compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

Secrétaires :

Mme Catherine Deroche,

M. Daniel Dubois.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020
Discussion générale (suite)

Financement de la sécurité sociale pour 2020

Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (projet n° 151, rapport n° 153).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020
Exception d'irrecevabilité

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, il est d’usage, en nouvelle lecture, de ne pas refaire une présentation des grandes mesures d’un texte déjà débattu en première lecture. Aujourd’hui, l’exercice revêt un caractère particulier.

Comme l’ai déjà dit ici même, je regrette que les circonstances de la première lecture ne nous aient pas permis d’aller au bout de l’examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). J’aurais naturellement préféré que la situation soit différente, mais nous n’étions pas prêts, à ce moment-là. J’espère, à présent, que nous aurons le débat que ce texte mérite.

De nouvelles annonces ont été présentées, la semaine dernière, pour investir dans l’hôpital et soutenir la transformation engagée par Ma santé 2022 – une transformation que je sais soutenue par beaucoup d’entre vous. Il s’agit de redonner de la souplesse et des marges de manœuvre pour améliorer le quotidien des hospitaliers et accélérer la transformation.

Nous avons eu, vous avez eu, l’occasion de dire les difficultés que traverse l’hôpital, notamment public. La mobilisation du 14 novembre dernier a montré l’épuisement, voire la colère, des personnels soignants comme non soignants.

Ces mesures s’articulent autour de trois axes principaux.

Le premier vise à restaurer l’attractivité des métiers et à fidéliser les soignants. Il s’agit donc de mieux reconnaître les personnels en accompagnant les débuts de carrière pour restaurer la capacité des hôpitaux à recruter.

Il nous faut ensuite concentrer l’effort sur la revalorisation des métiers en tensions, qu’il s’agisse de tensions territoriales, comme à Paris et dans la petite couronne, où une prime de 800 euros sera attribuée aux hospitaliers, ou bien de tensions sectorielles, notamment pour le métier d’aide-soignant. Ceux des aides-soignants exerçant dans les services qui prennent en charge les personnes âgées bénéficieront ainsi de la prime assistant de soins en gérontologie. Par ailleurs, les aides-soignants pourront désormais accéder, dans le cadre d’un grade de fin de carrière, à la catégorie B.

Il nous faut également récompenser l’investissement et l’engagement collectifs avec la création d’une prime d’intéressement, à la main des responsables, de manière à pouvoir récompenser des équipes qui s’engagent sur le terrain autour de projets relatifs à la qualité du service ou à la transformation.

L’ensemble de ces mesures sera financé par un effort supplémentaire de 300 millions d’euros sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2020, soit 1,5 milliard d’euros d’ici à la fin du quinquennat.

Le deuxième axe consiste à rétablir le dialogue et la souplesse de la gestion dans le quotidien de l’hôpital.

L’hôpital public a connu des évolutions majeures dans son organisation, qui ont parfois donné aux équipes le sentiment d’une mise à l’écart de la prise de décision et d’une perte de sens. La stratégie de transformation Ma santé 2022 vise à renforcer le dialogue et le sens du collectif au sein des hôpitaux.

Pour ce faire, le personnel soignant sera mieux intégré à la gouvernance des hôpitaux et le management de proximité sera renforcé et valorisé. Des mesures de simplification du fonctionnement quotidien seront aussi prévues, notamment en termes de formalités de recrutement ou bien de protocole de coopération décentralisée entre les professionnels au sein d’un établissement.

Enfin, des mesures seront prises pour lutter contre l’intérim médical, dont vous savez qu’il s’est déployé depuis plusieurs années dans des conditions devenues insupportables pour les équipes ayant la charge d’assurer la continuité du fonctionnement des hôpitaux.

Notre troisième axe consiste à réinvestir l’hôpital public en lui donnant des moyens nouveaux et de la visibilité dans le temps.

Les tarifs hospitaliers seront en hausse – a minima – de 0,2 % jusqu’à la fin du quinquennat après la première campagne positive exceptionnelle de 2019, interrompant ainsi dix années de baisses successives.

