M. François Bonhomme. Mais que va dire Greta ?…

Mme Laurence Rossignol. Voilà toutes les raisons pour lesquelles le groupe socialiste ne votera ni cette proposition de loi ni aucun de ses articles. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains, nous nous penchons sur une question éminemment sensible, celle du droit de grève et des restrictions que nous pouvons ou pas lui apporter.

Une fois n’est pas coutume, notre groupe, riche de sa diversité, ne se positionnera pas de façon unanime. Chacun votera selon ses convictions, et c’est avec les miennes que je m’exprime devant vous.

Avant d’aborder le contenu même du texte, on peut légitimement soulever un préalable : la période est-elle la plus opportune pour en débattre, alors que les perturbations issues des grèves contre la réforme des retraites ont hystérisé la situation ?

C’est un sujet grave, mettant en jeu l’une nos libertés publiques fondamentales et fondatrices. Nous nous devons donc d’aborder ce type de réflexion dans le calme et dans un climat apaisé, détachés, les uns et les autres, des émotions que nous avons pu vivre ces dernières semaines… Des émotions nécessairement affectées par nos situations individuelles, selon, par exemple, que l’on est francilien ou provincial, usager ou non des transports en commun.

Sur le sujet précis de l’encadrement du droit de grève, nos réflexions doivent être guidées, il me semble, par deux principes que j’estime fondamentaux : la nécessité et la proportionnalité.

En d’autres termes, notre législation actuelle apparaît-elle à ce point inopérante ou insuffisante pour que sa modification soit rendue nécessaire ? Et l’atteinte au droit de grève est-elle adaptée aux objectifs que l’on vise ? Surtout, ces objectifs autorisent-ils à restreindre un droit constitutionnel, chèrement acquis à grand renfort de luttes sociales ?

Ce droit fondamental, au cours de notre histoire, aura permis aux salariés de notre pays d’obtenir des avancées ou de corriger des réformes qui leur étaient excessivement défavorables. L’exemple, pris au hasard, de la mobilisation massive contre la réforme des retraites en 1995 le montre bien, avec ses 5 millions de jours de grève cumulés et les 2 millions de personnes dans la rue le 12 décembre 1995…

Issu du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, je puis par ailleurs témoigner de mobilisations ouvrières historiques, réprimées parfois dans la violence militaire et dans le sang, qui méritent tout notre respect et toute notre considération, et qui commandent la plus grande prudence chaque fois que l’on s’interroge sur leur restriction.

Sur le fond du texte qui nous est soumis, j’aimerais partager avec vous plusieurs réflexions et interrogations.

En premier lieu, sur un sujet aussi important, on ne peut regretter que la proposition de loi ne soit pas sous-tendue par une étude d’impact préalable. Je n’ai pas parlé de référendum… Une telle étude aurait permis, sans nul doute, d’évaluer ses avantages, mais aussi ses inconvénients, tout autant que sa faisabilité.

En second lieu, je reste convaincu qu’il ne nous faut pas légiférer à l’excès sur un sujet de cet ordre. Au contraire, nous devons faire confiance à l’intelligence collective, ainsi qu’à l’arsenal des règles existant d’ores et déjà.

On nous dit que ces règles seraient inefficaces, car elles ne permettraient pas d’assurer un service minimum en cas de grève massive. Le taux de 90 % a même été avancé par certains…

Je suis de ceux qui pensent qu’une mobilisation d’une telle ampleur ne doit pas nous amener à imaginer quelle restriction apporter au droit de grève, mais plutôt à réfléchir au bien-fondé d’une réforme qui soulève une telle unanimité contre elle.

Vous l’aurez compris, j’estime que la restriction proposée est disproportionnée.

La référence au tiers des dessertes quotidiennes aux heures dites « de pointe » l’était tout autant, mais j’avoue ne pas forcément être rassuré par le texte issu de la commission. Et M. le secrétaire d’État a parlé de 50 % !

La référence au tiers n’est plus présente. Le renvoi à l’évaluation par l’autorité organisatrice du niveau de desserte suffisant peut induire, certes, une exigence moindre, mais aussi, pourquoi pas, plus importante.

