Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureuse de défendre aujourd’hui cette proposition de résolution visant à dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.

Comme l’ont déjà dit les orateurs précédents, ce texte s’inscrit dans la continuité d’un rapport de la délégation aux droits des femmes. Il nous a semblé important d’étudier en détail la situation de ces victimes parmi les plus vulnérables. Les personnes auditionnées nous ont rappelé l’importance de considérer les individus en situation de handicap non comme des « objets de soin », mais comme des « sujets de droit ».

Pour ma part, je centrerai mon intervention sur la question de l’accès aux droits pour ces femmes, véritable clé de la réussite dans la lutte contre les violences. Il faut, par exemple, permettre l’accessibilité aux structures d’accueil ou encore la prise en charge par les forces de police et de justice.

D’énormes progrès restent à faire en la matière. Si les démarches pour se rendre au commissariat et porter plainte sont éprouvantes pour les femmes victimes de violences, elles peuvent être insurmontables pour les femmes en situation de handicap. Le manque de formation des professionnels et l’inadaptation de certaines procédures aux formes de handicap sont des facteurs de blocage encore plus forts de la libération de la parole des femmes handicapées.

Cette spécificité nécessite une formation particulière, qui fait défaut aux forces de sécurité et aux personnels de la justice. La formation encore insuffisante à la question des violences faites aux femmes comporte encore davantage de lacunes lorsque ces violences concernent les personnes handicapées ! D’après les témoignages, l’accueil par la police des victimes en situation de handicap est largement perfectible : manque d’empathie parfois, attitude condescendante, inadaptation des questions… Comme l’ont dit mes collègues, cela ne s’apprend pas en ligne !

Alors que la crédibilité des victimes est centrale dans la procédure judiciaire, les personnes handicapées sont souvent infantilisées et présumées incapables. Les personnels n’intègrent pas le fait que les victimes puissent être particulièrement traumatisées par les violences subies.

Ces constats faits pour la police valent aussi pour la justice. Comme nous l’a indiqué la directrice de l’association Droit pluriel, les professionnels du droit ne comprennent pas, par exemple, la spécificité des personnes malentendantes. Le nombre de permanences juridiques en langue des signes reste à ce jour très limité, le public concerné est exclu de fait des lieux d’aide aux victimes.

En conséquence, nous plaidons pour le développement d’outils et de procédures permettant aux personnes handicapées d’entamer des démarches judiciaires dans des conditions adaptées. Cet effort doit notamment viser les personnes autistes et les personnes malentendantes.

L’accès aux droits des personnes en situation de handicap passe d’abord par l’accessibilité matérielle des dispositifs destinés aux victimes, comme les centres d’hébergement ou lieux de dépôt de plainte. Mais une meilleure accessibilité suppose aussi la formation et la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématiques du handicap ; construire des rampes d’accès ou des ascenseurs adaptés ne suffit pas.

Un autre volet essentiel des droits des personnes en situation de handicap est celui de leur accès à la santé et de leur autonomie en matière de soins, conditions nécessaires à leur dignité. Le Parlement européen, dans des résolutions de mars 2007 et novembre 2018, a souligné les difficultés liées à l’inadaptation des infrastructures médicales et regretté le manque de suivi gynécologique des femmes handicapées.

Une étude de l’agence régionale de santé d’Île-de-France, publiée en 2018, relative aux besoins et à la prise en charge gynécologique et obstétricale montre un déficit plus important dans le suivi gynécologique des femmes en situation de handicap. Par exemple, 85 % d’entre elles n’ont jamais passé de mammographie.

On ne peut se satisfaire de cette situation ! L’accès aux soins et aux dépistages des cancers féminins est un droit qui ne peut être enlevé aux femmes en situation de handicap. L’une des recommandations de notre rapport porte donc sur le suivi gynécologique des femmes et adolescentes en situation de handicap : il est indispensable qu’il soit régulier, a fortiori dans le cadre d’un traitement contraceptif, qu’elles résident ou non dans des institutions. Nous demandons également que les équipements de dépistage du cancer du sein soient adaptés aux patientes handicapées.