L’investissement du quotidien sera une priorité. Il s’agit de permettre aux hôpitaux d’acheter du matériel indispensable pour le travail des soignants dans leur quotidien. En 2020, 150 millions d’euros seront donc fléchés vers l’investissement courant, au lieu d’être engagés dans de nouveaux grands projets immobiliers, pour répondre au besoin actuel le plus fort. Cet effort de 150 millions d’euros sera reconduit en 2021 et en 2022.

À partir de 2020, 10 milliards d’euros de dettes seront repris aux hôpitaux en trois ans afin d’alléger les charges des établissements. Cette décision de rupture permettra aux hôpitaux de réduire leur déficit et de retrouver rapidement les moyens d’investir et de se moderniser.

Ce PLFSS porte, au-delà de l’Ondam, un ensemble de mesures dont chacun peut être fier. Je pense en particulier au congé de proche aidant, à la lutte contre les ruptures d’approvisionnement de médicaments, à la création du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires, mesures qui ont été travaillées initialement au Sénat. Il est heureux que cet hémicycle puisse en débattre aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, une protection sociale du XXIe siècle doit créer de nouveaux droits pour faire face à de nouveaux risques. Ce PLFSS s’inscrit dans cette ambition. (M. Martin Lévrier applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs de branches, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons pour étudier en nouvelle lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 dans un contexte singulier, comme vient de le rappeler Mme Buzyn.

Je ne reviendrai pas sur les différents événements de la première lecture. Je forme simplement le vœu que nous puissions engager des débats apaisés et constructifs pour enrichir ce projet de loi de financement.

Avant d’entrer dans le débat, il faut souligner que ce texte tient compte, comme vous le souhaitiez, des mesures exceptionnelles prises en faveur de l’hôpital la semaine dernière. Il en est ainsi du relèvement de l’Ondam pour 2020 de 0,15 point, pour le porter de 2,3 % à 2,45 %, ce qui représente 300 millions d’euros supplémentaires et permet de porter l’Ondam hospitalier de 2,1 % à 2,4 %.

Concernant les équilibres généraux et les articles dits de « recettes », je ne reviendrai pas dans le détail sur toutes les mesures que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer en première lecture.

Je veux néanmoins évoquer quelques points saillants du débat entre votre assemblée et le Gouvernement. À commencer par l’article 3 et les dispositions de non-compensation des mesures d’urgence économiques et sociales. Nous savons l’opposition renouvelée du Sénat et je préfère dire d’emblée – peut-être pour gagner du temps lors des explications de vote – que le Gouvernement restera sur sa position en émettant un avis défavorable sur les amendements adoptés par la commission des affaires sociales tendant à la suppression de cet article.

Nous avons longuement débattu de ce point en première lecture et je ne crois pas utile, à ce stade, de redéployer l’intégralité des arguments qui sous-tendent la position du Gouvernement. Je relèverai seulement un chiffre : sur les 17 milliards d’euros de mesures prises à la suite du grand débat, 14 milliards ont été financés par l’État.

Les échanges que nous avons eus cet automne soulignent la nécessité d’avoir prochainement un débat sur l’avenir des relations entre l’État et la sécurité sociale. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Je souhaite également insister sur l’article 7 et l’obligation pour une entreprise d’avoir conclu un accord d’intéressement pour pouvoir bénéficier de l’exonération de la prime exceptionnelle.

Cette mesure, qui s’inscrit en cohérence avec la politique du Gouvernement – notamment depuis la loi Pacte – de promouvoir l’intéressement et la participation dans les entreprises, permet de renforcer le pouvoir des salariés de manière pérenne durant toute la durée de l’accord d’intéressement et pas uniquement pour la seule année du versement de la prime exceptionnelle.

J’ai aussi en tête certaines mesures d’assouplissement – notamment celle qui concerne les établissements et services d’aide par le travail (ÉSAT) – reprises par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Nous aurons également l’occasion d’y revenir.

Le Gouvernement sera vigilant sur la question des niches sociales. Comme je l’avais souligné en première lecture, il sera défavorable aux amendements visant à proposer la création ou l’extension de niches déjà existantes. Il nous semble bien plus nécessaire de mener un travail d’évaluation et d’ajustement de ce type de dépenses sociales.

