrence, c’est le contraire : nous vous proposons de récupérer de l’argent, plus précisément, 20 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien !

M. Jean-Claude Requier. C’est donc un débat à 20 milliards d’euros : si nous relevons le défi, telle est la somme qui entrera dans les caisses de l’État.

En récapitulant la liste des intervenants, on devine la patte de la commission des finances… (Sourires.) Mais les membres d’autres commissions se sont également exprimés. À l’évidence, ce sujet intéresse le Sénat tout entier : il y va en effet de l’équilibre budgétaire et, plus largement, de nos finances publiques, de la justice sociale et de la justice fiscale.

En introduction, Yvon Collin a présenté les enjeux essentiels, mais souvent mal connus du grand public, liés à la fraude à la TVA dans l’Union européenne. Celle-ci représente une part importante de l’ensemble de la fraude. Elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler un autre fléau, que nous venons d’évoquer et qui a été récemment porté à l’écran : la fraude à la taxe carbone. Quant à la fraude au carrousel, parfois liée à la criminalité organisée, elle reste un mal endémique. Elle entraîne à la fois un manque à gagner colossal pour les budgets nationaux et une concurrence indue pour les entreprises vertueuses, qui, elles, acquittent les montants qu’elles doivent et obéissent aux règles fiscales.

Le renouvellement des dirigeants de l’Union européenne à l’issue des dernières élections doit être l’occasion de donner une nouvelle impulsion politique, en particulier vers l’harmonisation fiscale, que la France appelle de ses vœux depuis si longtemps. Nous le savons, ce travail passera tôt ou tard par une remise en question du vote à l’unanimité du Conseil de l’Union européenne en matière fiscale.

Fondée sur le détournement du seuil d’exonération de 22 euros, la fraude liée au commerce avec l’extérieur de l’Union européenne inflige également un manque à gagner important à l’Union et aux États membres. Il est inacceptable que 65 % des envois en provenance des pays tiers ne respectent pas les règles de l’Union européenne en la matière.

En conséquence, la suppression de ce seuil dans la nouvelle directive est nécessairement une bonne nouvelle : on nous annonce que cette mesure sera transposée dans le prochain projet de loi de finances, et nous nous en réjouissons. Des entreprises comme Amazon ou Alibaba pourraient in fine ne pas être concernées par la future taxe sur les services numériques, adoptée par notre assemblée pas plus tard que la semaine dernière : il faudrait, a minima, qu’elles s’acquittent de la TVA !

Monsieur le ministre, vous avez cité avec raison la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui a d’ores et déjà apporté des réponses. La police fiscale de Bercy doit être un gage d’efficacité, et elle doit agir en coopération avec les autres services.

Toutefois, certaines mesures adoptées par le Sénat restent en suspens, comme l’instauration d’une responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et les prestataires, ou encore le paiement scindé de la TVA dans le commerce en ligne.

Les comparaisons internationales sont décidément instructives : l’Inde, qui dénombrait quatorze régimes de TVA différents, a ainsi adopté un régime unifié en 2017 ! Le reste du monde s’organise, et l’Europe se doit d’agir plus vite. La coexistence de vingt-huit régimes nationaux reste un chantier de simplification majeur.

Enfin, pour un impôt comme la TVA, il faut insister sur la responsabilité individuelle de chacun. Vous l’avez rappelé, il ne faudrait pas oublier la fraude diffuse ; elle semble bénigne au niveau individuel, mais finit par avoir de graves conséquences. Face à ces enjeux, il faut alerter davantage encore nos concitoyens, qui, comme on l’a vu récemment, sont toujours sensibles à la justice fiscale : c’était aussi l’objet de notre discussion.

Mes chers collègues, ce débat a permis d’illustrer deux valeurs qui nous sont chères ; deux valeurs symbolisées par le serpent et le miroir gravés aux dossiers des anciens sièges du Sénat conservateur, disposés en salle des conférences ; deux valeurs, enfin, qui siéent si bien à la Haute Assemblée : la sagesse et la réflexion ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. Yvon Collin. Très bien !

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La lutte contre la fraude à la TVA transfrontalière. »

Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Le cannabis, un enjeu majeur de santé publique

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Le cannabis, un enjeu majeur de santé publique. »

Dans le débat, la parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Esther Benbassa, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je précise avant tout que ce débat porte uniquement sur le cannabis thérapeutique – la transcription de son intitulé a fait l’objet d’une omission.

En France, 300 000 à 1 million de personnes pourraient être concernées par le cannabis à visée médicale.

Cet usage n’est pas nouveau. Sa présence était déjà attestée dans le droguier suméro-akkadien, en Égypte, de même que dans les médecines indienne et chinoise. Aujourd’hui, une vingtaine des vingt-huit pays que compte l’Union européenne, douze pays hors de l’Union européenne et vingt-neuf États américains autorisent, à différents niveaux, le cannabis à usage médical.

