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Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit. »

La parole est Mme Éliane Assassi, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons, sur l’initiative de mon groupe, la question du maintien et du développement des auto-trains et des trains de nuit. Alors que l’accord de Paris doit s’appliquer dès 2020, il nous semble utile de revenir sur les outils concrets permettant à la France de respecter les engagements qu’elle a contractés pour elle-même.

Notre pays peine à atteindre les objectifs de réduction de 27 % de ses émissions à l’horizon de 2028 par rapport à leur niveau de 2013 et de 75 % d’ici à 2050.

Selon les bilans de l’Observatoire climat-énergie des ONG, les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone n’ont pas été atteints depuis 2016.

Les émissions de gaz à effet de serre ont dépassé, en 2017, de 6,7 % le budget que l’État s’était fixé. Le dépassement était de 4,5 % en 2018.

Le secteur des transports, qui représente environ 30 % de ces émissions, a dépassé de 12,6 % son budget carbone en 2018. Cela, alors même que les objectifs de report modal sont à la traîne. Ainsi, le résultat de 2018 pour le report modal du transport de marchandises est en recul de 23 % sur l’objectif, avec seulement 10,9 % de parts de marché.

On voit bien la tendance qui se dessine, c’est celle d’une politique nationale du tout-routier et du tout-aérien, reléguant le ferroviaire au rang de parent pauvre des politiques publiques. Il s’agit pourtant d’un outil écologique et sécure de maillage des territoires, apportant une réponse aux besoins de mobilité de nos concitoyens.

Monsieur le secrétaire d’État, au-delà de ces chiffres abstraits, il y a une réalité, celle d’une planète inhabitable et d’une humanité condamnée par l’augmentation des températures à un niveau supérieur à 2 degrés. Nous devons réagir ! Les marches pour le climat en France et dans le monde, l’action judiciaire engagée contre la France par une jeunesse outrée de tant d’inconséquence devraient nous faire réfléchir. La dernière tribune d’experts parue dans Le Monde nous y exhorte, d’autant que les changements pourraient être plus rapides que prévu.

Le Président Macron appelait au « make our planet great again », mais toutes les politiques menées sont à contre-pied de ces objectifs, puisqu’elles cassent les services publics, qui sont pourtant des outils extraordinaires pour la transition écologique et, singulièrement, pour le service public ferroviaire. La SNCF, dont l’État est l’unique actionnaire, se perd ainsi depuis des décennies dans une stratégie du tout-TGV et de la rentabilité à tout prix, sacrifiant ses autres activités jugées trop peu rentables : le fret, l’auto-train et les Intercités.

La logique de casse du service public est bien toujours la même : segmentation, externalisation et socialisation des pertes. On asphyxie le service public en le rendant inopérant et marginal pour l’abandonner ensuite ou le céder au privé au motif de sa dégradation et de son inadéquation avec la demande.

Le fret a été dépecé, au gré des différents plans d’entreprise, le comble étant aujourd’hui le renoncement à la ligne Perpignan-Rungis. Une démonstration, s’il le fallait, que la concurrence ne peut être l’alpha et l’oméga des politiques, publiques puisque le marché ne reconnaît pas l’intérêt général, ne s’intéressant qu’au profit immédiat. Le marché ne pense pas le temps long, il est dans le rendement immédiat. Il est donc incapable de répondre aux enjeux écologiques de développement du fret ferroviaire.

J’avais interpellé l’ancien président de la SNCF sur l’arrêt du service auto-train. Là encore, le scénario est le même. En trente ans, le service a perdu 80 % de trafic et les trains auto-couchettes ont totalement disparu, résultat d’une politique coupable de rétraction de l’offre.

Les possibilités de substitution promues par l’entreprise – le transport des voitures par camion ou leur acheminement par la route avec un chauffeur – sont un véritable contresens au terme duquel la SNCF devient elle-même pourvoyeuse de solutions routières ! Monsieur le secrétaire d’État, nous vous demandons a minima un engagement sur le maintien des installations pour permettre la reprise de cette activité prisée par certains publics, tels les seniors ou les motards.

