M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai !

M. Pierre Laurent. C’est la question concrète que des millions de personnes vont se poser. Peut-être n’en sont-elles pas conscientes pour l’heure, mais c’est notre devoir de la poser aujourd’hui.

Mme Laurence Cohen. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Tissot. Je souhaite simplement vous demander un complément d’information, madame la ministre. Si j’ai bien compris, vous allez imposer, ou quasiment, aux salariés de prendre six jours de congés payés maintenant, en période de confinement.

Autrement dit, vous envisagez d’imposer aux salariés d’être en vacances chez eux, avec l’interdiction de sortir. Est-ce bien cela ?

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. L’alinéa 7 du présent article permet à des employeurs de contraindre leurs salariés à prendre leurs jours de congés payés et de RTT, autrement dit, à utiliser leur compte épargne-temps. Nous le savons, des employeurs vont faire pression auprès des salariés, pour que ces derniers privilégient cette solution, moins chère et moins contraignante que le recours à l’activité partielle. Résultat, des salariés n’auront plus de congés à la reprise de leur activité, notamment cet été.

Madame la ministre, nous sommes face à un problème de rupture d’égalité entre salariés, selon que l’entreprise aura ou non déposé un dossier de recours à l’activité partielle, et selon que le recours au télétravail ou à l’arrêt maladie pour garde d’enfants est possible ou non ; certains auront des congés et d’autres non.

Outre ce qu’ont dit mes camarades, ce sont autant de raisons de voter ces amendements de suppression de l’alinéa 7.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.

Mme Sophie Primas. Cher collègue Pierre Laurent, vous avez raison, il est temps de prendre conscience de ce problème. Mais il est temps de prendre conscience aussi que nous sommes confrontés à une crise économique majeure, catastrophique pour notre pas, et qu’il faut protéger les salariés.

Mme Éliane Assassi. Ils ne vont pas le faire !

Mme Sophie Primas. Les dispositifs de chômage partiel – ou, comme l’a dit Mme la ministre, d’activité partielle – visent à protéger les salariés et la pérennité des entreprises. Mais d’autres outils doivent être mis à la disposition des entreprises, non seulement pour la période que nous traversons, mais aussi pour après, car il faudra certainement mettre un coup de reins pour redémarrer les entreprises.

Il faudra peut-être travailler un peu plus que 35 heures…

Mme Éliane Assassi. C’est votre logique, crise ou pas !

Mme Sophie Primas. Il faudra peut-être travailler le dimanche et peut-être même, madame la présidente Assassi, en juillet et en août. Ce n’est confortable pour personne, mais nous sommes en face d’une crise économique majeure.

Mme Éliane Assassi. Il faut donc rogner des droits ?

Mme Sophie Primas. La seule question que je souhaite poser à Mme la ministre est la suivante : pendant combien de temps ces dérogations, dont je comprends que leur importance suscite des inquiétudes chez les salariés, devront-elles être maintenues ?

Nous reviendrons bien un jour ou l’autre au droit commun du travail, mais ces dérogations devront-elles être maintenues jusqu’à la fin de la crise sanitaire, six mois après, un an après ? J’aimerais savoir ce qui est prévu.

Mes chers collègues, ayons conscience qu’il faut protéger les salariés. Un salarié en congés payés gagne mieux sa vie qu’un salarié au chômage partiel ou en activité partielle.

Mme Éliane Assassi. Il est plus facile de donner un congé payé que de déposer un dossier de chômage partiel !

Mme Sophie Primas. Prenons garde, car nous avons besoin de ces outils.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. Je souscris pleinement aux propos de la présidente Primas : il s’agit aussi de sauver des emplois.

Je voudrais profiter de ce débat pour vous interroger, madame la ministre, sur la situation des métiers du bâtiment. Je ne dirai pas que la position de l’État en la matière est confuse, car je comprends votre volonté de ne pas arrêter toute l’économie et d’essayer de maintenir des chantiers. Mais, aujourd’hui, les entreprises du bâtiment sont dans l’incapacité de travailler : il n’y a plus de restaurants pour accueillir les ouvriers. Ces derniers doivent fournir des attestations de déplacement et ils se retrouvent parfois dans des conditions de promiscuité telles que l’employeur ne peut pas respecter les distances de précaution que vous recommandez.

