M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La crise du Covid-19 : révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société. Quels enseignements et quelles actions ? »

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La crise du Covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ?

Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur le thème : « La crise du Covid-19 : relocalisation des productions stratégiques pour assurer notre souveraineté. Lesquelles, où, comment ? »

La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est ravi que ce débat sur la relocalisation des productions stratégiques puisse se tenir. Un tel débat ne peut, bien entendu, laisser de côté la crise actuelle, mais nous voulons le rendre plus aigu, en interrogeant la mondialisation telle que nous la connaissons et telle que nous la souhaitons.

En tant qu’Européens convaincus, nous avons la chance de pouvoir influer sur le cours de cette mondialisation, même si beaucoup en doutent, au premier rang desquels les Européens eux-mêmes. Le virus qui sévit aujourd’hui nous a démontré notre dépendance envers la Chine et a mis en lumière que la mondialisation actuelle, synonyme d’interdépendances sans solidarités, se caractérise en réalité par des chaînes de production mondiales fonctionnant en flux tendu : les vulnérabilités de notre approvisionnement apparaissent au grand jour en situation de crise.

Voici donc la question légitime qui se pose : comment faire en sorte que la France et, plus largement, l’Union européenne s’assurent une indépendance stratégique, notamment en matière sanitaire ?

Dans un premier temps, il nous faut comprendre les ressorts de la localisation des entreprises. À ce titre, croire que la mondialisation se limite à la suppression des droits de douane serait un leurre, tout comme vouloir expliquer les délocalisations par les seuls avantages comparatifs des différents territoires au sens de Ricardo. En réalité, les délocalisations nous ont permis d’accéder à des marchés émergents à croissance rapide tout en faisant baisser nos coûts. À titre d’exemple, seuls 4 % des investissements directs français à l’étranger correspondent à des délocalisations motivées par des différences de coûts salariaux et impliquant la réimportation des produits finaux.

Néanmoins, le mouvement de délocalisation conduit à des spécialisations régionales qui font émerger un modèle économique opposant les activités de conception, dans les pays du Nord, à celles de production, dans les pays du Sud. La crise actuelle a démontré qu’une telle situation n’était pas viable du point de vue stratégique : toute activité de production ne peut et ne doit pas être abandonnée. C’est pourquoi notre groupe appelle de ses vœux un taux minimum de production sur le territoire européen, notamment pour les laboratoires pharmaceutiques, ainsi que la constitution systématique de stocks.

Dans certains cas, la délocalisation est réversible : on parle alors de relocalisation. Les relocalisations ont connu quatre vagues depuis la fin des années 1970 ; elles étaient justifiées par des problèmes de qualité des produits, des augmentations des coûts de personnel ou encore des coûts de coordination et de suivi. Souhaitons-nous, dès lors, envisager une nouvelle vague de relocalisations ? Si le constat semble unanime, quels en seraient alors les ressorts ?

De fait, la plupart des entreprises qui ont décidé de relocaliser leur production l’ont fait indépendamment des aides publiques. Ainsi, sur la centaine de relocalisations relevées en France depuis le milieu des années 2000, seules six entreprises témoignent avoir bénéficié d’une aide pour y procéder. En effet, de telles aides risquent surtout d’attirer des chasseurs de primes, ces entreprises nomades ou volatiles qui quittent le territoire à l’approche de la fin de la période d’exonération. En réalité, les relocalisations pérennes s’expliquent par des motifs de compétitivité par l’innovation, et non par les prix.

Dès lors, si nous souhaitons relocaliser une partie des productions stratégiques, privilégions donc les relocalisations néo-schumpetériennes d’innovation plutôt que les relocalisations tayloriennes visant à une baisse des coûts. Je pense, bien sûr, à la recherche médicale, mais également à l’hydrogène en tant qu’énergie de rupture technologique propre non seulement à conforter notre souveraineté, mais également à nous donner une avance technologique.

Dans un second temps, il nous faut comprendre les limites des relocalisations et définir des ambitions industrielles renouvelées.

Depuis les années 1990, les investisseurs américains comme européens se sont plutôt tournés vers la semi-périphérie asiatique que vers le voisinage proche ; il nous faut en partie inverser la tendance. Ne confondons pas pour autant vision stratégique et discours souverainiste ! Ce dernier fait le constat que la souveraineté économique ne coïncide plus avec la souveraineté politique. C’est le diagnostic lucide, quoique tardif, d’une fragmentation des chaînes de valeur, mais prôner un retour en arrière s’opérant uniquement sous les injonctions d’un État-nation fantasmé est totalement vain.