En outre, la notion de période de pointe apparaît elle-même complexe à définir et sujette à interprétation, ce qui pourrait laisser présager d’importantes difficultés pratiques dans sa mise en œuvre.

Au-delà, la proposition de loi autorise la réquisition d’agents des entreprises de transport, au motif que le service minimum, tel qu’il existe aujourd’hui, serait inefficace. La logique du texte est donc bien – pardonnez-moi l’expression – une casse du droit de grève, à laquelle je ne peux souscrire.

Je me permets de rappeler que la réquisition est une décision forte, privant les salariés de l’exercice de leur droit de grève et les exposant à des sanctions disciplinaires en cas de refus. Il faut donc l’autoriser avec la plus grande mesure !

S’engager sur la voie d’un tel durcissement des restrictions au droit de grève pourrait ouvrir la porte à d’autres velléités… Avec, il y a lieu de le craindre, la mise en débat d’autres propositions de lois limitant le droit de grève dans d’autres secteurs affectant les déplacements de nos concitoyens, comme le transport routier, les raffineries ou encore les ports.

Je comprends l’exaspération des Franciliens et de tous nos concitoyens qui ont subi les inconvénients de cette grève d’une amplitude et d’une durée rares dans notre pays, mais à qui la faute ? Y répondre par la restriction du droit de grève emporte, à terme, le risque de vider ce droit de son contenu !

Si faire grève n’entraîne plus aucune gêne, la grève ne sera plus un moyen de pression et condamnera, au bout du compte, tout rapport de forces entre opposants et défenseurs d’une réforme.

Et que dire sur l’amende forfaitaire possiblement infligée à l’entreprise défaillante ? Une nouvelle fois, les auteurs du texte se positionnent du côté de la sanction dans un champ qui relève, selon moi, prioritairement et principalement de la négociation.

Il vous sera aisé de comprendre que, pour toutes ces raisons, je ne suis pas non plus favorable à l’extension du service minimum à d’autres secteurs, comme le prévoit le texte pour les transports maritime ou aérien.

Les articles 9 et 10 nouveaux, ajoutés par la commission saisie au fond, introduisent la caducité du préavis de grève et la possibilité d’imposer une grève sur toute la durée du service. Ils n’emportent pas non plus mon adhésion, dès lors qu’ils reflètent cet esprit de contrainte et de restriction que j’ai pu dénoncer auparavant.

Enfin, même si cela peut apparaître anecdotique à l’échelle du texte, l’article 6, consacré à l’amélioration des modalités de dédommagement des usagers, mérite qu’on le soutienne.

Pour conclure, mes chers collègues, je ne suis pas opposé au service minimum, ou encore à l’encadrement du droit de grève, mais j’estime que les mesures inscrites dans cette proposition de loi ne sont ni opportunes ni justifiées.

Pour ma part, je voterai contre ce texte, même si au sein de mon groupe, cette position ne fait pas l’unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous accorderons sur un point : les sujets qui nous réunissent aujourd’hui sont complexes. J’emploie le pluriel à dessein : il traduit la réalité des enjeux que soulève cette proposition de loi et qui doivent, tous, être considérés par le législateur que nous sommes.

Tout d’abord, un constat, que nous partageons avec les auteurs de la proposition de loi. La grève qui a frappé les services publics de transport à la suite de la mobilisation du 5 décembre dernier a pesé sur notre pays. Elle a pu, en particulier, léser les plus modestes, ceux qui ne disposent pas de moyen de transport alternatif, ceux dont l’emploi ne permet pas toujours d’avoir recours au télétravail.

Dans le même temps, il y a le droit. Et, plus spécifiquement, le droit de grève. Celui-ci s’exerce « dans le cadre des lois qui le réglementent » et qui doivent, conformément à la jurisprudence constitutionnelle, le concilier avec d’autres droits fondamentaux, tels que la continuité du service public, et cela dans une logique de proportionnalité.

C’est justement dans ce cadre que le législateur est intervenu en 2007, avec la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres.

