M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Économie » et du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».

Remboursements et dégrèvements

Engagements financiers de l’État

Compte d’affectation spéciale : Participation de la France au désendettement de la Grèce

Compte d’affectation spéciale : Participations financières de l’État

Compte de concours financiers : Accords monétaires internationaux

Compte de concours financiers : Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics

Investissements d’avenir

Article 85 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article 78 decies (nouveau)

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits des missions « Remboursements et dégrèvements » (et articles 78 decies et 78 undecies) et « Engagements financiers de l’État », des comptes d’affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et « Participations financières de l’État », des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics », ainsi que de la mission « Investissements d’avenir ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial de la commission des finances. La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant de l’application des dispositions fiscales prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d’impôt. Compte tenu du caractère mécanique de ces dépenses, les crédits de cette mission sont évaluatifs, c’est-à-dire qu’ils ne constituent pas un plafond, à la différence des crédits des autres missions budgétaires.

La mission est composée de deux programmes, l’un consacré aux remboursements et dégrèvements d’impôts d’État, l’autre aux remboursements et dégrèvements d’impôts directs locaux.

Pour 2020, 141 milliards d’euros de crédits sont demandés au titre de la présente mission, en augmentation de 5 milliards d’euros par rapport à la loi de finances pour 2019. L’augmentation des impôts d’État s’explique notamment par la mise en œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, mais également par la hausse des restitutions de TVA et d’importants contentieux fiscaux. La hausse des impôts locaux s’explique principalement par le coût croissant du dégrèvement de la taxe d’habitation en faveur de 80 % des ménages.

Pour 2020, les remboursements et dégrèvements d’impôts d’État sont évalués à 118 milliards d’euros, en augmentation de près de 2 milliards d’euros par rapport à 2019. Leur hausse est quasi ininterrompue depuis 2010.

D’abord, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) continue de peser sur la mission. Le coût prévu du dispositif pour 2020 est cependant en forte baisse. Alors qu’il atteignait presque 20 milliards d’euros en 2019, la prévision pour 2020 est de 9 milliards d’euros.

Nous sommes devant le tour de passe-passe évoqué au début de l’examen de ce projet de loi de finances, puisque le dispositif a été transformé en réductions de cotisations sociales employeur, qui ne sont plus retracées au sein de la mission, mais n’en représentent pas moins un coût important pour les finances publiques. Or que venons-nous d’apprendre ? Selon le rapport de la Cour des comptes, la fraude aux cotisations sociales est peu contrôlée. Par ailleurs, j’ai pu lire que le taux de recouvrement serait très faible.

Nous aimerions entendre le Gouvernement sur ces deux points.

Je me suis tout particulièrement intéressé à la question des remboursements et dégrèvements de TVA. Le ministre de l’action et des comptes publics nous a indiqué, au mois de mai dernier, lors d’un débat organisé au Sénat, que la fraude à la TVA représentait chaque année entre 18 milliards et 22 milliards d’euros. Nous sommes tous d’accord pour renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Pour cela, l’information doit être décloisonnée et les services doivent travailler de façon coordonnée, aux échelons tant national qu’européen et international. Je considère en outre que les moyens humains doivent être renforcés et mieux spécialisés. Telles sont d’ailleurs les conclusions qu’a tirées la Cour des comptes dans son référé du mois de décembre 2018.

J’étais de ceux qui avaient qualifié la France de paradis fiscal et j’apprends aujourd’hui que les sommes recouvrées en 2018 sont deux fois moins importantes qu’en Allemagne et au Royaume-Uni.

M. Éric Bocquet. Eh oui, très juste !

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. Comme ces repères ont été pris tout à l’heure, allons jusqu’au bout de la comparaison. Là aussi, nous aurons besoin d’explications de la part du Gouvernement.

La lutte contre la fraude doit ainsi permettre de dégager de nouvelles ressources publiques afin de mieux répartir la charge de la TVA en révisant les taux d’imposition des produits et des services de première nécessité qui contribuent au maintien de la dignité des personnes. Nous avons déjà eu ce débat dans l’hémicycle.

