M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Je ne voudrais pas faire de mauvais parallélisme, car chaque problématique a évidemment ses spécificités, mais, la semaine dernière, nous avons longuement parlé des conséquences que peuvent avoir un certain nombre de choix d’adultes sur le devenir d’enfants et sur celui de ces adultes eux-mêmes.

En l’espèce, nous parlons de ce qu’on appelle communément les « enfants médicaments », des naissances médicamenteuses. J’entends évidemment ce que vous dites, madame la ministre, sur les familles confrontées à ces maladies qui, indépendamment de la situation d’un enfant déjà né, ont le désir d’autres enfants.

La difficulté du choix que le législateur a à faire me paraît résider dans cette question : jusqu’à quel point les parents désirent-ils un autre enfant, indépendamment du désir de guérir celui qui est déjà né ? Car un poids psychologique pèsera inévitablement sur cet enfant, né non pour lui-même, mais pour guérir son aîné.

Personnellement, je voterai cet amendement. Prenons garde, à défendre le progrès, à ne pas tomber dans le progressisme. Nous devons encourager la recherche à ne pas être dans le maximalisme.

Depuis le début de ces débats, je n’ai jamais caricaturé les propos de quiconque parmi nous. Je souhaite simplement que les miens ne le soient pas non plus.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Mon intervention illustrera la diversité de mon groupe, puisque, pour ma part, je voterai contre l’amendement, suivant l’avis de la commission spéciale.

Le double diagnostic préimplantatoire pose des questions, et ma collègue a eu tout à fait raison de le souligner. Reste que, pour certains enfants nés avec une maladie génétique très grave, incurable sauf à réaliser une greffe de moelle avec un futur enfant indemne du couple, le DPI joue un rôle en permettant de sélectionner un embryon sain via une FIV. Après la naissance, une greffe est réalisée sur cet enfant en vue de guérir son aîné.

La technique est complexe et interroge, il est vrai. Les cas sont rarissimes, comme Mme la rapporteure et Mme la ministre l’ont souligné, en sorte qu’elle est peu pratiquée – elle l’est notamment par le professeur Frydman.

J’entends l’argument selon lequel il serait préférable d’abroger ce dispositif, un enfant ne pouvant pas être utilisé comme un moyen, voire comme un objet ; pour une part, j’y suis sensible. Nous nous demandons tous, je crois, comment peut se construire un enfant destiné à soigner un membre de sa fratrie et qui peut avoir le sentiment d’avoir été conçu dans ce seul but.

Je considère malgré tout que, si les progrès médicaux peuvent permettre de sauver une vie tout en donnant naissance à une autre vie, correspondant aussi à un projet parental, il est important, même si les chances de réussite sont minces, de laisser aux familles d’enfant malade la possibilité de recourir à une technique qui existe et qui peut sauver.

Par ailleurs, cette technique est pratiquée dans certains pays voisins. Certes, ce n’est pas ce qui doit nous décider à l’autoriser ou non, mais, en continuant à l’autoriser en France, nous éviterons à des familles d’être en errance et de devoir se rendre à l’étranger pour y recourir.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je comprends les arguments de Mme la ministre et de tous mes collègues. D’autant que nous parlons de situations de souffrance.

Si l’on s’efforce de s’en tenir à la raison, il apparaît, d’abord, que la rareté des cas ne saurait être un argument : une loi bioéthique sert à poser des principes qui valent en tant que tels et ne souffrent pas d’être amoindris par la loi du nombre.

Ensuite, faire naître un enfant non pour lui-même, mais pour soigner son grand frère ou sa grande sœur pose malgré tout problème. On doit concevoir un enfant pour lui-même, sans l’instrumentaliser – ce terme serait du reste à nuancer.

Enfin, il s’agit bien d’une sélection, d’un tri, et même d’une double sélection, d’un double tri, ce qui pose également problème.

