compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Yves Daudigny,

M. Daniel Dubois.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement sous le format adapté que nous avons défini et que les questeurs, les présidents de groupe et moi-même reverrons éventuellement dans les deux semaines qui viennent en fonction de l’évolution de la situation.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars.

Je rappelle que l’hémicycle fait l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection avant et après chaque séance. Il en est de même pour les micros après chaque intervention. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité. Les entrées et les sorties de la salle des séances, pour les sénateurs, devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle. Pour les membres du Gouvernement, celles-ci se feront par le devant de l’hémicycle.

Je rappelle également que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

proposition franco-allemande pour une relance européenne

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Président de la République et la Chancelière allemande ont formulé lundi une proposition ambitieuse, qui répond à l’impérieux besoin de relance économique de notre continent et complète les mesures déjà annoncées par la Commission et la Banque centrale européennes.

Le groupe Union Centriste salue ce projet et se réjouit du retour du couple franco-allemand porteur d’initiatives, alors que le fossé entre le nord et le sud de l’Europe s’était dangereusement creusé et que nous avons fortement déploré la réaction tardive de l’Europe au début de la crise. Encore faut-il que cette proposition soit approuvée par les Vingt-Sept. Mais la volonté est là des deux côtés du Rhin, et c’est déjà beaucoup !

Toutefois, puisque nous léguerons à nos enfants une dette d’une ampleur inégalée, cet argent doit être utile à un horizon qui dépasse de loin celui de la sortie immédiate de la crise. De même, l’effort consenti par les États membres impose d’utiliser ces fonds dans une perspective de long terme qui serve les intérêts de notre continent.

Monsieur le Premier ministre, nous savons aussi que, pour convaincre certains de nos partenaires instruits par des décennies de mauvaises habitudes et de facilités, il nous faudra leur donner des assurances solides – ils nous connaissent trop bien…

Dès lors, comment pouvez-vous garantir que cet argent magique sera utilisé en vue de porter des investissements stratégiques nécessaires pour recouvrer notre souveraineté, préserver notre environnement et notre santé ?

Comment pouvez-vous garantir que ces fonds ne serviront pas à alimenter des dépenses classiques de fonctionnement déjà hypertrophiées ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Marseille, vous l’avez dit dans votre question, une initiative franco-allemande assez exceptionnelle a été annoncée par la Chancelière Merkel et le Président de la République voilà deux jours. Elle fait suite à l’épidémie de Covid-19, à la crise sanitaire que l’Europe a connue à des titres divers, et à la crise économique et sociale qui s’annonce, conséquence directe à la fois du confinement lié à la crise sanitaire et à l’arrêt de la production et de la consommation que nous avons constaté dans un très grand nombre de pays d’Europe et du monde. Je vous rappelle ce chiffre édifiant : près de la moitié de l’humanité confinée – on entrevoit bien les conséquences économiques et sociales qui vont en découler…

Est-ce que l’Europe a été à la hauteur de la crise ? Beaucoup de nos concitoyens en France, beaucoup de nos amis en Espagne, en Italie et ailleurs diront volontiers que tel n’a pas été le cas. Auront-ils raison ? Autrement dit, les réponses de l’Union européenne, au-delà de la perception de nos concitoyens, auront-elles été à la hauteur ?

Probablement pourrons-nous affirmer avec un peu de recul que l’Union européenne n’a pas rien fait et qu’elle a été utile dans la crise. Mais est-ce que, véritablement, elle a été à la hauteur de cette crise ? Je ne le crois pas, monsieur le président Marseille. Comme toujours, lorsque nous nous retrouvons dans une situation de crise, de difficultés, il faut soit le constater, vivre avec et, le cas échéant, le déplorer, soit trouver des solutions pour y remédier.