Je sais que les taux réduits font l’objet d’un encadrement strict par le droit de l’Union européenne. C’est pourquoi je demande que la France défende l’extension des taux réduits et super-réduits à l’échelon européen. En 2015, une initiative sénatoriale transpartisane a permis de réduire à 5,5 % le taux de TVA applicable aux protections hygiéniques féminines. Il faut poursuivre l’extension de ce taux réduit ; le Sénat l’a fait pour les protections hygiéniques pour les personnes âgées, mais l’Assemblée nationale s’y est opposée, au motif que c’était contraire au droit européen. Je laisserai nos concitoyens être juges-arbitres, sachant que le budget moyen pour une personne âgée s’établit à 150 euros mensuels : ce n’est pas rien quand on est au minimum vieillesse ou quand on vit avec une petite retraite – par exemple quand on est agricultrice ou de conjointe d’agriculteur, puisque cette retraite n’est même pas revalorisée.

Enfin, comme chaque année, le montant des remboursements et dégrèvements d’impôts locaux atteint un nouveau record. Ce sont ainsi 23 milliards d’euros qui sont demandés pour 2020, soit une augmentation de 16 %.

Ce projet de loi de finances prévoit une exonération généralisée qui se traduira par un nouveau cadeau fiscal pour – devinez qui ? – les plus riches : 7,8 milliards d’euros d’ici à 2023 selon la direction générale des finances publiques.

Je citerai à cet égard Michel Audiard : « Les conneries, c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer ! » (M. Philippe Dallier rit.)

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. En conclusion, j’évoquerai la réforme de la fiscalité locale, qui me paraît dangereuse. Le Sénat a obtenu des améliorations sur ce point, notamment pour les départements, mais qu’en restera-t-il à l’Assemblée nationale ?

Cependant, la mission « Remboursements et dégrèvements » retraçant simplement l’évaluation des montants résultant des différentes règles fiscales, la commission des finances propose d’adopter la mission sans modification, dans la joie et la bonne humeur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Jérôme Bascher applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial de la commission des finances. Pour ma part, je citerai non pas Michel Audiard,…

M. Philippe Dallier. C’est dommage ! (Rires.)

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. … mais mon père : « Il vaut mieux devoir que ne pas pouvoir rendre ». En effet, quand vous devez, il reste un espoir…

En regardant les engagements financiers de l’État, j’ai malheureusement l’impression que nous ne prenons pas le chemin des remboursements.

La charge de la dette s’élève à 38 milliards d’euros, ce qui est l’équivalent du budget de la défense nationale – notre collègue Dominique de Legge, rapporteur spécial pour la mission « Défense », est là. C’est tout de même assez spectaculaire !

C’est donc la troisième mission en volume du budget général. Les plus optimistes pensent que la situation s’améliore, car la charge de la dette diminue de 6 % entre 2019 et 2020, mais c’est moins grâce à nos efforts qu’à la diminution des taux d’intérêt, lesquels peuvent même être négatifs. À titre personnel, je fais plutôt partie des sceptiques. J’observe que notre encours de dette négociable non seulement ne faiblit pas, mais devrait encore augmenter de 4,5 %.

La dette publique devrait prospérer pour atteindre 98,7 % du PIB à la fin de l’année. Nous continuons ainsi à imposer à nos enfants une charge considérable et nous ne savons même pas s’ils pourront un jour la rembourser.

Le poids de la dette nous éloigne encore un peu plus de nos partenaires européens. Incapables de tenir nos engagements, nous devons continuellement nous justifier auprès des institutions européennes.

Ces premiers éléments ne sont pas réjouissants et je regrette presque de commencer mon intervention en rappelant des faits aussi alarmants. Je ne peux m’empêcher de penser cette fois, non pas à Michel Audiard, mais à Philippe Marini,…

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. C’est presque pareil ! (Rires.)

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. … qui parlait de « l’insoutenable légèreté de la dette ». (Sourires.) C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui.