Enfin, sur la question particulière des trains Intercités, la situation est différente. En effet, l’État a ici, en tant qu’autorité organisatrice, une responsabilité particulière, justifiée par l’intérêt de ces lignes en termes d’aménagement du territoire.

Alors qu’il existait plus de soixante lignes de trains Intercités au début des années 2000, les différents gouvernements, aidés par la SNCF, ont taillé dans l’offre. Aujourd’hui, il ne reste que six trains Intercités de jour et deux trains Intercités de nuit. Pourtant, l’offre continue d’être sabotée par les bugs informatiques constants, les travaux et les suppressions de dernière minute. On a ainsi constaté, en 2017, 47 % de déprogrammations sur le Paris-Irún. Le taux d’occupation de l’ordre de 47 % apparaît, dans ces conditions, un exploit, qui pourrait largement être dépassé.

Mme Borne annonce comme un succès un investissement de 30 millions d’euros pour rénover le matériel, faute de le remplacer. Pourtant, les sommes accréditées dans le cadre du compte d’affectation spéciale sont en diminution de 47 millions d’euros. Comment comprendre ce discours ? Pis, nous craignons, au regard de la faiblesse des investissements, le non-remplacement des sièges inclinables, ce qui serait dramatique pour l’attractivité du train de nuit. Nous attendons sur cette question des engagements fermes de la part du Gouvernement.

Notre groupe a déposé et fait adopter, dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités (LOM), un amendement engageant le Gouvernement à étudier le déploiement des trains de nuit. Cet amendement, voté ici, au Sénat, a été conservé à l’Assemblée nationale, ce qui signifie qu’il s’agit d’un objectif largement partagé.

Les usagers sont eux aussi très attachés à ce service, comme en témoigne le succès de la pétition « Oui au train de nuit ! », qui a recueilli plus de 160 000 signatures. Cette pétition demande la mise en chantier de quinze lignes nationales de nuit et de quinze lignes internationales à l’horizon de 2030. Une perspective qui permettrait, selon les estimations de l’association à l’origine de la pétition, d’économiser l’émission de 1,5 million de tonnes de CO2.

Les trains de nuit présentent de nombreux avantages.

Ils sont peu énergivores ; l’avion émet quatorze à quarante fois plus de CO2 que le train. Ainsi, sur les 164 millions de passagers aériens, 86 millions pourraient, avec une offre à la hauteur, se reporter sur les trains de nuit.

Ce mode de transport répond également aux enjeux de lutte contre la pollution aux particules fines, qui tue chaque année 48 000 personnes.

Peu coûteux, ce « report modal » sur le réseau classique a l’avantage d’être beaucoup moins onéreux que les projets sur les lignes à grande vitesse. Il est peu gourmand en artificialisation des sols, ce qui signifie une faible perte de biodiversité. Comme il utilise les lignes existantes, il permet directement d’arriver en centre-ville.

Il constitue un outil utile d’aménagement du territoire, notamment grâce aux liaisons transversales et à la possibilité d’une desserte fine.

Par son prix attractif, il permet de lutter contre les fractures sociales.

Pourtant, aujourd’hui, les analyses « officielles » sur ce mode de transport lui sont largement défavorables. Elles sont partielles et partiales. Il est injuste de pointer spécifiquement le déficit de cette offre. Le déficit du train de nuit est de 18 euros par voyageur sur 100 kilomètres. En comparaison, le déficit Intercités de jour est de 23 euros, quand celui des TER avoisine les 30 euros. Et je ne vous parle même pas des gouffres financiers de certains projets de TGV !

Par ailleurs, ce manque de rentabilité est à relativiser : la route coûte elle aussi très cher et même plus cher ! Ainsi, les chercheurs de l’université technique de Dresde ont évalué récemment ces dépenses à 50,5 milliards d’euros pour la France. Toujours selon cette étude, le coût des accidents de la route serait de 16,8 milliards d’euros en 2018.