L’information des adolescentes et des femmes handicapées sur la contraception et leur éducation à la sexualité doit s’inscrire dans la prévention des violences, y compris sexuelles, auxquelles elles sont particulièrement exposées et s’étendre à la prévention des maladies sexuellement transmissibles.

Pour conclure, je voudrais citer ces paroles fortes de Brigitte Bricout, alors présidente de Femmes pour le dire, Femmes pour agir, association de référence pour la prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences : « Ce n’est pas notre handicap qui nous définit, c’est d’être femme. Les femmes qui constituent la moitié de la société civile sont des citoyennes, comme les femmes en situation de handicap. Cette position de citoyenne est constitutive de notre engagement. Nous ne sommes pas à côté de la société civile, mais à l’intérieur. »

Il est de notre devoir de garantir la citoyenneté à laquelle les femmes en situation de handicap aspirent légitimement.

Mes chers collègues, je vous invite, tout comme le feront les membres du groupe du RDSE, à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui une proposition de résolution présentée par nos collègues membres de la délégation aux droits des femmes.

Nous tenons à saluer l’initiative transpartisane que constitue cette proposition de résolution et nous souscrivons largement aux objectifs qui y sont énoncés.

La lutte contre les violences faites aux femmes est un combat de tous les instants. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Selon une étude de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), 12 % des Françaises ont été victimes de viols et 43 % déclarent avoir subi des gestes sexuels sans leur consentement.

Nous partageons le constat, plus qu’alarmant, sur l’exposition particulièrement marquée des femmes en situation de handicap aux violences, que ce soit dans le cercle familial ou dans les institutions spécialisées. D’après un rapport de l’ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de tous types de violences, notamment sexuelles et conjugales.

Un autre chiffre nous démontre l’ampleur du phénomène : selon une étude de 2016 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, les femmes qui courent le plus de risques d’être victimes de violences conjugales sont celles de moins de 25 ans qui se trouvent en situation de handicap.

Il s’agit d’un cercle vicieux : le handicap accroît le risque de violence, les violences accroissent le handicap. Nous devons tout mettre en œuvre pour sortir de cette spirale infernale et mieux protéger les femmes.

Cela passe tout d’abord par une meilleure prévention et une meilleure connaissance du phénomène grâce, notamment, à des études et des statistiques plus nombreuses.

Nous devons également travailler davantage avec les acteurs associatifs qui, chaque jour, proposent une écoute, un accompagnement juridique, social et psychologique à destination de ce public particulièrement exposé.

Enfin, la facilitation des démarches administratives et judiciaires apparaît nécessaire pour favoriser la prise en charge effective des victimes.

Le Gouvernement a pleinement conscience de cette réalité. Durant le Grenelle contre les violences conjugales, la prévention des violences faites aux femmes en situation de handicap avait fait l’objet d’un groupe de travail spécifique. Un certain nombre de propositions ont été annoncées et seront mises en œuvre dès 2020.

Je pense notamment à la lutte contre les violences en établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) par un travail d’encadrement et de valorisation des bonnes pratiques déployées par les agences régionales de santé (ARS).

Je pense également à la formation des professionnels de santé intervenant dans les ESMS à la question des violences faites aux femmes, dont les violences conjugales.

L’objectif est également de faire connaître des dispositifs déjà mis en place et qui ont prouvé leur efficacité. Ainsi, le 3919, service d’écoute téléphonique pour les femmes victimes de violences, sera accessible aux personnes sourdes et malentendantes.

Nous sommes favorables à toute initiative visant à prévenir et à lutter contre les mauvais traitements infligés aux personnes en situation de handicap. La société inclusive que nous prônons est une société dans laquelle est intégrée chaque personne en dehors de toute autre considération. De ce fait, elle lutte contre les inégalités de destin par sa solidarité.

Aussi, nous saluons la qualité du rapport d’information du groupe de travail mené par notre collègue Roland Courteau au nom de la délégation aux droits des femmes, dont nous approuvons les propositions, car elles vont dans le sens d’une meilleure prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences.