Face à la régionalisation caractérisant actuellement la mondialisation, nous avons une chance à saisir : celle d’une souveraineté industrielle européenne.

À cet égard, la nouvelle stratégie industrielle présentée par la Commission européenne en mars dernier représente un bon point de départ : une réflexion bienvenue a été engagée en matière de concentrations pour mieux tenir compte de la concurrence à l’échelle mondiale. Cette démarche pourrait, très prochainement, nous permettre de créer un « Airbus du rail », grâce à l’acquisition par Alstom des activités ferroviaires du groupe canadien Bombardier, ainsi qu’un « Airbus naval », à l’issue des discussions menées entre les Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, et l’italien Fincantieri. De même, les projets importants d’intérêt européen commun (PIEEC) permettent aux États membres de soutenir des projets transnationaux d’importance stratégique, qu’il s’agisse de la microélectronique ou, plus récemment, des batteries électriques.

Ne nous exemptons pas pour autant d’une réflexion nationale sur notre industrie, que nous devons impérativement moderniser ! À ce titre, l’industrie du futur constitue une occasion unique de rendre l’industrie française plus attractive et compétitive. Si la France possède des atouts pour accélérer son déploiement, les efforts à cette fin doivent être rationalisés au regard de la trop grande fragmentation des dispositifs de financement, d’accompagnement et de formation.

Que l’on veuille produire sur notre sol des produits de première nécessité, quand c’est indispensable, ou surtout des produits stratégiques à forte valeur ajoutée, la question des coûts de production et de la nécessaire baisse de la fiscalité de production se pose toujours. Ces impôts, similaires à une taxe sur la taxe, constituent en effet un facteur d’explication de l’écart de compétitivité-coût entre la France et ses partenaires commerciaux : cette fiscalité est en effet chez nous sept fois plus élevée qu’en Allemagne et deux fois supérieure à la moyenne de la zone euro.

Mes chers collègues, il ne s’agit pas d’être pour ou contre la mondialisation : le sujet qui nous occupe est bien celui de son amélioration du point de vue de l’intérêt général. L’intégration économique n’est pas une fin en soi : il revient au politique de lui donner un sens afin de relativiser les bienfaits de la main invisible smithienne.

La relocalisation des productions stratégiques passe alors par l’identification des secteurs essentiels à notre pays, ainsi que par des mesures ciblant les défaillances spécifiques du marché, comme l’illustre l’impérative nécessité de faire de tout vaccin un bien public mondial.

Enfin, alors que la lutte contre le coronavirus nous a fait découvrir notre vulnérabilité et, par effet de miroir, notre trop forte dépendance à la Chine, nous tenons à saluer la démarche franco-allemande de relance européenne. Si nous refusons le confort idéologique consistant à prôner un protectionnisme aveugle et vain, nous appelons en revanche de nos vœux une souveraineté européenne renouvelée et l’esquisse d’une Europe de la santé, car nous sommes convaincus qu’il est ainsi possible de remettre en cause le constat amer de Paul Valéry, selon lequel l’Europe risque de devenir « un petit cap du continent asiatique ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean Bizet et Joël Labbé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.

Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il aura fallu une pandémie sans précédent pour que l’organisation industrielle mondiale soit ouvertement contestée. La crise sanitaire que nous vivons a remis sur le devant de la scène la question de la localisation des processus de production des biens considérés comme stratégiques.

Comme le Président de la République l’a annoncé au début de la crise sanitaire, celle-ci nous enseigne que le caractère stratégique de certains biens et produits nous impose d’instaurer une souveraineté nationale et européenne. Il nous faut produire davantage sur notre sol pour réduire notre dépendance.

La forte demande de masques, de respirateurs ou de certains médicaments nous a conduits à nous interroger sur la localisation de certaines productions que l’on juge devoir absolument faire revenir sur notre territoire, pour des raisons d’indépendance et de souveraineté. L’industrie pharmaceutique s’est plus que jamais révélée être un secteur stratégique pour permettre aux États de protéger leur population en cas de besoin.

Comme nous le savons tous, la mondialisation a engendré une fragmentation croissante des chaînes de valeur à travers le monde, en permettant que chaque élément de ces chaînes soit fabriqué dans le pays où les avantages comparatifs sont les plus importants.

