M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a fait l’objet de longues discussions, et c’est normal, car la taxe dite GAFA, malgré son faible rendement et son caractère timide eu égard à l’importance du sujet, constitue un symbole fort, comme en témoigne la réaction des États-Unis d’Amérique. Nous devons aujourd’hui tenir bon et mettre en œuvre cette taxe.

C’est la raison principale pour laquelle nous allons voter en faveur de ce projet de loi, car il marque une avancée, certes limitée, modeste, au regard de ce que nous pourrions faire, concernant la participation de toutes les entreprises aux recettes de l’État, en particulier celles du secteur du numérique.

Il s’agit bien ici de répondre aux Français, qui ne comprennent pas – comment pourraient-ils comprendre une situation totalement injustifiable ? – que certains secteurs d’activité bénéficient de fait d’une fiscalité allégée et que les bénéfices des grandes sociétés ne soient pas davantage imposés, contrairement à ceux des petites entreprises ?

Nous aurons certes des divergences sur les taux de l’impôt sur les sociétés ou sur le taux de cette taxe, mais nous nous accordons tous sur une nécessité : toutes les entreprises, parce qu’elles créent de la richesse, doivent contribuer au financement des infrastructures et des services publics. Nous assistons dans le monde à une course effrénée aux baisses des impôts sur les sociétés pour attirer les entreprises. Un célèbre économiste considérait même qu’on en viendrait peut-être un jour à payer des entreprises pour qu’elles s’implantent dans certains territoires. Et j’ai entendu certains théoriciens dire qu’il fallait supprimer les impôts sur les sociétés et tout reporter sur la TVA ! Il faut donc redire que les entreprises doivent participer au financement des infrastructures et des services publics, car c’est aussi grâce à eux, grâce à l’État, qu’elles peuvent s’implanter, créer et développer leur activité.

Les spéculations vont bon train pour refonder le système fiscal. Avec ce texte, nous allons dans le bon sens en plaçant les entreprises face à leurs responsabilités sociales.

Nous ne pouvons par conséquent qu’approuver les évolutions du projet de loi lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Ainsi, la notification de la taxe à la Commission européenne permettra de sécuriser le texte et d’éviter d’éventuels recours des entreprises concernées devant une juridiction européenne. Ces entreprises sont en effet toujours promptes à utiliser les leviers juridiques disponibles pour mettre l’État en difficulté lorsqu’il leur demande de régler leurs factures.

La non-limitation dans le temps de cette taxe permettra de l’appliquer tant qu’un accord n’aura pas été trouvé à l’échelon de l’OCDE. On sait d’expérience combien de telles négociations sont longues parfois, pour ne pas dire incertaines. Étant donné la réaction des États-Unis, qui envoient un bien mauvais signal, on peut se demander si la volonté d’aller dans le bon sens perdurera. Il faut inciter les autorités américaines à se mobiliser pleinement en faveur des réformes conduites par l’OCDE.

La remise de rapports sur la fiscalité s’appliquant aux entreprises du secteur du commerce et sur les résultats de la taxe permettra de vérifier l’efficacité de celle-ci. C’est une bonne chose.

Nous sommes favorables, je l’ai dit, à la création de cette taxe, qui constitue l’amorce d’un processus important, mais nous n’oublions pas pour autant les limites que nous avions identifiées lors du débat au Sénat.

Tout d’abord, cette taxe sur le chiffre d’affaires n’est pas un impôt sur les bénéfices des sociétés et ne répond donc pas à la logique d’un impôt intervenant après un cycle économique, applicable aux seules entreprises bénéficiaires.

Nos interrogations portaient, et portent toujours, sur la capacité qu’auront les services fiscaux à vérifier les déclarations des bases fiscales imposables que les entreprises leur feront parvenir, mais aussi sur la répercussion de cette taxe sur les prix des publicités par les entreprises exerçant une situation de quasi-monopole.

Enfin, il est bon de rappeler le contexte dans lequel ce texte nous a été présenté. Lors de la discussion générale au Sénat, nous avons montré que ce projet de loi répondait surtout aux besoins de financement des mesures annoncées en décembre et en avril derniers par le Président de la République pour faire face à la colère sociale. Nous avions alors indiqué que le compte n’y était pas.

