M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Sagesse !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Nous pouvons faire nous-mêmes nos propres rapports. Malgré tout, force est de constater qu’il nous manque souvent certains documents.

Nous aurions ainsi besoin de plus d’informations sur les instituts français – je fais bien la différence, monsieur le ministre, entre l’Institut français et les instituts français –, notamment sur la question immobilière. Nous avons beaucoup parlé d’immobilier tout au long de cette discussion budgétaire. Or l’état de certains instituts dans le monde est fort préoccupant.

La commission de la culture s’est rendue au Mexique au mois de septembre dernier et elle a pu constater sur place le délabrement de l’Institut français, qui aurait besoin de sacrés travaux – j’en profite pour vous faire passer le message, monsieur le ministre.

Je m’en suis ouverte aux rapporteurs : nous ne disposons pas d’état des lieux précis de l’immobilier des instituts français.

Je rappelle également que nous avons l’obligation d’auditionner les opérateurs sur leurs contrats d’objectifs et de moyens, et que c’est là l’occasion d’effectuer un contrôle. L’Institut français arrivant en fin de contrat, nous pourrons évaluer ses moyens au regard de ses objectifs.

Je rappelle enfin que notre commission avait failli au début émettre un avis défavorable sur les crédits de cette mission, parce que, objectivement, les moyens n’étaient pas au rendez-vous.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-2.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 73 A est supprimé.

Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des crédits des différentes missions.

Aide publique au développement

Compte de concours financiers : Prêts à des États étrangers

Article 73 A (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Aide publique au développement - État B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Aide publique au développement » (et article 73 D), ainsi que du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons analysé le projet de budget pour 2020 avec la même grille de lecture que celle que nous avons utilisée l’année dernière : ce budget est-il réellement à la hauteur de l’ambition fixée par le Président de la République, qui souhaite que le montant de notre aide publique au développement représente 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022 ?

Rappelons que ce budget nous est présenté au terme d’une année marquée par le volontarisme du Gouvernement en matière d’aide publique au développement. Ainsi, la France a accordé une place centrale à la politique de développement lors du G7 qu’elle a présidé en août dernier, ou encore lors du G20 qui s’est tenu au Japon en juin dernier. Ces deux rendez-vous internationaux ont permis de réaffirmer notre attachement aux objectifs de développement durable (ODD) et à la place centrale de l’Afrique dans notre aide.

En premier lieu, le projet de budget pour 2020 poursuit la montée en charge des moyens budgétaires en faveur de l’aide publique au développement, même si l’essentiel de la hausse interviendra après 2020.

Les autorisations d’engagement de la mission s’élèvent à 7,3 milliards d’euros, soit une hausse très importante, de près de 63 %. Les crédits de paiement s’établissent à 3,3 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 7 % par rapport à 2019.

La forte progression des autorisations d’engagement résulte en réalité du cycle de reconstitution des ressources de plusieurs fonds et organisations multilatéraux en 2020, en particulier l’Association internationale de développement (AID), le Fonds vert pour le climat (FVC) et le Fonds africain de développement (FAD). Ces reconstitutions suivent un rythme triennal ; une hausse similaire avait donc été observée en 2014 et 2017. Les contributions relevant du ministère de l’Europe et des affaires étrangères augmentent également, de près de 100 millions d’euros en autorisations d’engagement, recouvrant à la fois les contributions volontaires aux Nations unies et à d’autres fonds.

Le produit des taxes affectées au développement est stable, à hauteur de 738 millions d’euros. À cet égard, le projet de loi de finances pour 2020 est marqué par une évolution notable. La taxe de solidarité sur les billets d’avion sera augmentée et le surplus de recettes affecté à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Cette mesure a fait l’objet de vifs débats en séance publique, mais je tiens à rappeler l’importance de la sécurisation des ressources du Fonds de solidarité pour le développement (FSD), auquel le produit de cette taxe est affecté.

Nous avons un motif d’inquiétude concernant le programme 852 du compte de concours financiers, qui recouvre les crédits liés aux restructurations de dettes accordées par la France. L’indicateur de soutenabilité de la dette des pays concernés se dégrade, comme vous l’avez sans doute observé, monsieur le ministre, ce qui traduit une aggravation de leurs perspectives macroéconomiques. L’accentuation de la vulnérabilité de ces pays nous conduit à nous interroger sur la pertinence de notre politique de prêts à long terme.