Les politiques publiques concernant l’égalité entre les femmes et les hommes, grande cause nationale du quinquennat, s’entendent de manière générale. Elles concernent, a fortiori, les femmes les plus vulnérables et c’est pourquoi nous soutiendrons tous – en tout cas, je l’espère – cette proposition de résolution.

Voter ce texte à l’unanimité du Sénat enverrait un message fort et démontrerait notre volonté commune de lutter ardemment contre toutes les formes de violences faites aux femmes en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon, mes chers collègues, le nombre de femmes décédées en 2019 sous les coups de leur conjoint est de 149. Durant le Grenelle contre les violences conjugales installé le 3 septembre dernier par le Gouvernement, une attention toute particulière a été portée à la question des féminicides et à leur ampleur, mais également à celle des violences faites aux femmes en situation de handicap.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, à laquelle j’appartiens, a voulu mettre l’accent sur ce fléau, souvent oublié par les politiques publiques, que sont les violences faites aux femmes handicapées. En effet, lors de la table ronde que nous avions organisée le 6 décembre 2018, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Mme Pascale Ribes, vice-présidente de l’association France handicap, rappelait une fois encore que « les femmes handicapées restent invisibles et oubliées des politiques publiques ».

Je tiens à remercier nos collègues Dominique Vérien, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Roland Courteau pour leur travail et ce rapport, qui nous permet aujourd’hui de mesurer tout l’enjeu de cette proposition de résolution.

De nombreux points mis en avant par le rapport ont déjà été rappelés. Pour ma part, je souhaite mettre l’accent sur l’effort nécessaire de formation des professionnels, en particulier des forces de police et de justice qui sont les premiers interlocuteurs de toute victime souhaitant déposer plainte. Dans de nombreux cas, l’accueil de victimes en situation de handicap reste difficile : absence d’empathie, manque d’égards, attitude condescendante, inadaptation des questions ou de la procédure. C’est pourquoi il est essentiel qu’ils acquièrent les connaissances solides afin d’accueillir dans de meilleures conditions et avec bienveillance les femmes en situation de handicap victimes de violences sexuelles.

Ainsi, au cours des auditions menées par nos collègues rapporteurs, ont notamment été soulevées les difficultés rencontrées par les personnes sourdes et malentendantes sur lesquelles je voudrais faire quelques remarques.

Tout d’abord, celles-ci ne sont pas familières du monde judiciaire, et les professionnels du droit sont peu réceptifs à leur situation.

Ensuite, force est de constater que le nombre de permanences juridiques en langue des signes reste à ce jour très limité, ce qui exclut encore davantage ces personnes des dispositifs mis en place pour l’aide aux victimes.

Le même constat peut également être fait à l’égard des personnes autistes ou malentendantes.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les différentes lacunes que j’ai relevées aujourd’hui nous conduisent à recommander un renforcement de la formation et de la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématiques du handicap.

En tant que membre de la délégation aux droits des femmes du Sénat, j’estime qu’il est absolument nécessaire que nous prenions tous conscience des agissements que j’ai dénoncés. Je vous invite donc, avec les membres du groupe Union Centriste, à adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon, mes chers collègues, 80 % des femmes handicapées subissent des violences. Elles sont négligées, humiliées, insultées, frappées, violées, parfois tuées. Nous ne pouvons plus tolérer l’intolérable. Les gouvernements successifs se sont penchés sur ce sujet ô combien tragique, mais hélas, jusqu’à aujourd’hui, ces violences persistent.

Cette proposition de résolution en date du 25 novembre 2019 vient s’inscrire dans la continuité des travaux engagés au cours de la session 2017-2018 par notre délégation aux droits des femmes sur les violences faites aux femmes, et du rapport déposé le 3 octobre dernier par mes collègues Chantal Deseyne, Dominique Vérien, Françoise Laborde et Roland Courteau, dont je salue l’excellente initiative.