En Ille-et-Vilaine, la préfète a clairement conseillé aux entreprises du bâtiment d’éviter le travail à temps partiel au motif que l’État n’assurera pas. Or des employées de ces entreprises se retournent contre leur employeur, dont la responsabilité est engagée.

C’est pourquoi je souhaite que vous soyez plus précise et plus claire sur ce sujet et que vous mesuriez les difficultés auxquelles des petites entreprises, qui sont des entreprises artisanales extrêmement précieuses pour le tissu économique, sont parfois confrontées.

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. Madame la ministre, dans la continuité de l’intervention de Mme Gatel, je souhaite faire le point sur les problèmes rencontrés par les entreprises du bâtiment. Au-delà des problématiques de temps partiel, nous sommes tous saisis de questions relatives à la responsabilité juridique.

Un chef d’entreprise qui demande à ses salariés de continuer à travailler sur les chantiers alors qu’il est dans l’incapacité de leur fournir les moyens de sécurité requis, notamment des masques, ne s’expose-t-il pas à un risque juridique ? Un salarié malade peut-il se retourner contre un client ou contre le chef d’entreprise ?

Aujourd’hui, il existe un flou complet (M. René-Paul Savary sexclame.), voire des incohérences : certains métiers devant s’exercer à deux, il est impossible de respecter le mètre de distance. Comment faire si l’on n’est pas protégé ?

Tant que les choses ne seront pas clarifiées pour chaque métier et chaque type de chantier et tant que nous ne serons pas capables d’apporter la sécurité aux salariés, les grands discours n’y feront rien ; nous serons incapables de mettre au travail des salariés qui s’inquiètent de leur devenir, et en priorité de leur santé, avant même de se soucier de la pérennité de leur emploi.

S’agissant du temps de travail, j’entends toutes les remarques, mais imaginez que nous soyons confinés jusqu’au mois de mai, voire jusqu’au mois de juin : si, à tout ce temps d’arrêt du travail, s’ajoutent les congés payés, il me paraît effectivement que notre économie rencontrera de grandes difficultés pour se relancer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Il n’en demeure pas moins que le confinement n’a rien à voir avec des vacances !

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Mes chers collègues, ne cédons pas au manichéisme. Nous défendons nous aussi les entreprises, en même temps que les salariés et les droits de ces derniers.

Je rappelle tout de même de même que, sans salarié, aucune entreprise ne tourne.

M. Philippe Mouiller. Mais sans activité, il n’y a pas d’entreprise !

M. Fabien Gay. Cela vous ennuie, mais ce sont les salariés qui produisent la richesse dans ce pays. Pendant les grèves, vous criiez : « Haro sur les grévistes. Les cheminots ne travaillant pas, la SNCF a perdu 500 millions d’euros… »

Eh oui, quand les cheminots ne conduisent pas les trains, il n’y a pas de production ! De même, il faudra bien que les salariés soient mobilisés pour faire redémarrer leur entreprise, et cela dans leur propre intérêt, mais pas à n’importe quel prix.

Pierre Laurent est intervenu sur les congés payés. Je m’arrêterai pour ma part sur l’alinéa 8, qui porte sur le repos hebdomadaire et le repos dominical. Au moment de la sortie de la crise sanitaire, les salariés ne seront plus à 35 ou à 39 heures : dans certaines entreprises, ils pourront travailler jusqu’à 48 heures, c’est-à-dire s’aligner au niveau européen et travailler les dimanches et jours fériés. J’ai même entendu dire tout à l’heure qu’il faudrait peut-être prévoir, dès maintenant, la suppression des jours fériés du mois de mai.

Mme Sophie Primas. Peut-être…

M. Fabien Gay. Je repose donc la question très précisément : quelles sont les entreprises concernées ? En effet, pour l’instant, la rédaction de l’alinéa 8 vise la totalité des entreprises en France, et pas seulement les secteurs stratégiques.