J’en viens maintenant aux équilibres financiers de ce texte que les mesures sur l’hôpital ne remettent pas fondamentalement en cause, puisque nous assumons des dépenses nouvelles de 3 milliards d’euros sur trois ans. Celles-ci doivent permettre d’offrir aux soignants des conditions de travail satisfaisantes en dégageant des moyens supplémentaires dans la durée. Elles permettront également aux établissements d’investir et de se transformer.

Ces dépenses supplémentaires seront intégrées à la trajectoire des finances publiques présentée dans la loi de programmation des finances publiques au premier semestre 2020. Ce texte précisera les orientations du Gouvernement en matière de recettes et de dépenses publiques pour les prochaines années.

Un mot, pour terminer, sur la reprise de dette des hôpitaux dont vous aurez à connaître dans un projet de loi qui sera déposé début 2020. L’allégement de la dette de 10 milliards d’euros en trois ans est d’abord un fait historique et une mesure exceptionnelle : cela va permettre de dégager des marges de manœuvre pour les hôpitaux afin qu’ils puissent réduire leur déficit et investir.

Au bout de trois ans, la reprise de dette va alléger la charge des hôpitaux de 800 millions à 1 milliard d’euros par an, en fonction de la dette reprise et des taux d’intérêt afférents. Il s’agit d’une bouffée d’oxygène bienvenue. Cette reprise de dette ne se traduira pas par une augmentation parallèle de la dette publique, dans la mesure où la dette des hôpitaux y est déjà comptabilisée, au regard des instances et de nos partenaires européens.

Nous serons vigilants, aux côtés des établissements, pour que les marges de manœuvre supplémentaires dégagées contribuent non pas à recréer de la dette, mais bien à accélérer la transformation de l’hôpital public que le plan Ma santé 2022 avait engagée et qui doit être mise en œuvre jusqu’à son terme.

Nous assumons ces choix budgétaires. Notre rythme d’ajustement budgétaire est certes différent de celui qui était envisagé en 2017, mais il tient compte à la fois du ralentissement économique mondial, des difficultés sociales que traverse notre pays et des priorités que nous assumons de financer.

Ce texte s’inscrit dans la continuité de la politique que nous menons depuis plus de deux ans, à la fois pour baisser les impôts et pour soutenir le pouvoir d’achat des Français. Il est en cohérence avec nos objectifs. Il nous permet d’aller plus loin et d’apporter des réponses à la crise longue que traverse l’hôpital public. Ces mesures exceptionnelles et nécessaires seront complétées par d’autres textes encore à venir, comme la loi de programmation ou le projet de loi spécifique à la reprise de la dette. (M. Martin Lévrier applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale par le Sénat a été un peu plus mouvementé qu’à l’accoutumée.

Notre assemblée a ainsi considéré, lors de la première lecture, ne pas être en mesure de se prononcer de façon suffisamment éclairée. En effet, le Gouvernement devait annoncer, la semaine suivante, un certain nombre de mesures concernant l’hôpital susceptibles de peser sur les comptes de la sécurité sociale alors que nous ne disposions d’aucun élément chiffré.

De même, la commission mixte paritaire, convoquée la veille de l’annonce du plan gouvernemental, a rapidement constaté son désaccord politique et le caractère un peu vain de l’exercice dans ce contexte particulier. De ce fait, l’Assemblée nationale a été saisie, en nouvelle lecture, du texte qu’elle avait adopté en première lecture. Elle a adopté dans la même version qu’en première lecture quarante-sept articles, soit la moitié d’entre eux.

Elle en a modifié quarante-sept autres, en reprenant une vingtaine des amendements du Sénat – le plus souvent, des amendements rédactionnels ou de précision, mais parfois des mesures un peu plus substantielles.

Ainsi, à l’article 7, relatif à la prime exceptionnelle, nos collègues députés ont repris l’amendement de la commission tendant à assurer que les associations et fondations reconnues d’utilité publique soient exemptées de conclure un accord d’intéressement, ainsi que l’amendement de Mme Guillotin visant à en exempter les ÉSAT.