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et la santé, déclarait elle-même dès le mois de mai 2018 : « C’est peut-être un retard que la France a pris quant à la recherche et au développement du cannabis médical. D’autres pays l’ont fait. J’ai demandé aux différentes institutions qui évaluent les médicaments de me faire remonter l’état des connaissances sur le sujet, parce qu’il n’y a aucune raison d’exclure, sous prétexte que c’est du cannabis, une molécule qui peut être intéressante pour le traitement de certaines douleurs très invalidantes. »

Le 10 septembre 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, a ainsi annoncé la création d’un comité scientifique spécialisé temporaire, ou CSST, portant sur l’évaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France. À la suite de trois auditions, au cours desquelles s’est dégagé un large consensus, cette instance a jugé « pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique pour les patients dans certaines situations cliniques, en cas de soulagement insuffisant ou d’une mauvaise tolérance des thérapeutiques, médicamenteuses ou non, accessibles ».

Les situations thérapeutiques retenues par les experts pour l’usage du cannabis à des fins médicales sont les suivantes : les douleurs réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, le cadre des soins de support en oncologie, les situations palliatives et la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.

Ce comité souhaite qu’un suivi des patients soit mis en place sous forme d’un registre national, pour que soient comparés les bénéfices et les risques du cannabis thérapeutique, pour qu’une évaluation des effets indésirables soit régulièrement faite par les réseaux de pharmacovigilance et d’addictovigilance et pour que la recherche soit favorisée. De même, afin que l’ensemble de ces propositions soit appliqué, il préconise une évolution de la législation.

En raison des risques qu’elle comporte pour la santé, le comité exclut la voie d’administration fumée et annonce que les différentes modalités d’administration seront précisées ultérieurement : il s’agit là d’une question essentielle.

Le 26 juin prochain, l’ANSM devrait rendre un avis quant aux perspectives françaises en matière de production et de mise à disposition.

Aujourd’hui, pour soulager leurs douleurs, beaucoup de malades se procurent du cannabis dans l’illégalité. Certains sont condamnés à des peines de prison pour la culture d’un simple plant destiné à apaiser leurs souffrances, l’usage thérapeutique de cette plante étant interdit en France. Les juges du fond ne retiennent qu’exceptionnellement l’état de nécessité.

En attendant l’avis définitif de l’ANSM, les malades ont recours à différentes méthodes de consommation.

Certains d’entre eux fument du cannabis coupé de tabac, qui, en raison d’un taux élevé de THC, provoque un effet psychotrope non adapté à leur situation. L’effet thérapeutique repose effectivement sur un équilibre entre les molécules de THC et de CBD. Lorsqu’ils se détournent du cannabis récréatif, les malades essaient parfois des produits à base de molécules de cannabidiol – le fameux CBD. Mais la loi française interdit également ces produits, sauf s’ils sont issus de variétés de chanvre autorisées, des graines et des fibres de ces plantes, et non des fleurs, et que leur taux de THC est inférieur à 0,2 %. Pourtant, à cette dose, les effets resteraient insuffisants pour apaiser les douleurs de certains malades.

D’autres malades s’approvisionnent à l’étranger pour un coût non négligeable, entre 500 et 2 000 euros par mois.

Des personnes malades, obligées de se livrer à l’automédication en pratiquant l’auto-culture ou en se fournissant sur le marché noir sans suivi médical ni garantie quant à la qualité des produits, se placent également dans l’illégalité.

Une autorisation de mise sur le marché pour le Sativex, un spray sublingual composé d’extraits de cannabis naturel, avait été délivrée en 2014. Mais, très restrictive quant aux conditions de prescription, elle est restée à l’état théorique. D’ailleurs, ce médicament est indisponible faute d’accord sur son prix de vente entre le comité économique des produits de santé et le laboratoire qui le distribue.

Le cannabis thérapeutique est un enjeu majeur de santé publique. Le Premier ministre a, lui aussi, déjà exprimé le souhait qu’une réflexion soit engagée quant à sa légalisation.

D’après une enquête menée par l’IFOP pour Terra Nova et ÉCHO Citoyen et publiée le 16 juin 2018, 82 % des sondés sont favorables à l’usage du cannabis sur prescription médicale, 73 % sont convaincus du devoir de l’État en matière de financement de la recherche sur les usages thérapeutiques du cannabis et 62 % considèrent que le cannabis médical doit être enfin accessible sous toutes ses formes, voire remboursable par la sécurité sociale.

Les patients souffrants attendent que la possibilité de prescrire du cannabis n’incombe pas aux seuls médecins spécialisés. Il convient d’élargir l’accessibilité au traitement, surtout pour les patients résidant dans des territoires touchés par la désertification médicale.

En Europe, seule la Grande-Bretagne s’est orientée vers une prescription par un spécialiste : les autres États concernés ont opté pour les généralistes.