On nous accuse souvent de jouer les Cassandre en alertant sur le risque d’une remontée des taux qui ne s’est pas matérialisée et qui a de grandes chances de ne pas se concrétiser ces prochaines années. Pour autant, je considère que nous devons préparer cette remontée et retrouver des marges de manœuvre. Pour affronter une possible prochaine crise financière, nous devrons être en mesure d’agir sans risque de surendettement.

C’est vrai, les taux bas ont un effet anesthésiant. Néanmoins, ma responsabilité est d’appeler votre attention sur un réveil qui pourrait être douloureux. Notre collègue Philippe Dallier avait proposé à la commission des finances d’élaborer des scenarii de remontée des taux, de façon à pouvoir alerter nos concitoyens sur les effets à attendre pour chacun des contribuables.

M. Philippe Dallier. Absolument !

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. Or les diverses institutions se sont repassé la patate chaude et personne n’a voulu se lancer dans ces évaluations. Nous allons nous y atteler l’année prochaine dans le cadre de notre devoir de contrôle, car c’est très important.

En ce qui me concerne, je ne suis pas sûre qu’une petite remontée des taux – même si elle était infime – soit soutenable pour nos finances publiques, d’autant que nous venons d’apprendre la reprise de la dette hospitalière. C’est pourquoi j’aimerais avoir des renseignements sur cette reprise. Va-t-elle se faire sur le schéma de la SNCF ou selon d’autres modalités ? On parle tout de même de 10 milliards d’euros au doigt mouillé.

Pour résumer, nous avons besoin de scenarii en cas d’augmentation des taux. Comment le Gouvernement va-t-il s’y prendre pour imputer la dette hospitalière ?

De toute évidence, l’État doit respecter ses obligations.

Au regard du contexte actuel, la commission a décidé de proposer l’adoption sans modification des crédits de cette mission et des comptes d’affectation spéciale qui y sont attachés.

Nous sommes dans des figures imposées : la marge de manœuvre des rapporteurs spéciaux est extrêmement faible. Néanmoins, je tiens à insister sur les doutes et les craintes que nous avons quant à l’effet anesthésiant de la dette. Encore une fois, la commission des finances dont je suis l’un des membres n’appartient au camp de ceux qui considèrent qu’il est bon de s’endetter quand cela ne coûte pas cher. À un moment ou à un autre, il faudra payer ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons un vecteur budgétaire quelque peu baroque. Deux éléments motivent cette appréciation.

En premier lieu, la lisibilité du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » est fortement réduite par la largeur de son périmètre. En 2018, plus du quart des dépenses de ce compte n’avaient aucun lien avec l’État actionnaire.

En second lieu, la capacité d’action du Parlement est foulée aux pieds par la confidentialité des opérations de cessions. Faire examiner au Parlement un montant conventionnel de crédits et attendre la loi de règlement pour constater leur exécution a posteriori revient à reléguer la représentation nationale à une chambre d’enregistrement. Nous ne sommes pas des poinçonneurs, mes chers collègues !

Des propositions existent pour définir un meilleur équilibre des pouvoirs dans l’examen de ce compte. J’ai moi-même eu l’occasion d’en formuler l’an dernier.

Ces réserves préliminaires exposées, j’en viens à la présentation des crédits de ce compte pour 2020. Cette année sera marquée par la concrétisation de la loi Pacte et des deux cessions qu’elle a autorisées : celle de la Française des jeux et celle d’Aéroports de Paris.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. L’intense campagne de publicité conduite par le Gouvernement vous aura permis, monsieur le ministre, de ne pas passer à côté de la privatisation de la Française des jeux. Pour Aéroports de Paris, en revanche, le Gouvernement se fait plus discret sur le processus de recueil des soutiens à la proposition de loi déposée en application de l’article 11 de la Constitution. Engagé le 13 juin dernier, ce processus doit se poursuivre jusqu’à la mi-mars 2020, le projet de cession étant entre-temps suspendu.

Le Sénat a exprimé son opposition à ces deux cessions. Au-delà des débats relatifs au caractère stratégique de ces actifs, laissez-moi vous faire part des conséquences budgétaires qu’auraient ces cessions. Les dividendes seront perdus, à hauteur d’environ 200 millions d’euros chaque année. Voilà qui renforcera une tendance de fond : entre 2012 et 2019, les dividendes perçus par l’État ont été divisés par deux.