À cela, il faut ajouter des dépenses globales des administrations de 15,2 milliards d’euros par an, dont 12,9 milliards d’euros pour les collectivités locales. Et je ne parle pas non plus de toutes les aides fiscales aux chargeurs routiers et autres exonérations de TICPE !

Quant à l’avion, celui-ci bénéficie d’un traitement de choix : subventionnement des aéroports régionaux et kérosène détaxé, ce qui représente pour le budget un coût de 3 milliards d’euros.

Le choix de l’abandon du rail sous toutes ses formes est donc un choix politique, celui du désengagement de l’État des secteurs clefs de l’économie au profit d’un système ubérisé et d’une économie libéralisée.

Nous sommes aujourd’hui dans un marché des transports structuré non pas autour des besoins des usagers et des territoires, mais autour de politiques marketing fondées sur le développement des offres low cost et, donc, sur le dumping social et environnemental. Une situation qui, vous l’avouerez, porte des risques lourds pour la sécurité des usagers et des personnels.

Nous appelons donc très directement le Gouvernement à changer de braquet. L’État doit prendre ses responsabilités. Premièrement, parce qu’il est l’actionnaire unique de la SNCF. Deuxièmement, parce qu’il lui revient, en sa qualité d’autorité organisatrice, d’affecter de nouvelles ressources à cette offre. Cela passe par un certain nombre de propositions sur lesquelles je n’ai pas le temps de m’étendre. Je pense que la France est confrontée à de nombreux enjeux et défis en la matière. Nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, je l’ai dit, des engagements concrets dès maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – Mme Josiane Costes applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE pour la tenue de ce débat sur le thème : « Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit. » En tant que sénatrice des Hautes-Alpes, l’un des derniers départements desservis par un train de nuit, ce sujet me tient particulièrement à cœur et suscite bon nombre d’interrogations. Il faut dire que le Paris-Briançon fait figure de dinosaure tant il est resté depuis de nombreuses années en dehors de toute modernisation du réseau, en dehors de toute réflexion d’ensemble, qu’il s’agisse d’aménagement du territoire ou de moyen de transport sûr et efficient.

Après avoir été ringardisés, à l’heure des réseaux à grande vitesse et de la réduction des temps de trajet, les trains de nuit pourraient-ils être sauvés par l’argument du dérèglement climatique ? Le Paris-Cerbère, le Paris-Latour-de-Carol et le Paris-Briançon pourraient-ils finalement être les moyens les plus sûrs, les plus économiques et les plus écologiques de relier les territoires et la capitale ? Je le pense, et nous sommes d’ailleurs un certain nombre d’élus et d’usagers à partager ce point de vue. Pourtant, à ce stade, difficile d’être audible quand chaque passager coûte à l’État, quand le modèle économique est obsolète, quand le matériel roulant est inadapté, quand la fréquence est aléatoire et quand l’ouverture à la réservation se fait parfois de plus en plus tard.

La SNCF voudrait dissuader les usagers des trains de nuit Intercités qu’elle ne s’y prendrait pas autrement ! Pourtant, force est de constater que ces trains affichent souvent complet, notamment le week-end et en période de vacances scolaires, par exemple. Ils correspondent à un certain type de clientèle. Si, sur d’autres périodes, les Intercités de nuit sont moins fréquentés, c’est que l’offre pourrait sans doute être améliorée.

À l’heure des mouvements en faveur du climat et des initiatives pour limiter l’usage du transport aérien, responsable, je vous le rappelle, de 10 % des émissions de gaz à effet de serre, je n’ai pas senti de réelle volonté d’inscrire les trains de nuit dans la durée, au-delà du sursis de dix ans qui a été annoncé. Ils sont maintenus, faute d’alternative, mais ne bénéficient pas d’un engouement de la part de la puissance publique. Par exemple, en 2021, le Paris-Briançon sera remplacé par des autocars pendant plus de six mois, alors qu’un itinéraire de substitution aurait pu être envisagé s’il avait été jugé prioritaire. Mais, entre l’État, les régions et SNCF Réseau, la coordination est parfois délicate. Je déplore cette situation, vécue localement comme une véritable injustice.