Cela dit, il faudra rendre effective la disponibilité du médicament dès sa légalisation. À cette fin, il faudrait veiller à ce que le champ de prescription ne soit pas défini de manière complexe et restrictive. En l’occurrence, une rapide formation publique des médecins habilités à prescrire ce traitement serait également nécessaire. En parallèle, il conviendrait d’élargir les situations thérapeutiques retenues par l’ANSM pour l’usage du cannabis médical.

Le remboursement par la sécurité sociale du cannabis thérapeutique, éventuellement avec le concours des mutuelles, fait également partie des revendications des patients.

Le problème de l’approvisionnement et celui de la production, dont l’économie française devrait profiter, se poseront bien sûr dès la légalisation.

Il est primordial de mettre en place les modalités de production et de transformation. Il est aussi question de l’approvisionnement entre l’autorisation du cannabis thérapeutique en France et la mise à disposition des produits issus de la production domestique. Pendant l’année de battement, il sera nécessaire d’importer des produits conformes aux normes de qualité et de respect de l’environnement, en l’occurrence des produits issus de l’agriculture bio.

La distribution devrait se faire en pharmacie, afin de desservir l’ensemble des territoires.

Enfin, il est indispensable d’autoriser différentes formes de préparations issues du cannabis, afin de répondre à la diversité des pathologies traitées.

Mes chers collègues, ne confondons pas cannabis thérapeutique et cannabis récréatif. L’utilisation des opiacés n’a pas transformé notre pays en fumerie d’opium : de même, l’autorisation réglementée du cannabis thérapeutique ne devrait pas conduire à la généralisation des volutes récréatives ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Laurence Rossignol et M. Joël Labbé applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je précise d’emblée que l’usage thérapeutique du cannabis est déjà permis en France : un décret de juin 2013 autorise en effet la commercialisation de médicaments dérivés du cannabis.

De plus, en septembre 2018, l’ANSM a créé un comité scientifique spécialisé temporaire sur l’évaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France.

En décembre dernier, ce comité a estimé qu’il serait pertinent d’autoriser l’usage du cannabis dans certaines situations, comme soin de support en oncologie, ou dans le traitement de certaines douleurs résistantes, en particulier dans le cas de la sclérose en plaques.

Je le rappelle à la suite d’Esther Benbassa : ce comité souhaite qu’un suivi des patients traités soit mis en place sous forme d’un registre national, pour assurer une évaluation des bénéfices et des risques inhérents à l’utilisation du cannabis thérapeutique. Il a également insisté sur l’importance de la recherche dans ce domaine.

Ce point d’étape étant fait, j’en viens au débat d’aujourd’hui. Inscrit à l’ordre du jour sur l’initiative du groupe CRCE, il porte plus précisément sur l’accès des patients au cannabis, présenté comme un enjeu majeur de santé publique.

Pour ma part, j’estime que la lutte contre les addictions est un enjeu majeur de santé publique.

Sur la base de l’avis du comité de l’ANSM, il me semble que les deux questions qui se posent désormais sont les suivantes : quelle sorte de médicament est le cannabis ? À quels malades le cannabis thérapeutique pourrait-il être prescrit, et sous quelle forme ?

Le cannabis est utilisé depuis plus de 5 000 ans pour des indications variées. Et pourtant, les académies de médecine et de pharmacie restent réservées quant à une légalisation du cannabis thérapeutique, en raison de ses effets secondaires psychiques et physiques.

Il faut souligner et sans cesse rappeler que le cannabis est une vraie drogue psychotrope qui agit durablement sur l’organisme : ce n’est pas une substance anodine.

Les effets négatifs de sa consommation sur la santé sont nombreux. En voici quelques-uns : altération de la mémoire et du champ visuel, troubles de l’équilibre, troubles de la concentration, crises d’angoisse, dépression, repli sur soi, schizophrénie, AVC, etc. Un lien a également été établi entre l’importance de l’utilisation du cannabis et la survenue d’idées suicidaires.

Avant de prescrire un médicament, tout médecin doit avoir la conviction que les avantages qu’en retirera le patient sont supérieurs aux risques qu’il court. Pour ce qui est du cannabis thérapeutique, le rapport des bénéfices et des risques devrait pouvoir être évalué au cas par cas, indication par indication.

Même si la situation est un peu différente, il ne faut pas perdre de vue les leçons de la crise actuelle des opioïdes, responsables de dizaines de milliers de morts en Amérique du Nord.

Ne laissons pas croire que le cannabis est un médicament. Se pose en réalité la question de savoir s’il n’existerait pas d’autres molécules que le cannabis pour soulager ces douleurs.

L’usage du cannabis thérapeutique ne doit pas laisser penser à une éventuelle innocuité de cette drogue et transformer ce débat en un cheval de Troie pour la libéralisation de la consommation du cannabis. Actuellement, le rapport entre les bénéfices et les risques est le suivant : tous les bénéfices sont pour les dealers et les trafiquants, tous les risques pour les patients !