Après plusieurs auditions, il a semblé aux rapporteurs spéciaux que ce budget était encourageant pour atteindre l’objectif fixé par le Gouvernement.

En effet, comme nous l’avons indiqué en commission, la part de notre aide publique au développement dans notre revenu national brut était de 0,38 % en 2016. Elle devrait être de 0,43 % en 2019, soit seulement 0,01 point en dessous de la trajectoire déterminée par le Gouvernement. C’est pourquoi mon collègue Jean-Claude Requier et moi-même nous sommes prononcés en faveur d’une confiance prudente à l’égard du Gouvernement.

Toutefois, à l’issue de débats nourris, la commission des finances a proposé le rejet des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

La transparence en matière de financement de l’aide publique au développement et l’évaluation de l’efficacité de cette politique publique ont été au cœur des débats de notre commission. Alors que le Président de la République s’est engagé à élever la France au rang des principaux donateurs, il est impératif que le Parlement soit suffisamment informé sur la pertinence de cette politique, dont les moyens budgétaires sont en pleine expansion.

Le projet de loi d’orientation et de programmation relatif à l’aide publique au développement devrait permettre, nous l’espérons, de mettre en œuvre une évaluation plus fine et exhaustive de l’aide publique au développement. À cet égard, monsieur le ministre, pourriez-vous nous apporter des précisions sur les dispositions envisagées en la matière, en particulier sur le comité de pilotage que vous avez instauré voilà quelques semaines ?

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions que m’inspire ce projet de budget. (M. Richard Yung applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que s’achève l’année 2019, nous regrettons de ne pas avoir pu examiner, avant le présent projet de budget, le projet de loi d’orientation et de programmation relatif à l’aide publique au développement, dont le dépôt a été plusieurs fois repoussé. L’insertion du budget pour 2020 dans un cadre stratégique rénové nous aurait semblé plus pertinente.

Si mon collègue Yvon Collin et moi-même nous sommes exprimés, à titre personnel, en faveur d’une confiance prudente envers le Gouvernement, nous avons néanmoins souhaité émettre quelques réserves sur le projet de budget pour 2020.

En effet, il nous semble que ce budget aurait dû privilégier les dons plutôt que l’octroi de prêts. La France se caractérise par une certaine préférence pour les prêts, qui représentent un peu moins du tiers de notre aide publique au développement. Les plus grands donateurs, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, accordent presque la totalité de leur aide publique au développement sous forme de dons. Cette spécificité française entraîne un décalage entre la liste des pays que nous définissons comme prioritaires et les principaux bénéficiaires de notre aide.

Pour remédier à cette situation, le Gouvernement s’est engagé à augmenter la part des dons. En 2019, l’Agence française de développement (AFD) s’est ainsi vue attribuer 1 milliard d’euros supplémentaires – ce n’est pas rien ! – en autorisations d’engagement pour concrétiser cette promesse. Toutefois, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une réduction des ressources permettant à l’AFD d’accorder des dons, à hauteur de 594 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 35 millions d’euros en crédits de paiement. À l’inverse, la capacité de l’Agence à octroyer des prêts progresse légèrement.

Les auditions que nous avons effectuées ont mis en évidence la volonté de revaloriser le rôle des ambassades dans le versement de subventions. Dans cette perspective, les crédits des fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) ont progressé de 36 millions d’euros.

Ce choix suscite des interrogations de notre part, car la masse salariale des réseaux consulaires et diplomatiques est appelée à se contracter dans le cadre de la réforme de l’État à l’étranger. Les ambassades auront-elles les moyens d’absorber cette charge de travail supplémentaire ? La déconcentration de cette enveloppe ne risque-t-elle pas d’entraîner un effet de saupoudrage ?

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment les ambassadeurs mèneront à bien cette nouvelle mission tout en poursuivant un objectif de réduction de leur masse salariale ? Cette perspective pose question sur les relations futures entre l’AFD et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Le projet de loi d’orientation et de programmation devrait comporter des dispositions sur ce sujet. Monsieur le ministre, comment envisagez-vous les relations entre votre ministère et l’AFD à court et à moyen terme ?

