M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances. (M. Patrick Kanner applaudit.)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les circonstances qui nous réunissent aujourd’hui sont particulièrement dramatiques. Elles le sont au niveau mondial, au niveau européen et pour notre pays : l’épidémie de Covid-19 fait des centaines de milliers de malades, des milliers de morts et exige de prendre toutes les dispositions nécessaires pour ralentir et, nous l’espérons, stopper la propagation du virus. Ces mesures fortes et nécessaires ont évidemment une incidence sur notre économie, sur nos perspectives de croissance et sur la situation de nos finances publiques. Par ailleurs, de nouveaux moyens financiers doivent être mobilisés pour soutenir notre système de santé, nos hôpitaux déjà fragiles avant la crise, et pour maintenir à flot nos entreprises, quels que soient leur taille ou leur secteur d’activité.

Ainsi, la prévision de croissance associée au projet de loi de finances, qui était une hausse de 1,3 %, est désormais une baisse de 1 %, soit une dégradation de 2,3 points. Il y a tout juste un mois, alors que notre pays n’était pas encore touché comme aujourd’hui, la dégradation était estimée par le ministre de l’économie et des finances à 0,1 point de PIB.

Depuis, la situation a évolué, mais tout peut aussi changer demain si les mesures de confinement se prolongent au-delà d’un mois, si l’environnement économique européen et mondial continue de se dégrader ou si la crise économique se double d’une crise financière. Le Haut Conseil des finances publiques souligne à cet égard un contexte d’incertitude « exceptionnellement élevée ».

Il affirme que le scénario du Gouvernement repose sur deux hypothèses fortes, qui ne sont pas acquises : celle d’un confinement limité à un mois et celle d’un retour rapide à la normale de la demande française comme étrangère.

Autrement dit, rien ne permet aujourd’hui d’exclure que la chute du PIB ne sera pas plus importante, comme en 2009 lorsque les prévisions n’ont cessé d’être revues à la baisse dans le cadre de plusieurs collectifs budgétaires successifs.

Bien sûr, on peut se réjouir que la Banque centrale européenne vienne de créer le « programme d’achat urgence pandémique » à hauteur de 750 milliards d’euros, mais les risques demeurent élevés pour les pays européens dont la situation économique et financière n’était déjà pas florissante avant cette crise. Comme je le rappelais dans mon intervention en séance publique le 4 mars dernier, à la fin de l’année 2019, notre dette publique frôlait déjà les 100 % du PIB, contre 60 % pour l’Allemagne, et la France enregistrait le deuxième déficit structurel le plus élevé de la zone euro.

Alors que nous avons profité jusqu’à présent d’une charge de la dette allégée grâce aux taux d’intérêt bas, celle-ci risque de fortement remonter.

Le déficit public devrait, selon l’estimation du Gouvernement, atteindre 3,9 % du PIB fin 2020 contre une prévision de 2,2 %, soit une hausse de 15 milliards d’euros. Cela résulte des mesures nouvelles de soutien qui s’élèveraient à 11,5 milliards d’euros – dont 8,5 milliards d’euros pour la mise en activité partielle –, mais aussi de la chute des recettes fiscales de 10,7 milliards d’euros, particulièrement celles de l’impôt sur les sociétés et la TVA.

Cependant, l’incidence de la crise sur les dépenses budgétaires et les recettes fiscales pourrait être très largement supérieure si la crise perdure. De manière complémentaire, les mesures pour répondre au choc économique pourraient se révéler insuffisantes. Des secteurs économiques souffrent fortement, comme ceux de la restauration, de l’événementiel, des spectacles, de la culture. D’autres, comme une partie du commerce, le transport aérien, le tourisme, risquent de souffrir aussi très fortement, très subitement et très durablement de cette situation.

Le fonds de solidarité pour les très petites entreprises en difficulté, cofinancé par les régions, est bienvenu, mais il paraît très sous-dimensionné et doit intégrer le secteur de l’économie sociale et solidaire. Je pense aux activités prises en charge par des associations régies par la loi de 1901, ainsi qu’à celles qui sont assurées sans statut d’entreprise, comme l’ouverture au public par leurs propriétaires de lieux de tourisme.