Bien souvent, lorsque la crise européenne est là, c’est dans la capacité de la France et de l’Allemagne à s’entendre et à entraîner les autres – non pas à décider pour eux, ce qui serait inenvisageable – que l’on trouve la solution. C’est très précisément ce qui s’est passé ou, plus exactement, ce qui est en train de se passer, puisque la France et l’Allemagne se sont mises d’accord pour un plan très ambitieux, sans précédent, visant à permettre le financement d’une relance à hauteur de 500 milliards d’euros, grâce à la nouvelle capacité de la Commission à créer de la dette de façon à alimenter le marché, l’investissement, la relance.

Ce plan repose sur quatre piliers.

Le premier, c’est l’Europe de la santé, qui existe, ou plus exactement, qui devrait exister. Il faut donc, collectivement, investir et regarder comment on peut améliorer les dispositifs de santé de chaque pays.

Deuxième pilier, la création d’un instrument qui permette une solidarité entre les États européens, et donc entre les citoyens européens, un fonds de relance doté, je l’ai dit, de 500 milliards d’euros de dettes émises par la Commission.

Ce fonds fonctionnerait, pour l’essentiel, dans les premières années du prochain cadre pluriannuel de financement que l’Union discute et viendrait lui-même en complément des 500 milliards d’euros de prêts agréés par l’Eurogroupe.

Les sommes en jeu sont vertigineuses et, au fond, assez peu concevables : 1 000 milliards d’euros pour financer la relance et la solidarité, auxquels s’ajouteront les dispositifs nationaux, qui se conjugueront ou compléteront le dispositif européen.

Le troisième pilier de ce plan est la nécessaire accélération de la transition numérique et la transition écologique. C’est une réponse à votre question, monsieur le président Marseille : si nous utilisons cet argent pour renforcer nos systèmes de santé, si nous l’utilisons pour accélérer la transition numérique et la transition écologique, alors, par définition, nous préparons l’avenir et nous renforçons nos capacités de long terme et notre capacité, à long terme, à répondre aux questionnements de nos concitoyens.

Enfin, le quatrième pilier va, là encore, dans le sens de ce que vous indiquez, me semble-t-il, à savoir le renforcement de la souveraineté européenne.

En effet, cette crise sanitaire a montré que, si nous voulions maîtriser notre destin, il fallait que, dans l’espace européen, un certain nombre de productions soient localisées, qu’un certain nombre de marchés sensibles soient maîtrisés et qu’un certain nombre de dispositifs sans lesquels nous ne pouvons pas faire face aux difficultés soient assurés.

C’est sur le principe de cette souveraineté européenne que la France et l’Allemagne viennent de s’entendre ; c’était le sens des annonces du Président et de la Chancelière.

Il n’y a pas eu de précédent à ce type d’annonces. Pourquoi ? Parce que, et je le dis avec beaucoup de plaisir et de satisfaction, l’Allemagne a bougé : ce qu’elle a accepté de faire ne correspond pas à ce qu’elle envisageait pendant longtemps.

Pourquoi l’Allemagne a-t-elle bougé, monsieur le président Marseille ? Parce que la crise est là et que chacun peut la mesurer. Je n’exclus pas, mais sans doute ce point-là sera-t-il sujet de longues discussions, que l’Allemagne ait bougé parce que la France elle-même a bougé. Je n’exclus pas que l’Allemagne ait bougé parce qu’elle a vu que la France, en s’attaquant à des réformes de structure qui avaient parfois été évoquées, mais pas réalisées, voulait effectivement préparer l’avenir sérieusement. Je ne l’exclus tellement pas que c’est la seule raison que j’identifie pour pouvoir faire fonctionner de nouveau ce moteur franco-allemand dont nous savons tous qu’il est indispensable au redémarrage de l’Europe, non pas simplement à sa souveraineté, mais à son existence.

C’est donc une excellente nouvelle qui ressort de cette annonce conjointe par le Président de la République et la Chancelière : une excellente nouvelle, pour nous, Français, pour les Allemands aussi, j’en suis certain, et pour les Européens dans leur ensemble.