Comme l’a indiqué Yvon Collin, la commission des finances propose le rejet des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

Indépendamment de la question de l’évaluation de cette politique publique, les échanges nourris qui ont eu lieu en commission traduisent un certain malaise concernant les principaux bénéficiaires de notre aide publique au développement, en particulier la Turquie. La commission des finances s’est exprimée clairement en faveur d’une plus grande transparence dans l’allocation des crédits et de la mise en œuvre d’un pilotage clair de cette politique publique. La coexistence de deux ministères de tutelle, d’acteurs étatiques, non étatiques, de l’opérateur pivot qu’est l’Agence française de développement, participe certainement d’une certaine confusion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères partage nombre des préoccupations qui viennent d’être exprimées.

Clarification de la stratégie et du pilotage, renforcement de l’évaluation, priorité à l’Afrique : tels sont nos principaux sujets d’intérêt pour l’année à venir, comme vous le savez, monsieur le ministre.

En matière de pilotage et de stratégie, nous notons avec satisfaction la volonté du ministère de réinvestir cet enjeu politique majeur. Nous pouvons nous féliciter de disposer d’un opérateur puissant pour notre action extérieure, mais il est impératif que sa stratégie reste alignée sur celle qui est définie par le Gouvernement et le Parlement.

Compte tenu de l’importance des enjeux financiers, des défis politiques à relever, de leur nécessaire acceptabilité par nos concitoyens – si les Français, nous le savons, sont généreux, ils souhaitent savoir à quoi servent leurs efforts, et c’est bien normal –, il est essentiel que nous mettions en place un dispositif permettant au Parlement de co-définir le programme d’évaluation de la nouvelle instance et de demander au Gouvernement de s’exprimer devant nous sur les résultats obtenus. Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous dire où en est votre réflexion sur ce sujet.

Alors que la priorité a été donnée à l’Afrique, le retour des dons en 2019 était une bonne chose. Toutefois, les autorisations d’engagement de l’AFD fléchissent déjà nettement dans le projet de loi de finances pour 2020. Or les besoins restent immenses, notamment dans le domaine de l’énergie, comme nous avons pu le constater la semaine dernière lors d’un déplacement à Madagascar. Et je ne parlerai pas des pays du Sahel, où le taux d’électrification n’atteint même pas 30 %.

Enfin, le retour de l’éducation au premier rang de nos priorités en matière d’aide au développement, qui se concrétise par l’augmentation des crédits alloués au Partenariat mondial pour l’éducation, est certes une bonne nouvelle. Il est en effet essentiel d’offrir un meilleur avenir aux enfants et aux jeunes d’Afrique subsaharienne, mais il conviendrait de parvenir à une plus grande adéquation entre les ambitions affichées par le Président de la République et les moyens mobilisés. C’est le débat que nous avons eu au cours de la matinée.

En revanche, notre effort en faveur de l’agriculture reste en deçà de ce que nous pourrions accomplir.

À cet égard, la nature des financements dégagés pour atteindre les 0,55 % du revenu national brut en 2022 sera déterminante : si l’on ne devait procéder qu’à des annulations de dettes, comme cela est désormais parfois évoqué, notre action ne pourrait pas être à la hauteur de nos ambitions. Pourriez-vous, monsieur le ministre, préciser les choses sur ce point ?

Enfin, vous me permettrez de vous interroger sur un aspect technique de la coopération décentralisée, dont vous connaissez l’importance, notamment dans les territoires sensibles. Cette aide se trouve contrainte dans la limite du 1,2 % d’augmentation des budgets de fonctionnement, alors qu’il s’agit souvent de financements extérieurs. Je vous remercie, sur cette question également, des précisions que vous pourrez nous apporter.

Vous le savez, monsieur le ministre, la commission des affaires étrangères a décidé de voter les crédits de la mission, compte tenu du travail engagé par votre ministère, de sa volonté de renforcer la direction politique, ainsi que le contrôle opérationnel et parlementaire. Cet avis favorable vaut pour le présent projet de loi de finances, dans l’attente du projet de loi d’orientation et de programmation relatif à l’aide publique au développement, lequel, vous le savez, est attendu avec impatience. Nous souhaitons obtenir dans ce cadre des garanties supplémentaires, en plus des engagements que vous allez prendre dans un instant, sur l’orientation politique et sur le contrôle de l’action.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aborderai tout d’abord la situation d’Expertise France, tant la présence dans le monde de l’expertise française est un outil essentiel d’influence, notamment en Afrique, où nous risquons de passer au second plan par rapport à nos partenaires allemand et britannique.

