M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.

M. Jacques Grosperrin. Madame la ministre, j’aurais pu vous poser une question au sujet des arts martiaux mixtes, les MMA, mais je ne le ferai point : sur ce sujet, vous avez su régler les problèmes pendants depuis plusieurs années ; je vous en remercie !

L’organisation du sport a été transformée en 1960 par le général de Gaulle : après les piteux résultats obtenus par la France aux jeux Olympiques, le chef de l’État a décidé de réorganiser le sport de haut niveau, en mettant en place des fédérations et des directeurs techniques nationaux, ou DTN, ainsi que des conseillers techniques sportifs, les CTS.

Depuis, le rôle des fédérations a évolué au-delà du haut niveau ; on leur a reconnu des missions d’intérêt général et de service public. Christian Manable l’a rappelé : les fédérations et leurs bénévoles maintiennent une activité dans les zones carencées, rurales comme urbaines, en luttant contre la désocialisation et la désertification.

Aujourd’hui, le budget que l’État consacre au sport apparaît en augmentation, mais le périmètre couvert a fortement évolué, compte tenu des variations de contenu et de l’impact grandissant de la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Les missions de service public assumées par les fédérations s’en trouvent affectées.

Les activités sportives alimentent deux taxes affectées, une troisième, sur les recettes de la Française des jeux, ayant été créée spécifiquement au bénéfice du sport. Je ne reviendrai pas sur la taxe Buffet : l’enjeu est d’en relever le plafond, sinon de la déplafonner, pour abonder les fonds territoriaux de l’Agence nationale du sport. La taxe sur les recettes de la Française des jeux pourrait aussi être rehaussée, voire déplafonnée, pour financer les équipements sportifs : le parc actuel est insuffisant, inadapté et vieillissant. La troisième taxe, sur les paris sportifs, dont le produit est de 111 millions d’euros, pourrait aussi être relevée pour financer les emplois sportifs associatifs, qui garantissent la pérennité des activités.

Au total, l’État accorde une délégation aux fédérations pour conduire des politiques publiques, mais prélève des revenus sur les activités qu’elles créent. On ne peut raisonnablement ponctionner le sport de la sorte ! En la matière, les fonds de l’État devraient être dédiés exclusivement au mouvement sportif et aux collectivités territoriales.

Dans le même temps, la licence est dévalorisée et attaquée. Dans la définition de vos objectifs, vous distinguez les pratiquants sportifs, sur lesquels lorgnent les entreprises marchandes, et les licenciés sportifs des fédérations. Or les ressources des fédérations reposent en grande partie sur les licences. En la matière, le ministère des sports présente les chiffres avec habileté, mais ces derniers ne reflètent pas la réalité, dans la mesure où l’on inclut, dans les recettes des diverses fédérations olympiques, celles des fédérations françaises de football et de tennis, y compris le montant de leurs droits audiovisuels. La lecture des chiffres s’en trouve biaisée.

En conclusion, le sport ne peut être considéré comme une dépense sèche : il s’agit en réalité d’un investissement rentable à moyen et à long terme, au bénéfice de la société. Vous avez déclaré il y a quelques instants, madame la ministre, avoir réfléchi à l’orientation à donner aux fédérations.

M. le président. Merci de conclure !

M. Jacques Grosperrin. Quelle est votre vision de leur rôle ? Il faut les aider à se structurer et les rassurer. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Vous avez battu le record du dépassement du temps de parole…

La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur, il y a beaucoup de questions dans votre question ! Ma réponse se limitera à l’aspect budgétaire. Merci de me permettre de l’évoquer, avant que le Sénat n’examine le projet de loi de finances. Dans quelques semaines, j’aurai le plaisir d’engager avec vous le débat budgétaire sur une base extrêmement solide : avec une hausse de 9,8 % de ses crédits, le ministère des sports disposera de 65 millions d’euros supplémentaires par rapport au budget de 2019.