Je pense également à l’amendement de Mme Lassarade et aux amendements de M. Savary à l’article 10 ayant pour objet d’enlever certaines cotisations de caisses de retraite de professions médicales du recouvrement unifié.

À l’article 28, l’Assemblée nationale a repris l’amendement de la commission tendant à préciser explicitement l’obligation faite au distributeur de mentionner au patient concerné que le dispositif médical remis en bon état d’usage est bien le même que celui qui a été prescrit.

De même, à l’article 34, elle a repris l’amendement de la commission visant à étendre à tous les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur l’obligation d’information des autorités de la suspension ou de l’arrêt de commercialisation par les établissements pharmaceutiques.

Je pense encore à l’amendement de notre commission à l’article 49 tendant à prévoir que le manquement à l’obligation de déclaration relative aux disponibilités d’accueil de l’assistant maternel ne puisse constituer un motif de suspension de l’agrément ou le seul motif de son retrait. Mme Doineau sera satisfaite…

En outre, l’Assemblée nationale a intégré, à l’article 59 et dans divers articles récapitulatifs, la hausse de l’Ondam de 300 millions d’euros correspondant à la première année du plan Hôpital annoncé par le Gouvernement.

Aucune mesure de hausse de recettes ou de baisse de dépenses n’ayant accompagné ce plan, ces 300 millions d’euros augmentent le déficit de la sécurité sociale pour 2020. Celui-ci serait désormais de 5,4 milliards d’euros sur le périmètre habituel du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), et même de 5,9 milliards en intégrant l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Surtout, il est inquiétant de constater que le rapport annexé au PLFSS prévoit désormais des comptes en déficit au moins jusqu’en 2023 : encore 1,8 milliard d’euros à cette date pour les régimes obligatoires et le FSV, malgré une prévision de recettes assez optimiste aux yeux de la commission.

Une telle situation ne fait que renforcer plusieurs des analyses exprimées par le Sénat. Je pense en particulier à la nécessité de renoncer au principe de non-compensation. En effet, on ne saurait demander à la sécurité sociale de financer toujours plus de dépenses de nature assurantielle tout en la privant de ressources au nom de politiques gouvernementales d’augmentation du pouvoir d’achat.

Cela n’aboutira qu’à créer toujours plus de déficits et à repousser toujours plus loin les perspectives d’en finir avec la dette sociale. Il me semble, mes chers collègues, que c’est le rôle du Sénat que de l’affirmer haut et fort, clairement, et de l’inscrire dans un texte que nous voterons.

Permettez-moi de citer un courrier que les deux rapporteurs généraux des commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat ont récemment reçu du Premier ministre, en réponse à leur interpellation sur le sujet des non-compensations. M. Édouard Philippe nous donne l’assurance « qu’aucun autre transfert ou non-compensation n’est envisagé par le Gouvernement pour 2021 ou 2022 ». Nous en prenons acte et ne l’oublierons pas.

Par ailleurs, le Premier ministre dit entendre notre souhait de « discuter des principes et de la doctrine des relations financières entre l’État et la sécurité sociale, ce que permettra le prochain projet de loi de programmation des finances publiques ».

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous aurons donc l’occasion de poursuivre ce débat dès le printemps prochain.

Cette nouvelle lecture devrait nous permettre d’aborder des articles que nous n’avons pas examinés en séance publique en première lecture. La commission affirmera ainsi sa volonté de réindexer, dès 2020, l’ensemble des prestations et allocations de sécurité sociale sur l’inflation, qu’il s’agisse notamment des allocations familiales, de l’allocation aux adultes handicapés ou des pensions de retraite.

À cet égard, la contrainte de « l’entonnoir » ne permettra au Sénat que de livrer une vision tronquée de ses propositions, puisque d’importantes mesures d’économies, comme le recul de l’âge légal de départ à la retraite, ne pourront être présentées dans le cadre de cette nouvelle lecture.

Enfin, le Sénat pourra se prononcer en toute connaissance de cause sur l’article 59, qui fixe le niveau de l’Ondam pour 2020.