Nous prenons acte de la subvention d’équilibre inscrite dans le présent projet de loi de finances au bénéfice de cet opérateur, mais il est essentiel que lui succède un socle de commande publique solide, comme dans les pays comparables au nôtre.

En effet, l’intégration au groupe AFD est tout sauf une solution miracle : il faut notamment éviter que ne s’installe une relation exclusive avec l’Agence, qui priverait Expertise France de son accès à l’expertise des différents ministères et la ferait dépendre d’un seul opérateur, dont la culture de banque de développement est nécessairement assez différente de la sienne. Monsieur le ministre, comment comptez-vous éviter cet écueil ?

En tout état de cause, nous serons particulièrement attentifs au nouveau contrat d’objectifs et de moyens d’Expertise France.

À la suite de Jean-Pierre Vial, mon corapporteur pour avis, j’insisterai sur l’évaluation. Il est question, semble-t-il, d’un rattachement de la future commission indépendante d’évaluation à la Cour des comptes. Nous nous interrogeons sur cette perspective. Le modèle britannique, que nous avons étudié in situ lors d’un déplacement à Londres, nous paraît nettement plus pertinent : l’Independent Commission for Aid Impact est séparée du National Audit Office, l’équivalent de la Cour des comptes, ce qui lui permet d’envisager l’aide au développement au-delà de la régularité des engagements financiers et du seul value for money, pour en mesurer les résultats globaux à long terme.

Le budget de la mission prévoit une très forte hausse des engagements au profit des fonds multilatéraux. Il est certes important d’actionner ce levier, mais à condition qu’il y ait synergie, et non contradiction, avec notre action bilatérale. À cet égard, monsieur le ministre, sommes-nous au Sahel sur la même longueur d’onde que la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ?

De même, on sait que le Fonds mondial, auquel nous venons encore d’augmenter notre contribution, n’agit pas suffisamment pour renforcer les systèmes de santé des pays africains. Allons-nous réussir à infléchir cette tendance ou ne ferons-nous que la pallier par notre aide bilatérale ?

Plus généralement, il est essentiel que nous puissions, enfin, traiter de l’ensemble de ces sujets dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation relatif à la solidarité internationale. Or, monsieur le ministre, nous désespérons un peu de voir arriver ce texte, annoncé depuis des mois…

Cette attente, ainsi que l’inquiétude, partagée par presque tous les groupes, sur la crédibilité de la trajectoire financière et certains choix fort discutables dans les pays soutenus, nous a conduits à exprimer de vives réserves sur ce budget. Néanmoins, l’augmentation globale prévue pour 2020 étant très importante, les membres de la commission des affaires étrangères se sont prononcés pour l’adoption des crédits, certains, il est vrai, du bout des lèvres.

M. le président. Il faut songer à conclure…

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure pour avis. Nul doute qu’il en irait autrement l’année prochaine, en l’absence de présentation du projet de loi d’orientation et de clarification de la trajectoire. Mais nous savons pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre, pour qu’il n’en soit pas ainsi !

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jacques Le Nay.

M. Jacques Le Nay. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la mission « Aide publique au développement » connaît une hausse très substantielle de ses crédits, qui représenteront l’année prochaine 0,43 % de notre revenu national brut. Nous saluons cette progression, bien que nous regrettions l’écart qui se creuse avec la trajectoire nécessaire pour atteindre l’objectif présidentiel de 0,55 % du RNB en 2022 – sans parler des 0,7 % fixés dans le cadre des objectifs de développement durable des Nations unies.

Au-delà de cette hausse générale, nous constatons que l’aide publique au développement (APD) de la France est marquée par un fort déséquilibre entre les prêts et les dons, au détriment des seconds. Cela nous distingue de nos voisins, qui insistent plus que nous sur la dimension dons de leur APD.

Cette situation n’est pas sans conséquence sur notre action. En effet, elle entraîne un écart sensible entre les priorités que nous affichons, notamment géographiques – je pense évidemment à l’Afrique –, et la réalité de notre action. En d’autres termes, les pays que nous jugeons prioritaires ne sont pas ceux qui reçoivent la plus grande aide de notre part, du fait de la logique de solvabilité et de garantie qu’impose la notion même de prêt ; celle-ci favorise les pays dits intermédiaires et les secteurs profitables, au détriment des pays les moins avancés.