Alors que les recettes nouvelles que pourrait entraîner ce projet de loi sont estimées à 3,5 milliards d’euros, nous avons jugé qu’elles seraient plutôt de l’ordre de 2 milliards d’euros, soit un montant bien éloigné des 10,8 milliards d’euros de mesures annoncées. Pour sa part, la commission des finances a estimé très récemment à 25 milliards d’euros le besoin global de financement de ces dernières, soit, on le voit, une différence importante ! Les interrogations demeurent donc sur la façon dont seront financées ces mesures.

Et ces mesures sont variées. Elles vont de la suppression totale de la taxe d’habitation, y compris pour les contribuables les plus aisés, à l’annulation des hausses de la fiscalité écologique – il s’agit là certes de répondre à une forte demande sociale ; pour autant, on n’a pas trouvé les moyens de financer la transition énergétique et les projets écologiques à hauteur des besoins –, de la baisse annoncée de l’impôt sur le revenu à la défiscalisation des heures supplémentaires. Nous déplorons toutefois que des financements ne soient pas prévus pour assurer la qualité ou la pérennité des services publics, en réponse à de nombreuses revendications sociales – je pense au mouvement des urgences. Nous nous interrogeons donc sur l’équilibre budgétaire.

L’apport de recettes que permettra ce texte sera le bienvenu, mais il ne suffira évidemment pas, eu égard aux dépenses annoncées et aux besoins criants.

La question qui est posée dans le cadre de l’examen de ce projet de loi est évidemment européenne. L’instauration de cette taxe à l’échelon national témoigne finalement de l’échec de la France à faire aboutir son projet à l’échelle européenne. Nous étions toutefois d’accord, en cas d’échec au plan européen, pour montrer notre détermination à l’échelon de notre pays. Nous soutenons donc ce texte, la création de cette taxe et la diminution de l’impôt sur les sociétés.

Le groupe socialiste, je le répète, votera donc le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés soit parvenue le 26 juin dernier à un accord sur un texte commun entre nos deux assemblées.

Ce projet de loi est important, bien évidemment en termes d’équité fiscale et de recettes budgétaires, mais aussi pour l’image de la France. Notre pays montre ainsi qu’il est capable de jouer un rôle de pionnier en anticipant de futurs accords internationaux, que nous appelons de nos vœux. Il est encore capable de prendre des initiatives, en l’absence d’un accord européen, « plombé » par la règle de l’unanimité, tout en s’affranchissant de la tutelle des États-Unis.

Le président Trump lui-même, dans l’un de ces élans impérialistes qu’il affectionne, à moins que ce ne soit pour des raisons électorales liées à l’approche de l’élection présidentielle américaine, a demandé hier à son administration, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, une enquête sur l’instauration d’une taxe GAFA en France. J’ignore si le président Trump peut capter Public Sénat, mais sa marque d’intérêt pour le texte dont nous débattons ce matin est un réel honneur pour nous, même si elle n’est pas forcément inspirée par la plus grande bienveillance. (Sourires.)

Avant d’évoquer sur le fond la taxation des services numériques, dite taxe GAFA, je reviendrai sur l’article 2 modifiant la trajectoire de l’impôt sur les sociétés.

Il convient en premier lieu de préciser, comme l’a fait le ministre en réitérant les engagements du Gouvernement et du Président de la République, qu’il s’agit non pas d’un changement de cap ou d’un reniement, mais simplement de différer l’application de cette mesure en 2019, peut-être en 2020, pour les seules grandes entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros. Les TPE, PME et ETI bénéficieront bien, elles, de la baisse de l’impôt sur les sociétés, telle qu’elle avait été programmée.

L’article 2 n’a pas été soumis à la commission mixte paritaire puisqu’il avait été adopté conforme par le Sénat le mardi 21 mai dernier.