Voilà d’où part la présente proposition de loi, mes chers collègues. D’une réalité complexe, donc, à laquelle nous devons appliquer, autant que faire se peut, une approche nuancée, qui ne soit réductible ni à un « réflexe » ni à une « démangeaison législative », pour reprendre les mots de Guy Carcassonne.

Or le texte, déposé juste avant les mouvements de grève du mois de décembre 2019, ainsi que son évolution après examen en commission, laisse à penser qu’il s’agit là d’une « réponse » plutôt que d’une « solution », pour poursuivre avec la terminologie précitée.

Initialement, la proposition de loi prévoyait ainsi la définition légale d’un service minimum de transport terrestre, maritime et aérien de personnes, correspondant à un tiers du service normal. Était également prévue la réquisition des personnels non grévistes par les entreprises de transport en cas d’impossibilité d’assurer ce niveau de service.

Le dispositif a nécessairement été assoupli lors de l’examen en commission. En effet, il n’apparaissait pas proportionné et présentait donc un risque sur le plan de sa constitutionnalité.

Par ailleurs, il privait de leur faculté d’appréciation les AOT, qui, dans de nombreux cas, relèvent de l’échelon territorial.

Or, nous le savons bien au sein de cette assemblée, cette faculté d’appréciation qu’ont les AOT est pertinente, car elle est fondée sur une connaissance du territoire et des besoins de la population. Elle apparaît par là même comme une condition nécessaire au caractère proportionné des limitations du droit de grève.

Finalement, après assouplissements, le texte que nous examinons aujourd’hui dispose, comme c’est actuellement prévu par le code des transports, qu’il revient à chaque AOT de déterminer le niveau de service minimum.

Autres assouplissements : la suppression de l’amende prononcée par l’AOT à l’encontre des entreprises de transport, ou encore le rétablissement de la définition contractuelle des modalités pratiques de remboursement.

Enfin, la faculté de réquisition est conservée, mais ne peut intervenir qu’après injonction de l’AOT, qui ne peut elle-même être prononcée qu’après un délai de carence de trois jours.

L’évolution importante dont a fait l’objet la présente proposition de loi témoigne d’un déficit de recul. Or le temps de la réflexion, cher à la Haute Assemblée, est indispensable à l’analyse d’une situation complexe ayant des implications juridiques et pratiques non négligeables. D’autant que le niveau de service minimum défini par l’AOT serait désormais au fondement d’une faculté de réquisition du personnel, ce qui implique une attention particulière au regard du droit constitutionnel.

L’extension, en commission, de l’obligation d’exercer le droit de grève pendant toute la durée du service peut également poser question, eu égard à la différence de situation des salariés des entreprises de transport et des fonctionnaires territoriaux. Cette mesure aurait dû impliquer, en tout état de cause, une étude de son impact juridique.

Nous pourrons probablement trouver un point d’accord sur la nécessité de mener une réflexion quant au bilan de la grève qu’a connue notre pays ces dernières semaines. Mais, justement, une telle réflexion ne peut qu’être approfondie et s’inscrire dans un temps réfléchi et apaisé.

Le droit en vigueur offre à ce titre un levier, en prévoyant que les entreprises de transport établissent un bilan annuel, détaillé et rendu public des incidences financières de l’exécution des plans de transport. Il est même précisé qu’elles doivent dresser la liste des investissements nécessaires à l’amélioration de la mise en œuvre de ces plans.

Aussi, mes chers collègues, force est de constater qu’il n’y a pas de vide juridique en matière de continuité du service public des transports. La loi de 2007 mentionnée précédemment permet d’organiser le service en amont, pendant et en aval des perturbations prévisibles du trafic, dont la grève est une composante.

Est notamment prévue la définition d’un plan de transport adapté aux dessertes prioritaires, ainsi qu’un accord collectif de prévisibilité du service applicable. Notons que cet accord va jusqu’à organiser la réaffectation des personnels non grévistes, en fonction des besoins du service concerné.

Soulignons également, à titre d’exemple particulièrement significatif, l’existence du contrat entre la RATP et Île-de-France Mobilités, qui prévoit la mise en œuvre d’un service minimum équivalant à 50 % du service normal.