Vous êtes, comme moi, passionné de sport, et vous défendez la pratique sportive, en particulier les MMA. L’année dernière déjà, la Haute Assemblée a démontré son intérêt pour le sport en votant l’augmentation de 15 millions d’euros des crédits que nous proposions. Je me réjouis du soutien du Premier ministre à notre projet de budget, qui non seulement conserve cette augmentation, mais prévoit aussi une nouvelle hausse, de 65 millions d’euros.

Le soutien du Premier ministre et du Gouvernement à nos politiques sportives ne s’arrête pas là. Je le répète, les crédits du sport ne se limitent pas à ceux de mon ministère. Le sport français et son ministère auront, en 2020, les moyens de leurs ambitions. Les médaillés olympiques et paralympiques de Tokyo, ainsi que leur encadrement, bénéficieront d’une augmentation. Le budget dédié à la lutte contre le dopage, qui m’importe beaucoup, croîtra de 7,5 % et, en complément, nous assurerons le financement du déménagement du laboratoire de l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD. En outre, nous financerons 500 places en formation au brevet professionnel d’éducateur sportif au sein des centres de ressources, d’expertise et de performance sportive, les Creps, dans le cadre de Parcoursup. Nous accorderons également à la pratique arbitrale un soutien de plus de 40 millions d’euros, par le biais d’exonérations de charges sociales ou fiscales.

Nous aurons l’occasion d’approfondir ces points à la fin du mois de novembre prochain, en examinant les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». Je vous remercie de m’avoir permis, dès à présent, d’annoncer la hausse des crédits alloués au ministère des sports, qui me procure une grande joie.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Alain Dufaut, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Dufaut, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur la politique du sport, à quatre ans de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques dans notre pays, était particulièrement nécessaire. Je remercie notre collègue Michel Savin de l’avoir proposé.

Au sein de la Haute Assemblée, nous sommes nombreux à être très attachés au développement du sport en France et, quelles que soient nos opinions politiques, nous travaillons en commun dans le cadre de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat ou de groupes de travail et de réflexion, afin de toujours améliorer la pratique sportive en France.

Madame la ministre, dans le tout premier courrier que vous m’avez adressé, le 3 juillet dernier, au sujet des CTS et de l’évolution de leur statut, vous écriviez : « À cinq ans des jeux Olympiques en France, […] nous devons aujourd’hui faire mieux en analysant, avec sincérité et transparence, nos forces et nos faiblesses, en interrogeant, avec ambition, nos modalités d’action et nos marges de progrès, tout en proposant, avec humilité, des adaptations du modèle sportif français. »

Ici au Sénat, nous avons les mêmes ambitions pour le sport français et nous sommes prêts à vous aider à concrétiser les adaptations nécessaires à l’émergence d’un modèle sportif français ambitieux. Ce fut d’ailleurs la mission de notre groupe de travail « sport et société : pour un développement du sport dans la société française au XXIe siècle ». Les quarante-quatre propositions formulées par celui-ci, regroupées selon cinq thématiques, sont à votre disposition.

Ce soir, beaucoup de choses ont déjà été dites par les différents intervenants. Aussi centrerai-je mon propos conclusif sur quelques problèmes qu’il me paraît fondamental de résoudre en vue de pouvoir développer le sport pour tous dans notre pays.

À nos yeux, il faut ouvrir la pratique sportive à tous. À cette fin, les moyens budgétaires dont vous disposez doivent être ciblés en priorité sur les publics suivants : les femmes, tout d’abord, pour lesquelles il faut accélérer la mise en œuvre de la parité à tous les niveaux sportifs, y compris dans les quartiers défavorisés, s’agissant en particulier des femmes les plus isolées socialement ; les habitants des zones rurales, qui, comme l’a dit Olivier Paccaud, subissent un déficit chronique d’équipements sportifs et doivent impérativement bénéficier d’aides à l’investissement dans ce domaine ; les 2,7 millions de personnes en situation de handicap, au-delà des seuls athlètes paralympiques ; enfin et surtout, les personnes âgées, qui ont un besoin évident de pratiquer des exercices et des sports, adaptés bien sûr à leur âge, en étant surveillés, pour le très grand âge, par des spécialistes de la gériatrie.