Par ailleurs, madame la ministre, on me dit qu’un certain nombre de vos confrères hématologues ont recours à des techniques permettant désormais d’utiliser les cellules souches contenues dans le sang du cordon ; peut-être pourrez-vous nous éclairer à cet égard.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Les cas sont très rares, mais il est arrivé que la technique soit mise en œuvre. Les principes qui ont été rappelés, et auxquels je souscris, ont-ils à cette occasion été enfreints ? Je ne le crois pas. J’ai le sentiment, avec une grande humilité, que les familles en question en ont tiré un mieux-être.

La technique a-t-elle un avenir ? Je n’en sais rien du tout. Simplement, l’expérience ayant montré que la procédure est parfaitement encadrée et sans dérive, je ne vois pas de raison de l’interdire maintenant.

Quelques familles françaises recourent à cette technique à l’étranger, notamment en Belgique. Si elle était interdite, madame la ministre, ne seraient-elles pas privées de prise en charge par la sécurité sociale ?

Je ne voterai pas l’amendement de suppression, parce que je ne vois pas la nécessité de fermer une porte qui a été ouverte avec précaution, dans laquelle rien ne s’est engouffré et qui permet simplement la mise en œuvre d’une technique au bénéfice de familles et d’enfants.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Je suivrai la commission spéciale, qui a décidé de maintenir l’autorisation du diagnostic préimplantatoire avec typage HLA.

Ce dispositif, autorisé en 2004 et pérennisé en 2011, est extrêmement encadré : le couple demandeur doit avoir donné naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique entraînant la mort ou reconnue incurable ; le diagnostic préimplantatoire a pour seul objet de rechercher la maladie génétique, ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter et de permettre une thérapeutique.

Certes, la technique est lourde, n’est plus appliquée depuis 2014 et la procédure administrative est complexe. Reste que l’évolution des thérapeutiques disponibles et de la connaissance scientifique depuis 2011 n’a pas rendu caduc le recours à cette technique. Le caractère exceptionnel de la procédure et sa complexité ne suffisent pas à rendre son maintien inutile.

M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour explication de vote.

Mme Florence Lassarade. Comme pédiatre, je sais qu’une famille qui va perdre un enfant sera de toute façon tentée par cette technique.

J’entends parler d’« enfant médicament » ; mais, en fin de compte, une fois qu’on a perdu un enfant, l’enfant suivant n’est-il pas aussi un enfant médicament, destiné à combler le vide laissé ? Cet argument ne me paraît donc pas convaincant.

Dès lors qu’il y a un enjeu vital, je pense que la loi doit laisser ouverte la possibilité de recourir à cette technique.

Lorsqu’ils sont confrontés à la mort probable de leur enfant, les parents sont prêts à tout pour l’éviter, mais certainement pas aux dépens de l’enfant qui va naître et qui sera considéré comme un sauveur au sein de la famille.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.

M. Jérôme Bascher. Il s’agit de faire la loi et non de s’appuyer sur un cas individuel qui pourrait nous toucher.

Lorsque l’on croise un sans-papiers dans la rue et que l’on mesure sa détresse, il est bien normal d’avoir envie de l’aider. Pour autant, est-ce dans l’intérêt supérieur de la Nation de régulariser tous les sans-papiers parce que l’on aura été touché par ce cas individuel ? Peut-être, peut-être pas. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)

M. Bernard Jomier. Quelle comparaison !

M. Jérôme Bascher. Oui, chaque cas individuel mérite tout notre respect et tout notre amour. Toutefois, il s’agit non pas de raisonner à partir d’un cas individuel, même si cela nous apporterait beaucoup de satisfaction, mais bien de faire la loi et d’œuvrer pour le bien commun, ce qui est toujours beaucoup plus délicat.

Par conséquent, je voterai cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.