En tant que rapporteur général, je serai, bien entendu, le fidèle interprète des votes de la commission, laquelle a estimé insuffisante la hausse de 300 millions d’euros par rapport à la première lecture.

Toutefois, en introduction de nos débats, il me semble important de rappeler ce qu’est l’Ondam. Ce n’est pas un taux – de 2,3 % ou 2,45 % –, c’est un montant de dépenses publiques, soit 205,6 milliards d’euros en 2020, en hausse de 5,2 milliards d’euros par rapport à 2019. Je pense qu’aucun autre budget public n’affiche une telle augmentation, très nettement supérieure à la croissance de la richesse nationale, année après année. Cela représente 1,8 milliard supplémentaire pour les hôpitaux.

Gardons ces chiffres en tête quand certains d’entre nous parlent de « miettes » ou d’« austérité »… (Murmures amusés sur les travées du groupe CRCE.) Vous vous êtes reconnue, madame Cohen ?… (Sourires.)

Mme Laurence Cohen. Tout à fait, monsieur le rapporteur général, et nous assumons dans la bonne humeur, comme vous le voyez ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Car c’est une chose, et une chose légitime, de dire que, ponctuellement, le geste en faveur des hôpitaux aurait pu être un peu plus fort. C’en serait une autre de nier la nécessité même de contrôler la hausse tendancielle des dépenses de santé de plus de 4 % par an et que nous serions très vite incapables de financer.

Voilà, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’état d’esprit de la commission tandis que s’ouvrent ces débats. Je devine que nous serons en désaccord sur plusieurs points importants – c’est la règle – et que l’Assemblée nationale, au bout du compte, ne suivra pas toujours le Sénat lors de la lecture définitive. Mais il me semble important que nous puissions avoir ces échanges et que le Sénat soit en mesure de livrer sa propre vision le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, Les Républicains et SOCR.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 237.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de financement de la sécurité sociale pour 2020 (n° 151, 2019-2020).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la motion.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, notre groupe avait déjà déposé une motion tendant à l’irrecevabilité constitutionnelle, au motif que les exonérations massives de cotisations sociales et leur non-compensation intégrale par l’État remettent en question l’autonomie financière de la sécurité sociale.

Nous récidivons pour cette nouvelle lecture, car, si le non-respect de la loi Veil du 25 juillet 1994 est toujours de mise, vous remettez maintenant en cause l’organisation des travaux parlementaires telle que prévue à l’article 47-1 de la Constitution. Deux motifs graves qui justifient cette motion d’irrecevabilité constitutionnelle.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je le dis avec solennité : que cherche le Gouvernement en refusant de voir la réalité de terrain ? Les mesures que vous avez annoncées avec le Premier ministre ne font pas le compte. Et même si ce plan Investir dans l’hôpital public est une première victoire des personnels en lutte, leur colère ne retombe pas. Fort justement, car les mesures demeurent largement insuffisantes par rapport aux besoins en matière de santé.

D’ailleurs, aujourd’hui même est une journée d’initiatives locales dans les établissements et autour, avant la mobilisation du 17 décembre et, auparavant, celle du 5 décembre, qui promet d’être de grande ampleur avec une participation forte du monde de la santé.

En annonçant des mesures en deçà des besoins réels de l’hôpital, sans doute dans l’espoir d’affaiblir le mouvement social, vous affaiblissez aussi dangereusement le Parlement. Nous avons assisté en direct, ici, au Sénat, en première lecture du PLFSS, à vos atermoiements et au peu de cas que vous faites de notre Haute Assemblée. Ce n’est pas un procès d’intention, c’est une réalité que chacune et chacun peut vérifier en suivant la retransmission de nos travaux.

La publication, l’avant-veille de l’examen du budget de la sécurité sociale, d’un article dans le Journal du dimanche faisant état de la préparation d’un « plan ambitieux pour l’hôpital » a profondément entaché l’examen en première lecture du budget de la sécurité sociale.

Madame la ministre, vous nous avez affirmé, aux côtés du secrétaire d’État Dussopt, que ces fuites dans la presse ne venaient pas de vous et que vous respectiez trop les parlementaires que nous sommes pour ne pas nous informer de modifications qui pourraient remettre en cause le budget que nous examinions.

