compte rendu intégral

Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Annie Guillemeot,

M. Michel Raison.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

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Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à apporter un cadre stable d'épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français
Discussion générale (suite)

Mineurs vulnérables sur le territoire français

Adoption d’une proposition de loi modifiée

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à apporter un cadre stable d'épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, la discussion de la proposition de loi visant à apporter un cadre stable d’épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français, présentée par Mme Josiane Costes (proposition n° 311, résultat des travaux de la commission n° 449, rapport n° 448, avis n° 450).

Je rappelle que notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars dernier. L’hémicycle fait l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection avant et après chaque séance. Les micros seront désinfectés après chaque intervention.

J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité. Les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.

Tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Josiane Costes, auteure de la proposition de loi.

Mme Josiane Costes, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame, monsieur les rapporteurs, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que nous puissions discuter aujourd’hui de ce sujet vital et qu’il n’ait pas été remis à plus tard du fait de la crise sanitaire qui a touché notre pays.

Au contraire, comme l’ont souligné nombre d’observateurs, et notamment le Défenseur des droits, le confinement a rendu les inégalités familiales plus perceptibles. Le déconfinement représente également un nouvel enjeu pour les services sociaux après deux mois de liens distendus avec les mineurs placés.

À l’issue de mon expérience de professeur et à la suite des auditions et des visites que j’ai eu l’occasion de mener en tant que sénatrice, cette proposition de loi s’adresse à deux types de vulnérabilités chez l’enfant : la première est liée à de graves dysfonctionnements de la cellule familiale dans laquelle naît l’enfant, et concerne des mineurs de toutes tranches d’âge ; la seconde est plus récente et résulte de l’isolement d’adolescents envoyés en France à la suite d’un projet familial construit autour d’eux et pour eux.

Ces deux cas de figure ont en commun de bouleverser le développement de l’enfant, en le mettant face à des choix ou des responsabilités inadaptés à la maturité communément admise à son âge.

Ces deux types de vulnérabilités présentent également des défis inégaux dans nos départements, dont nous connaissons les limites budgétaires. Inévitablement, les déséquilibres démographiques de notre territoire se traduisent également par des dépenses très variables d’un département à un autre.

À l’échelle nationale, les besoins de la protection de l’enfance n’ont cessé de croitre ces dernières décennies, à la fois parce que nos exigences de protection ont augmenté, ce qui est positif, mais également en raison de l’émergence de nouveaux profils de mineurs vulnérables, tels les mineurs isolés étrangers que j’évoquais. Ils seraient près de 40 000 aujourd’hui, pour 300 000 enfants concernés par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Il me paraît nécessaire que nos institutions s’adaptent à cette réalité sociale que nous ne pouvons continuer d’ignorer.

En formulant ces propositions, nous nous sommes donc attachés à nous départir de tout dogmatisme et à ne pas juger les circonstances qui ont produit ces vulnérabilités, mais simplement à constater leur existence et à tenter de concevoir les outils pragmatiques destinés à pallier chacune d’entre elles.

« L’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies », écrivait Tocqueville. Nombre de ces propositions reprennent des pistes déjà évoquées dans le passé, en les approfondissant et en les associant pour former une stratégie cohérente autour du renforcement du recours à l’adoption simple, au cœur du dispositif, à l’article 3.

Jusqu’à présent, la politique française de l’aide sociale à l’enfance s’articule autour d’une alternative qui ne me paraît satisfaisante : soit la préservation des liens biologiques exclusifs, soit l’adoption plénière et l’effacement de ces mêmes liens biologiques. Cette dichotomie forte me semble de nature à accroître le dilemme des adultes accompagnant l’enfant – juge, assistant social et conseil de famille.

Pour une raison qui m’échappe, l’adoption simple continue d’être très peu proposée, alors qu’elle existe depuis 1804.

La loi de 2016 l’a récemment réformée pour prévoir qu’elle ne peut être révoquée qu’à la majorité de l’individu. Contrairement à l’adoption plénière, le lien avec la famille biologique est donc maintenu : l’adopté peut en conserver le nom, auquel s’ajoute celui de la famille adoptante. La famille biologique d’origine conserve d’ailleurs l’obligation de le nourrir dans le cas où la famille adoptante ne pourrait plus le faire. Pour le parent biologique, cette solution pourrait s’avérer moins déchirante et permettre une meilleure coopération avec les services sociaux.