Ainsi, avant d’entreprendre toute démarche législative, réfléchissons attentivement à la mise en œuvre du droit en vigueur, telle que les récents mouvements sociaux nous l’ont donnée à voir.

Plus spécifiquement, axons cette réflexion sur les négociations conventionnelles et le dialogue social. Cette dimension sociale constitue en effet un véritable « hors champ » du texte initial, alors même qu’elle est centrale dans la loi de 2007 et qu’elle se trouve au fondement de la mise en œuvre du service minimum. Il est difficilement envisageable de changer de paradigme sans étudier l’impact que cela aurait ou sans même consulter les personnes morales aujourd’hui compétentes.

Pour conclure, mes chers collègues, ne dressons pas de vaines oppositions entre ceux qui, soutenant la proposition de loi, seraient pour l’ordre et du côté des usagers, et ceux qui, exprimant des réserves sur le texte, seraient en faveur du blocage du pays et de la dégradation de la situation.

En effet, la vocation de la loi est d’être non pas performative, mais bien normative. Dire qu’une proposition de loi « répond aux besoins essentiels du pays en cas de grève » ne revient pas à répondre de manière effective aux besoins essentiels du pays en cas de grève.

En témoignent les évolutions de la proposition de loi : lors de son examen en commission, le dispositif s’est justement révélé peu proportionné aux besoins pourtant mentionnés dans son intitulé. De même, ne pas voter un texte ne revient pas nécessairement à s’opposer à son objet. L’enjeu est dans le contenu normatif.

Ainsi, une approche nuancée n’est pas réductible à une position tiède, fébrile ou circonstanciée politiquement. En tant que législateur, nous devons être à la hauteur du réel et de sa complexité, ne pas confondre précipitation et réactivité.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Thani Mohamed Soilihi. Si nous partageons les préoccupations des auteurs du texte, nous ne partageons pas les réponses que celui-ci prévoit. C’est pourquoi le groupe La République En Marche s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Claude Requier et Mme Michèle Vullien applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la structure de l’économie française a profondément évolué depuis le XIXe siècle. Or le fonctionnement actuel du droit de grève en France et dans certains autres pays correspond à la situation de ce droit au moment où il a été instauré, au cours des XIXe et XXe siècles.

Actuellement, nous avons une économie moderne. On ne peut pas accepter que des secteurs de l’économie qui emploient très peu de gens parviennent, à eux seuls, à bloquer complètement l’économie française.

Mme Cécile Cukierman. La SNCF est en effet une entreprise familiale… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

M. Jean Louis Masson. On n’est plus au XIXe siècle, à l’époque de Germinal ! Il est évident que, à cette époque, il fallait un droit de grève complètement libre. Mais, aujourd’hui, il est tout de même incroyable qu’une quarantaine d’aiguilleurs du ciel, par exemple, puissent bloquer tout le pays ! (M. Jean-Paul Émorine approuve.)

Si, demain, on autorise les concierges de centrales nucléaires à se mettre en grève et à en bloquer l’entrée, il n’y aura quasiment plus d’électricité en France ! Et tout cela parce que trente ou quarante concierges auront fait grève… (Marques dironie sur les travées du groupe CRCE.)

M. Bruno Retailleau. C’est juste !

M. Jean Louis Masson. Il est évident que, dans certains secteurs, le droit de grève tel qu’il a été conçu, à l’ancienne, ne peut pas continuer à être exercé de la sorte. On voit actuellement que les personnes qui se mettent le plus en grève sont aussi les plus favorisées ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. On l’attendait, celle-là !

M. Jean Louis Masson. On ne peut pas dire que les salariés de la RATP sont des malheureux ! Ils sont infiniment plus privilégiés que, par exemple, les chauffeurs de bus des sociétés privées.

Mme Cécile Cukierman. Et ils ont des châteaux en Espagne !

M. Jean Louis Masson. Les gens de la RATP font peur à tout le monde, et aucun gouvernement n’a eu le courage de prendre les mesures qui s’imposaient.

