Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, au lendemain du Conseil européen « de la dernière chance » des 17 et 18 octobre derniers, j’aimerais revenir sur trois grands thèmes, à savoir le prochain cadre financier pluriannuel, notre futur à 27 ainsi que l’Europe qui protège.

Premièrement, madame la secrétaire d’État, le dernier Conseil européen a été l’occasion de revenir sur le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027, soit le budget à long terme de l’Union européenne. Or celui-ci soulève plusieurs questions.

En effet, il doit résoudre une équation relativement complexe : prendre en compte l’amputation que provoque le Brexit, le Royaume-Uni étant l’un des principaux contributeurs au budget européen, tout en investissant sur de nouvelles politiques, parfois au détriment de politiques dites « historiques » – j’y reviendrai –, sans réformer structurellement le financement du budget.

Or, comme le Président de la République l’a lui-même déclaré lors de sa conférence de presse, le budget européen doit être ambitieux, disposer, à ce titre, de davantage de ressources propres et remettre en cause les rabais dont bénéficient plusieurs États membres, certains remontant aux années quatre-vingt.

Par la suite, si les pistes de travail présentées par la Commission européenne en mai 2018 dévoilent un budget en hausse, porté à 1 135 milliards d’euros contre 959 milliards pour le précédent, la politique agricole commune verrait, pour sa part, son budget réduit. Alors que l’agriculture devra relever à l’avenir de lourds défis, qu’il s’agisse du développement économique, de la ruralité, de la défense d’un modèle agricole plus respectueux de l’environnement ou encore de la défense de notre souveraineté alimentaire, pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous donner des précisions sur les objectifs d’une telle diminution ?

Deuxièmement, ce Conseil européen était, selon moi, important en ce qu’il a été l’occasion d’évoquer, devant la future présidente de la Commission européenne et le prochain président du Conseil européen, qui y assistaient, aussi bien le départ de l’un de ses États membres que les perspectives d’élargissement pour l’Union.

Une question se pose : quel est notre futur à 27 ? Quelles sont nos ambitions communes dans ce contexte nouveau ? À cette question, j’aimerais vous entendre sur deux sujets.

Le premier porte sur les 27 politiques industrielles nationales, qui restent encore cloisonnées et qui condamnent les Européens à disposer d’un marché unique abouti, mais à ne jamais voir émerger de géants industriels européens dans la compétition internationale. J’évoque cette politique, car elle est symptomatique d’une incapacité collective à dépasser nos intérêts nationaux et à redonner du sens au collectif.

Le second sujet concerne l’inachèvement de l’Union économique et monétaire et sur les projets esquissés lors du Conseil européen. J’ai entendu le Président de la République évoquer la nécessité d’une assurance chômage au sein de la zone euro, mais cela ne me semble pas être la principale priorité quand l’instrument budgétaire de convergence et de compétitivité pour la zone euro semble encore bien éloigné d’un véritable budget de la zone euro et alors que l’union bancaire reste inachevée et incapable de garantir les dépôts et d’assurer in fine la stabilité du secteur bancaire en cas de crise économique.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est malheureusement exact !

M. Jean-François Longeot. Sur ces deux sujets, madame la secrétaire d’État, avez-vous des précisions à nous apporter ?

Troisièmement, je veux revenir sur la question de l’Europe qui protège.

Le Brexit est le résultat d’un espoir nostalgique de retour à une souveraineté nationale fantasmée. Or nous savons bien que, unis, nous sommes l’un des géants de la compétition internationale et du nouveau monde multipolaire tel qu’esquissé au lendemain de la chute de l’Union soviétique, mais que, isolés, prisonniers d’un imaginaire westphalien anachronique, nous ne pèserons guère dans cette compétition.

Face aux défis que nous devrons relever, qu’il s’agisse du changement climatique, du défi migratoire ou encore des enjeux du numérique, la souveraineté ne pourra s’exercer qu’à l’échelon européen par une coopération accrue, sincère et ambitieuse. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. René Danesi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, le point urgent de l’ordre du jour du Conseil européen était l’approbation du nouvel accord de sortie du Royaume-Uni, ce nouvel accord qui, à l’heure actuelle, n’a toujours pas trouvé de majorité chez les députés britanniques.