M. Michel Amiel. Je suis étonné par l’argument que je viens d’entendre : la loi est aussi faite pour les cas exceptionnels. Aussi exceptionnel le sujet qui est ici abordé soit-il, j’ai du mal à imaginer que les parents – et l’on ne peut pas se mettre à leur place – instrumentaliseront ou plutôt chosifieront le nouvel enfant qui naît. J’ai au contraire plutôt le sentiment que c’est un double acte d’amour, pour l’enfant qui va peut-être mourir et pour l’enfant suivant que les parents aimeront encore plus.

Par conséquent, je ne voterai pas cet amendement de suppression, pour ne pas fermer la porte à une technique si rare soit-elle, mais qui vise à faire du bien.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.

Mme Catherine Deroche. Je ne voterai pas cet amendement.

Je rappelle que nous n’introduisons pas un nouveau dispositif dans la loi. C’est même tout le contraire ! En effet, l’Assemblée nationale a supprimé un dispositif qui avait été reconduit par les lois de bioéthique de 2011, qui plus est plus sous notre majorité.

Il s’agit donc non pas de créer un nouveau dispositif pour des cas particuliers, mais simplement de ne pas supprimer ce qui existe déjà.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je tiens à apporter un éclairage et à répondre à Bruno Retailleau.

Certes, il est possible de greffer des enfants soit avec du sang de cordon congelé issu des banques de sang de cordon, soit grâce à des donneurs non familiaux inscrits dans des fichiers internationaux, mais, dans les deux pathologies concernées par le DPI-HLA, ces techniques de greffe standard donnent de mauvais résultats : pour ces enfants, le risque de mortalité est bien supérieur qu’avec des prélèvements intrafamiliaux.

Par ailleurs, le tri des embryons a de toute façon lieu. Il s’agit de familles dont l’un des enfants est atteint d’une maladie génétique rare. Par conséquent, lorsque les parents auront un autre enfant, ils demanderont à bénéficier d’un diagnostic préimplantatoire, ce que la loi leur permet. Ils auront donc recours à une technique d’AMP ou de fécondation in vitro et un tri d’embryons dépourvus de la maladie génétique sera réalisé.

La technique permet en quelque sorte de leur proposer un double tri, comme vous le disiez, monsieur Retailleau. Reste que le premier tri est déjà prévu par la loi actuelle.

En réalité, la question fondamentale – Mme la rapporteure l’a très bien posée – est la suivante : ces familles engendrent-elles un enfant pour en sauver un autre ? Doit-on fermer la porte à des familles qui, de toute façon, auraient des enfants, bénéficieraient donc d’un tri d’embryons pour leur futur enfant et qui auraient en plus la possibilité de sauver leur premier enfant ?

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 127 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 19 bis A demeure supprimé.

Article 19 bis A (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 19 ter (nouveau) (début)

Article 19 bis

(Supprimé)

Article 19 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 19 ter (nouveau) (interruption de la discussion)

Article 19 ter (nouveau)

L’article L. 2131-4 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° Au deuxième alinéa, au début, est ajoutée la mention : « II. – » et, après le mot : « conditions », la fin est ainsi rédigée : « définies au présent II. » ;

3° Il est ajouté un III ainsi rédigé :

« III. – À titre expérimental, le diagnostic préimplantatoire peut être autorisé pour la recherche d’anomalies chromosomiques non compatibles avec le développement embryonnaire, lorsqu’un médecin exerçant son activité dans un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal tel que défini à l’article L. 2131-1 ou dans un centre d’assistance médicale à la procréation tel que défini à l’article L. 2141-1 atteste que le couple remplit les conditions fixées par un arrêté pris après avis de l’Agence de la biomédecine.

« Les deux membres du couple expriment par écrit leur consentement à la réalisation du diagnostic, après avoir été informés sur les conditions, les risques et les limites de la démarche.

« Ce diagnostic ne peut avoir pour seul objectif que celui d’améliorer l’efficience de la procédure d’assistance médicale à la procréation, à l’exclusion de la recherche du sexe de l’enfant à naître.

« Ce diagnostic est réalisé dans un établissement spécifiquement autorisé à cet effet par l’Agence de la biomédecine.