Nous déplorons donc la baisse prévue des moyens permettant à l’Agence française de développement d’accorder des dons. La très forte hausse de l’an dernier aurait-elle été difficile à absorber ? Dans l’attente d’éclaircissements à ce sujet, nous réaffirmons notre souhait que la hausse prévue des moyens accordés à l’APD inclue un rééquilibrage en faveur des dons.

Par ailleurs, nous constatons que l’augmentation des crédits de la mission est particulièrement marquée en ce qui concerne la coopération multilatérale, principalement en autorisations d’engagement. Cette tendance résulte notamment de la hausse de la contribution de la France à plusieurs fonds multilatéraux, tels le Fonds vert pour le climat et l’Association internationale de développement.

Il est important que la France participe à ces mécanismes internationaux en faveur des pays moins avancés, et nous y souscrivons. Cependant, nous constatons que ces autorisations d’engagement supplémentaires contrastent avec le recul de celles qui sont consacrées à la coopération bilatérale, à rebours des préconisations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid).

Or, si les deux types d’action sont complémentaires, l’aide bilatérale, outre que sa traçabilité est meilleure, présente l’avantage de mieux servir nos intérêts nationaux dans l’aide que nous accordons à des pays étrangers. En réduire l’ampleur est donc particulièrement regrettable, car nous pensons que l’APD française doit être pleinement intégrée à la politique étrangère de notre pays.

De ce point de vue, la conditionnalité de l’aide, dans un cadre réglementaire strict, ne devrait pas être un tabou. Ce principe a été défendu par notre collègue Philippe Bonnecarrère lors du débat sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, le mois dernier. Au reste, il est déjà appliqué par certains de nos voisins européens.

Plusieurs pays, plusieurs régions du monde sont en proie à des déséquilibres qui laissent craindre l’émergence, dans un futur proche, de situations contraires à nos intérêts. Il est donc essentiel d’agir de manière efficace, dès maintenant. Le développement, couplé, si nécessaire, aux deux autres « D » que sont la diplomatie et la défense, doit s’inscrire résolument dans cette démarche.

La semaine dernière, je me suis rendu à Madagascar dans le cadre d’une mission interparlementaire inédite dans sa constitution, car associant positivement les commissions des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat. Face à la dure réalité du terrain, nous avons pu nous rendre compte de l’action de la France à partir des projets présentés et menés par l’AFD dans des domaines aussi importants que l’urbanisme, la gestion de l’eau et l’assainissement, mais aussi l’éducation et la formation professionnelle ; certaines de ces opérations sont mises en œuvre en partenariat avec des ONG.

Les acteurs rencontrés sur place nous ont fait part de leur besoin de visibilité à long terme sur les moyens disponibles. Je ne puis donc, monsieur le ministre, que souscrire aux conclusions des rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Perol-Dumont : il est grand temps que soit précisé l’agenda du projet de loi d’orientation et de programmation relatif à l’aide publique au développement.

La nature et l’efficacité de notre action dépendent des deux grands équilibres qui structurent le fonctionnement de l’APD : l’équilibre entre les dons et les prêts et l’équilibre entre l’aide multilatérale et l’aide bilatérale. Nous espérons que le futur texte, si nous en sommes saisis un jour, saura les articuler au mieux pour que notre politique en la matière bénéficie autant aux populations qui en ont besoin qu’à notre pays.

La majorité des membres du groupe Union Centriste voteront les crédits de cette mission.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2020 marque une nouvelle étape dans la remontée en puissance de notre politique d’aide au développement. Contrairement à ce que d’aucuns laissent entendre, il respecte la trajectoire budgétaire fixée par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement en février 2018, qui doit conduire la France à consacrer 0,55 % de son revenu national brut à l’APD en 2022.

L’an prochain, le montant de notre aide devrait représenter 0,46 % de ce revenu, alors que la cible est de 0,47 % – entre les deux, l’épaisseur d’un trait.