Je vous rappelle simplement, mes chers collègues, que, lors de cette séance, cet article avait été adopté de justesse, par scrutin public, grâce à une majorité, sinon atypique, du moins inhabituelle. En effet, la commission de finances avait émis un avis favorable sur un amendement de suppression soutenu par le principal groupe de la majorité sénatoriale, qui ensuite n’avait pas voté l’article 2 et s’était abstenu sur l’ensemble du texte. Il s’agissait sans doute d’une posture plutôt que d’une conviction profonde. Vous aviez en effet reconnu vous-même, monsieur le rapporteur, que cette mesure était nécessaire…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. On nous refera le coup l’année prochaine !

M. Jean-Marc Gabouty. Je n’ai pas exclu que l’application de cette mesure puisse être différée à 2020 !

Vous aviez donc reconnu, monsieur le rapporteur, qu’il s’agissait d’une contrepartie aux mesures adoptées au mois de décembre dernier pour répondre au mouvement social auquel notre pays était confronté.

Si je fais ce rappel, c’est que, selon le rapporteur de l’Assemblée nationale, Joël Giraud, dont je partage l’analyse, « l’adoption conforme par le Sénat de l’article 2 sur le taux de l’IS a […] rendu possible un accord sur le texte entre nos deux assemblées ou, à tout le moins, en a grandement accru les chances. » Si je comprends bien, en ne suivant pas votre avis lors de l’examen en première lecture, monsieur le rapporteur, et celui de la commission des finances, nous avons rendu service !

En ce qui concerne la taxe sur les services numériques, les positions du Sénat et de l’Assemblée nationale n’étaient pas très éloignées. Les différences portaient plus sur les modalités, sur le périmètre et sur l’approche de la sécurité juridique. Je tiens à rendre hommage aux deux rapporteurs et aux membres de la commission mixte paritaire, qui ont validé cet accord sur un texte commun. Chacun a fait des efforts et des concessions, qui, à mon sens, n’affaiblissent pas la portée du dispositif mis en place, mais lui assurent sans doute un meilleur équilibre.

Cette issue conclusive a été facilitée par le partage d’un objectif commun : assurer une plus juste répartition de l’imposition des entreprises, quels que soient les modèles d’activité. Il faut bien reconnaître que l’élaboration de mesures dans ce domaine n’est pas aisée et relève en partie de l’innovation. Ces mesures ne répondent toutefois pas de manière totalement satisfaisante à tous les problèmes rencontrés, qu’il s’agisse de l’appréciation de la base de taxation, du risque de double imposition ou de requalification comme aide d’État pour les entreprises qui en seraient exonérées, de la difficulté à préciser la localisation des utilisateurs générant la valeur ajoutée ou de la validité dans le temps du dispositif.

Bien sûr, des approches sensiblement différentes étaient possibles. On aurait ainsi pu s’interroger sur le taux, lequel aurait pu être porté à 3,5 % ou 4 %, un tel taux correspondant mieux selon certains à un taux d’impôt sur les sociétés de 25 %, notre objectif pour 2022.

On aurait également pu s’interroger sur la possibilité de déduction, pour les entreprises payant déjà l’impôt sur les sociétés en France, de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, puisque le chiffre d’affaires et la valeur ajoutée sont les deux notions comptables les plus proches, ce qui, économiquement, pouvait paraître assez logique.

Cependant, à ce stade, il convenait avant tout de parvenir à un accord sur un texte commun, susceptible de servir de levier dans les négociations internationales, notamment dans le cadre des travaux de l’OCDE. La validation de ce projet de loi par nos deux assemblées renforce, dans notre pays, mais aussi à l’échelon international, l’incidence de cette mesure, qui peut être symboliquement une marque d’unité nationale.

Bien évidemment, je m’en réjouis. L’ensemble du groupe du RDSE approuvera le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.

Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste se réjouit que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord. C’est le signe que, au-delà des clivages et des postures idéologiques, nos deux assemblées sont capables de partager des positions communes lorsqu’il s’agit de justice fiscale. Si elle est évidemment un enjeu économique, l’adaptation de notre fiscalité au déploiement de l’économie numérique est aussi un enjeu éthique.