S’agissant des auto-trains, de nombreuses destinations ont été fermées faute d’un modèle économique adapté et, surtout, faute d’une volonté de mettre sur les rails des centaines de véhicules plutôt que d’encombrer les routes et de mettre des actes en adéquation avec des déclarations.

En préparant mon intervention, j’ai tenté à plusieurs reprises de simuler un auto-train vers les gares qui apparaissaient comme desservies. Eh bien, c’est impossible ! La SNCF me propose des chauffeurs, des camions, mais aucun train ! Des wagons porte-automobiles ne pourraient-ils pas être associés aux trains de nuit pour rétablir ce service de fret ?

Des solutions techniques existent. J’ai rencontré récemment un porteur de projet d’une navette ferroviaire autonome qui pourrait répondre aux besoins des lignes d’importance locale.

L’État a perdu la main en matière ferroviaire, comme le prouvent ses tergiversations sur l’étoile ferroviaire de Veynes et son incapacité à faire plier SNCF Réseau.

Monsieur le secrétaire d’État, quels moyens l’État va-t-il mettre en œuvre pour pérenniser les trains de nuit ? A-t-il l’intention d’accompagner les initiatives qui pourraient être prises localement en faveur du train de nuit ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d’État, vous souvenez-vous du magnifique slogan de la SNCF pour inciter les voyageurs à prendre les trains de nuit ? « Laissons la nuit nous transporter » ! Ce slogan, qui était vraiment très beau, a été supprimé il y a quelques années, en même temps qu’un grand nombre de trains de nuit.

Désormais, il ne reste plus que quelques lignes, passées à la moulinette de la rentabilité. Or comment un train pourrait-il être rentable si les calculs intègrent l’amortissement des coûts de création de l’infrastructure ? Trouvez-moi un train rentable dans ces conditions ! Et expliquez-moi ce qu’est un service public « rentable » ! Ce discours insidieux est entré dans nos têtes grâce à la contribution des rapports réguliers de la Cour des comptes. Parlons plutôt « efficacité de l’argent public » et « service rendu » ! C’est ça, le service public !

C’est au nom de ce dogme de la rentabilité qu’a été supprimé, il n’y a pas très longtemps, le Paris-Nice, dont le taux d’occupation était pourtant de 56 %, ce qui prouve que ce train n’était pas vide et qu’il rendait service. Aujourd’hui, la SNCF propose, pour le remplacer, une gamme de TGV, dont le premier arrive après midi. Si vous êtes pressé, il ne vous reste qu’à prendre l’avion, qui, comme vous le savez, ne paye pas la pollution qu’il provoque.

Les trains de nuit ont été tués par la concurrence des autres modes de transport, mais aussi par la SNCF, laquelle est, depuis plus de trente ans, confrontée à une injonction paradoxale, celle de devoir investir dans le meilleur réseau de TGV du monde tout en étant soumise à la baisse de la dépense publique.

La SNCF, pour sa survie, s’est spécialisée sur le voyageur, la grande vitesse et le périurbain, privilégiant les secteurs où le transport peut être massifié.

La SNCF, pour sa survie, a aussi tué, en plus des trains de nuit, les Intercités, le fret, les petites lignes. Elle les a tués comme on sait tuer un service public : il suffit de dégrader l’offre et de ne plus entretenir le matériel. Après quoi, vous ne pouvez franchir le mur de l’investissement, car les aides vous sont refusées au nom du principe de réalité.

En plus, la SNCF a été contrainte de faire des économies importantes sur l’état du réseau, au prix de la sécurité.