Ceux-ci font preuve d’une grande créativité pour reculer sans cesse l’échéance du Brexit et pour ne pas respecter le verdict du référendum. Ils ne sont d’accord sur rien, sauf sur le fait de ne pas retourner devant les électeurs… pour ne pas se faire renvoyer. Et, quand les manœuvres politiques ne suffisent pas à ficeler le gouvernement, ils font appel aux juges.

Jusqu’à présent, le Royaume-Uni était cité dans toutes les écoles de sciences politiques comme le modèle de la démocratie parlementaire. Après ce triste feuilleton du Brexit, cela ne sera plus le cas…

Mais le mal est bien plus étendu. En effet, l’élite politico-économique occidentale tient de plus en plus souvent le peuple pour quantité négligeable. Cela a commencé en 2005, avec la France et les Pays-Bas, dont les référendums défavorables à la Constitution européenne ont été contournés par les gouvernements et les parlements. Les Pays-Bas ont recommencé en contournant le référendum défavorable à l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Aux États-Unis, c’est pire. Élu par les « déplorables », comme les qualifiait la candidate démocrate, Donald Trump a vu son élection contestée avant même son installation. Et, depuis lors, les députés mènent une véritable guérilla, en mobilisant, là aussi, les juges, à tous les niveaux et à tout propos.

Avec le déclassement des classes moyennes et populaires, l’attitude désinvolte de l’élite politico-économique à l’égard du peuple nourrit les mouvements d’extrême gauche et d’extrême droite dans tout l’Occident.

Le Conseil européen a également renvoyé à plus tard l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Donald Tusk et Jean-Claude Juncker n’ont pas réussi à surmonter le veto de la France, des Pays-Bas et du Danemark.

Il faut dire que l’Albanie et la Macédoine du Nord ne sont pas les meilleurs élèves de la classe préparatoire à l’entrée dans l’Union européenne ! Ces deux pays ont encore beaucoup de réformes à faire avant d’être au niveau. Par ailleurs, l’Albanie se singularise par le nombre de ses ressortissants qui viennent demander l’asile politique en France, avec 7 133 demandes enregistrées dans notre pays en 2018.

On relèvera aussi que l’Albanie, déjà membre de l’OTAN, et la Macédoine du Nord, qui le sera d’ici peu, bénéficient de la part des États-Unis du programme d’aide appelé « ERIP » pour remplacer leur matériel militaire d’origine soviétique par du matériel américain. Pour ceux qui se posent la question de l’utilité de l’OTAN, voilà la réponse : alimenter les carnets de commandes du complexe militaro-industriel des États-Unis !

La France demande que l’Union européenne commence par la révision complète des procédures actuelles d’élargissement. Mais, au-delà, c’est le fonctionnement de l’Union européenne qu’il faut réformer avant de l’élargir.

À présent que les Britanniques, qui ont toujours veillé à ce qu’elle ne soit qu’un marché unique, en sortent, l’Union peut enfin s’approfondir, au lieu de s’élargir sans fin. C’est ce que Jacques Delors demandait déjà vainement en son temps. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, de nombreux points de désaccord ont été relevés lors du Conseil européen qui nous réunit aujourd’hui. Je souhaite pour ma part m’exprimer plus particulièrement sur la politique agricole commune.

En effet, avec le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, tout doit être mis en œuvre pour que la baisse des ressources ne soit pas synonyme d’une diminution de la prochaine programmation.

Alors que l’agriculture française occupe la première place en Europe, la politique agricole est un enjeu majeur, sur lequel la France doit peser de tout son poids.

Les nouvelles priorités de l’Union européenne ne doivent pas se faire au détriment des politiques traditionnelles et le volet agricole ne peut être une variable d’ajustement.

La souveraineté alimentaire doit être une priorité et conduire l’Europe à proposer une politique ambitieuse permettant de relancer la compétitivité des exploitations et leur capacité à investir et à se transformer, données essentielles d’une durabilité économique.

Les nouvelles orientations ne doivent s’appliquer que si elles sont jugées nécessaires et en parfaite adéquation avec les ambitions des États membres.

La simplification de la PAC est considérée comme l’Arlésienne, car la bureaucratie a créé de véritables usines à gaz qui complexifient les processus, pour les agriculteurs comme pour les États membres auxquels la charge a été transférée.