Non seulement l’activité physique prévient efficacement les maladies chroniques, mais elle permet de vieillir mieux, de vivre plus longtemps avec un maximum d’autonomie. Nous avons auditionné de nombreux spécialistes médicaux et des élus qui ont mené des expériences de pratique sportive à destination des personnes âgées. Tous leurs rapports concordent : cette activité physique est un investissement, et non un coût. Oui, les moyens financiers et humains consacrés à la pratique sportive de nos anciens sont largement compensés par les économies réalisées par la sécurité sociale : voilà ce qu’il faut expliquer aux idéologues de Bercy ! Le sport maintient en bonne santé, quel que soit l’âge des pratiquants. Avec les précautions et l’encadrement qui s’imposent, favoriser une pratique physique adaptée pour le troisième âge, y compris dans les Ehpad, est un enjeu majeur de santé publique.

L’inactivité physique est la première cause de mortalité évitable dans les pays développés, avant le tabagisme. À l’inverse, marcher quinze minutes tous les jours diminue de 15 % la mortalité précoce. Bref, madame la ministre, c’est du gagnant-gagnant !

Je vous le concède, le chantier est immense pour relever tous ces défis : le sport pour tous, le sport handicap, le sport du troisième âge, le sport professionnel, le sport à l’école, les jeux Olympiques de 2024, sans oublier la mise en place de l’Agence nationale du sport et la construction à Saclay du nouveau laboratoire de l’AFLD, qui doit impérativement être opérationnel pour les jeux Olympiques. Pour affronter ces défis, il faut non seulement une énergie et une volonté de tous les instants – vous les avez –, mais aussi des évolutions structurelles et, surtout, des moyens et des financements, que pour l’heure vous n’avez pas toujours en suffisance.

Soyez certaine que les sénateurs passionnés de sport seront toujours à vos côtés, dans cette maison, pour affirmer l’exigence, qui nous rassemble tous, de développer à court terme la pratique du sport et l’activité physique dans notre pays. Cette généralisation de la pratique sportive, y compris pour les plus anciens, doit devenir demain une cause nationale ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SOCR.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique sportive.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures quarante-trois, est reprise à vingt-trois heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire

Débat organisé à la demande d’une mission d’information

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation, sur les conclusions du rapport : Catastrophes climatiques. Mieux prévenir, mieux reconstruire.

La parole est à M. le président de la mission d’information auteur de la demande. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

M. Michel Vaspart, président de la mission dinformation sur la gestion des risques climatiques et lévolution de nos régimes dindemnisation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe socialiste et républicain, le Sénat s’est doté d’une mission d’information sur la prévention et l’indemnisation des risques climatiques, que j’ai eu l’honneur de présider et dont ma collègue Nicole Bonnefoy a été la rapporteure.

De janvier à juin derniers, la mission a entendu plus d’une trentaine de représentants d’organismes, des sinistrés, des élus locaux, des administrations, des experts ou encore des assureurs. Nous avons également procédé à une large consultation du public par internet et fait deux déplacements, en Charente et dans l’Aude.

Les attentes de nos territoires sont très fortes et l’on observe une grande détresse des victimes de catastrophes naturelles, laissées pour compte par le système actuel d’indemnisation – c’est notamment le cas pour les sécheresses.

Le constat général est clair : notre modèle français de prévention des risques climatiques n’a pas pris la mesure du changement climatique auquel notre pays doit faire face, et son fonctionnement est d’une grande opacité. Il existe donc un vrai décalage entre l’ampleur des défis climatiques et la pesanteur des décisions publiques.

Je pense tout d’abord aux difficultés pour conclure et mettre en œuvre des programmes d’actions de prévention des inondations et les plans de prévention des risques naturels, les PPRN, pour les collectivités locales.