Surtout, ces cessions réduiront fortement les marges de manœuvre de l’État actionnaire. Depuis son entrée en fonction, le Gouvernement a asséché de 60 % le solde de ce compte.

L’exécutif semble avoir oublié que le b.a.-ba de tout gestionnaire d’actif est la diversification de son portefeuille. Pour qualifier sa stratégie, le Gouvernement convoque un élément de langage : il parle de « respiration » du portefeuille. Pardonnez ma brutalité, mais j’y vois plutôt le dernier souffle de l’État actionnaire !

Pourtant, les défis à relever sont nombreux et cruciaux pour l’avenir de notre pays : je pense en particulier à la transition énergétique et à ses conséquences pour EDF.

De ce point de vue, je ne peux cautionner le choix qu’a fait le Gouvernement de mobiliser ce compte pour le désendettement de l’État.

Le symbole ne doit pas s’opérer à rebours des intérêts patrimoniaux de l’État, alors que les conditions de marché sont exceptionnelles. Permettez-moi de citer un ancien ministre, qui indiquait en 2016 devant la commission des finances que « patrimonialement, ce serait se tirer une balle dans le pied que d’utiliser le capital du compte d’affectation spéciale pour se désendetter ». Entre-temps, l’ancien ministre a quitté Bercy pour l’Élysée et son regard semble avoir changé, alors que le contexte macroéconomique demeure similaire.

Quel est le risque ? C’est que ce compte soit utilisé de manière opportuniste, en faisant fi des considérations patrimoniales. La dette publique tutoie désormais le seuil hautement symbolique des 100 % du PIB. La contribution au désendettement prévue explique à elle seule le reflux de 0,1 point de PIB du ratio qu’escompte le Gouvernement en 2020. C’est pour dénoncer ce tour de passe-passe que la commission des finances vous proposera, sur mon initiative, d’adopter l’amendement n° II-14.

Je terminerai mon propos par quelques remarques au sujet du fonds pour l’innovation et l’industrie.

Vous êtes nombreux, dans cet hémicycle, à avoir parcouru ce projet de loi de finances à la recherche du « budget vert ». Je dois vous concéder, mes chers collègues, que je ne saurais vous éclairer sur ce point. En revanche, je suis en mesure de vous faire part de l’usine à gaz budgétaire que met en œuvre le Gouvernement.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. Excellent !

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. L’enrobage est volontiers moderniste : on convoque nombre d’anglicismes pour étayer ce qui reste une opération de débudgétisation, qui s’effectue au détriment des capacités d’analyse du Parlement.

Les conséquences à moyen terme des modalités de rémunération de ce fonds pour les finances publiques doivent nous préoccuper. La rémunération prévue par voie réglementaire, à un taux de 2,5 %, est nettement supérieure aux taux d’intérêt actuels. Son actualisation est prévue à l’échéance pour le moins opportune du 1er janvier 2023. La révision éventuelle serait effectuée à la fois pour l’avenir et pour le passé : le trop versé pourrait être répercuté sur la rémunération ultérieure.

Il s’agit d’une bombe à retardement laissée à la prochaine mandature, pour un montant qui pourrait aller jusqu’à 400 millions d’euros. Il faudra rembourser !

Cela dit, sous réserve de l’adoption de l’amendement que j’ai mentionné, la commission des finances propose l’adoption des crédits de ce compte d’affectation spéciale. (Mme le rapporteur spécial applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, au nom de la commission des finances.

Mme Christine Lavarde, en remplacement de M. Jean Bizet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me fais le porte-parole de Jean Bizet, qui a pris ma suite comme rapporteur spécial pour les crédits de la mission « Investissements d’avenir ».

Je suis heureuse de constater que les crédits demandés pour 2020 s’élèvent à 2 milliards d’euros, soit près du double du montant qui a été voté l’année dernière. Cela témoigne incontestablement de la montée en puissance du troisième programme d’investissements d’avenir, le PIA 3. La nouvelle programmation triennale prévoit ensuite une stabilisation autour de 2 milliards d’euros en 2021 et 2022.