« Il ne peut donner lieu à une prise en charge au titre de l’article L. 160-8 du code de la sécurité sociale. »

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 68 rectifié est présenté par MM. Mizzon, Canevet, Cazabonne, Delahaye, Détraigne et L. Hervé, Mme Herzog et M. Masson.

L’amendement n° 100 rectifié ter est présenté par MM. Retailleau, Chevrollier, B. Fournier, Danesi et Vial, Mme Deromedi, MM. de Legge et Bazin, Mme Bonfanti-Dossat, M. H. Leroy, Mmes Bruguière, Chain-Larché et Thomas, MM. Bascher, Chaize, Mouiller, Schmitz et Cuypers, Mme Deseyne, MM. Gilles, Mandelli, Mayet, Longuet, Cambon, Rapin et Bignon et Mme Micouleau.

L’amendement n° 159 est présenté par Mme Lopez.

L’amendement n° 290 est présenté par le Gouvernement.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour présenter l’amendement n° 68 rectifié.

M. Jean-Marie Mizzon. Cet amendement vise à supprimer l’article 19 ter.

L’amendement COM-166 adopté par la commission spéciale autorise, à titre expérimental et sous conditions, le diagnostic préimplantatoire avec recherche d’anomalies chromosomiques. La technologie permet de trier les embryons in vitro, et les procédés sont de plus en plus poussés. Pour lutter contre les tentations d’eugénisme inhérentes à cette pratique, le législateur a limité jusqu’à présent celle-ci à des maladies génétiques héréditaires dites graves.

La disposition adoptée par la commission spéciale multiplie les indications de recours au DPI sans limite stable. Cela révèle les inquiétantes pressions idéologiques pesant sur l’élargissement du DPI pour tous et pour tout.

Voilà pourquoi il convient de rétablir le cadre strict du recours au DPI actuellement en vigueur.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour présenter l’amendement n° 100 rectifié ter.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, nous abordons un point très important. J’ai demandé la parole sur l’article, mais vous ne m’avez pas vu. Comment fait-on ?

M. le président. Exprimez-vous alors sur l’article et présentez ensuite votre amendement. Je vous accorderai un peu plus de temps.

M. Bruno Retailleau. On le sait bien, le débat sur ce sujet a été l’un des moments clés à l’Assemblée nationale. Je veux bien que l’on travaille rapidement parce qu’il est tard, mais, sur ce type de mesure, le diagnostic préimplantoire des aneuploïdies (DPI-A), on devrait prendre le temps. Je ne demande pas plus que ce que prévoit le règlement.

Cela dit, la discussion sur cette mesure a été un moment de tension et d’émotion à l’Assemblée nationale. Je ne l’ai pas vécu, mais vous, oui, madame la ministre, et vous me démentirez si je tiens des propos erronés.

J’ai vu, en commission, un député dire tout fort qu’il fallait éliminer les embryons trisomiques et, à la tribune, un autre député d’un autre groupe déclarer qu’il fallait éradiquer ces embryons. Le cadre est posé de façon brutale.

Je sais que certains promoteurs de cette mesure sont mus par une logique de la bonne intention compassionnelle : en ayant recours au DPI-A, il s’agirait simplement de réduire les fausses couches après une fécondation in vitro. Il ne faut pas le nier, cette argumentation pourrait justifier cette mesure.

Toutefois, de nombreux professeurs de médecine ont apporté la preuve inverse. Ainsi, M. Jean-Paul Bonnefont, devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, le 18 octobre 2018, indiquait : « L’augmentation des chances de grossesse après un test d’aneuploïdie n’a jamais été formellement démontrée » – madame la ministre, là encore, vous me démentirez si mes propos sont faux. Il apportait d’ailleurs une autre information en précisant qu’il ne s’agissait pas d’une technique anodine : elle peut conduire aussi à « éliminer des embryons potentiellement sains ».