Ma deuxième question est la suivante, madame la ministre : quelle sera la durée de ces habilitations ? Jusqu’à la sortie de la crise sanitaire, ou plus longtemps ? Que veut dire « quelque temps après » : après les grandes vacances, en septembre, en décembre, ou encore au-delà ? Si c’est très loin dans le temps, je vous préviens, ce sera sans nous.

J’évoquerai enfin le chômage partiel. Quelque 300 milliards d’euros vont être mis sur la table. Le chômage partiel représente 70 % du salaire brut et 84 % du salaire net. Si on veut défendre les salariés et les employés, on pourrait porter le taux d’indemnisation à 100 % du salaire net. Ces 300 milliards d’euros pourraient notamment servir à cela.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Cette disposition est particulièrement gênante. En effet, les salariés sont appelés à faire du télétravail, mais ce dernier est profondément inégalitaire, car il faut déjà pouvoir le faire dans de bonnes conditions, à l’instar des cadres supérieurs qui sont bien logés. Tout le monde ne peut pas faire du télétravail !

Les salariés visés par cette disposition sont ceux qui ne peuvent faire de télétravail, qui sont confinés dans des situations difficiles et qui travaillent pour des entreprises qui vont être en difficulté.

Le Président de la République l’a dit : « L’État paiera ». En l’occurrence, les entreprises concernées sont les entreprises du secteur touristique – les restaurants, les bars, les hôtels –, et ce sont leurs salariés, qui ne gagnent pas beaucoup, qui devront payer à la place de l’État, parce que la situation économique est particulièrement compliquée. C’est profondément injuste.

Mme Sophie Primas. Non, car aujourd’hui ils ne travaillent pas !

Mme Éliane Assassi. Mais le confinement, ce ne sont pas des vacances !

M. Jean-Yves Leconte. La situation actuelle accroît les inégalités entre ceux qui peuvent continuer à travailler dans de bonnes conditions, chez eux, et ceux qui ne le peuvent pas. Et ce sont ces derniers, parce qu’ils ne peuvent pas travailler en ce moment et parce qu’ils travaillent dans des entreprises qui sont en difficulté, qui vont payer à la place de l’État. C’est profondément gênant.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Nous sommes toutes et tous conscients que nous allons subir une déflagration économique terrible, inimaginable, et il est extrêmement important que, dans cet hémicycle, nous nous efforcions de l’anticiper et de prévoir des garde-fous.

Comme l’ensemble des membres de mon groupe, je suis favorable à ce que l’on aide les entreprises qui vont connaître des difficultés très importantes, mais pas au détriment des salariés.

Les salariés ont lutté pour acquérir des droits, notamment le droit au travail. Or, depuis quelque temps, mes chers collègues, ce droit au travail est mis à mal. Cela a commencé sous un précédent gouvernement, quand Mme El Khomri a complètement détricoté les garanties et le droit au travail, et cela continue aujourd’hui, selon la même logique.

J’entends certains collègues évoquer le travail le dimanche ou l’absence de congés en juillet et en août, au motif que, aujourd’hui, un certain nombre de salariés ne travaillent pas. Mais c’est une contrainte. Ce n’est pas un choix !

Mme Sophie Primas. Pour les entreprises non plus, ce n’est pas un choix !

Mme Laurence Cohen. Certes, mais pour les entreprises, on mobilise un certain nombre de moyens.

Mme Sophie Primas. Pour qu’elles puissent payer les salaires ! Ces moyens bénéficient aussi aux salariés.

Mme Laurence Cohen. Que cela vous plaise ou non, il faut que les droits des salariés soient garantis dans la loi. (Mme Sophie Primas sexclame.)

Madame Primas, je ne vous ai pas interrompue ; je vous remercie de me laisser parler, même si vous êtes en désaccord.

Le temps où les travailleurs étaient corvéables à merci est révolu, même si certains rêvent d’y revenir. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Lefèvre. Quelle caricature !

Mme Laurence Cohen. Pour notre part, nous nous battons contre ce genre de conception. L’état du système économique actuel, au niveau mondial, devrait d’ailleurs vous donner à réfléchir, mes chers collègues ! Nous sommes ici aussi pour garantir des droits aux salariés.