Cette logique a conduit nos pays industrialisés à se concentrer sur la production de biens et services à haute valeur ajoutée, à se spécialiser dans le haut de gamme. Nos coûts de production étant deux fois plus élevés que ceux des pays émergents, les délocalisations ont permis de réduire de 15 % à 20 % le prix du bien industriel consommé en France.

Dans les pays riches, où les compétences sont disponibles, mais les salaires élevés, la relocalisation exigerait une forte automatisation de la production, ne créerait pas beaucoup d’emplois et pourrait faire baisser le pouvoir d’achat.

Ainsi, concernant la production de médicaments, la France jouit d’un excédent commercial extérieur de taille envers les pays émergents. Nous continuons de gagner des parts de marchés, alors que nous importons la majeure partie des principes actifs basiques, comme le paracétamol, dont la production ne nécessite pas un niveau élevé de qualification des ingénieurs.

Aujourd’hui plus que jamais, l’opinion publique souhaite un retour massif de la production industrielle sur le sol national. Mes chers collègues, je crains que la crise ne nous amène à imaginer de fausses bonnes mesures. Je ne crois pas à l’idée selon laquelle un certain nombre de productions à faible valeur ajoutée, mais considérées comme stratégiques, devraient être relocalisées. La France n’a pas vocation à relocaliser la production de principes actifs basiques ou de masques. Comment pourrait-on produire à des prix décents des principes actifs à faible valeur ajoutée ? Relocaliser ce type de production n’est pas la bonne stratégie. L’industrie pharmaceutique française doit se concentrer sur les produits biotechnologiques les plus innovants.

Mes chers collègues, le manque de masque durant la crise est lié non pas à notre dépendance à l’égard des pays étrangers, mais plutôt au manque de stocks en France. La France doit non pas relocaliser ses productions industrielles, mais se réindustrialiser. La nuance est de taille ! L’effort de réindustrialisation doit porter sur des biens à haute valeur ajoutée et s’inscrire dans un agenda européen. Nous savons d’ailleurs que la France est en retard pour le développement des industries de demain : je pense à la 5G, aux voitures autonomes, aux batteries, aux énergies renouvelables ou à l’hydrogène. Elle doit donc tout mettre en œuvre pour encourager, développer et inventer nos industries stratégiques de demain. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour entrer dans ce débat, il faut de l’honnêteté.

Tout d’abord, parler de souveraineté sans parler des traités européens qui empêchent le patriotisme économique, cela manque d’honnêteté.

Aujourd’hui, l’État ne peut pas défendre nos entreprises, car le droit communautaire l’en empêche. C’est l’Union européenne qui a ouvert la porte à la désindustrialisation de notre pays et à l’exode de nos fleurons vers les pays émergents. Nous avons été les grands naïfs de la mondialisation malheureuse, et nous le sommes encore ! Avant de parler de relocaliser, il faudrait déjà penser à protéger les quelques entreprises qui survivent encore chez nous et à les soutenir.

La souveraineté économique de la France n’est possible que si nous engageons avec détermination un bras de fer avec la Commission de Bruxelles. Si nous avons manqué de masques, de gel et de tests, c’est parce que nous avions eu l’aplomb de penser – par idéologie ! – que nous pouvions nous passer de notre industrie. Les dirigeants politiques ont appris à leurs dépens – ce n’est pourtant pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme ! – que l’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. La loi du marché ne fait pas de cadeau : les Américains nous l’ont rappelé en rachetant un stock de masques qui nous était destiné sur le tarmac d’un aéroport chinois.

Il faut que toutes les industries, tous les savoir-faire, puissent s’implanter ou se réimplanter dans notre pays. Dans cette perspective, nous ne pouvons nous contenter des propos contradictoires de l’exécutif.

D’un côté, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, déclare que « notre objectif est la souveraineté économique de la France » ; le Premier ministre, Édouard Philippe, affirme quant à lui que l’Union européenne n’a pas « été à la hauteur de la crise ».

De l’autre, le président Macron vit toujours dans le monde des idées. Il a toujours plus d’ambitions, mais pour l’Union européenne ! Ce qui importe à ses yeux, ce n’est pas l’intérêt de notre économie, mais le fait que le « manque de solidarité pendant la pandémie risque d’alimenter la colère populiste »… On le voit, ses intérêts sont idéologiques et électoralistes !