Au-delà de cette augmentation des crédits, nous pouvons affirmer qu’après un démarrage relativement poussif le PIA 3 est désormais pleinement mis en œuvre. Quatre chiffres en témoignent : 90 % des autorisations sont consommées, 26 conventions État-opérateurs ont été signées sur 27, 820 projets sont aujourd’hui en phase active, donnant lieu à un investissement de 1,7 milliard d’euros.

Le PIA 3 est composé d’un nombre important d’actions qui permettent le financement de très nombreux projets. Il me sera donc impossible de les évoquer un par un. Je peux en revanche remarquer que la majorité des actions du PIA 3 ont pour objet de soutenir la recherche et de la valoriser.

Jean Bizet tenait à s’arrêter sur l’action « Programmes prioritaires de recherche », qui illustre bien les forces et les faiblesses du modèle des programmes d’investissements d’avenir. Dotée de 400 millions d’euros, cette action traduit bien l’esprit des PIA : l’État stratège fixe le cap en matière de recherche fondamentale, en définissant les principaux chantiers qui seront éligibles à un financement ; l’Agence nationale de la recherche (ANR) est l’opérateur chargé de mettre en œuvre cette ambition.

Nous nous félicitons que figure le chantier de l’intelligence artificielle. L’Europe et la France ont accumulé trop de retard dans ce domaine ; le concours de 75 millions d’euros apporté par le PIA 3 à la constitution des nouveaux instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle (3IA) n’est donc pas de trop. Une certaine dispersion – pour ne pas dire un saupoudrage – des fonds publics en faveur de l’intelligence artificielle peut toutefois être déplorée.

Nous sommes plus dubitatifs quant à la thématique « Recherche dans le domaine du sport de très haute performance », qui se voit dotée de 20 millions d’euros au sein de cette même action. Ce domaine ne semble pas parfaitement intégré aux objectifs du PIA.

Il en va de même, cette fois dans le domaine culturel, du projet, repoussé mais pas enterré, de financer la rénovation du Grand Palais par les crédits du PIA. La commission des finances est vivement opposée à ce type de détournements.

Il ne s’agit pas de remettre en cause le bien-fondé d’un soutien public à de telles initiatives ; nous constatons simplement que les actions du PIA 3 ne constituent pas l’instrument adapté. Rappelons que les PIA ont été instaurés de manière à accroître le potentiel de croissance de l’économie française en investissant dans des chantiers prioritaires définis par un État stratège, et non pour concourir au financement d’événements ponctuels ou à la rénovation de notre patrimoine.

L’année 2020 marquera le dixième anniversaire du premier PIA ; il est donc l’heure d’en tirer un premier bilan. Celui-ci nécessite une évaluation minutieuse et complexe.

En 2010, le PIA 1 avait été présenté comme une initiative exceptionnelle, un grand emprunt visant à investir dans l’avenir et à tourner la page de la crise. Dix ans et deux PIA plus tard, on pourrait craindre une certaine forme de banalisation de l’exceptionnel. Le secrétariat général pour l’investissement, ainsi que les opérateurs, tendent au contraire à considérer que c’est précisément cette stabilité qui fait la force du dispositif : elle contribue à faire du label PIA un repère que les agents économiques se sont approprié et qui tend à apporter de la crédibilité au soutien public à l’innovation de long terme. C’est ce débat qu’il faudra trancher.

En l’état, la commission vous propose d’adopter sans modification les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, au nom de la commission des affaires économiques.

Mme Sophie Primas, en remplacement de M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bien moins agréable que mes collègues. L’an dernier, dans l’attente de nos débats sur la loi Pacte, la commission des affaires économiques avait émis un avis de sagesse sur les crédits du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État ». De nombreuses interrogations avaient alors été exprimées, qui persistent toutefois. Dès lors, la commission a émis un avis défavorable sur les crédits de ce compte cette année. Deux raisons principales président à ce choix.