C’est pourquoi je souhaiterais que vous puissiez répondre aux questions qui vous ont été posées, madame la ministre : pendant combien de temps ces contraintes seront-elles être imposées aux entreprises ? Quelles garanties les salariés auront-ils de pouvoir retrouver une vie normale, sans être obligés de travailler le dimanche ou selon un rythme hebdomadaire de travail révolu ? En 2020, en effet, 40 heures par semaine, c’est déjà trop. (Protestations sur travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est un festival !

M. Antoine Lefèvre. Quand il n’y aura plus d’entreprises, il n’y aura plus d’emplois !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Je souhaite revenir sur les propos de mes collègues qui ont évoqué les difficultés rencontrées par la filière du bâtiment et des travaux publics, pour confirmer à mon tour que la situation actuelle – un pseudo-dialogue, qui fait apparaître une incompréhension totale, entre le Gouvernement et les représentants de cette filière –, n’est absolument pas tenable.

Les échanges que j’ai avec la fédération de mon département font état d’une situation de blocage et d’incompréhension que j’ai quelques difficultés à comprendre. Je souhaite donc, madame la ministre, que vous puissiez clarifier les choses pour cette filière, qui compte beaucoup d’entreprises, petites, moyennes ou plus grosses, et énormément de salariés.

Je ne suis pas loin de penser qu’il faudra absolument que vous preniez des mesures précises et non globales, comme c’est le cas aujourd’hui.

Certaines mesures sont en gros prévues par catégories d’entreprises ou par filière. Or, au sein de chaque filière, il y a une grande disparité d’exercice des métiers et des situations à risques de natures très diverses, qui justifieraient que vos services ministériels prennent des dispositions adaptées, dans le dialogue avec les représentants des filières et des entreprises. Ce serait de nature à nous faire progresser, me semble-t-il.

Par ailleurs, dans les secteurs social et médico-social, de très nombreux salariés sont au contact de personnes à risque – je pense en particulier aux personnes âgées qui sont accompagnées ou aux personnes, parfois malades, qui bénéficient de soins infirmiers à domicile. Avez-vous mené des études de risques ?

Je ne comprends pas qu’aucune disposition n’ait été prise à ce jour pour protéger les salariés de ces filières de l’économie sociale et solidaire et médico-sociale. De graves dangers pèsent sur l’ensemble de ces salariés, qui se comptent par centaines de milliers dans notre pays. Cette question n’a pas été suffisamment appréhendée et prise en compte par vos services et par le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Nous avons beaucoup parlé ce soir des caissières de supermarché. Et j’ai compris que, dans nos applaudissements à vingt heures, ce soir, nous les avions remerciées aussi de ce qu’elles faisaient.

Je fais mes courses comme vous, mes chers collègues, et je les ai entendues. J’ai entendu leur angoisse. Certaines d’entre elles m’ont dit les larmes aux yeux qu’elles se sentaient aujourd’hui dans la situation des liquidateurs de Tchernobyl.

Elles sont soumises à l’épidémie à longueur de journée, avec des protections extrêmement faibles, et elles l’acceptent parce qu’elles ont le sentiment que, si elles ne le font plus, nous mourrons de faim, mes chers collègues. En effet, elles nous apportent notre repas quotidien.

Quand la crise sera finie, je crois qu’elles ne mériteront pas seulement des applaudissements, mais la reconnaissance de la Nation. Cela passe par des augmentations de salaire, qu’elles auront méritées,…

Mme Sophie Primas. Sur ce point, je suis d’accord !

M. Pierre Ouzoulias. … mais aussi par des vacances. En effet, vous ne pourrez pas les empêcher de prendre des vacances après tout ce qu’elles auront subi pour nous permettre de continuer à manger. Prêtez-leur l’attention qu’elles méritent, et souvenez-vous qu’il ne suffira pas d’applaudissements à vingt heures.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Indépendamment de telle ou telle situation qui a été évoquée, il faut que nous comprenions que l’unité nationale ne se décrète pas. Elle suppose que l’on adhère à un élan commun, où chacun se sent engagé dans le même combat pour un intérêt général commun, parce qu’il se sent respecté à égalité.