De plus, il faut une réforme fiscale profonde, notamment de l’impôt de production, qui est actuellement le plus élevé en Europe, pour encourager les entreprises à rester en France. Il faut soutenir les entreprises en continuant de les accompagner par des dispositifs de chômage partiel, car c’est maintenant qu’elles vont subir les conséquences de la crise sanitaire. Il est enfin urgent d’alléger les charges qui pèsent sur elles.

J’entendais hier le président de Danone déclarer que nous devions penser notre souveraineté alimentaire « à l’échelle européenne », en rejetant toute tentation d’« autarcie » de la France. Que la souveraineté ne soit pas la tasse de thé des patrons du CAC 40 ne m’étonne pas ! La souveraineté ne peut être que nationale, elle ne saurait être diluée ! Là où la mondialisation ultralibérale soumet à l’interdépendance, le localisme et la souveraineté procurent la liberté : liberté face aux puissances, liberté face au marché, autonomie en cas de crise.

En février, au Parlement européen, la droite de M. Bellamy et les marcheurs de Mme Loiseau ont voté main dans la main un accord de libre-échange avec le Vietnam. Rien n’a changé, malgré les promesses de la campagne des élections européennes. Relocaliser les productions stratégiques exige de la cohérence, mais la classe politique continue à croupir dans les eaux usées du libre-échange forcené.

M. Jean Bizet. Caricature !

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis trente ans, nous constatons la désindustrialisation de la France. En quinze ans, nous avons perdu plus d’un demi-million d’emplois industriels !

Les libéraux nous fredonnaient leur petite musique : cette évolution était inéluctable, la faute à la compétition internationale et à ce que vous appelez « le coût du travail ». D’autres faisaient l’éloge de la déréglementation, de la dérégulation et de la privatisation des entreprises et des monopoles publics. Musique macabre, de fait, car, en dépit du vote des peuples d’Europe, vous avez gravé en lettres d’or ces mots dans le marbre des traités européens et internationaux. Ce marbre est aujourd’hui friable !

Pour vous, la partition était jouée d’avance. Le capitalisme financiarisé avait gagné et la fin de l’histoire était actée. Chaque pays devait se spécialiser à raison de ses avantages comparatifs, puis échanger sur le grand marché mondial à l’aide des traités de libre-échange qui mettent à bas les normes et les barrières douanières, et tant pis si la main invisible du marché, avec son cortège d’aberrations sociales et écologiques, mettait en compétition les peuples entre eux : seul comptait l’accaparement des richesses et des profits par la minorité qui détient le capital.

Chaque fois que nous osions remettre en question ce système, on nous riait au nez. Lorsque nous parlions nationalisation ou monopoles d’État, souveraineté coopérante ou projets industriels, nous n’étions pas entendus.

Depuis 1986, cette politique a conduit à privatiser près de 1 500 entreprises en France, dans tous les secteurs, jusqu’à la récente loi Pacte, qui a permis la privatisation d’Engie et de la Française des jeux, sans oublier votre volonté de vous attaquer à Aéroports de Paris.

Pour vous, tout doit être marché, tout doit être profit, tout doit être précaire, comme le disait la patronne du Medef il y a quelques années.

Pour rivaliser avec les autres pays, vous nous répétiez qu’il n’y avait qu’une solution : casser le code du travail, allonger la durée du temps de travail, faire sauter le SMIC, étouffer les syndicats, bloquer les salaires, faire travailler les salariés plus longtemps et, surtout, aider les entreprises.

M. Michel Canevet. Et les salariés !

M. Fabien Gay. Des aides, beaucoup d’aides, trop d’aides : crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, crédit d’impôt pour la recherche, exonérations de cotisations sociales… tout cela sans contreparties sociales ni environnementales. On a vu le résultat, jusqu’à l’aberration : un groupe tel que Michelin reçoit des dizaines de millions d’euros au titre du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) pour une usine en France, mais s’en sert pour acheter des machines destinées à ses unités de production du sud ou de l’est de l’Europe.

Mais voilà, malheureusement, il y a eu la crise du Covid-19. Outre les milliers de victimes qu’elle a causées, à qui vont nos pensées, cette crise a révélé nos insuffisances. Nous ne savons plus produire certains biens, y compris des biens de première nécessité. Imaginons un seul instant notre réaction si l’on nous avait dit, il y a seulement quelques semaines, que, dans la sixième puissance mondiale, des équipes soignantes seraient réduites à découper des sacs poubelles pour s’en servir en guise de surblouses… Oui, la « start-up nation » a montré son incapacité à protéger les Français !