Mais cela, c’était deux jours avant la formidable mobilisation des professionnels de santé du 14 novembre, toutes catégories confondues, après une grève de plus de huit mois. Alors que le Sénat poursuivait la discussion du budget de la sécurité sociale, le Président de la République annonçait bien un « plan conséquent pour l’hôpital public ». Tant pis pour la représentation nationale qui discutait d’un texte obsolète et, de fait, d’un budget insincère.

Nous avons alors décidé, à l’unanimité, d’interrompre nos débats et de repousser l’examen du PLFSS 2020 à la nouvelle lecture, car il s’agissait d’une véritable mascarade démocratique.

Comment croire que vous n’avez rien anticipé ? Comment croire les propos que vous avez tenus devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, affirmant que vous n’étiez pas prêts en première lecture ? Pas prêts, après plus de huit mois de mobilisation des hôpitaux ? Soyons sérieux !

La réalité, c’est que vous avez attendu de voir le niveau de la mobilisation des personnels hospitaliers du 14 novembre pour décider de la taille de l’enveloppe de votre plan pour l’hôpital.

Ce plan Investir dans l’hôpital public est donc le quatrième plan d’urgence en quatorze mois pour l’hôpital. Il vient après le plan Ma santé 2022, présenté en septembre 2018, et voté par le Parlement ; après les mesures pour les urgences annoncées en juillet 2019 ; et après le plan d’urgence de septembre dernier. Finalement, je me demande si s’adresser à vous, madame la ministre, revient à s’adresser à la ministre de la santé ou à la ministre de la planification… (Sourires.)

Plus sérieusement, votre plan prévoit d’augmenter l’Ondam hôpital de 2,1 % à 2,4 %, soit 300 millions d’euros de plus. Monsieur le rapporteur général, voyez un peu dans quel marché de dupes nous sommes : faut-il rappeler ici, mes chers collègues, que le Gouvernement avait initialement prévu de priver les hôpitaux publics de 1 milliard d’euros en 2020 ? Donc, si je calcule bien, avec vos largesses, vous le privez tout de même de 700 millions d’euros !

M. Yves Daudigny. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen. C’est très au-dessous des revendications syndicales des collectifs Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, qui demandent un Ondam au niveau de l’évolution naturelle des dépenses à 4,5 %, soit 5 milliards d’euros de plus.

Malgré le niveau de colère et de mobilisation justifié des personnels, vous refusez de débloquer les moyens indispensables pour répondre aux besoins de santé. Il s’agit bien d’un marché de dupes, car le relèvement de l’Ondam pour 2020, obtenu de haute lutte, est au-dessous du niveau de l’Ondam de l’an dernier, qui était de 2,5 %. Vous annoncez des moyens supplémentaires, mais vous maintenez la compression des dépenses de santé de l’hôpital public.

Dans une tribune publiée mercredi 13 novembre dans la presse, près de 2 000 professionnels de santé en pédiatrie se sont élevés contre le manque de moyens dans les hôpitaux, notamment dans les services où sont soignés les enfants. Que répondez-vous au professeur Rémi Salomon, chef de service pédiatrie de l’hôpital Necker, quand il dénonce : « alors que l’épidémie de bronchiolite débute, on est obligés de transférer des enfants en dehors des hôpitaux parisiens » ? Tout le monde a bien conscience qu’il s’agit d’une prise de risque pour ces petits patients.

À l’écoute de ce témoignage et à la lecture de cette tribune, votre plan d’urgence devrait comporter des ouvertures immédiates de lits, surtout quand on sait que 100 000 d’entre eux ont été fermés en vingt ans. Eh bien, pas du tout : vous persistez et vous signez dans vos choix mortifères pour l’hôpital. La réalité, c’est que vous ne répondez à aucune des revendications fondamentales des personnels qui sont attachés à l’hôpital et qui veulent des moyens réels pour améliorer la qualité des soins de leurs patients.