Cette guerre se mène non pas avec des armes, mais avec des stratégies de mobilisation de l’ensemble des citoyens. Nous traversons un moment douloureux, à la fois pour ceux qui travaillent, comme les caissières, et pour ceux qui sont confinés. En effet, il faut le rappeler tous les jours avec pédagogie pour sensibiliser la population, le confinement, ce ne sont pas des vacances et ce ne sont pas des promenades. C’est une astreinte assez dure. Et plus les jours vont passer, plus il y aura de difficultés à la gérer, y compris sur le plan psychologique.

Comment espérer créer cette unité nationale si l’on dit aux gens que le confinement, c’était leurs vacances, et qu’ils devront subir une double peine, alors qu’ils ne trouvent la force de tenir que grâce à la perspective d’une libération à venir ?

Ce sont les gens qui sont le plus en difficulté dans notre pays, en général, qui subiront la remise en cause d’un certain nombre de droits et qui se trouveront dans une situation plus fragile vis-à-vis d’un patron voulant les faire travailler encore plus et rogner sur leurs vacances. Nous devons au contraire leur donner des forces, pour qu’ils puissent y croire et se mobiliser dans l’unité nationale.

Vous devez entendre cela avant d’envisager des dérogations au code du travail touchant des populations qui donnent beaucoup et que nous avons besoin de mobiliser dans la guerre contre ce virus.

Mme Laurence Cohen. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.

M. Emmanuel Capus. Je crois que l’on ne se rend pas compte de la chance que nous avons de vivre en France. Dans un pays normal, tout travail mérite salaire, mais en contrepartie, quand on ne travaille pas, on n’a pas de salaire. C’est ainsi dans la plupart des pays du monde.

En Chine, quand vous êtes confiné chez vous, le Parti communiste chinois ne vous paie pas.

Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pas en Chine !

M. Fabien Gay. Heureusement !

M. Emmanuel Capus. Nous avons même entendu ce matin que les Chinois qui rentrent en Chine doivent payer leur hôtel quand ils sont confinés.

Mme Sophie Primas. Absolument !

M. Fabien Gay. Et alors ?

M. Emmanuel Capus. Nous devons nous rappeler que nous vivons dans un pays extrêmement protecteur. En droit français, si vous êtes confiné chez vous et que vous ne pouvez pas travailler, vous ne devriez pas être rémunéré. En effet, le salaire est la contrepartie du travail,…

Mme Éliane Assassi. C’est facile !

M. Emmanuel Capus. … et je pense que nous serons tous d’accord pour dire que, en l’occurrence, ce n’est pas l’employeur qui prive le salarié de travail. Je rappelle simplement le droit français.

Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas dans le droit !

M. Emmanuel Capus. Le chômage partiel est une disposition extrêmement protectrice. Je crois que certains d’entre vous, mes chers collègues, sous-estiment l’élan de générosité des Français et leur parfaite conscience que nous sommes dans une situation de crise exceptionnelle.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce que vous disiez il y a quelques semaines !

M. le président. Mes chers collègues, seul M. Capus a la parole !

M. Emmanuel Capus. Beaucoup de salariés voient que les indépendants et les artisans, qui ne sont pas salariés, souffrent. Ils ont conscience que de nombreuses catégories de Français qui ne sont pas assujetties au droit du travail souffrent.

De ce point de vue, il ne paraît pas exagéré que des employeurs puissent imposer six jours de congé payé à leurs salariés – je rappelle que les salariés ont cinq semaines de congés payés et qu’ils ne seront donc pas privés de congés payés cet été.

Le risque est plus élevé, à mon sens, que les entreprises disparaissent et que les salariés se retrouvent non pas en congés payés, mais au chômage définitif.

Il faut savoir raison garder : compte tenu du danger qui pèse sur la pérennité des emplois, les mesures qui sont proposées apparaissent raisonnables.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous répondre sur quelques points.

Je crois que nous serons tous d’accord pour dire que notre rôle est d’éviter les défaillances d’entreprises, de protéger l’emploi et de permettre le plus possible la continuité de la vie économique, tout en protégeant les salariés. Nous pouvons nous rejoindre sur ces quatre objectifs. La question est celle du réglage des modalités pour permettre de les atteindre le plus possible.