Madame la ministre, je pense également aux atermoiements constatés à propos de la problématique du recul du trait de côte : le Gouvernement n’a toujours rien proposé aux élus du littoral, alors même que les parlementaires formulent des préconisations concrètes depuis de nombreuses années.

Je pense enfin aux prélèvements effectués sur le Fonds national de gestion des risques agricoles, le FNGRA, en 2015 ou sur le fonds Barnier en 2016 et en 2017. Ils reviennent à faire abonder le budget de l’État par les assurés, alors que ces fonds jouent un rôle indispensable pour renforcer la prévention des risques et protéger les populations. En plafonnant les ressources de ces mêmes fonds, on a envoyé un très mauvais signal, alors qu’il faut rehausser le niveau des politiques publiques pour faire face au changement climatique.

Notre mission d’information a donc proposé de corriger ces dysfonctionnements en adoptant, à l’unanimité, plus de cinquante propositions concrètes applicables rapidement, si le Gouvernement en a la volonté.

Si la prévention ne supprime pas complètement le risque, elle permet d’en limiter considérablement les conséquences humaines et matérielles. Il est indispensable d’accentuer les efforts de prévention. Nous sommes convaincus que nous devons changer d’approche face au risque, en passant du « lutter contre » au « vivre avec ».

L’information et la connaissance doivent être au cœur de ce changement et tous les outils doivent être mobilisés : les outils numériques, les réunions de terrain ou l’expérimentation d’un diagnostic « Catnat » lors de l’acquisition d’un bien immobilier, par exemple.

Bien entendu, nous ne relèverons ce défi qu’avec les collectivités territoriales. Or nombre d’élus sont démunis face à la survenance de catastrophes naturelles. La formation, la prise en compte des retours d’expérience, l’assistance des maires par les préfets sont des impératifs.

Tous les efforts de réduction de la vulnérabilité doivent être soutenus : efforts des collectivités territoriales et de l’État, efforts de nos concitoyens eux-mêmes pour réduire la vulnérabilité de leurs habitations. Or le fonds Barnier ne leur profite que partiellement. Il convient donc de rendre le fonds Barnier aux assurés et d’étudier la mise en place d’un crédit d’impôt spécifique afin de réduire le reste à charge pour les travaux de prévention des aléas climatiques.

Madame la ministre, comment expliquer à des milliers de victimes que l’état de catastrophe naturelle n’a pas été reconnu pour leur commune alors qu’il l’a été pour leurs voisins, touchés de la même manière et parfois à quelques mètres de distance seulement ?

M. Jacques Grosperrin. Bonne question !

M. Michel Vaspart, président de la mission dinformation. À quand une véritable transparence dans les procédures de définition des périmètres de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ? Des représentants des élus locaux et territoriaux doivent impérativement siéger au sein de la commission déterminant ces périmètres.

Ces propositions ne doivent pas rester sans suite : nous veillerons à ce qu’elles soient suivies d’effet. Ce débat a pour objet d’alerter le Gouvernement sur les nombreux dysfonctionnements que la rapporteure et nos collègues orateurs vont maintenant exposer.

Vous avez pris connaissance du rapport, madame la ministre. Parmi nos recommandations figurent des mesures d’ordre réglementaire. Nous souhaitons, pour chacune d’elles, que vous nous disiez ce que le Gouvernement compte faire. Concernant les mesures d’ordre législatif, nous souhaitons savoir si le Gouvernement envisage un texte de loi.

Enfin, que compte faire le Gouvernement pour tous les sinistrés qui se retrouvent dans des situations humaines parfois insoutenables et n’ont pas été inclus dans les périmètres de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ?