La vie est ainsi faite que ces excellentes nouvelles, qui ne sont pas encore traduites dans les faits – vous avez raison, car il va falloir convaincre, mais j’ai observé, vous aussi sans doute, monsieur le président Marseille, que la Banque centrale européenne et la Commission européenne s’étaient félicitées de cette annonce et de cette initiative. C’est un excellent début ! Il va évidemment falloir parler et convaincre l’ensemble de nos partenaires. C’est normal, mais reconnaissons ensemble que, lorsque la France et l’Allemagne s’accordent, lorsque, ensemble, elles avancent, en général elles entraînent. C’est une excellente nouvelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE et UC.)

dispositif « objectif reprise »

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Martin Lévrier. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail.

La crise sanitaire nous a contraints, comme beaucoup d’autres pays, à organiser un confinement de la population. Il a en grande part paralysé l’économie française pendant huit semaines. Les trésoreries et l’activité de nombre d’entreprises ont été mises à mal. Et nous ne sommes qu’au début d’une crise économique !

Dès l’apparition de cette pandémie, le Gouvernement a mis en place des moyens exceptionnels pour faire face au choc économique, afin d’aider les entreprises et les salariés à affronter les difficultés provoquées par la Covid-19 : chômage partiel, développement du télétravail, fonds de soutien, fiches métiers, guides de branches pour garantir la santé au travail, protocole de déconfinement, etc.

Parce qu’il faut faire repartir l’économie et parce qu’il faut garantir la santé des salariés, l’État se doit de s’inscrire dans cette continuité et d’accentuer la reprise. C’est pourquoi votre ministère confie au réseau Anact-Aract (Association nationale et associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail) et aux Direccte (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) un dispositif d’appui gratuit destiné aux entreprises de moins de 250 salariés, avec un enjeu : concilier santé au travail et performance.

Depuis hier, ces TPE-PME peuvent, grâce au dispositif « Objectif reprise », bénéficier de préconisations gratuites qui reposent sur trois modalités d’appui : sensibilisation, conseil et accompagnement.

Madame la ministre, pouvez-vous nous détailler ces modalités d’appui, nous garantir que ce dispositif est simple d’accès et prévoit des solutions accessibles à tous, en particulier aux plus petits, afin de répondre de manière optimale à leurs attentes en cette période de reprise qui suscite de très grandes inquiétudes ? (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Martin Lévrier, c’est vrai, nous nous sommes tous retrouvés dans une situation inédite : arrêter ou ralentir très fortement le moteur de l’économie pour sauver des vies. Nous avons eu raison de le faire. Désormais, avec le déconfinement, nous sommes capables de continuer à sauver des vies, tout en faisant repartir l’activité économique et en protégeant pleinement les salariés.

C’est pour cela, vous l’avez cité, que nous avons mis en place le protocole de déconfinement, à savoir 64 guides métiers élaborés avec les professions, avec les partenaires sociaux, par le ministère du travail, en liaison avec le ministère de la santé, et qui sécurisent les employés, les salariés, comme les employeurs. J’ai pu d’ailleurs le constater la semaine dernière sur un chantier du bâtiment et, hier matin encore, à l’usine Toyota d’Onnaing, près de Valenciennes.

Les conditions requises sont, d’abord, de respecter ces guides, qui contiennent des préconisations concernant le respect des gestes barrières et la distanciation dans tel ou tel métier. On comprend bien que, pour un coiffeur, un chauffeur-livreur ou un ouvrier du bâtiment, l’appréciation sur la façon d’effectuer ces gestes doit s’adapter.

À ce propos, nous avons constaté que, là où s’est instauré un dialogue social de qualité, l’activité repart beaucoup plus vite et de façon plus sereine, car tous ces gestes barrières sont discutés au sein de l’entreprise.

Dans les grandes ou moyennes entreprises qui sont dotées de comités socioéconomiques et de RH, il faut absolument respecter ces guides métiers et pratiquer le dialogue social. C’est la clé pour une reprise de l’activité sereine.