J’estime que la crise économique qui s’annonce, avec la baisse de nos recettes fiscales, devrait nous amener à reconsidérer les très importants allégements de fiscalité pour les détenteurs des plus hauts patrimoines. Les revenus en flux seront affectés, en forte baisse. Il sera donc difficile de les surtaxer. Mais les revenus en stock, c’est-à-dire liés à un capital détenu, restent possiblement contributeurs.

Certes, les marchés financiers sont en baisse, mais notre nation a plus que jamais besoin de la solidarité de tous et nous devons mobiliser celles et ceux qui sont le plus capables de contribuer aux efforts collectifs, surtout si l’on garde à l’esprit les importants allégements de fiscalité – ISF et prélèvement forfaitaire unique (PFU) – que nos récents travaux parlementaires ont permis de révéler !

En conclusion, ce collectif budgétaire n’est qu’une première réponse, très immédiate, à la crise. Il sera suivi nécessairement d’autres mesures. La crise que nous vivons aujourd’hui est inédite par sa soudaineté et par son ampleur. Pour qu’elle ne s’aggrave pas davantage, il faudra, au-delà de nos mesures nationales, que l’ensemble des pays européens adoptent des dispositifs forts de soutien à l’activité et fassent preuve de solidarité, notamment à l’égard des pays les plus fragiles, afin de ne pas risquer une déstabilisation de nos économies. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis plusieurs semaines déjà, la crise sanitaire liée à la propagation du coronavirus s’est doublée d’une crise économique et financière. Ce contexte nous oblige désormais à reconsidérer toutes les hypothèses en fonction desquelles nous avons voté, il y a trois mois seulement, la loi de finances initiale.

Depuis les mesures d’urgence prises par le Gouvernement afin de limiter les déplacements de nos concitoyens, et donc de ralentir la circulation du virus, l’économie tourne au ralenti : consommation en forte diminution, stabilisation des investissements, contraction du commerce international…

La récession est désormais certaine, alors que nous avons bouclé, voilà quelques mois, un budget établi sur la base d’un taux de croissance supérieur à 1 % du PIB. En conséquence, toutes nos prévisions financières doivent être revues. C’est un état de fait. Ce projet de loi de finances rectificative en prend acte. Et la réalité qui y est décrite est malheureusement alarmante : le déficit public, que nous parvenions à peine à maintenir sous la barre des 3 %, bondira en 2020 à 3,9 % du PIB.

Cela ne fait aucun doute : les efforts financiers proposés par le Gouvernement sont nécessaires. La France ne peut pas en faire l’économie. Bien sûr, pour d’autres pays, qui ont mené ces dernières années des politiques très ambitieuses et courageuses de réduction des dépenses publiques, ces efforts seront plus accessibles.

Mais soyons-en certains : face à l’urgence de la situation, le doute ne nous est pas permis. Nous devons agir rapidement et efficacement. Il faut que l’État prenne les mesures adaptées à l’urgence de la situation, quoi qu’il en coûte.

Mon groupe votera ce projet de loi de finances rectificative. Nous espérons que les mesures prévues ne dégraderont pas le déficit structurel et qu’elles soutiendront utilement nos entreprises.

Cependant, une fois que nous aurons vaincu le virus, une fois que nous aurons su relancer l’activité de nos entreprises, notre regard sur la résilience économique de notre pays aura changé. Il y aura bien un avant et un après cette pandémie en matière de stratégie économique.

J’envisage, pour ma part, deux axes de réflexion structurants.

Le premier concerne la relocalisation de certaines activités stratégiques. Nous avons récemment pris conscience de la dépendance à l’international de secteurs de souveraineté. Or cette dépendance a aujourd’hui de lourdes conséquences, tant sur nos comptes publics que sur nos entreprises. Elle obère notre capacité à réagir rapidement en situation de crise.

Le second a trait à nos contributions au projet européen. Nous avons également pris conscience, au cours de cette crise, de l’importance d’une action coordonnée à l’échelon européen. Nous aurons besoin de plus d’Europe pour défendre les intérêts de la France, car les crises du XXIe siècle, comme celle que nous traversons aujourd’hui, ignoreront les frontières nationales.

C’est ensemble, et avec l’unité de toute la Nation, que nous surmonterons cette épreuve.

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le contexte de crise sanitaire très grave que connaît notre pays, face aux difficultés que traversent nos compatriotes, en examinant ce PLFR présenté dans l’urgence, nos pensées vont d’abord vers ceux qui luttent contre la maladie.