Il y a un sujet sur lequel nous ne pouvons pas transiger tant il est important. Un sujet qui, cependant, reste étrangement silencieux lorsqu’il s’agit des femmes en situation de handicap, qui comptent pourtant parmi les premières victimes d’abus, compte tenu de leur vulnérabilité. Ce sujet, vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est le consentement, qui est « l’angle mort » de la politique publique d’accompagnement du handicap. Pourtant, il n’est pas possible de le considérer comme « acquis par défaut », qu’il s’agisse de sexualité ou de tout autre domaine de la vie.

Je souhaite donc rappeler dans un premier temps qu’il est nécessaire de mieux relier les indicateurs de « violence » et de « handicap » dans la prise en charge institutionnelle et légale des victimes, afin d’obtenir des bases statistiques qualifiant et quantifiant mieux les faits.

Selon une étude menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, 31 % des femmes en situation de handicap sont ou ont été victimes de violences physiques ou sexuelles. Par ailleurs, 3,9 % des femmes handicapées sont victimes de violence dans le couple, contre 1,87 % des femmes en moyenne. Les filles et les femmes en situation de handicap ont jusqu’à dix fois plus de risques d’être maltraitées que les femmes valides.

En France, cependant, aucune étude nationale spécifique n’a été menée récemment pour mesurer ces violences. Maudy Piot, présidente de l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir estimait que quatre femmes handicapées sur cinq sont victimes de violences, notamment au-dessous de 25 ans. Les agresseurs sont les conjoints à 40 %, les ex-conjoints à 10 %, les enfants à 14 %, les parents à 9 % et les aidants extérieurs à 18 % selon les statistiques du 114, numéro d’urgence dédié aux personnes sourdes ou malentendantes. Ces femmes sont également victimes d’agressions sexuelles dans les institutions spécialisées qui les accueillent, comme les instituts médico-éducatifs (IME) ou les établissements et services d’aide par le travail (ÉSAT). Les dispositifs d’urgence existants doivent être renforcés pour repérer les victimes plus efficacement.

Cependant, ces abus de faiblesse ont lieu à 60 % au domicile, rendant le problème invisible. Beaucoup de femmes n’appellent pas ces numéros d’urgence, et n’entrent pas non plus en contact avec les nombreuses associations qui assurent un travail remarquable de terrain au quotidien, auxquelles je rends hommage aujourd’hui. Il convient de diversifier les systèmes de signalement et de contrôle afin que cette réalité soit prise en compte.

En dépit des conseils et de l’écoute des associations et institutions, les violences perdurent souvent. Il faut alors porter plainte. Mais la démarche est difficile, surtout lorsque des dépendances existent. Ces dépendances peuvent être financières, à travers la gestion de l’AAH par un proche maltraitant, mais également matérielles, au travers du logement ou de la nourriture, ou encore affectives, avec la pression morale exercée par le proche maltraitant. La peur des représailles est également très présente.

Dans un second temps, il faut donc évoquer la sécurisation d’un véritable parcours de plainte autonome et accessible pour toutes les femmes victimes de violence qui ont peur de se lancer dans une démarche judiciaire, pourtant essentielle.

Une fois ce cap franchi, le parcours de la combattante ne s’arrête pas ; il faut encore se déplacer et oser entrer dans le commissariat ou la gendarmerie. Or tous ces lieux ne sont pas encore entièrement accessibles. Il y a aussi la honte, face à des personnels parfois insuffisamment sensibilisés et formés pour recevoir ces plaintes. Trouver des solutions adaptées permettant de fluidifier la procédure est une priorité pour ces femmes. Il faut que l’ensemble des personnels d’accompagnement, les forces de l’ordre et plus largement les citoyens prennent conscience de la réalité des violences exercées à leur encontre. Cela implique de la pédagogie, de la formation, comme le rappelle le texte de notre proposition de résolution.

Je conclurai en disant que mon vote est bien entendu favorable à cette proposition de résolution que j’ai cosignée, mais également, mes chers collègues, que nous sommes tous les porte-parole de ces femmes en situation de handicap victimes de violence. Il faut absolument que la peur change de camp ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous penchons aujourd’hui sur l’un des angles morts des politiques publiques françaises : les violences faites aux femmes en situation de handicap. Je remercie notre collègue et présidente Annick Billon d’avoir porté ce sujet au sein de la délégation aux droits des femmes.