Qui plus est, l’adoption simple permet d’établir des liens juridiques plus durables et plus étoffés qu’avec une famille d’accueil rétribuée ou un tiers digne de confiance dont l’enfant ne porte pas le patronyme et qui ne se double pas nécessairement d’une délégation de l’autorité parentale. La superposition de liens biologiques et de nouveaux liens affectifs me paraît être la plus à même de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant. Enfin, parce qu’elle repose sur la gratuité, elle se révèle également relativement économique.

Les articles 1er à 4 s’inscrivent dans la logique de recherche d’une plus grande stabilité pour l’enfant, cette même logique qui avait prévalu en 2016 avec la redéfinition du projet pour l’enfant et l’inscription de la recherche de stabilité au sein des missions de l’ASE. Il s’agit en particulier d’adapter les procédures à l’âge de l’enfant, en fonction du risque d’impact pour son développement, et de lui apporter le plus rapidement possible une solution stable, qui ne soit pas totalement excluante pour la famille biologique.

Madame, monsieur les rapporteurs, je comprends la prudence, faute de données suffisantes sur les évolutions de la loi de 2016. J’espérais justement que cette initiative permettrait d’en obtenir davantage.

Dans cette proposition de loi, les mineurs isolés étrangers prennent une place particulière. Comme je l’évoquais à l’instant, au regard des données disponibles, leur situation semble différente de celle des autres mineurs concernés par l’ASE.

Il est vrai que le parcours migratoire de ces adolescents peut les amener à une maturité plus précoce que des enfants élevés dans des cadres protecteurs, ce qui justifie, pour certains, de ne pas les prendre en charge. D’une certaine manière, leur situation se rapproche de celle des jeunes majeurs issus de l’ASE que notre proposition de loi prévoit également de mieux accompagner.

Nous savons que la majorité est une fiction législative, qui est d’ailleurs passée de 21 ans à 18 ans en 1974 par la seule volonté du législateur. Ainsi, au regard de notre droit, nous ne pouvons nous dispenser de les considérer encore comme des enfants et de leur offrir la protection que la minorité garantit, sauf à introduire des ruptures d’égalité fondées sur le seul critère de nationalité, ce qui n’est pas acceptable.

Nous savons aujourd’hui que notre inaction les expose à des réseaux, à de la violence, et que leur errance nourrit un climat d’insécurité qui ne convient à aucun d’entre nous. En particulier, leur difficulté à ouvrir un compte bancaire renforce leur vulnérabilité, en les contraignant à conserver leur argent liquide avec eux. L’un d’entre eux est mort en février dernier en tentant de conserver son pécule.

Tous ceux qui ont accompagné ces jeunes savent à quel point la reconnaissance est un vecteur vertueux d’intégration. C’est la raison pour laquelle je propose quelques simplifications administratives destinées à leur permettre de s’insérer plus facilement dans notre société.

Je ne néglige pas l’importance de l’effort budgétaire que ces mesures représentent pour nos concitoyens. Mais je pense que la société s’enrichirait de la sensibilité de ces jeunes aux parcours moins rectilignes que bon nombre d’entre nous et que nous avons beaucoup à apprendre de leur résilience. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC, SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les sujets abordés par la proposition de loi que nous examinons sont tous d’actualité. Notre collègue Josiane Costes participe ainsi à une large réflexion menée sur la politique publique en matière de protection de l’enfance, dont chacun s’accorde à dire qu’elle doit être améliorée.

De nombreux travaux ont été publiés au cours des derniers mois. Je citerai le rapport sur l’adoption de notre collègue Corinne Imbert et de la députée Monique Limon, remis en octobre 2019, ou encore l’avis du Comité consultatif national d’éthique publié le 7 mai dernier.

De son côté, le Gouvernement – au travers de votre action, monsieur le secrétaire d’État – a lancé une stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance pour les années 2019-2022, principalement fondée sur une contractualisation pluriannuelle entre l’État et les départements. Elle comprend aussi un volet qui devrait être mis en œuvre par voie législative, en particulier sur l’adoption.

Monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous faire un point sur son calendrier ?

Par ailleurs, la crise du Covid-19 et le confinement qui s’est ensuivi ont mis en lumière avec acuité la difficile situation des enfants victimes de violences intrafamiliales et de ceux qui vivent dans des foyers de l’aide sociale à l’enfance ou dans des familles d’accueil.