Si nul ne remet en cause les normes de « verdissement » rendues nécessaires, entre autres, par la protection des ressources naturelles, il convient de sortir d’une approche trop défensive, souvent déconnectée des réalités du terrain.

L’agriculture européenne rend des services à la société et à l’environnement. Les agriculteurs méritent une rémunération au titre des biens publics qu’ils produisent. Je pense aux externalités positives, comme le stockage du CO2 dans les sols. Il faut encourager le renouvellement de l’approche européenne, avec de véritables paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs, dans le cadre de l’un ou l’autre des deux piliers.

Les questions environnementales doivent être appréhendées avec pragmatisme et efficacité, en s’appuyant sur le développement de la recherche et de l’innovation.

Le lien entre l’agriculture et les territoires doit être encouragé. L’agropastoralisme, par exemple, est un mode d’élevage à la fois traditionnel et renouvelé, en phase avec une agriculture de son temps.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Cette activité permet de conserver un tissu rural vivant et d’atteindre nos objectifs environnementaux, climatiques et de protection de la biodiversité.

Aussi est-il essentiel que les surfaces pastorales obtiennent une meilleure reconnaissance. L’Union européenne doit aider à la promotion et au développement des produits sous signe de qualité et à créer de la valeur ajoutée grâce à la protection des produits agroalimentaires issus de l’élevage pastoral.

La mise en œuvre d’une politique montagne utilisant de façon ciblée une partie des outils mis à disposition pour l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, l’ICHN, doit également être prise en compte pour soutenir le maintien de l’agriculture dans les zones défavorisées et à handicap.

Je me réjouis du lancement de l’observatoire européen du marché des fruits et légumes, secteur-clé de notre agriculture, alors que nous sommes en fin de campagne de récolte des pommes et des poires, notamment de l’excellente « pomme des Alpes » dans mon département des Hautes-Alpes. Ce secteur donne lieu à des distorsions de concurrence intraeuropéenne inacceptables qu’il convient de corriger.

Nous devons donc poursuivre notre mobilisation pour que les États membres valident le maintien du budget actuel de la PAC à vingt-sept, pour la période 2021-2027. Nos agriculteurs méritent qu’on se batte. Il y va également des intérêts de la France. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. Beaucoup d’entre vous m’ont interrogée sur l’éventualité d’une extension. Tout indique que nous devrons faire un point, en fin de semaine, sur la nécessité d’accepter une extension purement technique de quelques jours. Il s’agit de permettre au Parlement britannique d’achever une procédure qu’il souhaite mener, non pas à un train de sénateur (Sourires.), mais selon un rythme « adapté ». (Nouveaux sourires.)

Une extension qui ne servirait qu’à gagner du temps ou à rediscuter l’accord est totalement exclue. Il ne s’agit pas d’un changement de position. Nous avons déjà perdu trop de temps. Nous avons trouvé un accord équilibré qui respecte à la fois la souveraineté britannique et les lignes rouges européennes. Nous devons consacrer toute notre énergie à le mettre en œuvre sans délai.

Nous devons nous employer à faire cesser une incertitude qui crée beaucoup d’angoisses et qui pénalise économiquement des millions de familles, d’entreprises et d’emplois. C’est la raison pour laquelle la France ne veut pas d’une extension à l’infini. Nous voulons pouvoir nous appuyer sur des échéances claires et rapprochées et avancer étape après étape.

Monsieur le président Éblé, vous m’avez interrogée sur le fameux plan de contingence visant justement à répondre à l’incertitude, si elle venait à se manifester. Certains règlements ont déjà été modifiés, notamment le mécanisme d’interconnexion des infrastructures portuaires qui a permis de réaliser des investissements à Boulogne, à Calais et autour de l’entrée du tunnel sous la Manche, à Coquelles. Je pense également au fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, ou Feamp, en cas d’immobilisation de la flotte. La Commission a aussi proposé de nouveaux aménagements concernant l’activation du fonds de solidarité de l’Union européenne, le fameux FSUE, destiné à aider les pays confrontés à des chocs subis et non prévisibles et la mobilisation du fonds européen d’ajustement à la mondialisation, le FEM, qui permet notamment de se protéger contre des chocs commerciaux extérieurs ou d’y répondre.