Évidemment, si vous proposez d’ajouter un autre test aux tests déjà existants, les grands laboratoires et un certain nombre de chercheurs applaudissent : ce sera plus d’argent, plus de chiffre d’affaires !

Toutefois, nous sommes dans une démarche d’eugénisme. Ce n’est pas une dérive. Il ne s’agit en effet ni plus ni moins que de trier les embryons et d’éliminer ceux qui n’ont pas un génome conforme, normal. C’est très clair !

Quel signal envoyons-nous aux personnes handicapées, sinon une stigmatisation terrible ? Vous rendez-vous compte, mes chers collègues, de la violence de ce message pour les personnes trisomiques, mais aussi pour notre société ? Quelle société voulons-nous ?

Voilà quelques mois, un grand Français, Jean Vanier, le fondateur de l’Arche, disparaissait. Il a développé le concept d’éthique de la vulnérabilité, de la fragilité. Il répétait souvent cette phrase : « On mesure le degré d’une civilisation à l’attention qu’elle porte aux plus fragiles. » Nous sommes au cœur du problème !

J’en viens à mon amendement, qui vise évidemment à contrer la mesure adoptée par la commission spéciale. Je parlerai de façon moins rationnelle.

Mes chers collègues, peut-être avez-vous vu lors de sa sortie le film Le Huitième Jour. Je m’étais alors longuement entretenu avec l’acteur principal, trisomique, Pascal Duquenne, qui est une vraie personnalité. À l’époque, c’était dans les années 1990, tous ceux qui ont vu le film – croyez-moi, il a connu un grand succès – avaient été touchés. Au moment où vous voterez, vous devez avoir cette image à l’esprit !

Je citerai une autre référence : le général de Gaulle. Savez-vous que sa fille Anne, qui est née en 1928, était trisomique, lourdement handicapée ? Yvonne de Gaulle et lui avaient choisi de la garder près d’eux, alors qu’à l’époque, dans certains milieux, ces enfants-là étaient écartés et placés dans des hôpitaux psychiatriques. Anne est morte à 20 ans. Dans le cimetière, au moment de son inhumation, le général de Gaulle prit le bras de son épouse et murmura : « Maintenant, elle est comme les autres. » Il avait eu également cette phrase extraordinaire : « Anne était aussi une grâce. Elle m’a aidé à dépasser tous les échecs […], à voir plus haut. » En d’autres termes, la faiblesse de cet enfant trisomique a nourri la force du général.

Nous devons entretenir cette éthique de la fragilité, non seulement pour les personnes handicapées, dont nous avons la charge, mais aussi pour nous-mêmes, parce que cette fragilité et cette vulnérabilité nous rappellent notre condition humaine qui est précisément qu’elle n’est pas sans condition, comme je le disais dans cette enceinte même lors de la discussion générale.

Mes chers collègues, il faut refuser cette mesure et voter cet amendement de suppression. Il s’agit d’une question éthique importante sur laquelle nous pouvons nous retrouver. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. L’amendement n° 159 n’est pas soutenu.

La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 290.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Il est vrai que les discussions à l’Assemblée nationale ont été extrêmement longues et émouvantes. Je souhaite reposer les termes du débat.

La demande provient essentiellement des centres qui réalisent des fécondations in vitro. Dans de nombreux pays de par le monde, des centres utilisent cette technique visant à trier des embryons pour supprimer, avant réimplantation, des embryons manifestant soit des anomalies visuelles, soit des anomalies du nombre de chromosomes, en espérant que les embryons ainsi triés et réimplantés donneront plus de probabilités à la femme de mener sa grossesse à terme.

L’argumentaire est donc le suivant : cette pratique existe ailleurs et il y a de fortes chances qu’elle améliore la probabilité de réussite et diminue ainsi la souffrance des couples devant entreprendre plusieurs cycles d’AMP et d’insémination.

Les centres d’AMP formulent également cette demande de manière forte pour des raisons médico-économiques, disent-ils, en raison d’une meilleure efficience des techniques.