À l’exigence d’une augmentation de 300 euros par mois des salaires, vous répondez par une prime catégorielle pour l’Île-de-France de 800 euros pour 40 000 infirmières et aides-soignantes. Prime qui ne prend pas en compte le vécu de ces professionnels sur l’ensemble du territoire et pas seulement en Île-de-France – 800 euros, c’est 66 euros par mois, soit moins que le coût d’un pass Navigo ! De plus, une prime n’entre pas dans le calcul de la retraite, contrairement au salaire.

Voilà une manœuvre grossière pour essayer d’affaiblir la mobilisation en cherchant à opposer les personnels entre eux, mais aucun, parmi eux, n’est tombé dans le piège.

Alors qu’il manque partout des médicaux, des paramédicaux, des personnels dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), des agents administratifs, des agents techniques, il n’y a rien, dans le texte, sur l’embauche de personnels, pas plus que sur les conditions de travail des internes, qui seront d’ailleurs en grève illimitée à partir du 10 décembre !

Vous poursuivez sans ciller les fermetures de services, et d’hôpitaux, sous le vocable de « regroupement », malgré l’aggravation des déserts médicaux.

La France dépenserait trop pour la santé, contrairement à ses voisins, dites-vous ! Des économistes de la santé contredisent cette affirmation. Ils nous rappellent que les budgets contraints imposés ces dernières années à l’hôpital font que la part des dépenses de santé dans le PIB est aujourd’hui de 3,6 %, donc inférieure à la moyenne européenne, qui est de 4,1 %.

Votre leitmotiv est qu’il n’y a pas d’argent magique et que, par conséquent, vous devez respecter les contraintes budgétaires.

Mais, madame la ministre, faites cesser les exonérations de cotisations sociales et vous aurez de nouvelles recettes, la « modique » somme ainsi récoltée s’élevant à 66,4 milliards d’euros pour 2020.

Si vous cherchez des cotisants, sachez que nous avons la chance d’avoir, en France, la première fortune du monde, évaluée à 109,5 milliards d’euros, en la personne de M. Bernard Arnault, patron de LVMH !

Madame la ministre, comment ne pas dénoncer le fait que ces allégements et exonérations dépassent le montant des recettes de la branche famille ?

Comment ne pas dénoncer, une nouvelle fois, le fait que les cotisations sociales ne représentent plus que 50,7 % des recettes du budget de la sécurité sociale ?

J’ai dit au début de mon propos que votre plan « Investir pour l’hôpital public » était un marché de dupes, mais c’est, de surcroît, le bal des hypocrites ! Si vous renonciez ne serait-ce qu’à un tiers de ces exonérations, vous dégageriez 20 milliards d’euros pour l’hôpital, de quoi répondre à la crise aiguë qu’il connaît aujourd’hui.

Quant à la reprise de 10 milliards d’euros de la dette des hôpitaux, soit un tiers du total sur trois ans – un nouveau projet de loi sera présenté en 2020 pour en déterminer les conditions –, elle ne devra être qu’une première étape, et nous resterons vigilants quant à sa réalité, d’autant que les conditions de la reprise sont bien floues. Qui gagnera, en effet, cette loterie dans laquelle la reprise sera conditionnée à l’adoption de plans de suppressions de postes ?

Quel hôpital aura vos faveurs, alors que six hôpitaux sur dix sont en déficit et qu’un tiers des établissements publics, soit 319 hôpitaux, 19 centres hospitaliers régionaux (CHR) et 300 centres hospitaliers, sont aujourd’hui en situation de surendettement ?

On ne peut tergiverser : il est urgent d’assurer le financement d’investissements en faveur des établissements médico-sociaux et de santé, donc de revenir aux prêts à taux zéro.

Mes chers collègues, le contenu du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 dont nous discutons en nouvelle lecture et les conditions d’examen dans lesquelles nous nous retrouvons ce matin, avec une injonction implicite de légiférer très vite, contreviennent aux principes constitutionnels.

Nous vous invitons donc à adopter notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Après le coup de semonce que nous avons adressé ensemble au Gouvernement, transformons l’essai ! (Mme Michelle Gréaume et M. Jean-Louis Tourenne applaudissent.)