Partout ces jours-ci nous voyons de quoi sont capables les médecins, les infirmiers et les aides-soignants. Au nom de l’ensemble des membres du groupe Union Centriste, je tiens à leur faire part de notre admiration et à leur adresser nos remerciements les plus chaleureux. Nos pensées accompagnent également les policiers et les gendarmes, ainsi que tous ceux qui font fonctionner les services publics et tous ceux qui demeurent actifs dans notre économie, en particulier dans les filières d’approvisionnement.

C’est dire que le Sénat dans son ensemble et le groupe Union Centriste en particulier abordent ce PLFR avec esprit de responsabilité. Nous souhaitons aboutir vite à une vision commune avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale, et nous savons déjà que ce projet de loi de finances rectificative sera inévitablement suivi d’autres.

Nous saluons la réactivité du Gouvernement et l’ampleur financière des mesures déployées, que justifient la gravité et l’urgence de la situation.

Afin d’amortir au mieux le choc économique et financier créé par l’épidémie de coronavirus, choc dont on peine à mesurer toute l’étendue, l’État doit déployer sans tarder l’artillerie lourde, faite d’une palette diversifiée de mesures qui vise à ne laisser aucune entreprise ni aucun particulier au bord du chemin… Le défi est gigantesque par son ampleur.

Nous devons parvenir à ne pas gripper les filières d’approvisionnement, à sauvegarder les compétences et les savoir-faire – d’où le chômage partiel –, à maintenir la capacité productive et le tissu économique, mais nous devons aussi parallèlement veiller à la solidité financière de l’État.

Cette double exigence – faire face aux effets de la crise sanitaire et en même temps préserver la solidité financière de l’État – constitue un immense défi. Il ne faut pas qu’une crise financière propre à l’État aggrave encore les difficultés du pays. De ce point de vue, le niveau des taux d’intérêt et la capacité à financer notre dette lors de chaque émission doivent rester des marqueurs.

Il faut d’abord faire face aux difficultés nées de la crise sanitaire que nous traversons.

Cela a été dit, les 45 milliards d’euros du plan de sauvetage à effet immédiat permettront de financer tout à la fois le report des charges fiscales et sociales des entreprises, le renforcement du dispositif de chômage partiel, le paiement d’indemnités journalières, ainsi que le fonds d’indemnisation pour les indépendants et les commerçants.

De la même manière, la garantie des prêts bancaires accordés aux entreprises à hauteur de 300 milliards d’euros doit permettre aux banques d’octroyer facilement des prêts aux entreprises qui se trouveront ou se trouveraient déjà en difficulté.

La conséquence de ces mesures et de celles qui immanquablement suivront sera une dégradation lourde, mais inévitable, de nos finances publiques. Cette dégradation est sans doute sous-évaluée à ce stade, mais comment faire autrement ?

Mécaniquement, les nouvelles prévisions budgétaires pour 2020 se dégradent. Le déficit budgétaire, qui se détériorerait de 15,4 milliards d’euros, est ainsi revu à 108,5 milliards d’euros pour la fin de l’année. C’est là, monsieur le ministre, une estimation qui nous paraît quelque peu optimiste…

Le niveau du déficit serait alors sensiblement équivalent à celui qu’avait déjà retenu le ministère de l’économie et des finances à la fin de l’année 2018, dans le sillage de l’annonce des mesures destinées à répondre à la crise des « gilets jaunes ». Or le séisme nous semble cette fois-ci relever d’une intensité et d’une magnitude autrement plus importantes…

La baisse à hauteur de 10,7 milliards d’euros des recettes fiscales, supportée aux deux tiers par l’impôt sur les sociétés, est parfaitement intelligible. En revanche, peut-on assurer raisonnablement, comme le suggère l’exposé des motifs du présent PLFR, que la hausse des dépenses du budget général de l’État sera à peine supérieure à 6 milliards d’euros ?