Force est de constater que la certitude que cette technique améliore réellement le taux de réussite des FIV est loin d’être admise partout dans le monde. D’ailleurs, dans la semaine qui a suivi les débats à l’Assemblée nationale, une grande étude internationale affirmait exactement le contraire : le DPI-A effectué chez les femmes de 25 à 40 ans n’améliorerait en rien le taux de succès de la réimplantation. Elle reposait donc la question de l’utilité de cette technique, qui détruirait parfois des embryons sains, viables, et qui masquerait parfois d’autres anomalies. En effet, on rechercherait des anomalies, mais, ce faisant, on ne détecterait pas les autres, avec le risque que naissent des enfants présentant des pathologies ou que des fausses couches inattendues se produisent. Lors du dernier congrès américain, cette technique a donc eu l’air d’être remise en question.

Le Gouvernement a proposé de poursuivre les protocoles de recherche sur cette technique et, sur la demande des chercheurs et des médecins français, de financer un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), de façon à accompagner un certain nombre d’équipes en France pour juger de l’utilité et de l’intérêt de cette recherche d’anomalies chromosomiques avant réimplantation pour améliorer l’efficience de l’AMP.

Pourquoi cette technique pose-t-elle des problèmes éthiques ? Si les problèmes n’étaient que techniques, la question ne serait pas débattue devant les parlementaires que vous êtes.

Parmi les anomalies chromosomiques qui sont recherchées, par essence, se trouve la trisomie 21. Or les enfants qui en sont atteints sont viables. En réalité, en éliminant les embryons aneuploïdes, on embarque également, si je puis dire, les embryons trisomiques lors du tri.

Pour être honnête, à l’Assemblée nationale, ont été évoquées des histoires terribles de couples ayant eu un enfant avec une anomalie génétique, recourant ensuite à une AMP pour éviter d’avoir de nouveau un enfant malade. On leur assurait alors que l’embryon qui serait réimplanté ne porterait pas la maladie génétique dont était atteint leur premier enfant, ce que permet la loi, mais le dépistage prénatal faisait apparaître que leur futur enfant serait trisomique.

Il s’agit bien d’histoires terribles : ces familles, qui ont déjà un enfant avec une anomalie génétique, entreprennent une démarche de fécondation in vitro et se retrouvent de facto à devoir décider un avortement thérapeutique. Ces situations, qui sont certainement exceptionnelles, existent.

C’est toujours le même problème qui se pose. Je rappelle que l’on dénombre aujourd’hui 150 000 essais d’AMP dont environ 100 000 reposent sur la fécondation in vitro, donc sur des embryons. Cela concerne toutes les familles, y compris des familles qui n’ont pas d’enfant malade. En ouvrant la technique pour les situations individuelles visées, on ouvrirait une technique de recherche d’anomalies chromosomiques, donc de tri d’embryons, pour tous les parents ayant recours à l’AMP.

Cela pose deux questions éthiques.

D’une part, souhaitons-nous inscrire dans la loi que nous sommes tous d’accord pour définitivement trier des embryons porteurs de la trisomie 21 ?

D’autre part, pourquoi offrir cette possibilité de tri d’embryons uniquement aux couples qui ont recours à une AMP avec FIV ? Pourquoi ceux qui se tournent vers l’insémination artificielle en seraient-ils privés ? Pourquoi ceux qui conçoivent un enfant par voie normale, si je puis dire, prendraient-ils, eux, le risque d’avoir un enfant avec une trisomie 21 ou d’autres anomalies génétiques ou chromosomiques ?

S’il est vrai que la technique est possible et simple, l’argument qui consiste à dire que son utilisation améliorera le rendement de la fécondation in vitro est loin d’être confirmé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la France finance une recherche à large échelle dans ce domaine. En outre, allons-nous aujourd’hui inscrire dans la loi ce choix d’éliminer des enfants viables présentant des anomalies chromosomiques, comme la trisomie 21 ?