La proposition de loi se fonde sur un certain nombre de constats et d’objectifs partagés par les auteurs des travaux précédemment évoqués et comprend de nombreuses mesures. Toutefois, il nous a semblé que le texte initial n’apportait pas de réponse suffisamment efficace et globale aux problèmes actuels. C’est la raison pour laquelle la commission des lois n’a pas adopté de texte.

Les articles 5, 6 et 9 ont été délégués au fond à la commission des affaires sociales.

Les articles 1er et 2 visent à accélérer la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental dans le but d’offrir, le plus tôt possible, une prise en charge pérenne des enfants, via l’adoption.

L’article 1er permettrait de constater le délaissement, au bout de six mois seulement, et non plus un an, pour les enfants âgés de moins de 3 ans. L’article 2 supprimerait l’obligation préalable de proposer des mesures de soutien appropriées aux parents. Il imposerait également aux tribunaux judiciaires de statuer dans un délai de deux mois, réduit à un mois si l’enfant a moins de 3 ans, à compter du dépôt de la requête.

La commission des lois a jugé trop hâtif le postulat selon lequel accélérer la procédure de délaissement parental améliorerait automatiquement l’adoptabilité des enfants. Tous les enfants délaissés ne deviennent pas pupilles de l’État et tous les pupilles de l’État ne sont pas nécessairement adoptables.

Par ailleurs, le délai d’un an pour constater le délaissement semble raisonnable au regard des difficultés que traversent les familles concernées. Devoir proposer aux parents des mesures de soutien appropriées pendant cette période est respectueux de l’article 18 de la Convention internationale des droits de l’enfant et permet de mieux caractériser ensuite l’absence d’implication des parents.

Enfin, contraindre les juges à statuer dans un délai de deux mois ou d’un mois ne semble ni réaliste ni souhaitable, en raison de la complexité des enjeux de ces dossiers et de la nécessité de procéder à des investigations.

Notre collègue Josiane Costes propose une nouvelle rédaction de l’article 3 relatif au procès-verbal de remise d’un enfant par ses parents au service de l’ASE qui nous semble pouvoir être adoptée. Nous l’examinerons tout à l’heure.

L’article 4 tend à rendre plus difficile la reprise d’un enfant placé sur l’initiative de l’un ou de ses deux parents auprès des services de l’ASE pendant la période de réflexion de deux mois qui leur est accordée. Deux formalités seraient imposées : un entretien avec le tuteur et la convocation du conseil de famille, dont il n’est pas précisé s’il aurait la possibilité de s’opposer à la restitution de l’enfant.

Ce dispositif nous a paru susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux droits des parents de mener une vie familiale normale. La durée de réflexion est déjà suffisamment brève sans qu’il soit besoin d’y ajouter des obstacles.

L’article 7 vise à étendre à tous les départements la validité de l’agrément délivré pour l’adoption des pupilles de l’État par un président de conseil départemental. Il est à craindre que la multiplication des candidatures enregistrées auprès des conseils départementaux n’aboutisse à une surcharge administrative pour leurs services.

Mieux vaudrait faciliter les échanges au niveau national entre conseils départementaux, en particulier lorsqu’il s’agit d’enfants dits « à besoins spécifiques », c’est-à-dire porteurs de pathologies ou de handicaps, plus âgés ou encore membres de fratries, qui représentent près de la moitié des pupilles de l’État, mais qui correspondent rarement aux attentes des parents candidats à l’adoption. Notre collègue Josiane Costes propose d’ailleurs un amendement visant à asseoir juridiquement un fichier national des agréments qui semble intéressant.

L’article 8 vise à créer un mécanisme de coordination en matière de parrainage d’enfants étrangers. Mais la commission des lois a relevé diverses difficultés, dont une absence de définition légale du « parrainage » international.

L’article 10 vise à instaurer une présomption de désintérêt à l’égard des parents de mineurs étrangers arrivés sur le territoire national et qui s’y trouveraient isolés pour faciliter la délégation de leur autorité parentale.

Outre que les textes en vigueur permettent déjà au juge de prononcer une délégation d’autorité parentale pour un mineur isolé étranger quand c’est nécessaire, ce dispositif nous est apparu attentatoire aux droits des parents de ces enfants, qui souvent suivent de près le parcours migratoire de leur enfant et ne sont pas tous délaissants.