Comment faire dans les petites entreprises, qui ont parfois un représentant du personnel, mais pas toujours, et qui ne sont pas outillées en RH ? C’est pour résoudre cette difficulté que nous avons lancé hier le projet « Objectif reprise », qui est immédiatement opérationnel – depuis hier – sur simple demande en ligne.

Ce dispositif permet au million de petites entreprises concernées par le chômage partiel, mais qui vont bientôt en sortir et reprendre leur activité, de bénéficier de conseils gratuits en ligne, par téléphone ou sur place par l’Anact et un réseau du ministère.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mettre l’accent en toute sérénité sur la santé des salariés permet de faire repartir l’activité dans l’intérêt économique et social du pays.

accélération du déploiement de l’e-santé

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, entre le 6 et le 12 avril, plus d’un million de téléconsultations ont été réalisées, représentant 28 % de l’ensemble des consultations médicales, contre 0,1 % quelques semaines plus tôt.

L’épidémie de Covid-19 a sans aucun doute provoqué un regain d’intérêt pour les solutions de télémédecine, apparues comme un outil indispensable dans un contexte de contagiosité, de confinement et d’isolement.

Le succès récent de la télémédecine s’explique également par la mobilisation massive et rapide de moyens pour répondre aux besoins les plus urgents. Vous avez ainsi levé, pour le remboursement des téléconsultations Covid-19, l’obligation de passer par son médecin traitant et d’avoir eu une consultation en présentiel dans les douze mois précédents.

La télémédecine présente de nombreux avantages, tels que le renforcement de l’accès aux soins, le désengorgement des urgences. Elle constitue un vecteur d’innovation et de développement économique, et permet une diminution des déplacements, notamment en Île-de-France, où, comme l’a démontré une étude récente, 2 millions de trajets, essentiellement automobiles, sont liés chaque jour à un motif de santé.

Face aux avancées rapides de ces dernières semaines, il n’est pas pensable de revenir à la situation d’avant Covid-19, tant les attentes sont fortes de la part des professionnels de santé, des élus et des patients.

Des freins restent encore à lever. Je pense notamment au déploiement du très haut débit, dont les zones blanches coïncident souvent avec les zones sous-dotées. Je pense aussi aux nombreux trous dans la raquette s’agissant des motifs de remboursement et de la nomenclature des actes. Je pense bien sûr au financement des innovations grâce à l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018, encore beaucoup trop rigide et complexe. Les acteurs de terrain demandent plus d’agilité pour répondre aux besoins spécifiques des territoires, notamment la réduction des délais, qui est absolument nécessaire.

J’aimerais donc savoir, monsieur le secrétaire d’État, quelles assurances vous pouvez nous apporter pour qu’en matière de e-santé le pas de géant qui a été franchi durant la crise Covid-19 ne se transforme pas en piétinement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Julien Bargeton applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Guillotin, vous avez raison, la crise sanitaire a provoqué un véritable boom du numérique en santé, puisque le nombre des téléconsultations est passé au cours du mois de mars de 10 000 à 500 000 par semaine, soit de 1 % à 11 % de l’ensemble des consultations. En 2018, quand ces sujets ont commencé à se présenter, les prévisions pour l’année 2020 étaient effectivement d’un million de consultations pour toute l’année ; un million, c’est le nombre de téléconsultations qui ont été réalisées la semaine dernière !

Outre la télémédecine, il y a aussi le télésoin. Or, vous l’avez évoqué, nous avons assoupli un certain nombre de dispositions pendant cette crise, notamment pour rendre le télésoin plus facile pour les infirmiers, les kinés, les orthophonistes, les orthoptistes, les ergothérapeutes, les psychomotriciens ou encore les pharmaciens.

Dès avant la crise, le numérique est apparu comme un axe de transformation majeure pour ce gouvernement, puisque, depuis le début du quinquennat, vous le savez, nous avons engagé un certain nombre de chantiers ambitieux autour de la gouvernance de ce secteur nouveau – c’est un point important – de l’espace numérique en santé pour les usagers. Je citerai notamment le dossier médical partagé, le déploiement d’un bouquet de services numériques pour les professionnels de santé, qui en est un peu le pendant, et, bien sûr, le Health Data Hub que nous avons lancé pour tout ce qui a trait à l’innovation et à la recherche en santé.