Alors que des questions se posent à nouveau avec force, nous voulons prendre toute notre place dans ce débat. Nous proposons un autre chemin : il s’agit de s’appuyer sur la relocalisation et la nationalisation de pans entiers des secteurs stratégiques, afin d’amorcer la nécessaire transition écologique et de sécuriser ainsi nos vies et la planète.

Commençons donc par ne pas renouveler les erreurs du passé. Pourquoi, madame la secrétaire d’État, prêter sans contrepartie 7 milliards d’euros à Air France, qui annonce en même temps un plan de restructuration faisant planer une sérieuse menace sur sa filiale Hop ? Trouverons-nous normal de prêter 5 milliards d’euros à Renault sans prise de participation dans cette entreprise, qui laisse planer une menace de fermeture sur quatre usines représentant 3 200 emplois, sans parler des dégâts auxquels cela conduirait dans la sous-traitance ?

Nous proposons donc d’interdire en urgence les licenciements, comme en Espagne, pour éviter un massacre social. Mais, vous nous l’avez dit, vous ne souhaitez pas le faire. Alors, mettons-nous d’accord a minima : il est urgent de revenir sur l’autorisation administrative de licenciement en période de crise, mesure qui n’a jamais créé les centaines de milliers d’emplois annoncés. Il est aussi urgent de revenir sur les décrets Macron de 2017 pour aboutir à une conception plus protectrice des licenciements économiques.

Nous vous proposons ensuite de prolonger d’urgence le dispositif de chômage partiel pour tous les secteurs jusqu’au 31 décembre et de soumettre les aides et les prêts garantis par l’État à des critères sociaux et environnementaux. Les prêts aux grandes entreprises doivent être convertis en montées au capital ou en nationalisations.

Ensuite, à court terme, il faudra renforcer le décret Montebourg et étendre la liste des secteurs stratégiques, par exemple au secteur du médicament ou à celui des banques et des assurances, dont on a vu le rôle dans cette crise.

À l’occasion du renouvellement ministériel qui s’annonce, il faudra nommer un ou une ministre de l’industrie, ayant pour mission de mener une réflexion sur les relocalisations à moyen et long terme. Cela doit s’accompagner d’un changement de paradigme : le prix ne peut plus être le seul critère. Il faut inclure un critère social, lié au niveau de vie, en prenant en compte les services publics, ainsi qu’un critère environnemental. Des outils de régulation – quotas d’importation, barrières douanières et taxe carbone aux frontières européennes – doivent être discutés sereinement entre nous.

La crise sanitaire a mis en évidence la nécessité absolue de produire en France du matériel médical et sanitaire. Alors, agissons dès à présent pour construire le pôle public du médicament et posons la question de la nationalisation de Sanofi, entreprise dont le chiffre d’affaires dépend, en France, à 80 % de la sécurité sociale et qui bénéficie de dizaines de millions d’euros d’aides. Si une crise sanitaire ressurgit, il faut que nous puissions produire de quoi sauver des vies en France et en Europe ; ce sujet ne peut plus être tabou.

En conclusion, deux secteurs nous apparaissent prioritaires : ceux de l’énergie et des transports.

Il faut revenir sur la privatisation d’Engie, annuler le projet Hercule, qui vise à scinder EDF en deux entités, réfléchir à la création d’un pôle public de l’énergie qui garantirait un prix à l’usager et amorcer ainsi la transition écologique.

Enfin, nous sommes heureux que l’on reparle du fret ferroviaire. Il importe de revenir sur le pacte ferroviaire adopté ici même il y a deux ans, de renoncer à vendre Alstom à Siemens pour des raisons financières et de réfléchir à un projet industriel du XXIe siècle en vue de construire le train du futur, un train plus rapide, plus efficace, plus écologique.

Voilà les quelques pistes que nous soumettons au débat : nous allons continuer, avec vous, à construire un véritable plan de relance incluant nationalisations et relocalisations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le dire est désormais un lieu commun : la crise du coronavirus constitue un choc d’une rare violence. La crise n’est pas seulement sanitaire ; elle est aussi économique et géopolitique. Tous ces aspects sont étroitement liés.

Le choc de la crise a obligé tous les pays à réagir très vite, rarement de façon coordonnée, en mobilisant leur système de santé et leur tissu économique. Nul n’était prêt à faire face à ce virus. Tous les gouvernements ont été confrontés à une même réalité : le monde est interdépendant.