L’article 11 tend à permettre l’attribution automatique de la nationalité française au mineur adopté en forme simple, donc dans les mêmes conditions que celles actuellement prévues pour l’adoption plénière. Cette nouvelle modalité d’octroi de la nationalité ne semble pas nécessaire pour faciliter l’intégration de ces mineurs, qui disposent d’une voie spéciale d’accès à la nationalité. De plus une telle mesure opèrerait un renversement très important de notre droit et modifierait la nature même de l’adoption simple.

L’article 12 vise à transférer au juge des enfants la compétence pour statuer sur une mesure de délégation d’autorité parentale à un tiers concernant les mineurs isolés étrangers.

Toutefois, le juge aux affaires familiales est le juge naturel de l’autorité parentale. La commission des lois n’a pas trouvé opportun de prévoir une dérogation qui serait limitée à un seul groupe d’enfant – les « mineurs isolés » – et dans le cadre d’une seule procédure, celle qui est relative à l’autorité parentale.

L’article 13 concerne le « droit au compte en banque » de tout mineur étranger dont les parents ne résident pas sur le sol français. L’auteure de la proposition de loi propose une nouvelle rédaction à laquelle la commission est favorable ; nous le verrons tout à l’heure.

L’article 14 vise à prévoir la délivrance obligatoire d’un « certificat d’authentification de titre d’identité » par les services de douanes lors d’un premier contrôle, pour simplifier les démarches administratives des mineurs isolés étrangers. Ce dispositif est très innovant, mais il ne semble ni opérationnellement possible, ni juridiquement souhaitable.

En tout état de cause, le droit existant prévoit déjà, en cas de doute sur l’état civil d’un mineur non accompagné confié à l’aide sociale à l’enfance, qu’il appartient au préfet de renverser par tous moyens la présomption de validité qui bénéficie aux actes d’état civil étrangers.

L’article 15 tend à faciliter l’admission exceptionnelle au séjour des mineurs isolés qui ont été recueillis par l’ASE après leurs 16 ans et intégrés dans des cursus professionnalisants. Il ne nous semble pourtant pas opportun de supprimer le caractère exceptionnel de la délivrance de ce type de titres, ni de dispenser ces mineurs de la condition de suivre une formation d’au moins six mois.

L’admission exceptionnelle au séjour doit rester une compétence discrétionnaire du préfet, limitée et appréciée au cas par cas en fonction des perspectives concrètes d’intégration des enfants étrangers concernés.

La commission des lois vous invite donc à adopter les articles 3 et 13, au bénéfice des amendements proposés par notre collègue Josiane Costes, qui en a utilement retravaillé la rédaction ; nous pourrons également adopter deux articles additionnels. En revanche, la commission des lois vous proposera de supprimer ou ne pas adopter les autres articles de cette proposition de loi.

À titre personnel, je souhaiterais souligner qu’un point me semble particulièrement bloquant pour réformer le droit existant : notre manque de recul sur les différents dispositifs en place et leurs effets à long terme, comme l’a rappelé Mme Costes à l’instant.

Il n’y a pas assez de connaissances chiffrées et de travaux de recherche menés dans la durée sur des cohortes d’enfants – ce qu’on appelle des études longitudinales. Il est très difficile de connaître de manière statistique et qualitative les parcours en protection de l’enfance des enfants, pour comprendre les conséquences de telle ou telle décision les concernant, notamment en termes de délinquance ou de scolarité. Nous ne connaissons malheureusement que les cas qui se sont très mal passés.

Pour conclure, je rappellerai les propos de la présidente du groupement d’intérêt public, le GIP, Enfance en danger, propos qui me semblent très vrais : « L’indignation et les émotions suscitées par toutes les situations difficiles vécues par les enfants de la protection de l’enfance constituent des moteurs puissants de l’action, mais il est malgré tout nécessaire de leur adjoindre connaissances et méthodes ».

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Josiane Costes, dont je salue le travail et l’engagement sans faille sur le sujet des mineurs vulnérables, nous permet aujourd’hui de discuter de la protection de l’enfance qui doit retenir toute notre attention, en particulier dans le contexte actuel de pandémie.