Le rapport sénatorial remis le 3 octobre dernier par nos collègues Chantal Deseyne, Françoise Laborde, Dominique Vérien et Roland Courteau avait souligné un manque criant de données sur le sujet en France, alors même que plusieurs rapports internationaux sont unanimes pour souligner la surexposition des femmes handicapées aux violences.

Le constat est en effet sans appel : près de 80 % des femmes handicapées sont victimes de tous types de violences : tentatives de culpabilisation par des proches, moqueries et méchancetés gratuites au quotidien, maltraitances hospitalières, hospitalisations abusives en hôpital psychiatrique, abus de confiance…

Autre chiffre glaçant : les femmes handicapées sont quatre fois plus susceptibles de subir des violences sexuelles que le reste de la population féminine.

La vulnérabilité liée au handicap place bien souvent les femmes dans des situations de dépendance économique et émotionnelle vis-à-vis de leur agresseur. Beaucoup d’entre elles n’osent pas porter plainte par peur des représailles. D’autres, atteintes de handicap mental, sont même dans l’incapacité d’appeler les numéros d’urgence.

Lorsqu’elles osent ou peuvent franchir le pas, elles sont alors confrontées à d’autres violences psychologiques. C’est le cas de cette femme autiste dont on ne croit pas l’histoire parce qu’elle a du mal à s’exprimer et que ses émotions ne sont pas assez manifestes. On peut encore citer l’exemple terrible de cette femme malentendante qui se voit demander par des policiers de mimer le viol qu’elle a subi, car elle n’est pas capable de le raconter.

Cette proposition de résolution appelle à une prise de conscience sociétale, qui doit passer par une sensibilisation accrue de tous à ces violences.

D’abord, il est primordial de mieux former les professionnels à la spécificité des violences sexuelles commises contre les femmes en situation de handicap. Cet effort de formation doit même être étendu à tous les intervenants potentiels : les soignants, les écoutants des plateformes téléphoniques, les professionnels et les bénévoles en contact avec des personnes handicapées, sans oublier les magistrats et agents de police, qui sont en première ligne lorsqu’une victime souhaite déposer plainte.

Ensuite, il est nécessaire d’améliorer l’information des personnes handicapées sur leurs droits, ce qui suppose le développement d’outils de communication dans des formats accessibles, quel que soit le handicap. Une rencontre annuelle et obligatoire avec un psychologue constituerait aussi une véritable avancée pour aider les victimes à rompre le silence.

Enfin, il est temps de briser l’omerta qui règne encore trop souvent dans certains établissements spécialisés. Le secret professionnel ne doit pas permettre aux professionnels de s’exonérer de leurs responsabilités quand ils sont en mesure de présumer qu’une personne handicapée est victime de violences. J’ai ainsi en mémoire le témoignage accablant d’une professionnelle de santé travaillant dans le département dont je suis élue, l’Aisne, et qui soupçonnait un père de famille de viols incestueux réguliers sur ses deux filles placées en institution. Tout le monde savait ; personne n’a jamais osé parler… Parce que le signalement de situations de violences peut sauver des vies, nous devons soutenir l’introduction dans le code pénal d’une obligation de signalement des violences physiques, psychiques ou sexuelles, notamment pour les professionnels de santé.

Mes chers collègues, les violences faites aux femmes en situation de handicap sont aujourd’hui invisibles, mal connues et trop peu prises en compte. Nous voterons cette proposition de résolution, parce qu’elle encourage au changement de regard de l’ensemble de la société et des acteurs de la chaîne sur ces femmes oubliées. Nous devons les aider à sortir du silence et, surtout, faire entendre leur voix. Comme l’excellent rapport de nos quatre collègues nous y invite, il est temps de dénoncer l’invisible et d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing et Mme Nicole Duranton applaudissent également.)