Nous attendons de votre part des réponses concrètes à ces interrogations. Ensuite, chacun devra prendre ses responsabilités ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la mission d’information auteur de la demande.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission dinformation sur la gestion des risques climatiques et lévolution de nos régimes dindemnisation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, notre pays est exposé à une grande diversité de risques climatiques. Ainsi, un Français sur quatre fait face à un risque d’inondation, tandis que la sécheresse concerne plus de 60 % des sols métropolitains, si bien que presque toutes les communes de France ont déjà été frappées par un tel phénomène.

Les inondations survenues la semaine dernière ont encore illustré de manière tragique la vulnérabilité de notre territoire. Or cette exposition aux catastrophes naturelles va s’amplifier dans les prochaines années à cause du dérèglement climatique : les pluies extrêmes augmenteront et les vagues de chaleur deviendront plus nombreuses et plus fortes, engendrant, tous les deux à trois ans, des sécheresses comparables à celle de 2003.

Devant l’accroissement prévisible du nombre de sinistrés, notre mission a examiné l’efficacité du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Malgré des fondamentaux pertinents, force est de constater que le système actuel est incompréhensible et injuste pour de nombreux sinistrés.

Les remontées du terrain dont nous avons été destinataires conduisent à dresser un bilan sans appel : opacité de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, inintelligibilité des critères utilisés, manque d’explications quant aux décisions prises, délais d’instruction extrêmement longs… Les griefs des sinistrés à l’encontre du régime d’indemnisation sont légion et conduisent souvent à une remise en cause de la légitimité des décisions de non-reconnaissance.

Il n’est effectivement pas acceptable qu’après avoir tout perdu lors d’une catastrophe nos concitoyens n’aient d’autre choix que de s’engager, pendant plusieurs années, dans un véritable parcours du combattant pour tenter, souvent en vain, d’obtenir une aide des pouvoirs publics ou des assureurs.

Notre mission a également pu constater que tous les sinistrés n’étaient pas placés sur un pied d’égalité, dans la mesure où il existe des difficultés supplémentaires pour l’indemnisation des dommages liés à la sécheresse. Les particularités du phénomène de retrait-gonflement des argiles, notamment le décalage entre la sécheresse et l’apparition des fissures, rendent l’indemnisation plus complexe.

De plus, nous avons observé que les critères retenus pour apprécier l’intensité de ces épisodes ne tiennent compte ni de la réalité de terrain ni de la fréquence croissante de cet aléa. Ces critères sont également à l’origine d’inégalités de traitement difficilement justifiables entre des territoires voisins, ce qui alimente un vif sentiment d’injustice chez les sinistrés. J’ajoute que les techniques de réparation proposées par les experts des compagnies d’assurances ne sont pas toutes efficaces : certaines aggravent même la vulnérabilité des habitations !

Enfin, le monde agricole est particulièrement vulnérable face aux aléas climatiques : en témoignent les ravages subis lors des récents épisodes de grêle. Nous avons pu constater un véritable déficit de protection des agriculteurs, résultant notamment d’une mauvaise articulation entre la couverture assurantielle et le régime des calamités agricoles.

Dans ce contexte, nous appelons à une modernisation durable des systèmes d’indemnisation des dommages résultant des catastrophes naturelles. L’arsenal juridique français constitue un modèle unique de solidarité. Néanmoins, des évolutions sont indispensables pour garantir sa pérennité et son efficacité.

Dans un premier temps, il nous paraît indispensable de répondre aux faiblesses structurelles de nos dispositifs de solidarité en réformant le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dans un souci d’équité, d’efficacité et de transparence. Je pense notamment à la méthodologie retenue pour qualifier un phénomène de catastrophe naturelle, aux dispositifs de franchise, qui pénalisent excessivement certains sinistrés, ou encore aux relations entre les assurés et les assureurs, qu’il convient de clarifier. Un effort global de pédagogie à destination des sinistrés est nécessaire, par une information claire et intelligible quant aux critères et aux seuils d’intervention du régime. Notre mission s’interroge également sur l’opportunité de créer, à moyen terme, un dispositif spécifique, plus adapté, pour traiter les sinistres provoqués par les sécheresses. (M. le président de la mission dinformation opine.)