La commission des affaires sociales a examiné au fond les articles 5 6 et 9 qui concernent l’aide sociale à l’enfance, dont les services sont de plus en plus sollicités. Le nombre de mesures de suivi a augmenté de plus de 30 % en vingt ans : 344 000 mesures d’ASE étaient ainsi en cours auprès des mineurs et jeunes majeurs en 2017, dont la moitié pour un placement.

En outre, la crise sanitaire rappelle la nécessité de mieux protéger les enfants, en particulier contre les violences intrafamiliales auxquelles ils sont davantage exposés depuis le confinement.

Cette situation nous impose de renforcer la prévention et la prise en charge des mineurs vulnérables, dont ceux qui sont victimes de maltraitance ou de carences éducatives. Il existe malheureusement une certaine hétérogénéité dans l’accompagnement des mineurs et jeunes majeurs par l’ASE selon les départements, bien souvent par manque de moyens.

C’est ce que j’ai pu constater en examinant l’article 6 de cette proposition de loi, qui propose de rendre obligatoire la prise en charge par l’ASE de mineurs émancipés et de majeurs de moins de 21 ans en situation de vulnérabilité. Cet accompagnement, qui prend aujourd’hui la forme d’un contrat jeune majeur, est à l’appréciation des conseils départementaux.

La commission a émis plusieurs réserves sur la mesure proposée, qui risque de créer d’importantes dépenses non compensées pour les départements, au risque de diluer les moyens consacrés à l’ASE. Par ailleurs, il apparaît préférable de conserver une forme de souplesse pour l’accompagnement des jeunes majeurs selon les besoins de chacun : tous les jeunes majeurs suivis par l’ASE n’ont pas forcément besoin d’un accompagnement jusqu’à 21 ans et n’en ont pas forcément le souhait.

Par contre, un travail sur la lutte contre les sorties sèches de l’ASE, comme s’y emploie le Gouvernement, en lien avec les départements, nous paraît préférable à l’instauration d’une obligation.

L’article 9 propose quant à lui que les allocations familiales dues au titre d’un enfant confié à l’ASE ne puissent être maintenues que partiellement à la famille, sur décision du juge.

Je rappelle que le principe posé par la loi est celui du versement aux services de l’ASE des allocations familiales dues au titre d’un enfant placé. Toutefois, pour les situations de placement judiciaire, la loi prévoit que le juge peut décider de maintenir ses allocations à la famille si cette dernière participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter son retour dans le foyer. Le maintien des allocations à la famille est donc laissé à l’appréciation du juge.

En pratique, il ressort des quelques chiffres obtenus qu’il n’est pas systématiquement dérogé au principe du versement à l’ASE.

Des chiffres communiqués par le Gouvernement en 2016 faisaient état d’un versement à l’ASE dans 45 % des cas et d’un maintien des allocations familiales à la famille dans 55 % des cas. Dans certaines situations, il ne paraît pas opportun de retirer ces allocations à la famille. Je pense, par exemple, aux placements en urgence de courte durée, aux placements au titre de l’enfance délinquante, ou encore aux familles nombreuses où des liens sont encore maintenus avec l’enfant.

Pour ces raisons, la commission a considéré qu’il était préférable de laisser au juge une certaine marge d’appréciation pour s’adapter aux différentes situations familiales.

Au total, il me semble qu’un certain équilibre soit opéré entre maintien et retrait des prestations aux familles ayant un enfant placé. À cet égard, je rappelle que l’allocation de rentrée scolaire, depuis la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, est non plus versée à la famille de l’enfant confié à l’ASE, mais reversée à cet enfant sous la forme d’un pécule lorsqu’il atteint sa majorité.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des affaires sociales n’a pas adopté les articles 5 6 et 9 de la proposition de loi. Nous entamons donc notre discussion sur la base du texte initial déposé par notre collègue Josiane Costes. L’examen de cette proposition de loi est aussi l’occasion d’échanger sur les voies d’amélioration de la protection de l’enfance qui connaît encore de trop nombreuses insuffisances.

Monsieur le secrétaire d’État, vous pourrez certainement nous préciser les mesures en cours de déploiement en faveur des mineurs en danger dans le cadre de la stratégie pour la protection de l’enfance mise en place par le Gouvernement à l’automne dernier.