Le ferroviaire est une industrie de réseaux, avec un coût de création de l’infrastructure absolument considérable. Pour être efficace et faire diminuer les prix unitaires, le rail a besoin que l’on y circule. C’est une industrie dont le rendement est croissant.

Les régions l’ont démontré : par le cadencement, en mettant plus de trains sur une ligne, on fait baisser les prix unitaires. Pour être efficace et pas cher, le rail a besoin d’une offre variée, qui entraîne une utilisation maximale, de jour comme de nuit, avec des usages complémentaires, voyageurs et marchandises, même s’ils sont quelquefois contradictoires et demandent un arbitrage.

Il ne faut pourtant pas rêver, les temps ont changé. J’entends beaucoup de nostalgiques, amoureux du ferroviaire, se souvenir des escapades qu’ils faisaient dans un pays étranger quand ils étaient étudiants, dans une grande liberté et à un tarif accessible. Nous sommes en 2019. Les dérégulations ont opéré, et l’heure est aux hôtels moins chers, aux cars Macron, aux avions low cost et au TGV.

Pourtant, le train de nuit n’est pas mort ! Prenons l’exemple du Paris-Venise, opéré par Thello, dont l’activité a connu une progression significative ces deux dernières années. Prenons le cas de l’opérateur autrichien ÖBB, qui a réussi à conceptualiser une offre internationale, moderne, avec un modèle économique apparemment profitable. Regardons aussi la Suède, l’Écosse ou nos voisins suisses, exemplaires du point de vue ferroviaire.

Monsieur le secrétaire d’État, je l’ai déjà signalé, le défaut majeur de la LOM, c’est de ne pas avoir intégré le principe du pollueur-payeur, de ne pas avoir remis chaque mode de transport dans son champ de pertinence en intégrant les externalités négatives, les obligations de la transition énergétique. Le texte a été voté en 2019, il était indispensable de le faire !

Imaginons que, demain, la vérité des prix soit rétablie sur le coût complet et le coût écologique des modes de transport. Avec son efficacité énergétique incomparable, le rail et les trains de nuit auront alors un bel avenir. Laissons la nuit nous transporter ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Josiane Costes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’un des objectifs du plan Massif central envisagé par Valéry Giscard d’Estaing en 1975 consistait en un désenclavement de la région. Las, nous connaissons la suite des événements sur la politique ferroviaire et les réformes territoriales.

En 1980, le Cantal pouvait compter sur trente trains au départ d’Aurillac, deux trains de nuit pour Paris par Brive et Clermont-Ferrand et deux trains directs vers Paris, ainsi que des trains de neige au départ de Périgueux, Brive, Limoges et Cosne-Cours-sur-Loire. En 2019, seuls subsistent quinze trains au départ d’Aurillac, avec deux changements, aucun n’assurant une liaison directe vers la capitale, et seulement un train de neige au départ de Brive.

La dégradation de la qualité du service sur la liaison Paris-Aurillac est particulièrement représentative du long désengagement de l’État concernant l’entretien des infrastructures ferroviaires existantes. Dans les années 1970, le Capitole permettait, avec une correspondance à Brive, de rejoindre Aurillac en cinq heures trente au départ de Paris. Désormais, il en faut sept, soit quatorze heures aller-retour, avec deux changements. En 2003, le gouvernement Raffarin a supprimé les trains de nuit, qui permettaient encore d’effectuer l’aller-retour en une journée. L’année suivante, tous les trains directs entre Paris et Aurillac ont également été supprimés.

Dès lors, dans ce cas de figure, le droit à la mobilité se résume à une offre ferroviaire défaillante, une première autoroute à près d’une heure trente du chef-lieu du Cantal, des départementales limitées à 80 kilomètres-heure, une seule nationale soumise à la même limitation et une liaison aérienne qui a connu retards et annulations avant de s’améliorer.

Ce déclassement organisé a eu pour résultat une déprise démographique du Cantal, dont la préfecture a perdu 4 000 habitants en dix ans.