Nous serons vigilants au cours des semaines et des mois à venir pour examiner ce qui pourra être pérennisé et ce qui devra être amélioré. Je n’ai pas de doute que toutes ces réflexions-là nourriront les échanges qui s’ouvrent dans le cadre du Ségur de la santé, lancé par le ministre de la santé, Olivier Véran. Il est vrai que, dans le domaine de la santé, mais aussi dans d’autres secteurs tels le social ou le médico-social, le numérique a « challengé », a remis en cause nos pratiques professionnelles, et il faut en tirer les leçons.

Oui, madame la sénatrice, dans le numérique en santé aussi, il y aura un avant et un après Covid-19 ; soyez-en convaincue !

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.

Mme Véronique Guillotin. Merci, monsieur le secrétaire d’État. Je prends acte de la volonté d’avancer sur la télémédecine, quand bien même j’aurais aimé obtenir quelques éléments sur les remboursements et l’ouverture nécessaire du cadre réglementaire – nous aurons l’occasion d’en débattre.

interdiction des licenciements pendant la crise sanitaire

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Fabien Gay. Madame la ministre du travail, le Président Macron a prévenu : nous allons souffrir. Mais force est de constater que nous ne serons pas tous égaux devant cette souffrance.

Des plans de suppressions d’emplois sont déjà envisagés et tombent comme des couperets : Airbus, Alinéa, Airbnb, la SNCF, TUI France ; la liste n’est malheureusement pas exhaustive. Ce sont ainsi des milliers de salariés qui vont subir un véritable tsunami social.

Comment accepter qu’Air France et Renault aient bénéficié de milliards de prêts et envisagent aujourd’hui des licenciements ? Pourquoi avez-vous refusé, comme nous l’avions proposé, de conditionner ces aides à des critères sociaux et environnementaux ?

En fait, votre boussole n’a pas dévié, et vous vous refusez à retenir la leçon du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et autres aides publiques qui n’ont fait que gonfler les poches des actionnaires !

Pis, certains groupes opportunistes profitent de la crise pour orchestrer un chantage odieux auprès de leurs salariés, comme chez Derichebourg : soit les salariés reviennent sur tous leurs conquis sociaux, soit c’est un vaste plan de licenciement de 750 personnes ! Et que dire de ces groupes dont les restructurations étaient prévues avant la pandémie et qui en profitent pour les justifier, comme chez General Electric ?

Il faut agir par la loi, car, sinon, après le chômage partiel, ce sera le chômage de masse, d’autant que, depuis 2017, les plans sociaux peuvent être activés au seul motif économique, qu’il soit passager ou artificiel.

Plutôt que de casser le code du travail, nous vous proposons d’interdire les licenciements comme en Espagne, et, en même temps, de préparer un vaste plan de relance qui s’appuie sur la relocalisation de notre industrie, la nationalisation des entreprises stratégiques et la nécessaire transition écologique.

Madame la ministre, « Les Jours heureux » ne se convoquent pas dans les discours, ils se mettent en œuvre au prix d’une ambition politique de haut vol pour être à la hauteur de la crise que nous traversons.

Aurez-vous le courage politique d’interdire les licenciements pour éviter le massacre social ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Gay, nous partageons un même objectif, mais pas la manière d’y arriver.

Mme Éliane Assassi. C’est sûr !

M. Fabien Gay. On n’est pas rassuré !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous avons le même objectif, c’est l’emploi. C’est pour cela que nous avons déployé un système d’activité partielle, de chômage partiel, massif, inédit, jamais connu en France, le plus protecteur d’Europe et qui, pour ces trois mois, a protégé plus de 12 millions de salariés, dont 8,6 millions sont encore au chômage partiel, selon la dernière enquête réalisée sur ce sujet.