Des crispations sont apparues, car le temps est passé où l’État disait et l’administration suivait. Nous n’avons pas renoncé à notre souveraineté ; simplement, les temps ont changé. On ne peut pas construire la souveraineté nationale au XXIe siècle comme on le faisait au siècle dernier.

Le débat d’aujourd’hui porte sur la relocalisation des productions stratégiques.

Je veux commencer mon propos par une clarification : la crise du Covid-19 n’est pas une crise de la mondialisation. La mondialisation n’est pas la cause de la crise ; celle-ci n’en a pas non plus montré les limites. Ne cédons pas aux discours simplistes !

La mondialisation des échanges profite aux producteurs comme aux consommateurs. Ce n’est pas l’interdépendance qui pose problème, mais la seule dépendance.

De ce point de vue, la théorie économique et le bon sens paysan convergent : il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Nous ne devons pas jouer l’économie de marché mondialisée contre la souveraineté nationale : la seconde ne s’acquiert que par la première. L’histoire l’a déjà prouvé et le prouvera encore. Pour ceux qui en douteraient encore, il suffit de penser aux deux plus grandes économies mondiales. Les États-Unis comme la Chine ont acquis leur puissance par l’économie de marché et le commerce international. Dans les deux cas, malgré des trajectoires totalement différentes et même opposées, l’ouverture à l’international constitue la clé de la puissance.

Toutefois, ces deux exemples nous incitent aussi à ne pas faire preuve de naïveté en matière de souveraineté. Il faut confronter la théorie économique au principe de réalité. Ici encore, les exemples des États-Unis et de la Chine sont révélateurs. D’un côté, la Chine, le plus libre-échangiste des pays communistes, se développe par un capitalisme d’État qui veille surtout aux intérêts nationaux, quitte à verrouiller son marché intérieur. De l’autre, les États-Unis, le plus interventionniste des pays libéraux, n’hésitent pas à lancer des offensives contre certains pays, parfois même alliés, pour assurer leur souveraineté nationale.

Dans les deux cas, de grands groupes privés agissent comme les bras armés d’un pouvoir politique. Je ne pense pas que nous devions suivre leur modèle, mais je sais aussi que nous ne devons pas en subir les conséquences. Nos valeurs doivent non pas nous affaiblir, mais nous renforcer.

En effet, nos entreprises sont l’objet de convoitises étrangères. C’est le cas de nombreux fleurons industriels français. Nous devons faire preuve de lucidité, car un rachat par une entreprise étrangère peut nuire à nos intérêts stratégiques. Je pense au rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric au regard de la maintenance de nos réacteurs nucléaires.

Je tirerai de ces exemples trois leçons pour la préservation de nos intérêts stratégiques.

D’abord, la souveraineté passe par le maintien sur le territoire national des centres de décision plus que des unités de production. Il faut miser sur les activités à forte valeur ajoutée pour peser sur les décisions stratégiques.

Ensuite, pour défendre nos valeurs de liberté et d’innovation, mieux vaut miser sur les forces du marché que sur une économie administrée. C’est dans cette logique que doit s’inscrire notre politique économique.

Enfin, pour peser face aux géants, la France a besoin de l’Europe. La révolution numérique a fluidifié les échanges et les communications. Nous devons miser sur notre capital humain et encourager la circulation des talents et des idées à l’échelle européenne.

Il s’agit donc d’adapter le projet humaniste qui se trouve au fondement du rêve européen à la réalité du XXIe siècle. Cela passe notamment par la révision de nos règles de concurrence, afin de favoriser l’émergence de géants européens. Nous avons besoin de nouveaux groupes du type d’Airbus dans plusieurs secteurs.

Mes chers collègues, l’esprit français est toujours tiraillé entre des instincts contraires. Comme nous avons eu Voltaire contre Rousseau, nous avons eu Turgot contre Colbert. L’un et l’autre peuvent nous inspirer utilement, les deux continuent de nous tirailler.

Nous avons besoin d’entreprises françaises aussi fortes qu’indépendantes. Cela nous oblige à faire preuve de réalisme et de détermination face aux puissances étrangères prédatrices de nos fleurons industriels.

Des solutions existent pour protéger nos entreprises sans que l’État contrôle l’économie. Par exemple, instaurer la taxe carbone aux frontières permettrait à nos entreprises d’être sur un pied d’égalité avec leurs concurrentes étrangères, et ce sans nuire à la dynamique du marché.

Notre souveraineté ne passera pas par le recours à une économie administrée. Laissons les énergies s’exprimer dans tous les territoires. Laissons parler Turgot !