M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, longtemps les violences ont été taboues, en particulier celles qui étaient commises sur les enfants et sur les femmes.

L’année 2019 aura été une année importante dans la lutte pour la fin du silence en France ; il était temps. Une mobilisation sans précédent de la société civile contre les violences faites aux femmes a vu le jour, avec comme point d’orgue la marche organisée par le collectif Nous toutes au mois de novembre dernier. La prise de conscience est là ; c’est une première étape.

De nombreuses actions ont été mises en place. Dans nos rues, placardés sur les murs, comme une trace indélébile dans notre quotidien, nous pouvons voir les prénoms de celles qui ont péri sous les coups. Un Grenelle contre les violences conjugales s’est tenu à la fin de l’année dernière ; trente mesures, que nous soutenons, sont ou seront mises en place, avec, comme objectifs, la prévention et la protection.

Les violences infligées au sein même du cercle familial sont désormais audibles. Elles peuvent être physiques, mais aussi morales, psychologiques ou encore sexuelles. Elles touchent tous les âges et tous les sexes ; elles touchent toute notre société.

La délégation aux droits des femmes, que je souhaite saluer pour le travail sans relâche qu’elle conduit, sous l’égide de son infatigable présidente, Annick Billon, place aujourd’hui le Sénat face au fléau spécifique des violences que subissent les femmes en situation de handicap. Le rapport d’information publié en octobre dernier par cette délégation, sous un titre évocateur et avec des chiffres glaçants, nous donne des pistes de réflexion. La résolution proposée aujourd’hui en fait autant.

Une discussion s’ouvre, et elle doit absolument déboucher sur des réponses adaptées.

Les témoignages recueillis lors des auditions, mais également ceux que l’on entend tous les jours dans les médias et autour de nous, sont éloquents. Les femmes en situation de handicap sont confrontées à de nombreux obstacles et à des violences qui se produisent bien souvent au sein de la famille ou dans les institutions, qui devraient au contraire protéger. D’où l’importance de l’accès à des données fiables et actualisées, afin de prendre conscience de l’ampleur de cette situation.

La délégation a appelé à une prise en compte systématique, dans les politiques publiques, des femmes en situation de handicap. Les conclusions et les mesures dévoilées lors du Grenelle contre les violences conjugales constituent une avancée, qui doit être poursuivie.

La prévention et la sensibilisation sont primordiales, et une prise en charge adaptée en cas de violence l’est tout autant. La procédure en la matière doit être révisée ; tous les maillons du dispositif doivent être formés et sensibilisés aux besoins spécifiques des femmes handicapées.

La proposition de résolution fait à juste titre mention de l’accès aux établissements médicaux et aux locaux de police ou d’hébergement d’urgence. Cette accessibilité doit répondre à toutes les formes de handicaps.

Je souhaite aussi parler de la prise en charge lors des appels d’urgence. Il est nécessaire d’améliorer ce système grâce, là encore, à la sensibilisation et la formation du personnel. L’écoute est essentielle ; c’est l’une des recommandations de la mission d’information, et cela me semble nécessaire. On a prévu, à l’issue du Grenelle, l’ouverture 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 du numéro d’urgence 3919. Il est précisé, au travers de cette mesure, que ce dispositif sera rendu accessible aux personnes en situation de handicap. Celles-ci doivent être certaines qu’elles seront entendues, qu’une protection leur sera apportée et que leurs droits seront garantis.

Les difficultés d’accès se retrouvent aussi dans les diverses formes de soin, de dépistage et de diagnostic. La proposition de résolution le met en évidence, les études récentes ont démontré que les femmes handicapées étaient plus exposées au risque de cancer du sein, du fait d’un dépistage insuffisant. La question du suivi, notamment gynécologique, de ces femmes est aussi essentielle ; ce suivi ne paraît pas suffisamment bien assuré. La santé est un bien précieux pour chaque Français, pour chaque Française.

La délégation aux droits des femmes a soulevé un autre point substantiel et la proposition de résolution que nous étudions le reprend : il s’agit de l’autonomie économique des femmes en situation de handicap.