Je voudrais rappeler que dimanche – cela paraît déjà loin – des secteurs ont été interdits – les bars, les restaurants, les discothèques, etc. –, parce que le degré de regroupement que leurs activités entraînent était trop propice à la propagation du coronavirus. Tous ces secteurs, qui emploient 2 millions de salariés, sont, de fait, depuis dimanche dernier, en chômage partiel.

Tous les autres secteurs sont autorisés, mais pas à n’importe quelle condition : ils doivent adapter l’organisation et les conditions de travail et permettre la protection des salariés au travers des cinq gestes barrière qui doivent pouvoir être pratiqués dans les entreprises. Il est plus dur de le faire dans certains secteurs et dans certaines entreprises, mais il n’y a pas d’interdiction a priori.

L’augmentation de l’indemnisation du chômage partiel, à hauteur de 84 % du salaire net et de 100 % du SMIC, et le remboursement des entreprises jusqu’à quatre fois et demie le SMIC ont eu un véritable effet de réassurance sur l’emploi. Je puis vous le dire avec une certaine fierté : nous n’avons pas de vague de licenciements collectifs depuis quinze jours, alors que nous pourrions déjà faire face à des vagues monstrueuses en la matière.

Ce soir, quelque 26 000 entreprises – des petites entreprises pour la plupart – avaient déjà demandé le bénéfice du chômage partiel. Cela représente quelque 560 000 salariés et 1,7 milliard d’euros, et ces chiffres vont encore grimper. Nous faisons collectivement un effort énorme de solidarité pour sauver l’emploi et les entreprises, tout en évitant au maximum la propagation du virus.

Dans ce contexte, nous appelons chacun à faire des efforts. Tous ceux que je rencontre, qu’ils soient salariés ou dirigeants d’entreprise, le comprennent.

Je tiens à indiquer que nous discutons beaucoup de tout cela. J’ai tous les jours une réunion téléphonique avec les représentants du patronat et des syndicats, à laquelle participent toutes les organisations, mais nous travaillons aussi beaucoup, mes collègues du Gouvernement et moi-même, avec les fédérations professionnelles et leurs organisations syndicales.

Avec Bruno Le Maire, je mène un travail quotidien auprès des représentants de la grande distribution alimentaire. J’ai échangé tout à l’heure avec le ministère de l’agriculture. Je n’entre pas dans le détail, mais je veux vous dire que, au-delà des textes, nous travaillons aussi de façon opérationnelle.

J’en viens au sujet précis qui est en discussion : les congés payés. Il s’agit non pas de les supprimer, mais d’utiliser une disposition qui existe déjà dans le code du travail. L’employeur a déjà le droit de fixer la date des congés payés. Lorsqu’une entreprise ferme au mois d’août, c’est l’employeur qui décide de la date des congés d’été, et les salariés n’ont pas le choix.

Aujourd’hui, le code du travail prévoit quatre semaines de prévenance. Pour faire face à la situation d’urgence que nous traversons, nous souhaitons donc autoriser que, dans certains secteurs, les entreprises en difficulté – de toute façon, elles auront recours au chômage partiel dans un deuxième temps – puissent s’il le faut anticiper et prendre la décision rapidement d’imposer six jours ouvrés de congé payé.

Ce n’est que cela, si j’ose dire. Il n’est pas question de supprimer les congés payés de tous les Français, et je pense que cela fait partie des choses raisonnables à faire.

S’agissant de la durée du travail, comme je l’ai dit, je serais ravie si la plupart des entreprises avaient un problème en la matière. Mais c’est l’inverse qui se produit : elles ont un problème de capacités à œuvrer !

Quant aux quelques secteurs qui ont des besoins, il faut les aider. J’ai déjà évoqué le secteur alimentaire, notamment la grande distribution, ou la production de médicaments. Prenons l’exemple du maraîchage, dont on parle aujourd’hui, en particulier du ramassage des asperges et des fraises.

Les Français veulent des produits frais ; ils n’entendent pas manger seulement des pâtes, même s’ils en ont beaucoup stocké ! Mais, habituellement, ce travail de ramassage est effectué par des travailleurs détachés. Il nous faut trouver 200 000 personnes dans les semaines à venir, sans quoi nous perdons toute la production de printemps !