Certes, cette situation catastrophique n’est pas spécifique à mon département, bien qu’il soit l’un des plus enclavés de France. En 2000, la SNCF a supprimé 300 points d’arrêts sur les soixante-sept trains de nuit qui circulaient encore tous les jours.

L’abandon par l’État et la SNCF de l’ambition que l’on pouvait porter pour nos territoires a frappé l’ensemble des trains d’équilibre du territoire (TET), mais aussi d’autres petites lignes. Il a éteint les espoirs de nos concitoyens, qui ne peuvent se satisfaire de logiques comptables.

Ce « recentrage » de l’offre, pour parler en langage technocratique, sur les derniers trains d’équilibre du territoire considérés comme structurants est mortifère pour la ruralité. Huit seulement ont été préservés, dont deux trains de nuit, d’autres lignes seront reprises par les régions, sans que l’on sache pour combien de temps. Leur fréquentation avait certes baissé et l’insuffisante rentabilité constituait l’excuse parfaite à ce sabotage. Encore fallait-il se pencher sur la véritable cause : le manque d’investissements consacrés aux infrastructures causait de multiples retards, décourageant, une fois de plus, les voyageurs.

Tous gouvernements confondus, ces décisions laissent un goût amer à la ruralité, qui ressent une volonté de délaisser les liaisons peu rentables, les amenant à l’agonie pour provoquer leur fermeture.

En ce qui concerne les auto-trains, après une réduction progressive de l’offre – cela débute toujours ainsi –, la SNCF prévoit déjà leur suppression d’ici à la fin de l’année, sans l’annoncer explicitement sur le site de réservation, tout en proposant le recours à un chauffeur. Je m’interroge sur les vertus écologiques de cette décision.

Lors de la publication du rapport que j’ai commis, relatif à la contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires, il m’a été reproché de faire la promotion de l’aérien au détriment des autres modes de transport. C’est méconnaître la réalité de l’enclavement, ainsi que mes engagements en faveur du retour de nos dessertes ferroviaires, qui restent prioritaires. Ce sont les fermetures successives des lignes de train vers les grandes villes que compte notre pays, ainsi que la dégradation de celles qui subsistaient, qui ont rendu vital le recours à l’avion.

Pour certains endroits de notre pays, face à une demande de mobilité existante et une offre maigre, que ce soit à titre personnel ou professionnel, la seule réponse est la diversification de l’offre ferroviaire. C’est la raison pour laquelle, bien que cela ne soit pas dans l’air du temps, je souscris aux propositions de nos collègues visant à promouvoir l’auto-train et les trains de nuit. En l’absence de maintien de ces services, c’est le report du train vers la route ou l’avion qui est soutenu, pour ceux qui pourront encore se déplacer.

L’urgence climatique implique un recours accru à des moyens de transport moins émetteurs de gaz à effet de serre, mais elle requiert plus d’équité pour rassembler efficacement, car la ruralité adhère à nos objectifs environnementaux si on lui donne la possibilité d’opérer la transition.

N’opposons pas les moyens de transport lorsqu’il ne peut y avoir de report modal en l’état actuel des infrastructures ferroviaires. En ce qui concerne le mode aérien, sa transition écologique doit également être accompagnée.

Le groupe du RDSE ne peut qu’apporter son soutien aux auteurs du débat, bien qu’il ne s’agisse que d’une partie de la réponse à un problème bien plus large, celui du droit à la mobilité et à un aménagement très équilibré de notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat de ce soir est, une fois encore, l’illustration que chemin de fer et récit national sont intimement liés. Le rail a apporté une contribution éclatante à l’aménagement de notre territoire national, du nord au sud et de l’est à l’ouest.