Sur le sujet qui nous occupait principalement, à savoir la création, à l’article 1er, d’une taxe sur les services numériques, nos deux chambres sont parvenues à un accord, à peine plus de quatre mois après la présentation du projet de loi en conseil des ministres et après une première lecture ayant permis à chacune des deux assemblées d’enrichir et de consolider le texte initial.

Je tiens à féliciter les deux rapporteurs, sans qui l’adoption d’un texte commun, renforcé, mais équilibré, n’aurait pu être possible. Sur les cinq articles que compte le texte final, deux avaient été adoptés en termes identiques au cours de la navette, deux autres ont été adoptés dans la rédaction issue des travaux du Sénat. Une grande partie des modifications que nous avons apportées sont ainsi reprises dans le texte de la commission mixte paritaire. Nous pouvons nous en réjouir.

Je profite également du temps de parole qui m’est imparti pour saluer l’investissement de notre collègue Bernard Delcros, qui a eu l’honneur de représenter le groupe Union Centriste lors de la réunion de la commission mixte paritaire, mais qui ne peut malheureusement être présent aujourd’hui, car il est retenu dans le Cantal par l’accueil d’une mission parlementaire.

Je ne reviendrai pas sur les limites, pour ne pas dire les imperfections économiques de la solution à laquelle nous parvenons à cet instant. Taxer le chiffre d’affaires, c’est en effet taxer aveuglément et sans distinction l’entreprise en pleine croissance qui n’enregistre aucun résultat et celle dont les résultats sont très élevés.

Hélas, aucune technique de déduction n’était juridiquement admissible ni suffisamment solide au regard des règles fixées par les conventions fiscales internationales.

Le mécanisme de déduction de la taxe sur les services numériques de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, qu’avait proposé notre commission des finances avait le mérite d’atténuer l’effet de la double imposition. Il n’aura malheureusement pas prospéré, eu égard au risque d’incompatibilité qu’il présentait avec la réglementation européenne sur les aides d’État.

La meilleure des solutions serait d’ailleurs peut-être, monsieur le ministre, de profiter de l’adoption de ce texte et de la création, même provisoire, de la taxe sur les services numériques pour supprimer la C3S, dont la nocivité a récemment été rappelée par le Conseil d’analyse économique.

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est vrai !

Mme Sylvie Vermeillet. Quoi qu’il en soit, nous devons nous féliciter que bon nombre des modifications introduites par le Sénat à l’article 1er aient été conservées. Je pense à la clarification opportunément apportée sur la territorialisation en matière de publicité ciblée, au report d’un mois de la date limite de paiement de l’acompte en 2019, de celle de la fin de la période de référence retenue pour cet acompte et de la date limite pour opter pour le régime de groupe, ainsi qu’à l’importante précision introduite, sur l’initiative de notre rapporteur général, sur les modalités particulières prévues pour 2019.

Nous devons aussi et surtout nous féliciter de l’adoption de l’article 1er bis A, introduit en commission, sur l’initiative là encore de notre rapporteur général. Il est souhaitable en effet de réduire au minimum, et le plus en amont possible, les risques juridiques identifiés plutôt que de nourrir, en aval, lorsqu’il est souvent trop tard, un éventuel lourd contentieux, extrêmement coûteux et nécessairement préjudiciable pour notre pays et ses finances publiques.

La remise par le Gouvernement d’un rapport sur les motifs de l’absence de notification de la taxe à la Commission européenne procède, dans ces conditions, de la sagesse la plus élémentaire. C’est là, on le sait, la marque de fabrique de notre assemblée !

Plusieurs modifications apportées par le Sénat ont par ailleurs fait l’objet de rédactions de compromis, qui nous satisfont parfaitement. Le souci que nous avons manifesté à travers le bornage temporel de la taxe, entre 2019 et 2021, a manifestement été partagé par nos collègues députés. La commission mixte paritaire a entendu les réserves que nous avons exprimées sur les fragilités d’ordre à la fois économique, juridique et pratique de la taxe, en affirmant plus nettement son caractère provisoire.