À cette fin, nous mettons en place des mesures exceptionnelles avec Pôle emploi, avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et recherchons des solutions. Mais il faut aussi, évidemment avec un paiement des heures supplémentaires, que les personnes volontaires puissent travailler plus longtemps, que l’on puisse déroger durant quelques semaines aux règles en matière de durée du travail, dans le respect – c’est également évident – des directives européennes.

Voilà ce dont nous parlons : non d’une dérégulation de l’ensemble du code du travail, mais d’une dérogation provisoire, pendant quelques semaines ou quelques mois – personne ne connaît la durée de la crise –, dans les secteurs qui en ont besoin.

J’en viens au secteur du bâtiment et des travaux publics, pour lequel la situation n’est pas facile.

De nombreuses entreprises du bâtiment ont déjà pris des dispositions et réfléchi à la manière dont elles pouvaient organiser le travail, tout en préservant la sécurité des travailleurs.

Actuellement, il y a une petite agitation des médias pour savoir si l’ensemble du secteur devrait s’arrêter en France. De toute évidence, il ne sera pas possible, dans la situation que nous connaissons, de maintenir l’activité habituelle. Mais de là à dire que l’on ferme tous les chantiers en France, c’est autre chose !

C’est donc sur ce point précis que porte le débat. Il a progressé dans la journée. Ainsi, je peux vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous organisons, mes collègues du Gouvernement concernés et moi-même, une réunion téléphonique avec les trois fédérations du secteur du bâtiment demain matin, avec les organisations syndicales dans la journée. Nous trouverons des solutions.

Quelles peuvent-elles être ? Nous allons faire ce que nous avons fait, cette semaine, pour la grande distribution et le secteur alimentaire, à savoir définir des protocoles pour que les gestes barrières soient appliqués partout et la protection des salariés assurée.

C’est ce type de solutions que nous déployons dans la grande distribution, avec la mise en place de parois en plexiglas, afin que le caissier ne soit pas en contact direct avec le client, et avec la fourniture de gants et de gels hydroalcooliques.

On peut faire ! Dans le secteur du bâtiment, certaines choses ne seront peut-être pas possibles, mais d’autres le seront. Nous allons mener un travail conjoint, dans les heures à venir, pour élaborer un code de bonne conduite, en adaptant les pratiques et les règles habituelles de sécurité au contexte de l’épidémie de coronavirus.

Ce travail pragmatique, qui nous permettra d’avancer, répondra aussi à la question de la responsabilité de l’employeur.

Dans le code du travail, je le rappelle, l’employeur a une responsabilité de moyens. Si, aujourd’hui, une entreprise organise le travail de sorte que soient respectés les cinq gestes barrières, par exemple en dédoublant les équipes, en prévoyant des horaires décalés ou en travaillant différemment au niveau des transports – les solutions sont nombreuses –, elle a rempli ses obligations. Elle ne peut pas être tenue responsable du fait qu’un de ses salariés soit atteint par le coronavirus.

Sa responsabilité tient dans la mise en place des conditions assurant la protection de ses salariés, telles qu’elles sont définies par le ministère de la santé.

Certains d’entre vous craignent que les entreprises ne recourent massivement aux congés payés, plutôt que d’opter pour le chômage partiel. Ce dernier étant désormais entièrement remboursé aux entreprises, il me semble que le risque est plutôt inverse.

En outre, la période exige tout de même un peu de souplesse. Tout le monde est sur le pont : les entreprises comme les salariés.

Je confirme, à cet égard, ce qui a été dit concernant les « héros du quotidien » : les postiers, les caissières, les salariés du secteur de l’énergie, ceux qui travaillent à la collecte des déchets – il va bien falloir continuer à ramasser les poubelles dans notre pays ! Ces métiers sont très importants, car ils sont notre base arrière. Nous leur devons la solidarité.

Nous devons aussi prévoir les aménagements nécessaires pour préserver l’emploi et pour que l’activité continue, dans les meilleures conditions possible en fonction de l’évolution de l’épidémie. Ce n’est pas fini, mais nous allons évidemment nous adapter au fur et à mesure ! (M. François Patriat applaudit.)