Pour indispensables qu’ils soient, les crédits immédiatement débloqués pour freiner la propagation du coronavirus appelleront de nombreuses autres dépenses à la chaîne, pour l’heure peu prises en compte…

D’après certains conjoncturistes, et sur la base d’un scénario conventionnel calqué sur le scénario de sortie de crise postérieur à 2008, notre ratio de déficit public pourrait durablement franchir la barre des 4 %, voire celle des 5 %, celui de l’endettement dépassant même la barre des 115 % du PIB à l’horizon de 2024. Et encore un tel scénario repose sur une stabilisation du déficit structurel à son niveau de 2019…

Si maintenant nous essayons de nous projeter dans cet avenir incertain, il paraît inévitable qu’un plan de relance succédera, lorsque le virus sera moins actif, à ce plan de sauvetage. Nous pouvons nous féliciter que les mécanismes européens permettent de dépasser l’horizon des 3 %.

Sans doute y a-t-il dans la définition de politiques communes à l’échelle européenne des voies de solution pour l’avenir. Les initiatives prises vont dans le bon sens. Il faudra tirer le moment venu toutes les leçons de cette crise terrible. Il faudra bien sûr financer plus et mieux le régalien, au premier rang duquel le système de santé. Il faudra également tirer les leçons de l’interdépendance mondiale. Mais nous ne devrons pas oublier non plus que la solidité financière du pays passe par des mesures de meilleure gestion de l’État et de redéfinition de son volume, mesures que nous avons inlassablement soutenues sur ces travées.

Nous sommes nombreux à avoir lancé l’alerte et à avoir souligné qu’en cas de crise subite les marges de manœuvre financières manqueraient. Nous y sommes !

La crise du coronavirus doit nous inviter à revoir nos priorités et à engager enfin structurellement la réforme de notre appareil d’État, maintes fois différée…

La lucidité doit être le premier de nos courages. Tôt ou tard, et mieux vaudrait tôt que tard, il faudra avoir la force d’admettre que notre capacité à surmonter les défis n’est pas corrélée à celle de dépenser toujours plus, mais à celle de dépenser mieux.

Dans l’immédiat, le groupe Union Centriste se félicite de la radicalité des mesures prises par le Président de la République et le Premier ministre. Il faut un soutien radical de l’État pour sortir le pays d’une situation radicalement bloquée.

C’est évidemment dans cet esprit que nous voterons pour le présent projet de loi de finances rectificative, sous réserve de la discussion qui va intervenir et dont a fait état le rapporteur général.

Il reste deux sujets de débat, et je souhaite que la discussion permette de les surmonter : la prime aux salariés et le contrôle de la mise en œuvre de ces mesures.

Vous nous trouverez toujours à vos côtés pour surmonter avec nos compatriotes la crise sanitaire et, par ricochet, la crise économique et financière que la France affronte.

Je termine en remerciant tous ceux qui concourent à faire en sorte que cette séance se passe dans de bonnes conditions, dans le respect des règles sanitaires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un petit virus qui se transforme en pandémie et qui met à genoux en quelques mois nos organisations sociales et l’économie mondiale, cela témoigne de l’extrême fragilité de nos sociétés, voire de notre civilisation.

Face à cette crise sanitaire inédite, par son mode de diffusion plus, peut-être, que par sa gravité, le Gouvernement, comme dans de nombreux pays touchés, se trouve dans l’obligation de réagir dans l’urgence.

À cet égard, je tiens à saluer la réactivité dont il a fait preuve ces derniers jours en prenant des mesures d’application immédiate de prise en charge du chômage partiel et de report du paiement des charges sociales et fiscales au 15 mars.

L’économie française va être confrontée à un double choc : un choc de la demande, sans doute suivi d’un choc de l’offre. Elle doit faire face à un niveau d’incertitude élevé quant à la durée et à la persistance des effets de ces chocs dans le temps.

À l’échelon macroéconomique, le Gouvernement prévoit une chute du PIB au premier semestre avec un rebond au deuxième semestre, ce dernier relevant de l’hypothèse plutôt que de la certitude.

Bien sûr, les dépenses budgétaires vont augmenter et les recettes diminuer, le déficit public et l’endettement vont s’accroître. Ce scénario est inévitable pour l’année 2020. Les chiffres qui nous ont été communiqués aujourd’hui ne peuvent avoir qu’un caractère provisoire et me semblent, d’ailleurs, relever d’une approche un peu, peut-être trop, optimiste. Peu importe : nous serons amenés à les revoir de manière mieux documentée dans les semaines et les mois à venir.

L’important, ce sont les mesures prises pour faire face à une crise économique naissante qui risque de se répandre à la même vitesse que le coronavirus lui-même. Notre appareil économique est en effet menacé d’affaiblissement, voire, dans certains secteurs d’activité, de destruction.