Dans les grands services publics, il me semble qu’il est indispensable d’avoir un service minimum. Il est regrettable que les présidents de la République et les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, n’aient jamais rien fait à cet égard !

Mme Viviane Malet. Sauf Nicolas Sarkozy !

M. Jean Louis Masson. Je trouve donc cette proposition de loi pertinente, et je considère que le travail qui a été fait en commission est très bon, parce qu’il a considérablement amélioré le texte.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

M. Jean Louis Masson. Je formule le souhait que l’auteur de cette proposition de loi, si un jour il est majoritaire dans ce pays, mette en œuvre ce texte. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Louis Masson. On a trop connu, à droite comme à gauche, des gouvernements qui promettaient n’importe quoi avant de parvenir aux affaires, puis qui, une fois au pouvoir, ne faisaient plus rien.

J’espère que notre collègue Retailleau, si un jour il participe au pouvoir, n’aura pas changé d’avis entre-temps ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Bruno Retailleau rit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat.

Mme Frédérique Puissat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président Retailleau, vous qui êtes à l’initiative de ce texte de loi, mes chers collègues, avant toute chose, je souhaite affirmer avec conviction quelques principes.

Premièrement, les responsables, quels qu’ils soient, et a fortiori les responsables politiques législateurs, doivent éviter les caricatures.

Deuxièmement, notre groupe affirme avec conviction – il l’a prouvé à maintes reprises – l’importance qu’il accorde à tous les corps intermédiaires et au dialogue social : si la grève permet d’appuyer des revendications professionnelles, c’est avant tout le dialogue qui résout 60 % et plus des conflits sociaux dans les entreprises et les services publics.

Troisièmement, les législateurs que nous sommes doivent tout à la fois – cela a été réaffirmé par un certain nombre d’orateurs – défendre les intérêts des professionnels et également sauvegarder l’intérêt général auquel la grève peut parfois porter atteinte. Nous ne devons pas le nier, car cela revient parfois à oublier les plus faibles d’entre nous. Nous avons tous des exemples en la matière, et Mme le rapporteur en a évoqué certains en commission.

Rappelons aussi que la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs date d’août 2007. Treize ans se sont écoulés depuis. Entre-temps, le climat social a évolué. S’est-il durci ou pas ? Chacun en jugera !

En tout cas, les modes d’expression ont changé. Il faut le dire, certains syndicats ont su faire preuve de beaucoup d’imagination pour s’adapter à cette loi. Les grèves de cinquante-neuf minutes, qui ont été évoquées, les grèves dites « longues » ou « illimitées » n’en sont que des exemples ; j’y reviendrai.

Je réaffirme donc avec force et conviction que ce texte de loi est nécessaire et attendu, et qu’il ne contrevient en aucune façon au droit de grève, qui, en France, a valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, ce texte de loi répond à des enjeux de société fondamentaux, qui visent certes à éviter les prises d’otages de nos concitoyens, mais également à donner crédit aux actions publiques de transition écologique, qui poussent à développer les transports publics en assurant leur continuité et leur fiabilité, comme notre collègue Jean-Raymond Hugonet l’a rappelé.

Enfin, ce texte de loi est équilibré, puisqu’il a été adapté par amendement aux outre-mer, via les enjeux de transport aérien, mais également à la ruralité, en permettant aux autorités organisatrices de transports, les AOT, de moduler le niveau minimal de service selon le contexte.

Je souhaite également insister sur deux pratiques évoquées à plusieurs reprises, notamment par Mme le rapporteur, et qui soutiennent notre nécessaire adaptabilité du fait législatif. Il apparaît aujourd’hui que certaines pratiques visent clairement à détourner le texte de 2007. L’objet du présent texte est de prévoir un encadrement plus spécifique des dérives.

Je pense, par exemple, aux préavis de très longue durée – plusieurs décennies parfois ! –, qui perdurent en l’absence de grévistes, privant d’effet les dispositions prévues par la loi du 21 août 2007 en matière de grève.

Je pense aussi aux arrêts de travail de très courte durée, qui perturbent le service et entraînent une désorganisation complète des services de transport.