De la même façon, si le texte de la commission mixte paritaire revient sur le renvoi à un décret en Conseil d’État que le Sénat avait proposé pour définir les moyens de localisation des utilisateurs, il tient compte de nos inquiétudes, s’agissant notamment de la protection des données personnelles, en retenant un dispositif qui s’inspire habilement de la rédaction de la proposition de directive de la Commission européenne du 21 mars 2018.

Je dirai enfin un mot sur l’article 2, qui prévoit le report de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises en 2019, sur lequel les membres de mon groupe avaient porté en première lecture des appréciations diverses.

À l’instar de Bernard Delcros, je considère cette mesure de rendement nécessaire et son adoption responsable, compte tenu des dispositions que nous avons adoptées en décembre dernier, alors que grandissait la grogne sociale d’un bout l’autre du territoire. Nous veillerons cependant à ce que l’horizon de la trajectoire d’abaissement soit maintenu à 2022.

Grâce à l’implication constructive de chacun, en particulier des deux rapporteurs généraux, un premier pas a été fait aujourd’hui. Sans doute imparfait, assurément insuffisant, ce premier pas demeure néanmoins décisif, car il permettra enfin de faire changer le système d’imposition applicable aux géants du numérique. Nul doute que la voix de la France sera une fois encore un accélérateur indispensable à l’émergence d’une solution internationale, quelles que soient les menaces du président Trump, vous l’avez dit, monsieur le ministre.

Nous voterons donc en faveur de ce texte sans réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.

M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.

Nous tenons tout d’abord à saluer les travaux effectués par la commission des finances sur ce texte. Ils ont permis d’apporter des améliorations substantielles au projet de loi adopté par l’Assemblée nationale. Nous nous réjouissons également du succès de la commission mixte paritaire, qui démontre que l’ensemble des parlementaires sont conscients de la nécessité d’agir vite.

Adopter ce texte est d’abord une question de justice fiscale, mais aussi une question de souveraineté, alors que l’Union européenne accuse un sérieux retard dans la course aux datas, richesses d’une nouvelle nature.

À l’heure actuelle, la taxe sur les services numériques est la meilleure réponse que nous puissions apporter à la situation d’injustice fiscale dans laquelle se trouvent les entreprises qui opèrent en France. D’un côté, nos PME et nos ETI subissent les taux d’imposition les plus élevés de l’Union européenne ; de l’autre, de grandes entreprises internationalisées s’organisent pour ne pas acquitter en France tout l’impôt qu’elles doivent.

L’instauration de cette taxe est une première étape utile pour adapter notre modèle fiscal aux évolutions des modèles économiques, mais elle n’est qu’une première étape, qui n’est pas sans présenter certains défauts.

Mon groupe aurait ainsi préféré que cette nouvelle taxe porte sur le bénéfice, plutôt que sur le chiffre d’affaires, qui ne représente pas la capacité contributive des entreprises. Nous resterons donc vigilants à ce que cela ne se généralise pas à d’autres secteurs d’activité.

En l’absence de consensus au sein des pays de l’Union européenne, la France fait aujourd’hui le choix de prendre les devants pour montrer l’exemple. Elle devra continuer à convaincre ses voisins de la suivre pour que le système se généralise à toute l’Union. Nous étions vingt-quatre États membres à voter en faveur d’un tel projet, mais il fallait l’unanimité…

Aujourd’hui, nous sommes les seuls à avoir pris la décision d’agir au plan national et nous saluons sur ce point la détermination du Gouvernement.

La nature multinationale des géants du numérique et la spécificité de leur modèle économique exigent une solution globale que seule la communauté internationale peut offrir. Nous nous réjouissons que la France assume ainsi ses responsabilités sur la scène internationale et ouvre la voie à une solution durable à l’échelle de l’OCDE. Nous espérons que nos partenaires suivront bientôt, afin d’aboutir le plus rapidement possible à la création d’une taxe globale sur les services numériques.

Nous souhaitons de nouveau saluer les travaux de la commission des finances, qui ont également permis d’inscrire cette volonté dans le texte en intégrant une clause d’extinction. Celle-ci permettra de faire le point en temps utile.