Il serait également utile de mettre en place une clause d’appel, en cas de non-reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, fondée sur une expertise indépendante de terrain, afin que les décisions prises soient plus en phase avec la réalité vécue par les sinistrés.

En outre, il est primordial de mieux protéger les agriculteurs en revoyant les conditions d’éligibilité au régime des calamités agricoles, qui aujourd’hui méconnaissent les conséquences du changement climatique et la diversification des cultures.

Madame la ministre, afin de donner une portée concrète à ces préconisations, nous déposerons prochainement une proposition de loi. Nous comptons sur votre soutien.

D’autres recommandations relèvent du domaine réglementaire : j’espère que vous pourrez, ce soir, nous indiquer clairement quelles suites le Gouvernement entend leur donner. En effet, il nous appartient à tous d’améliorer la protection et l’indemnisation de nos concitoyens face aux catastrophes climatiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les inondations dans l’Aude, la tempête Xynthia, en 2010, ou encore l’ouragan Irma, en 2017, prouvent que la France, métropolitaine comme ultramarine, est particulièrement sujette aux catastrophes climatiques. Ce qui s’est passé dans l’Hérault dernièrement nous prouve une nouvelle fois que nous pouvons être frappés à tout moment.

Ces événements se caractérisent par leur violence et leur imprévisibilité. On m’opposera que certains sont prévisibles, mais l’on ne peut jamais présager de la force avec laquelle frappera tel ou tel événement climatique.

Les populations et les collectivités se trouvent souvent désemparées face à ces catastrophes. En première ligne figurent les maires, qui sont souvent juridiquement considérés comme les premiers responsables. Même si les maires ont un rôle majeur dans la prévention, ils ne peuvent pas tout. C’est là, à mon sens, le modeste message que notre mission d’information a voulu exprimer.

Lorsque j’étais maire, j’ai connu la détresse et l’impuissance que l’on éprouve devant une catastrophe. À ce moment-là, j’ai aussi ressenti le poids des responsabilités. Si l’élu doit être au cœur de la gestion de la catastrophe, il n’est pas responsable de tout et il ne peut pas tout résoudre.

Je salue l’équilibre et la bonne conduite des travaux que nous avons menés : nous les devons au président et à la rapporteure de la mission d’information, et je les en remercie vivement. Leur expertise de ces phénomènes, qu’ils connaissent dans leurs territoires respectifs, a été une importante plus-value.

Les auditions et les déplacements que nous avons effectués, notamment dans l’Aude, auront été déterminants pour notre approche. Ils auront été révélateurs de certains dysfonctionnements dont les élus sont encore victimes sur le terrain, mais aussi de phénomènes complexes dont nous avons encore du mal à évaluer les conséquences, notamment pour ce qui concerne la sécheresse.

Ne nous le cachons pas : la première des difficultés soulevées par nos élus est l’indemnisation. Parce qu’elle est trop opaque et prend aujourd’hui trop de temps, elle est devenue incompréhensible pour des communes souvent sous-dotées en ingénierie et en moyens financiers.

Pour prendre un exemple que je connais bien, mon département des Hautes-Pyrénées a été une nouvelle fois touché, en juin 2018, par une vague d’intempéries, occasionnant d’importantes crues et des dégâts matériels majeurs pour les collectivités locales. Pour faire face à ces dégâts, nombre d’élus ont demandé à bénéficier de la dotation de solidarité, mais, entre l’évaluation des dégâts, l’estimation du coût des travaux, la première décision sur les financements ou les arrêtés attributifs de subventions et le versement de cette dotation, il s’écoule généralement plus d’un an. Pour les collectivités les plus fragiles, ce délai est, hélas, beaucoup trop long et les travaux, eux, n’attendent pas. C’est à chaque catastrophe et dans toute la France que ce cercle vicieux se reproduit. Nous ne pouvons nous en satisfaire.