En 2017, en lançant les Assises de la mobilité, le Gouvernement a initié une refonte sans précédent de la politique des transports avec l’objectif d’améliorer la mobilité de tous les Français, sur tous les territoires. Ces assises se sont prolongées l’an dernier par l’examen de la loi d’orientation des mobilités. Il a donné lieu, dans cet hémicycle, à des débats riches, sans tabou, visant une seule et même priorité : la mise en place d’un modèle, d’un cercle vertueux qui sera profitable aux usagers, aux entreprises ferroviaires, à l’État, aux collectivités territoriales et à l’aménagement du territoire et, surtout et encore, à la transition écologique.

Nous prolongeons aujourd’hui ce débat autour de la situation des trains de nuit et de l’auto-train.

Nous le savons, les trains Intercités sont une catégorie résiduelle, entre grande vitesse et transport express régional. En effet, ces trains ne sont pas des TGV, car ils ne dépassent pas 200 km/h et circulent sur le réseau classique. Assurant des relations de moyenne et longue distance, ils ne sont pas non plus des TER, lesquels sont en principe chargés des dessertes locales dans le périmètre d’une région.

Leur périmètre n’a cessé de se réduire, à la mesure du développement des deux autres activités. C’est d’abord la conséquence du développement du réseau à grande vitesse, qui, depuis une trentaine d’années, a peu à peu dominé la stratégie de la SNCF en matière de grandes lignes, concentrant, en ce domaine, les investissements en infrastructures, en matériel roulant, en stratégie commerciale et d’image. Toutefois, cette marginalisation est aussi à mettre en regard du développement du transport régional, qui, depuis une dizaine d’années, bénéficie pour sa part de l’implication des autorités organisatrices régionales et de leurs investissements.

Circulant à la fois sur le réseau des grandes lignes et sur des portions du réseau ferré d’intérêt local, les trains Intercités doivent s’adapter à leurs disparités d’électrification : dix-huit lignes, soit plus de la moitié de celles qu’ils empruntent, ne sont que partiellement, voire pas du tout électrifiées.

Enfin, les trains Intercités sont particulièrement touchés par le retard de rénovation du réseau ferré classique, qui a longtemps pâti de l’allocation prioritaire des investissements aux projets de lignes nouvelles à grande vitesse. Ces éléments font que les trains Intercités ont aujourd’hui une fréquentation globalement faible, avec un parc de trains assez obsolète.

Il résulte de tous ces écueils que l’activité Intercités, de jour comme de nuit, n’occupe qu’une place minoritaire par rapport aux autres activités de transport de voyageurs de la SNCF. Elle est de plus en plus fortement concurrencée par le développement croissant des voyages et par de nouvelles solutions de covoiturage.

Les trains de nuit, tels qu’ils ont existé dans le paysage ferroviaire français, connaissent aujourd’hui une fin de cycle. En 2015, la commission parlementaire Duron relative aux TET d’avenir mettait en lumière que ce service n’était plus soutenable : il ne répondait plus aux besoins des voyageurs, engendrant de fait une forte baisse de la fréquentation et une augmentation importante du déficit financier.

Ainsi, le gouvernement précédent a fait le choix d’un recentrage de l’offre de TET de nuit sur les lignes dont le caractère d’aménagement du territoire a été jugé essentiel au regard des populations desservies et du manque ou de l’absence d’une offre de transport alternative.

En septembre 2018, lors d’un déplacement en train de nuit dans les Hautes-Alpes, la ministre Élisabeth Borne a réaffirmé que le train de nuit a un avenir, car il constitue une bonne solution pour l’accessibilité des territoires et un atout pour le développement économique et touristique. Elle s’est engagée pour la pérennité des deux lignes de nuit existantes, dont la convention d’exploitation sera reconduite au-delà de 2020 et dont on rénovera le matériel pour assurer la robustesse et la sécurité des rames, mais également pour répondre aux demandes légitimes des voyageurs quant à l’amélioration du confort.