La question qui se pose est de savoir comment continuer à stimuler et à protéger l’emploi dans la deuxième phase, dans laquelle nous sommes entrés, celle de la reprise progressive de l’activité économique.

Les secteurs sont très inégalement touchés, vous l’avez d’ailleurs sous-entendu : l’aéronautique ou l’aviation le sont très fortement, l’automobile en partie, tandis que le secteur de l’agroalimentaire ou de la distribution alimentaire, lui, a continué son activité – heureusement pour les Français – pendant tout le confinement. Donc, dans ce contexte, ce qui fonctionne, ce n’est pas un dispositif général ; ce sont des démarches spécifiques, adaptées.

Vous posez la question de l’interdiction des licenciements.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Toutes les études et expériences qui ont été conduites en France et ailleurs ont montré que, sur le moyen terme, c’est une machine anti-emploi. Pourquoi ? Parce que cela fait chuter les recrutements, d’une part, et que cela n’évite pas les défaillances d’entreprises, d’autre part.

Oui, certaines entreprises connaissaient déjà des difficultés avant la crise et c’est sûr que la situation de confinement a dû les aggraver. Il faudra donc un examen sectoriel, vous l’avez dit, suivi, comme le Premier ministre et l’ensemble des membres du Gouvernement l’ont déjà annoncé, d’un plan sectoriel pour le tourisme et l’hôtellerie-restauration, sachant qu’un autre portera sur l’automobile. S’y ajouteront des plans sectoriels adaptés et un plan de relance pour stimuler l’emploi, l’apprentissage et la formation, et ce en raison des importantes mutations intersectorielles.

Du point de vue des entreprises, il faut être vigoureux. Si le but, c’est l’emploi, il ne doit toutefois pas pouvoir entraîner une entreprise à risquer la défaillance, ce qui serait encore pire puisque, à ce moment-là, c’est tous les emplois qui seraient perdus !

Nous serons très attentifs au dialogue social, à la manière dont il est accompagné et aux moyens de relancer l’activité. Par exemple, des relocalisations stratégiques peuvent être utiles dans notre pays. L’ensemble de ce plan d’action sera annoncé dans les semaines qui viennent.

conséquences financières et budgétaires de la crise sur les collectivités locales

M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Nadine Grelet-Certenais. Ma question, à laquelle je souhaite associer tout particulièrement le sénateur Franck Montaugé, s’adresse à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Madame la ministre, je souhaite tout d’abord saluer ici le dévouement et le travail des élus locaux, qui ont fait face à ce contexte inédit de crise épidémique.

Comme l’ensemble du pays, les collectivités et leurs régies sont aux prises avec des difficultés financières sans précédent. Le manque de recettes se chiffre dès à présent en dizaines de milliards d’euros.

Il est du devoir de l’État de ne pas abandonner les collectivités, pour lesquelles la baisse de recettes, notamment fiscales, risque d’engloutir leur épargne, qui ne représente pas moins de 46 milliards d’euros.

Sans soutien important de la part de l’État, le redémarrage économique que tout le monde souhaite ici ne pourra s’effectuer dans de bonnes conditions. Vous le savez, par la commande publique, les collectivités représentent 70 % de l’investissement public dans les territoires. Ces acteurs locaux sont un maillon essentiel pour sortir du marasme actuel.

Or la confiance nécessaire à l’action publique ne sera pas au rendez-vous s’ils constatent que, pour les deux à trois années à venir, leurs capacités de financement sont sérieusement diminuées. À crédits constants, les collectivités ne pourront pas jouer leur rôle moteur, alors que de nouvelles équipes municipales portent de nombreux projets de développement économique.

Votre intervention récente au Sénat devant la commission des finances semblait indiquer que vous étiez consciente de la situation critique que nous traversons.

Alors, concrètement, madame la ministre, quelles garanties immédiates pouvez-vous donner aux élus locaux qui veulent relancer l’économie de leurs territoires par l’investissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)