Les ressources extrabudgétaires, issues de la taxe sur les transactions financières et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, sont, depuis 2018, en décroissance relative dans le total des moyens consacrés à l’APD ; la première rapporte tout de même 1,6 milliard d’euros, ce qui est beaucoup, le rendement de la seconde étant plus faible, à 218 millions d’euros. Leur part du total, de 28 % en 2017, baissera très nettement, à 18 %, l’année prochaine.

Cette inversion de tendance a été rendue possible par la rebudgétisation des crédits d’APD, qui contribue au renforcement de la transparence de notre aide.

Je me réjouis également que le Fonds de solidarité pour le développement ait été recentré sur sa mission initiale : le financement de quelques fonds multilatéraux, dont le Fonds vert pour le climat.

Sur le plan qualitatif, le projet de loi de finances est en phase avec les orientations du dernier Cicid. Plusieurs mesures budgétaires confirment le rééquilibrage de notre aide au profit de l’aide bilatérale sous forme de dons. Plusieurs orateurs ont insisté sur ce point ; le débat entre le bilatéral et le multilatéral, celui entre les dons et les prêts, sont permanents – j’entends cela depuis vingt ans, et la majeure et la mineure varient selon les années.

Un autre signe encourageant est l’augmentation importante des crédits destinés à la conduite de projets par les ambassades via le fonds de solidarité pour les projets innovants. Cette excellente initiative soutient des projets de petite ampleur, mais mis en œuvre très rapidement et, j’espère, de façon efficace, à côté de la grosse machinerie que nous connaissons.

Il convient de saluer aussi l’effort budgétaire en faveur de l’aide humanitaire et de la coopération décentralisée. Ces deux outils contribuent au renforcement du canal bilatéral sous forme de dons de notre aide.

Il en va de même pour les contrats de désendettement et de développement, auxquels le projet de loi de finances consacre 42 millions d’euros.

En ce qui concerne l’aide multilatérale, il faut souligner le doublement de la contribution française au Fonds vert pour le climat qui prendra essentiellement la forme de dons. Voilà qui confirme, monsieur Requier, que la France est en train de réduire la part de son aide consacrée aux prêts – il y a d’ailleurs beaucoup à dire sur ce débat et la politique de dons, mais ce n’est pas l’objet de la discussion de cet après-midi.

Des inquiétudes se sont exprimées sur la baisse des autorisations d’engagement allouées aux dons-projets mis en œuvre par l’AFD. Personnellement, je ne les partage pas. Je pense que le projet de loi de finances ne remet aucunement en cause les priorités thématiques et géographiques. L’effort budgétaire demeure très important.

La discussion du très attendu projet de loi d’orientation et de programmation, dont nous regrettons tous qu’il ait pris du retard, sera l’occasion de fixer un nouveau cadre à l’évaluation de notre aide. Je me réjouis que le Gouvernement envisage – peut-être nous le confirmerez-vous, monsieur le ministre – de s’inspirer du dispositif britannique, qui constitue, en effet, une référence, les Britanniques ayant fait de la politique de développement une dimension majeure de leur politique extérieure.

La commission indépendante d’évaluation qui devrait être mise en place sera chargée, notamment, de mesurer l’effet de l’APD sur les flux migratoires, le Gouvernement ayant récemment exprimé sa volonté de faire de cette aide « un levier au service de la politique migratoire ». Lors de son audition par la commission des affaires étrangères, le directeur général de l’AFD a déclaré, certainement à juste titre, qu’« une partie très significative de la réponse à la crise migratoire se trouve dans les pays d’origine, dans les pays de première destination et dans les pays de transit des migrants ».

Tout cela est vrai, et nous le disons depuis de nombreuses années ; mais nous savons tous que la mise en œuvre de ces politiques prend un temps considérable. Bien sûr, la solution réside dans le développement de ces pays ! Mais voilà plus de cinquante ans qu’ils sont indépendants…

Enfin, monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur les négociations relatives au cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2021-2027. Le projet élaboré prévoit la mise en place d’une nouvelle architecture financière pour le développement. Pouvez-vous nous en dire davantage, s’agissant en particulier des nouvelles formes de coopération – gestion des flux migratoires et climat ?

Le projet de loi de finances permet à la France d’être au rendez-vous du défi du développement. Le groupe La République En Marche votera les crédits de cette mission ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. les rapporteurs spéciaux applaudissent également.)