Au départ, la Commission prévoyait des critères suffisamment restrictifs pour que ces mécanismes ne profitent qu’à très peu de monde, pour ne pas dire à personne. La France a plaidé, avec un certain succès, pour qu’ils puissent être réellement mis en œuvre. Il ne s’agit pas d’être dans le symbolique : si l’on crée des mécanismes, il faut s’assurer de l’existence de bénéficiaires.

Il est difficile de savoir aujourd’hui combien de millions ou de milliards d’euros tout cela pourrait représenter pour la France. Ce n’est pas une enveloppe par pays, mais en fonction des besoins. Je ne peux vous dire combien d’entreprises en bénéficieraient si nous activions ces mécanismes.

Je tiens à rappeler mes propos lors de mon audition : j’ai besoin de vous et de votre soutien si jamais les Britanniques venaient à ne pas payer leur contribution de 2020, soit 12 milliards d’euros – non pas parce qu’ils seraient forcés de rester, comme j’ai pu l’entendre ce soir, mais bien parce qu’il s’agit de sommes dues.

Il faudrait alors absolument rappeler à la Commission européenne que nous nous opposons au plan qu’elle a imaginé, à savoir 6 milliards d’euros coupés dans les dépenses prévues – ce qui aurait des conséquences immédiates sur nos collectivités locales – et un appel à contribution des États membres de 6 milliards, soit plus d’1 milliard d’euros pour la France. Vous êtes en train d’examiner le projet de loi de finances : je vous laisse imaginer ce que représenterait sur nos comptes publics une telle contribution exceptionnelle… Dans la mesure où, pour entamer des discussions sur une relation future, il faudrait que le Royaume-Uni ait payé ses contributions, cela reviendrait à faire des avances de trésorerie.

Si cette situation venait à se produire, il faudrait trouver une solution technique pour apporter 12 milliards d’euros de trésorerie à la Commission, puisque nous savons que cet argent sera récupéré. S’il ne l’était pas, il n’y aurait pas de relation future. Il faut mener un travail technique sur ce sujet, peut-être par la BEI, la Banque européenne d’investissement, au capital de laquelle le Royaume-Uni a des parts.

Il existe plusieurs manières de trouver des garanties et de se prémunir. Il s’agit d’un sujet hautement politique. Je ne me vois pas revenir devant vous ou ailleurs pour expliquer aux élus locaux ou aux contribuables que nous devons faire des efforts en raison d’un petit problème de trésorerie britannique…

Monsieur le sénateur Bonnecarrère, nous nous sommes effectivement mobilisés contre une relation future marquée par la concurrence déloyale. Nous considérons que la déclaration politique sur la relation future est une bonne déclaration en ce qu’elle encadre très fermement les conditions d’un accord de libre-échange.

Je tiens d’ailleurs à vous rassurer : vous aurez à ratifier cet accord de libre-échange. Les parlements nationaux vont rentrer de nouveau dans le jeu : si l’accord de divorce est bien un processus restreint à l’Union européenne au nom des Vingt-Sept, au Parlement européen et au Royaume-Uni, dès qu’il s’agira de l’accord de libre-échange, même négocié au nom de l’Union européenne, chacune des chambres nationales devra bien le ratifier.

Madame la sénatrice Guillotin, vous m’avez interrogée sur l’exécution des fonds européens. C’est bien beau de négocier des enveloppes, mais c’est encore mieux si elles se concrétisent ensuite. Comme vous le savez, j’ai l’intention de travailler très précisément, avec tous les parlementaires, tous les élus locaux, toutes les associations d’élus, à simplifier le recours aux fonds européens. Trop souvent, on dit que l’Europe est compliquée ; en fait, ce sont les procédures françaises de mise en œuvre des politiques européennes qui sont compliquées. Avec Jacqueline Gourault et les ministres référents – Didier Guillaume pour les politiques agricoles ou Muriel Pénicaud pour les politiques sociales – nous menons, avec un certain nombre de préfets, un travail de recension très pratique : quelles sont les démarches à suivre en France pour avoir accès au fonds social européen et quelles sont celles à suivre en Belgique, par exemple ? Inspirons-nous de ce qui est plus simple ailleurs pour faciliter la vie des porteurs de projets. Notre objectif est de faire en sorte que l’argent arrive dans les territoires.