Les mesures annoncées en faveur des entreprises et des salariés vont dans la bonne direction, mais leur efficacité dépendra de la déclinaison qui en sera faite, secteur d’activité par secteur d’activité, entreprise par entreprise.

Elles doivent à la fois traiter le présent et préparer l’avenir, être souples et adaptées dans leur mise en œuvre, tout en préservant des conditions équitables de concurrence.

Les facilités accordées aux entreprises ne doivent pas consister en un décalage de quelques mois du paiement des charges sociales et fiscales ; ce paiement doit être suspendu pendant la période de confinement, augmentée d’une période de redémarrage, et faire ensuite l’objet d’un amortissement dans la durée sur six, douze, vingt-quatre ou trente-six mois, suivant les situations au cas par cas. C’est ce que pratique habituellement la commission des chefs de services financiers (CCSF) pour les entreprises rencontrant des difficultés temporaires, voire structurelles.

Je pense à cet égard que vous avez fait en sorte de renforcer cette instance, monsieur le ministre, parce qu’elle va être fortement sollicitée au cours des semaines et des mois à venir.

Le dispositif exceptionnel de garantie permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises à hauteur de 300 milliards d’euros est un excellent outil, dès lors que sa mise en œuvre est contrôlée par un opérateur public, en l’occurrence Bpifrance, les banques ne devant jouer, à mon sens, qu’un rôle de guichet instructeur et de trésorerie.

Vous venez de déclarer, toutefois, monsieur le ministre, que ces dernières devaient complètement jouer leur jeu. Néanmoins, il ne faut pas trop leur laisser la main, parce qu’il ne faudrait pas qu’elles détournent l’esprit de cette mesure pour garantir des prêts ordinaires dans ce dispositif. Je fais plus confiance à Bpifrance qu’à l’ensemble du secteur bancaire à ce sujet. Celle-ci doit d’ailleurs pouvoir intervenir directement en capital. Je dis cela parce que c’est elle qui a été la plus efficace dans le préfinancement du dispositif de diminution des charges.

Il convient cependant de donner à ce mécanisme un caractère structurant de quasi-fonds propres pour financer durablement les besoins en fonds de roulement des entreprises, dans l’attente du retour à des résultats consolidés positifs. Ce n’est pas, en effet, parce qu’une entreprise voit sa situation devenir positive après une période de difficultés que, de manière consolidée, à plus long terme, elle sera à l’aise en fonds propres et en trésorerie. Une durée de trois à cinq ans me paraît assez bien adaptée, comme autrefois pour les prêts participatifs spéciaux des années 1980 et 1990, lesquels avaient vocation à financer du fonds de roulement.

Quant aux prêts bancaires en cours de remboursement, encore une fois, un simple report de quelques mois des échéances n’est pas significatif. Une telle mesure offre, certes, un bol d’air à court terme, mais on ne peut pas faire face à deux échéances ensuite, alors que l’activité vient juste de redémarrer. Il est préférable de prévoir une période blanche de remboursement en capital et un allongement équivalent de la durée du remboursement du prêt.

Enfin, je veux attirer votre attention sur la nécessité de préserver une équité de concurrence entre les entreprises, en particulier dans le secteur de la distribution. On ne peut pas imposer la fermeture des commerces de proximité et autoriser les grandes surfaces et les plateformes en ligne à commercialiser les produits que ceux-ci n’ont plus la possibilité de vendre, tels que les livres, l’habillement, les jeux, le mobilier, etc. Il ne faudrait pas que l’État donne lieu involontairement à une situation de concurrence déloyale, qui provoquerait la disparition rapide de milliers de commerces individuels et aggraverait encore la désertification de nos centres-villes. Sur ce sujet, il faut réagir vite, monsieur le ministre, et établir des règles.

Telles sont les quelques réflexions ou contributions que je voulais vous livrer, au-delà de l’aspect purement budgétaire, qui est essentiel, mais dont l’urgence est peut-être moins grande que la mise en œuvre de mesures de soutien destinées à sauver notre économie.

Même si nous allons examiner quelques amendements, lesquels, s’ils peuvent présenter un intérêt, ne sont peut-être que des amendements d’appel, je souhaite que ce texte puisse être voté conforme : cela constituerait le meilleur encouragement que nous pourrions adresser à nos entreprises et à leurs salariés.