Vous pourrez aussi nous indiquer quelles mesures sont engagées ou envisagées pour soutenir les acteurs de la protection de l’enfance, en particulier les familles d’accueil, dans le contexte de la crise sanitaire. Nous devons leur apporter sans tarder les moyens de poursuivre leur mission pour protéger et accompagner les mineurs vulnérables.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure, madame Costes, mesdames, messieurs les sénateurs, « Il y a toujours, dans notre enfance, un moment où la porte s’ouvre et laisse entrer l’avenir », écrivait Graham Greene. Ces mots me semblent en parfaite résonance avec l’objet de cette proposition de loi.

Cette discussion sera au moins l’occasion, et je vous en remercie, de mettre dans la lumière ces enfants, ces jeunes pour lesquels les portes restent trop souvent fermées. Je sais, madame la sénatrice, que ce sujet vous tient particulièrement à cœur.

Il fera forcément écho dans votre assemblée où siègent non seulement de nombreux anciens présidents ou présidentes, vice-présidents ou vice-présidentes de conseils départementaux qui ont œuvré, sur leurs territoires, pour protéger au mieux les enfants et les jeunes les plus vulnérables, mais aussi d’anciens ministres chargés de dossiers relatifs à l’enfance, comme le président Bas, qui a porté la loi du 5 mars 2007, et Laurence Rossignol, qui, s’appuyant sur le travail remarquable des sénatrices Meunier et Dini, a défendu la loi du 14 mars 2016. Je veux enfin citer les initiatives et travaux menés par la sénatrice Imbert – bien évidemment, j’y reviendrai – et par le sénateur Iacovelli, au printemps 2019.

Nous avons tous, collectivement, un devoir de protection vis-à-vis de ces jeunes dont la trajectoire de vie est plus difficile, et parfois dramatique. C’est la mission de notre service public d’aide sociale à l’enfance, avec près de 340 000 enfants et jeunes accompagnés dans des lieux d’accueil, au domicile familial.

C’est ici pour moi l’occasion de saluer une nouvelle fois publiquement l’engagement des élus départementaux et de l’ensemble de leurs équipes, mais aussi des travailleurs sociaux, des assistants familiaux, des associations, des établissements et des services. Ces derniers sont quotidiennement auprès de nos enfants et ils l’ont été plus encore au cours de cette crise.

Toutefois, outre assurer leur protection et leur sécurité, nous devons aussi les accompagner vers l’autonomie. C’est d’ailleurs, madame la sénatrice, ce à quoi vous faites explicitement référence dans le titre de votre proposition de loi, avec les termes « épanouissement » et « développement ».

Quand on regarde certaines études, certaines enquêtes, on s’aperçoit, par exemple, dans certains territoires, que 40 % des enfants placés ont un parent qui a lui-même été placé. Quand on sait que 25 % des jeunes sans domicile fixe ont eu, à un moment de leur vie, un parcours à l’aide sociale à l’enfance, que 20 % des adultes qui sont en détention ont aussi connu l’aide sociale à l’enfance, on comprend que nous sommes encore loin d’avoir brisé ce qui semble s’apparenter à une chaîne de fatalité.

En réalité, ces enfants et ces jeunes protégés ne demandent qu’à être des enfants comme les autres et à être considérés comme tels, rien de plus, rien de moins. J’en suis convaincu. C’est tout ce qu’ils nous demandent, et c’est tout ce que nous leur devons.

C’est tout le sens de l’action que je mène depuis seize mois. Dès ma nomination, comme l’ont rappelé les rapporteurs, j’ai engagé une large concertation avec l’Assemblée des départements de France, l’ensemble des acteurs associatifs et institutionnels : six groupes de travail ont été installés pour aboutir, quatre mois plus tard, à une stratégie de prévention et de protection de l’enfance. Naturellement, il n’est pas totalement innocent d’avoir intégré la notion de prévention dans le titre et au cœur de cette stratégie pour les trois prochaines années.

Cette stratégie porte la volonté d’un partenariat renouvelé entre l’État et les collectivités départementales, qui sont chefs de file de la protection de l’enfance depuis les lois de décentralisation. C’est la raison pour laquelle j’ai défendu, à l’instar de ce qui avait été élaboré pour la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté définie par le Président de la République et le Gouvernement en septembre 2018, une contractualisation sur la base d’engagements communs réciproques, fondée sur quatre objectifs.

Il s’agit, tout d’abord, d’agir le plus précocement possible pour répondre aux besoins des enfants et de leur famille, car le volet de la prévention est insuffisant dans notre pays, en particulier dans le champ social.