En ce qui concerne l’élargissement, vous nous avez appelés à développer une prospérité réelle. Il s’agit aussi pour l’Europe de retrouver des modes de décision interne qui soient efficaces. Beaucoup de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, soulignaient que l’Europe était dans une impasse, à la croisée des chemins… D’autres encore ont dit que nous devions nous ressaisir.

C’est là tout le paradoxe : quand nous sommes au Conseil européen et qu’on nous parle d’élargissement, il est devenu tabou de dire que le sujet n’est pas de savoir si tel ou tel pays mérite ou démérite, mais d’avoir revu nos procédures internes de décision le jour où nous aurons à statuer sur leur adhésion effective. La règle de l’unanimité donne parfois un pouvoir démesuré à des coalitions de pays qui se mettent dans une posture de blocage et non de proposition. Je pense également à la représentation d’un commissaire. Peut-on vraiment travailler avec un gouvernement dont les trente membres sont sur un pied d’égalité totale. Comment organiser la collégialité, comment prendre des décisions et, surtout, comment retrouver de la rapidité ?

Ce qui rend beaucoup d’Européens sceptiques sur la valeur du projet européen, c’est la lenteur des processus entre le moment où l’on se fixe des objectifs et le moment où l’on arrive à les mettre en œuvre. Il faut des réformes. C’est la raison pour laquelle le Président de la République, la Chancelière Merkel et d’autres chefs d’État et de gouvernement soutiennent cette fameuse conférence sur l’Europe. Nous devons mettre certaines choses sur la table pour retrouver de l’agilité, de la rapidité et de la capacité à décider. Mme Merkel disait, au moment de choisir ceux qui allaient occuper les « top jobs », que le sujet ne portait pas tant sur les hommes que sur la capacité à prendre des décisions qu’on leur donne. Il nous reste à mener une réflexion sur le sujet.

Monsieur le sénateur Gattolin, je suis très déçue de ne pas disposer du temps suffisant pour regarder toutes les séries Netflix que vous avez décrites. (Sourires.) Je suis, parfois avec amusement, mais toujours avec beaucoup d’intérêt, celle qui s’appelle le Brexit. On finit par se demander si on est dans la fiction ou dans la réalité. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons malheureusement pas en sourire, tant il y a d’incertitudes. Quand vous rencontrez les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, vous comprenez vite qu’il ne s’agit pas d’un feuilleton humoristique ni parodique.

Vous avez raison de souligner que ce processus sera de longue durée. Nous aurons en effet à « retricoter » toutes nos relations culturelles, universitaires, sociales et économiques. J’ai grandi à Calais. Le tunnel sous la Manche a été construit quand j’y habitais. Il mesure 50 kilomètres de long ; il ne fera pas davantage demain. Nous verrons toujours les falaises de Douvres depuis Calais. Au nord-ouest, le Royaume-Uni est notre premier voisin. Les 5 millions de camions qui passent par Calais chaque année pour rejoindre l’Angleterre ne vont pas disparaître demain. Nous avons des liens forts avec le Royaume-Uni qui a la possibilité, à tout instant, de dire qu’il souhaite rester dans l’Union européenne. Il peut également choisir un jour de refaire le chemin inverse.

L’accord de libre-échange traite de nos liens commerciaux. Nous avons aussi conclu de nombreux traités bilatéraux, notamment sur la défense. L’année prochaine, nous célébrerons les dix ans des accords de Lancaster House, traité fondateur dans nos relations avec le Royaume-Uni en termes de sécurité et de défense. Nous avons encore beaucoup de sujets sur lesquels travailler. J’espère que nous le ferons de manière positive. Il est toujours plus facile, politiquement, de se rapprocher que de se détacher.

Je vois que le sénateur Masson a quitté l’hémicycle. Il est coutumier du fait : souvent, il prend la parole, puis s’en va sans attendre ma réponse… Je voulais faire une première précision sémantique : il faut parler des Britanniques et non des Anglais. Anglais, Écossais, Nord-Irlandais, Gallois ont tous voté de manière assez différente sur le Brexit, mais c’est bien le peuple britannique qui a voté.