Je pense également aux préavis multiples, qui visent à instaurer des mouvements de grève discontinus ingérables.

Je pense enfin aux déclarations de salariés quant à leur arrêt de travail ne permettant pas d’organiser efficacement les services.

L’ensemble de ces pratiques porte un préjudice considérable aux voyageurs, aux autorités organisatrices et aux entreprises de transport public de voyageurs, qui ne peuvent prévenir utilement les clients…

Mme Éliane Assassi. Les usagers !

Mme Frédérique Puissat. … en cas de perturbations de trafic.

Je remercie donc Mme le rapporteur d’avoir intégré à ce texte des amendements visant à permettre à l’entreprise d’imposer au salarié gréviste d’exercer son droit durant toute la période de son service et à empêcher le recours répété à des grèves courtes ou de plusieurs décennies.

En conséquence de quoi, je vous invite, sans contrevenir, monsieur le secrétaire d’État, à la mission que vous venez de nous proposer, à voter ce texte de loi, dans l’intérêt des usagers et des transports publics. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si les mouvements de grève en France sont vus à l’étranger comme un sport national, la présente proposition de loi rappelle, à juste titre, que ce droit de valeur constitutionnelle ne peut supplanter celui qui tend à assurer la continuité du service public.

Je salue ainsi ce texte, qui apporte des réponses concrètes face aux récents abus du droit de grève, de tels abus posant la question de l’encadrement de ce droit, et ce pour deux principales raisons.

Dans un premier temps, nous ne devons pas oublier que les difficultés quotidiennes qu’ont connues nos concitoyens ont tout d’abord affecté les plus précaires d’entre eux. Cette situation, conduisant à une véritable « galère » de travailleurs qui sont tributaires des transports publics et se retrouvent sans aucune autre solution, se traduit également sur la fiche de paie et peut avoir des conséquences dévastatrices.

Il était donc indispensable de compléter la loi du 21 août 2007, afin d’assurer un véritable service minimum qui puisse lutter contre les abus du droit de grève. En effet, face au manque de solutions de mobilité, de tels abus sont vécus comme une source d’inégalités et d’injustice entre les citoyens, et de fractures entre les territoires. C’est le sentiment d’une assignation à résidence pour une population sans solution de rechange !

Ainsi, la proposition de loi permettrait des améliorations réelles, en introduisant une exigence de service garanti en cas de grève et en luttant contre les grèves de courte durée, qui désorganisent de manière excessive le service public de transport.

De même, en permettant à chaque autorité organisatrice de transport de définir le niveau de service minimal nécessaire à la couverture des besoins de la population, les apports de la commission des affaires sociales ouvrent la voie à une différenciation bienvenue, qui préfigure les débats à venir au sein de cet hémicycle.

Dans un second temps, il se révèle que les abus que je dénonçais précédemment vont également à rebours des efforts engagés afin de répondre à l’urgence climatique. Tandis que la priorité doit être de transférer les passagers de la route vers le rail pour réduire les émissions polluantes, les grèves à répétition font rebasculer une partie du trafic ferroviaire sur la route. C’est un contresens !

Si les émissions du secteur des transports représentent actuellement plus d’un quart de l’empreinte carbone totale de l’Union européenne, le train ne constitue que 3 % de ces émissions, contre 70 % pour la route.

De même, en provoquant des pertes considérables, dépassant le milliard d’euros, pour un opérateur déjà endetté à hauteur de près de 55 milliards d’euros, les grèves mettent à mal les indispensables efforts d’investissements sur le rail. De tels efforts sont pourtant essentiels pour développer le fret et acter le développement de réseaux ferrés transeuropéens, mais également participer à la desserte fine de nos territoires dépendants de la voiture.

Mme Éliane Assassi. Vous avez tout cassé !

M. Jean-François Longeot. Pour toutes ces raisons de justice sociale, d’urgence climatique et d’équilibre entre deux droits étroitement liés, le groupe Union Centriste votera en faveur d’une telle proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte, faut-il le préciser, n’a pas vocation à restreindre un droit, mais il a pour objectif d’en assurer un autre, primordial : celui de se déplacer.