Je me félicite donc des cinquante-cinq recommandations que nous versons au débat, parmi lesquelles l’accélération du traitement des dossiers à l’échelon central, qui doit être une priorité.

Une meilleure appréhension des sinistres passera également par davantage de pédagogie, d’abord quand la demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est acceptée et doit suivre son cours, mais plus encore lorsqu’elle est rejetée : il conviendrait alors d’expliquer le motif de la décision et prévoir une procédure d’appel, car ces refus, en plus d’engendrer des frustrations, privent les citoyens d’indemnisations différenciées.

Je disais à l’instant que les élus sont souvent considérés comme les premiers responsables ; à ce titre, ils doivent être mieux accompagnés.

La mise en place de cellules de soutien dans chaque département permettrait de développer une véritable solidarité entre élus, mais surtout de créer un vrai réseau d’experts de la gestion de la crise climatique. C’est selon moi un moyen pertinent de diffuser les bonnes pratiques.

Parmi les victimes collatérales de ces incidents figurent également bien souvent nos agriculteurs. Si le régime assurantiel classique et celui des calamités agricoles permettent généralement une couverture assez large des aléas, nous avons fait le choix de ne pas nous reposer sur ces acquis.

Les avancées passeront d’abord par un renforcement de la formation et de l’information des agriculteurs sur les risques climatiques et, surtout, sur le fonctionnement du régime d’assurance, mais aussi par la réduction des effets de seuil.

Il faut, à mon sens, faire évoluer notre paradigme en matière de prévention. Au-delà de la prévention, qui est le corollaire d’une politique d’atténuation des risques, il nous faut nous adapter.

S’adapter, c’est comprendre que le changement climatique affecte le niveau des eaux et perturbe les milieux aquatiques. C’est aussi savoir qu’il aura des conséquences pour notre agriculture, l’énergie ou encore le tourisme. Il faut donc inscrire l’action politique dans un temps long et dans des démarches transversales et globales. Par exemple, les programmes d’actions de prévention des inondations, les PAPI, sont d’excellents outils d’appréhension des phénomènes d’inondations. Mais, là encore, le poids des réglementations et le temps de préparation de ces outils jouent parfois en leur défaveur. Ayant piloté l’élaboration d’un PAPI à l’échelle de mon territoire, je puis témoigner qu’il aura fallu plus de deux ans pour le mettre en place et plus de quatre pour réaliser les travaux, le tout sans que nous soyons exonérés des contraintes de la loi sur l’eau. Autant dire que la mise en œuvre de ces outils s’apparente parfois à un parcours du combattant et est souvent rattrapée par les événements eux-mêmes.

Sur ces sujets, je vous invite à relire l’excellent rapport de mes collègues Jean-Yves Roux et Ronan Dantec sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques d’ici à 2050. Il comporte de nombreuses préconisations également avancées par notre mission d’information, comme le développement d’une véritable culture du risque.

Premier outil de financement de la prévention, le fonds Barnier a vu sa vocation s’élargir avec le temps. Au départ conçu comme un outil de dédommagement permettant la réinstallation en dehors des zones sinistrées, il concourt aujourd’hui au financement des travaux de prévention des risques. La volonté de notre mission de faire de ce fonds le « bras armé d’une politique de prévention ambitieuse » n’aura de portée que si toutes les communes exposées s’inscrivent dans une logique d’élaboration des plans de prévention des risques naturels, car ce travail conditionne l’accès au fonds. Il faudra muscler celui-ci et le rendre plus efficient.

Nous avons tenté, la semaine dernière, de simplifier les conditions d’exercice des mandats locaux, au travers de l’examen du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique : allons jusqu’au bout de la démarche en simplifiant également la procédure d’indemnisation des risques climatiques et en soutenant nos élus, qui sont souvent en première ligne.

En conclusion, les membres de mon groupe se réjouissent de ces nombreuses recommandations qui, je l’espère, seront prises en compte pour faire évoluer le régime d’indemnisation et de prévention des risques naturels. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et LaREM.)