Je ne pense pas non plus que la comparaison entre 2005-2007 et ce qui se passe aujourd’hui soit de bon aloi. La France et ses partenaires n’ont pas voulu bloquer la volonté du peuple britannique de réaliser le Brexit. Depuis le départ, et vous savez que c’est un souhait permanent du Président de la République, nous ne devons pas nous opposer à ce référendum, mais faire en sorte que le processus démocratique aboutisse. Nous voudrions que les choses aillent plutôt vite. La lenteur ne sera pas forcément un gage de réalisation de cette volonté souveraine. Il faut toujours être extrêmement respectueux. Si nous croyons en l’État de droit, nous devons nous interdire toute ingérence directe.

Monsieur le sénateur Laurent, vous m’avez interrogée sur ce que vous décrivez comme des impasses. Je retiens deux choses : une nouvelle politique industrielle qui puisse nous amener à parler d’Alstom et de Siemens et une nouvelle politique ferroviaire, notamment pour permettre des investissements publics sur la sécurité ou sur le fret.

La Commission travaille déjà à changer de version, sinon de logiciel, et met clairement à jour sa doctrine pour pouvoir protéger nos emplois. Quand la présidente de la Commission nous dit vouloir mettre en place un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, j’y vois une méthode très intéressante de protection des normes environnementales et des emplois sur notre continent.

Il faut effectivement repenser un modèle de croissance, de prospérité, de partage des richesses. La France aimerait, par exemple, que toutes les dispositions sur l’intéressement et sur la participation puissent s’exporter à l’échelle européenne. Quand nous défendons le bouclier social, et notamment le salaire minimum européen, c’est-à-dire le fait qu’aucun travailleur à plein temps en Europe ne puisse gagner moins que le seuil de pauvreté, nous créons sinon un nouveau capitalisme, du moins un capitalisme respectueux des richesses qui permettent la production de prospérité collective.

Monsieur le sénateur Menonville, vous m’avez interrogée sur la PAC, sur la cohésion et sur la façon dont nous allions défendre ces politiques. Nous allons les défendre sans être conservateurs. Nous allons d’abord rappeler que l’Europe doit construire la souveraineté et la convergence. Si nous ne sommes pas capables d’apporter aux citoyens à la fois souveraineté et convergence, tout ce que je pourrai vous dire ici n’aura aucun sens concret dans la vie de nos compatriotes que nous appelons aux urnes tous les cinq ans.

Notre principale défense consiste à montrer en quoi ces politiques sont pertinentes, en quoi elles répondent aux exigences de nos territoires et des citoyens. Pour le Président de la République, la PAC et la cohésion sont tout à fait finançables avec une contribution de 1 % du PIB national. Par contre, le financement du reste doit reposer sur des ressources propres. J’y vois le chemin d’un compromis à même de réconcilier les pays contributeurs nets, très vigilants sur l’effort qu’ils consentent, et les pays qui souhaiteraient voir de nouvelles politiques se déployer.

Monsieur le sénateur Allizard, vous m’avez interrogée sur la Chine et l’Asie en général. Comme vous le savez, quand Xi Jinping est venu à Paris, nous l’avons reçu en compagnie de Mme Merkel. Un sommet avec Jean-Claude Juncker a ensuite eu lieu. Le Président de la République se rendra à son tour en Chine dans quelques jours, avec une délégation européenne… Nous devons essayer de nouer avec la Chine une relation, non pas d’égal à égal, car les Européens ne seront jamais aussi nombreux que les Chinois, mais de partenaires économiques et commerciaux qui repose sur une forme de réciprocité.

Une partie du déplacement du Président de la République en Chine est justement consacrée à l’ouverture des marchés chinois à nos entreprises. Nous devons créer de l’écoute et donc de la réciprocité sur ces sujets.

Vous m’avez également interrogée sur les forages turcs au bloc 7 au large de Chypre. Le Conseil européen a décidé des sanctions à l’encontre de ceux qui mènent ces forages. La limite à poser est celle de la souveraineté territoriale d’un État membre. Nous sommes extrêmement mobilisés sur ce sujet.