À la différence de beaucoup de ses voisins, la France a la chance de compter sur un réseau à grande vitesse qui a beaucoup raccourci les distances et réduit en conséquence le potentiel des liaisons de nuit. Toutefois, une forte attente s’exprime, de la part des territoires, pour un redéploiement de ce service – les interventions de différents orateurs le confirment. Il peut donc être utile de reconsidérer les conclusions de la commission Duron sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, remises en 2015, et d’éclairer, dans ce nouveau contexte, les enjeux et les conditions d’un développement plus important du réseau des lignes de nuit, en cohérence avec le calendrier des travaux de remise en état de l’infrastructure.

Par ailleurs, avec l’avènement d’une catégorie de touristes écoresponsables, on peut imaginer qu’au niveau européen le train de nuit soit envisagé comme une solution de substitution à l’avion.

Abandonné un peu partout en Europe ces dernières années, le train de nuit transfrontalier renaît en Autriche : la compagnie nationale ÖBB développe son réseau depuis 2016. Elle est désormais leader dans l’offre de trains de nuit à travers l’Europe, avec vingt-six lignes, qu’elle opère seule ou en partenariat. Voilà un exemple qu’il serait bon d’étudier finement.

Le Gouvernement propose de remettre un rapport au Parlement d’ici au 30 juin 2020, en s’inspirant notamment des expériences conduites dans d’autres pays pour imaginer un avenir aux trains de nuit. Cette annonce va bien entendu dans le bon sens.

Le service auto-train, proposé par SNCF Mobilités, présente des avantages sur le plan environnemental et en termes de sécurité routière. Toutefois, ce service, qui s’appuyait initialement sur la circulation des trains de nuit, a connu une baisse d’activité considérable depuis une quarantaine d’années. Cette lente agonie a commencé au début des années 1980 avec le développement des autoroutes. Ainsi, en trente ans, le service a perdu 80 % de trafic et son modèle a largement évolué avec la disparition des trains auto-couchettes.

L’érosion progressive du trafic est également liée au développement de la grande vitesse ferroviaire, qui a considérablement renforcé l’intérêt du train par rapport à la voiture pour les destinations desservies par TGV. Cette tendance s’est confirmée au cours des quatre dernières années, qu’il s’agisse du chiffre d’affaires ou du nombre de véhicules transportés, avec une diminution d’activité de 13 % depuis 2013. Une augmentation des prix a été effectuée, mais elle s’est révélée largement insuffisante pour redresser la situation économique de ce service, qui est aujourd’hui fortement déficitaire.

En 2016, l’auto-train a perdu un peu moins de 10 millions d’euros, soit l’équivalent de son chiffre d’affaires. Les charges se rapportant à ce service sont, en effet, fixes pour les trois quarts d’entre elles, alors que l’activité est d’ores et déjà très saisonnière – elle se concentre à 70 % entre juin et septembre. SNCF Mobilités a donc décidé de restreindre le service aux destinations les plus demandées, soit Avignon, Marseille, Toulon, Fréjus et Nice.

La situation de l’auto-train, certes dans le cas d’un marché de niche, illustre les enjeux environnementaux et les contraintes financières du transport ferroviaire.

Pour remplacer ce service de transport de voitures par train, la SNCF entend réorienter ses clients vers un concurrent, une start-up qui propose d’acheminer la voiture jusqu’à son lieu de destination de trois manières différentes : par un conducteur particulier, par un professionnel ou en camion. Pour l’instant, la facturation de ce service est manifestement trop élevée, mais il convient sans doute d’étudier cette piste au regard des nouveaux usages.

À travers le nouveau pacte ferroviaire français, le Gouvernement a montré toute sa détermination à réformer notre système de transport ferroviaire pour le rendre à la fois économiquement efficace, plus performant en matière de qualité de service et essentiel à la réalisation de la transition écologique.

En définitive, nous sommes arrivés à la fin d’un cycle, à la fin de la lente agonie des auto-trains : même si leur bénéfice écologique est indéniable, il faudra sans doute trouver un modèle économique viable pour que ce type de service puisse renaître.