Je reviens sur le diagnostic préconceptionnel. La technique qui permet de déceler les anomalies chromosomiques permet également, selon les réglages, de détecter les anomalies génétiques. En d’autres termes, les laboratoires ayant cette technique en main seraient également à même de détecter les anomalies génétiques et les mutations dont nous avons parlé cet après-midi. Or je rappelle que vous avez émis un avis défavorable sur le fait d’inscrire le dépistage dans la loi.

Sur cette question, j’espère avoir été claire. Le Gouvernement est défavorable à la technique proposée par cet article. Le temps est encore à la recherche. Nous finançons cette recherche, nous accompagnons les équipes pour en savoir plus et définir quelle technique permettrait d’améliorer les FIV sans pour autant prendre une décision lourde sur le plan éthique pour tous les couples.

Par conséquent, le Gouvernement demande la suppression de cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Je souhaite au préalable recadrer le débat pour ne pas faire dire au texte adopté par la commission spéciale ce qu’il ne dit pas.

La commission spéciale a proposé un cadre très strict de recours au diagnostic préimplantatoire avec recherche d’aneuploïdies et à titre expérimental. Cela ne conduit nullement à multiplier les indications du recours au DPI sans limite stable, comme certains le prétendent.

D’abord, ce diagnostic préimplantatoire n’aurait pas vocation à concerner tous les couples engagés dans une assistance médicale à la procréation. Il s’agirait pour les équipes médicales spécialisées de cibler les femmes les plus à risques, notamment en cas d’échecs répétés de FIV ou de fausses couches à répétition, dans un objectif d’amélioration de la prise en charge de ces parcours qui sont longs et douloureux.

La finalité n’est nullement de sélectionner des embryons sur d’autres critères ; nous l’avons explicitement inscrit dans le texte. Le diagnostic ne pourra avoir pour seule fin que d’identifier les embryons ayant plus de chances de s’implanter pour aboutir à une grossesse. Il ne s’agit en aucun cas de faire un tri sur la base d’autres critères. En fait, il s’agit de donner plus de chances à un couple d’avoir un enfant.

Nous pouvons sans doute encore améliorer le dispositif et, si cet article n’est pas supprimé, nous pourrons examiner des amendements tendant à formuler des propositions intéressantes dans ce sens.

Ne fermons pas d’emblée la porte à une technique que l’ensemble des sociétés savantes en médecine de la reproduction appellent de leurs vœux pour rendre ces parcours d’assistance médicale à la procréation moins douloureux et dont le Comité consultatif national d’éthique a également préconisé la mise en place.

J’entends l’argument du Gouvernement de privilégier la poursuite de la recherche. Ce n’est pas incompatible avec le texte que nous proposons, bien au contraire. Notre dispositif, je le répète, étant expérimental, il pourra s’enrichir des résultats de la recherche, notamment pour mieux cibler les indications médicales que nous avons précisément renvoyées à un texte réglementaire.

La portée d’un projet de recherche et les longueurs que nous connaissons dans ce domaine ne valent pas que l’on renvoie l’inscription du dispositif dans une prochaine loi de bioéthique. Si tel était le cas, nous aurions alors perdu cinq ans.

Pour ces raisons, la commission spéciale émet un avis défavorable sur les amendements de suppression de l’article 19 ter.

J’ajoute que cet article permettra de gagner du temps dans un processus d’assistance médicale à la procréation qui est long et douloureux et de donner plus de chances à un couple d’avoir un enfant. Il faut sortir du débat passionnel et ne pas se focaliser sur la trisomie 21.

Oui les enfants atteints de trisomie 21 sont viables. Bien sûr, ils sont accueillis avec bonheur par leurs parents et notre société, dans sa politique d’inclusion, doit les intégrer au mieux.

Le DPI-A est une possibilité de diagnostic supplémentaire, qui vise surtout à éviter de transférer des embryons qui ne donneront jamais naissance à un enfant.