La première raison est de forme. L’information fournie au Parlement est toujours aussi lacunaire. Nous n’avons pas d’informations sur les moyens de fonctionnement de l’Agence des participations de l’État et d’importantes masses financières sans lien avec l’action de l’APE transitent par ce compte, comme la recapitalisation des banques multilatérales de développement.

Par ailleurs, les crédits qui figurent dans ce compte sont présentés de façon notionnelle, autrement dit fictive, pour des raisons de confidentialité. Si nous comprenons la nécessité de la confidentialité, nous souhaiterions tout de même que l’information du Parlement se fasse, d’une façon ou d’une autre.

La seconde raison est de fond. L’atrophie progressive du portefeuille de l’APE est inquiétante. L’État opère actuellement un recentrage de son portefeuille sur un nombre très réduit d’actifs : EDF représente aujourd’hui la moitié de la valeur de son portefeuille. Or cela prive l’État de marges de manœuvre dans le cas où des liquidités seraient requises de façon urgente pour protéger une entreprise fragile ou menacée.

Surtout, le fameux fonds pour l’innovation et l’industrie, qui est alimenté par le produit des cessions et doit générer un rendement de 250 millions d’euros par an, se révèle de plus en plus un tour de passe-passe budgétaire. Les 10 milliards d’euros résultant de ces cessions seront placés en bons du Trésor : les 250 millions d’euros en question seront donc, de fait, versés par l’État lui-même, à un taux bien supérieur à celui du marché, alors qu’il perd de l’autre côté les dividendes des entreprises privatisées.

En outre, M. le ministre de l’économie et des finances nous expliquait, au cours de nos débats sur la loi Pacte, que le financement de l’innovation serait ainsi plus stable que ne le permettrait un financement par les dividendes. Or il est maintenant prévu pour 2023 une clause de revoyure qui permettra de diminuer le rendement de ce fonds s’il se révèle supérieur à celui du marché, ce qui est plutôt de bonne gestion, mais ne manquera pas d’arriver. Même la stabilité du financement n’est donc à ce jour plus garantie.

Entre temps, le Parlement perd son pouvoir de contrôle, puisque les subventions budgétaires à l’innovation diminuent au profit de ce fonds, qui échappe pour sa part totalement à notre contrôle.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons qui ont conduit la commission des affaires économiques à émettre un avis défavorable à l’approbation de ce compte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)

M. Éric Bocquet. Bravo ! Nous partageons ces propos.

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons à présent les crédits de trois missions distinctes : « Remboursements et dégrèvements », « Engagements financiers de l’État » et « Investissements d’avenir ».

Derrière ces noms austères, au-delà des chiffres froids, nous devons lire les grandes orientations choisies par le Gouvernement pour 2020 et, sans doute, pour les années qui suivront. Notre discussion d’aujourd’hui est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît : il s’agit de définir, par le truchement de la dette et de la créance, le rôle de l’État en tant qu’actionnaire et en tant qu’investisseur.

L’exercice n’est pas simple : il nous revient d’établir une stratégie pour l’avenir en tenant compte des engagements passés. C’est toutefois l’apanage de l’État que de garantir la stabilité dans le temps.

Commençons par le passé. Le programme 117, « Charge de la dette et trésorerie de l’État », a pour objet les engagements financiers de l’État, c’est-à-dire la charge de la dette, le coût que nous supportons aujourd’hui pour assumer les décisions d’hier. Il s’agit d’une ligne incontournable de notre budget : le montant de ses crédits de paiement est le troisième plus important de notre budget. Ce n’est pas sans cause : notre pays a usé et, sans doute, abusé de la dette depuis plusieurs décennies.

Pourtant, en valeur absolue, notre dette continue d’augmenter, même si cette augmentation se fait plus lentement qu’auparavant. Néanmoins, la charge de la dette, quant à elle, diminue, compte tenu des taux extrêmement bas.

Certains affirment qu’il faudrait en profiter pour s’endetter plus encore, que nous serions mal avisés de ne pas saisir l’opportunité de taux si bas. Or c’est précisément parce que nous avons trop longtemps cédé aux sirènes de la dette que nous ne pouvons pas saisir cette opportunité.