Monsieur le sénateur Marie, vous souhaitez savoir quels projets phares nous portons pour les années qui viennent. La France et l’Allemagne, contrairement à beaucoup de nos partenaires, ont une feuille de route. C’est le discours à la Sorbonne qui a ensuite été décliné sous diverses formes durant la campagne des élections européennes et qui a largement inspiré le discours d’Ursula von der Leyen.

Ce discours nous dit que l’Europe doit se positionner face aux défis de son siècle – le climat, la capacité à créer des emplois dans un monde très innovant… – et doit porter sa voix dans un monde qui n’est plus celui des années quatre-vingt-dix, avec des blocs très organisés, où chacun savait où il habitait. Les alliances sont aujourd’hui très mouvantes, ce qui nous oblige à retrouver de l’autonomie.

Cette souveraineté européenne est un cadre qui rassemble davantage chaque jour. Les différents pays ne peuvent répondre autrement qu’en Européens face aux pressions commerciales ou aux investisseurs prêts à partir très loin et à détruire des emplois…

Comment Ursula von der Leyen peut-elle trouver une majorité pour soutenir ce projet ? Le travail mené la semaine dernière avec les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen et cette semaine au Parlement européen ne vise pas à signer un accord de coalition, un bout de papier signé la main sur le cœur pour cinq ans dont on ignore s’il aboutira à quoi que ce soit. Sur les grandes thématiques, les grandes priorités qu’elle a fixées, la présidente de la Commission doit pouvoir disposer d’un engagement collectif et de confiance.

Je me rends à Strasbourg tous les mois depuis six mois, au moment de la plénière, pour rencontrer les parlementaires européens de manière extrêmement intensive. Les choses sont bien évidemment plus compliquées qu’avec deux blocs et des positions définies dès le départ, mais je peux vous assurer qu’une majorité existe sur de nombreux thèmes. Il faut construire cette majorité, sujet par sujet. C’est un travail que je mène aussi au Conseil. Si l’on se contente de dire que la France et l’Allemagne sont d’accord, ça ne marche pas. Les coalitions se forment sujet par sujet : nous avons des partenaires sur le budget, nous en avons d’autres sur le climat ou sur la cohésion… Nous avançons thématique par thématique, ce qui demande plus de travail et d’agilité. Nous avons une majorité moins visible, moins automatique, qui demande plus de mobilisation collective.

En ce qui concerne le cadre financier pluriannuel, le CFP, je pense que nous pourrons trouver des contributions nationales pour les politiques actuelles et des ressources propres pour financer le coût des nouvelles politiques. Il existe un chemin pouvant nous permettre de rallier les contributeurs nets et les pays les plus demandeurs.

Monsieur le sénateur Longeot, en ce qui concerne le calendrier, mieux vaut un bon accord qu’un mauvais accord négocié trop vite. Nous essayons tout de même d’avoir de la visibilité pour le début 2020. Nos chercheurs, nos collectivités locales, nos entreprises qui dépendent au quotidien de ces fonds européens ont besoin de clarté. Vous m’en voudriez beaucoup si, dans quelques semaines, je venais vous annoncer un accord avec une PAC réduite à la portion congrue ou des régions en transition maltraitées. Il faut trouver le juste équilibre.

Toutefois, nous ne voulons pas prendre de retard. Nous ne voulons pas nous retrouver avec les mêmes problèmes qu’en 2014 sur le terrain. Nous savons combien cela pourrait être dommageable.

Madame la sénatrice Morhet-Richaud, vous avez souligné que les Américains avaient largement soutenu les programmes de développement militaire en Macédoine du Nord. Or, pour 2 millions d’habitants, ce pays a reçu de l’Union européenne 664 millions d’euros de soutien entre 2014 et 2020, au travers de l’instrument de préadhésion.

Nous menons avec ces pays une politique d’investissement collectif très forte. S’il faut traiter le sujet juridico-politique de l’élargissement, les chiffres que je viens de citer montrent que l’Union européenne ne se désintéresse pas de ces pays situés au cœur de l’Europe et avec lesquels nous devons nouer une relation stratégique.

Je vous remercie de ces échanges et de votre soutien, dans une période où nous avons besoin d’une parole unie et non d’une parole dure, d’une parole qui amène de la clarté. Nos partenaires doivent savoir que si nous sommes parfois exigeants, c’est aussi dans leur intérêt. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

Conclusion du débat