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je souhaite redire notre soutien total aux malades et aux soignants, qui œuvrent sans relâche, jour et nuit, pour sauver des vies et faire reculer le nombre de contaminations. Je salue nos forces de police ainsi que les pompiers, qui ne comptent pas non plus leurs heures, comme les agents de vos ministères et ceux du Sénat, qui nous permettent de fonctionner aujourd’hui.

Tout le pays fait face à cette crise sanitaire, mais, comme rapporteur spécial des crédits de la mission « Culture » au sein de la commission des finances, j’ai une pensée particulière à destination de ce secteur et de ses professionnels qui, à Paris comme dans les territoires, subissent de plein fouet les conséquences de cette crise.

Il est donc primordial de réagir puissamment sur le volet économique et budgétaire.

Ce projet de loi de finances rectificative est un bouclier fiscal et budgétaire pour répondre au choc économique qui s’amplifie avec la crise sanitaire en cours. Il est également en lien avec les décisions prises par la Banque centrale européenne pour sauver la zone euro.

Il s’agit non plus aujourd’hui de ferrailler sur les ratios budgétaires ou de polémiquer sur les crédits, mais d’apporter la réponse adéquate pour protéger nos compatriotes et pour sauver nos entreprises. Nous savons que ce budget est une première réponse et que d’autres textes financiers pourraient suivre, en fonction de l’évolution de la situation sanitaire.

Cette première réponse est massive : plan de soutien à destination de nos entreprises, prêts garantis, fonds de solidarité d’un milliard d’euros. Ce texte permet également de mettre en place le système de chômage partiel le plus important de l’Union européenne : ses crédits permettent de financer le chômage partiel jusqu’à 4,5 SMIC, contre 1 SMIC en temps normal.

Logiquement, ces dépenses nouvelles et ces moindres recettes fiscales vont très substantiellement affecter nos dépenses publiques et la dette.

Le Président de la République l’a rappelé et c’est important, selon moi : il faut agir coûte que coûte. Ces circonstances exceptionnelles justifient l’écart avec les trajectoires budgétaires habituelles, comme l’a reconnu le Haut Conseil des finances publiques. Il ne faut pas agiter le boulier quand la Nation a besoin d’un bouclier. (Marques dapprobation.)

Au-delà même de ces considérations, il faut envisager ces dépenses comme un investissement pour la mutation de notre économie. Quand nous serons sortis de cette crise, il faudra profondément revoir nos modalités d’action. Cela vaut, bien sûr, pour notre système de soins, notre solidarité du quotidien, les avancées de notre recherche, notre autonomie alimentaire et notre souveraineté industrielle. Bref, il s’agit non pas de faire de la science-fiction, mais de refonder les politiques publiques.

Je ne prendrai qu’un seul exemple : c’est l’occasion d’approfondir la transition numérique pour être davantage prêt la prochaine fois. Télétravail, télémédecine, cours en ligne pour nos enfants, visioconférence, y compris au Parlement : nous allons devoir apprendre à fonctionner de manière différente. Il faudra également développer le scrutin électronique dans notre pays.

Soutenir nos entreprises, de toutes tailles, dans cet épisode de turbulences, est indispensable. C’est une dépense exceptionnelle, mais, à long terme, rien ne sera plus comme avant cette guerre. Je le pense profondément.

Nous devons sortir transformés de cette crise : les règles budgétaires devront aussi être réévaluées à cette aune, en distinguant davantage ce qui relève du fonctionnement et de l’investissement et en nous attachant, surtout, à la qualité des dépenses publiques plus qu’aux ratios quantitatifs exprimés en pourcentages.

Dans un monde incertain, instable, imprévisible, les vieilles habitudes n’ont plus cours ; il faut investir pour préparer les crises et définir les nouvelles règles du jeu qui vont avec les nouveaux risques. Il faut redonner de l’espoir à nos enfants et refaire Nation.

Je termine en paraphrasant un vers de Guillaume Apollinaire, qui a été emporté par une autre pandémie : la grippe espagnole. Comme nous avons l’impression de vivre des temps de ténèbres, il serait grand temps de rallumer les étoiles !

M. le président. M. Stéphane Ravier n’est pas présent, bien qu’étant inscrit. (Exclamations.)

La parole est à M. Pascal Savoldelli.