Plus que symbolique, cette taxe est cruciale dans un contexte où les géants du numérique s’imposent sans être imposés, tuant dans l’œuf l’éclosion de nouvelles start-up innovantes.

L’hégémonie économique est peut-être acceptée dans un pays qui y aspire, mais, en France, chacun paye son dû. Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette taxe : à défaut d’être parfaite, elle est impérative ; à défaut d’être efficace, elle est équitable ; à défaut d’être internationale, elle existe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme mon groupe le répète régulièrement, nous ne sommes ni dans l’opposition systématique ni dans l’adoption automatique. Au cas par cas, texte après texte, nous visons à conforter l’intérêt général, soit en adoptant les mesures qui vont dans le bon sens, soit en les modifiant.

Concernant le texte dont nous discutons aujourd’hui, nous nous étions opposés en première lecture à l’article 2, qui reportait d’un an la baisse de l’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises.

Toutefois, cet article avait été adopté par le Sénat, malgré notre opposition. Par conséquent, la discussion en commission mixte paritaire portait essentiellement sur l’article 1er, instaurant une taxation sur les services numériques. Cette taxe vise notamment les géants du numérique, surnommés les GAFA.

Le 26 juin dernier, la CMP est parvenue à un accord sur ce sujet, chacune des parties ayant fait un pas vers l’autre, afin d’aboutir à un équilibre.

Nous regrettons bien sûr qu’un certain nombre des mesures adoptées par le Sénat ne figurent pas dans le texte de cet accord.

Je pense notamment à la limitation par le Sénat de la taxe aux seules années 2019, 2020 et 2021, cette dernière année étant la date envisagée pour parvenir à un accord au sein de l’OCDE.

La majorité des députés a fait valoir que le bornage dans le temps de la taxe française pourrait réduire la pression mise sur l’OCDE pour aboutir à un accord international.

Je pense également à l’exclusion, prévue par le Sénat, du champ de la taxe des services dont le mode de rémunération repose sur des abonnements.

De même, l’exclusion des systèmes informatisés de réservation a été supprimée. La majorité des députés a estimé que cette mesure aurait pu fragiliser juridiquement l’assiette de la taxe sur les services numériques.

La disposition émanant du Sénat permettant aux redevables d’imputer le montant de la taxe qu’ils ont acquitté sur le montant de contribution sociale de solidarité sur les sociétés, autre impôt de production assis sur le chiffre d’affaires, dont ils sont redevables a été également supprimée par la commission mixte paritaire.

En revanche, certaines mesures adoptées par le Sénat figurent dans le texte de l’accord.

Si la disposition relative à la temporalité évoquée plus avant a été supprimée par la CMP, il a été expressément précisé, dans la partie demandant un rapport annuel au Gouvernement sur l’état d’avancement des négociations au sein de l’OCDE, qu’« un nouveau dispositif mettant en œuvre la solution internationale coordonnée se substituera à cette taxe. » La version antérieure employait les termes « pourrait se substituer ».

Le Parlement prend ainsi pour un fait acquis que la taxe ne sera que temporaire, jusqu’à la conclusion de l’accord international.

La volonté du Sénat de ne pas taxer un certain nombre de services logistiques ou connexes qui sont facturés aux entreprises sur les places de marché a été partagée par les députés ; une rédaction commune améliore et précise le dispositif.

L’article 1er bis A, introduit par le Sénat, a été adopté conforme par la CMP, ce dont nous nous félicitons. Il prévoit que, en l’absence de notification préalable de la taxe sur les services numériques à la Commission européenne, le Gouvernement remet, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport au Parlement sur les raisons pour lesquelles la taxe précitée n’a pas été notifiée à la Commission européenne.

Cet article vise à mettre en garde le Gouvernement sur le risque juridique, lié à l’absence de notification transmise par l’exécutif à la Commission européenne, de remise en cause de la taxe au titre des aides d’État, la taxe ne visant que des entreprises au-dessus d’un certain seuil.

Nous sommes ainsi parvenus à un texte plutôt équilibré. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains adoptera les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)