Ensuite, il convient de sécuriser les parcours des enfants protégés et de prévenir les ruptures de vie, entraînées parfois par le système lui-même, ce qui peut, dans certains cas, s’apparenter à une forme de maltraitance institutionnelle inadmissible.

Par ailleurs, il faut donner aux enfants les moyens d’agir et de garantir leurs droits. La pleine participation de ceux-ci à l’élaboration de cette politique publique dans nos instances de gouvernance doit être un objectif, tout comme leur pleine participation à leurs conditions concrètes de vie dans leurs établissements, leurs familles, les conseils de la vie sociale.

Enfin, il est nécessaire de préparer leur avenir et de sécuriser leur vie d’adulte, en articulation, j’y reviendrai, avec les mesures de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, laquelle, dès avant ma nomination, prévoyait de s’attaquer à la question des sorties dites sèches.

J’ai proposé cette démarche à l’ensemble des départements. En un mois, plus de 60 % d’entre eux ont répondu favorablement, avec des propositions très concrètes et des projets très élaborés, sur les volets relatifs tant à la prévention – je pense notamment à la protection maternelle et infantile (PMI), qui faisait partie d’ailleurs des « obligations » proposées au département, car nous avons besoin de renforcer ce formidable outil – qu’à la protection de l’enfance – je pense en particulier à l’accompagnement médico-social des enfants de l’aide sociale à l’enfance. Vous le savez, en France, plus de 20 % de ces enfants bénéficient d’une reconnaissance par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), c’est-à-dire qu’ils sont en situation de handicap.

Du fait de l’articulation de dispositifs sociaux et médico-sociaux, dans notre pays qui affectionne le fonctionnement en silo, un certain nombre d’usagers, dont la situation est au croisement de différentes politiques publiques, tombent dans le trou qui sépare les dispositifs. D’ailleurs, la période de confinement et de crise dont nous sortons progressivement a mis à l’épreuve ce défaut d’articulation. Elle a imposé aux acteurs d’être particulièrement créatifs pour assurer une continuité de prise en charge. Chacun a dû faire montre d’adaptation et de créativité.

Quoi qu’il en soit, il y a mieux et plus à faire. Cet aspect est au cœur de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance que je soutiens et des projets élaborés par les départements, puisque trente d’entre eux engageront cette stratégie dès cette année.

La semaine dernière, Olivier Véran et moi-même avons signé et publié la circulaire fixant le cadre opérationnel des discussions, à l’attention des préfets, des directeurs généraux des ARS et des départements. Elle permettra que soient délégués, de façon très concrète, les 80 millions d’euros que vous aviez votés, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances de 2019. J’espère que l’intégralité des départements suivra, notre stratégie ayant évidemment vocation à s’étendre partout.

Malgré la crise sanitaire que nous traversons encore et face à laquelle les départements restent en première ligne, la contractualisation est d’ores et déjà relancée, car il y avait urgence à agir.

Contrairement à ce que certains feignent de croire, cette stratégie nationale ne se résume pas à une démarche partenariale. Dans le prolongement des réflexions et travaux menés par le passé, je souhaite que nous réformions en profondeur la gouvernance des politiques de protection de l’enfance, en nous interrogeant notamment à l’échelon national sur leur pilotage insuffisant, en dépit de la création du Conseil national de la protection de l’enfance en 2016. En effet, le regroupement et le renforcement des institutions existantes restent trop morcelés.

Pour ce faire, j’ai demandé à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de me proposer des scénarios techniques d’évolution sur ce point. J’attends ses conclusions dans les prochaines semaines, la crise sanitaire ayant très légèrement décalé les choses. C’est une priorité, même si ce sujet peut paraître un peu technique. C’est fondamental pour la conduite de nos politiques publiques de protection de l’enfance, notamment pour garantir l’égalité territoriale que vous évoquiez, madame la rapporteure pour avis.

Bien évidemment, la réforme du pilotage local aura des prolongements et des ramifications territoriales. Les observatoires départementaux de la protection de l’enfance, prévus dans la loi de 2007, ne sont pas encore effectifs dans l’ensemble des départements. Les évolutions doivent s’accélérer et le pilotage doit être renforcé au plan local, avec la pleine participation des enfants.

Point important qui me tient à cœur, cette stratégie prévoit également une exigence très forte d’amélioration de la qualité et des contrôles des lieux d’accueil des enfants. Cela doit passer par un renforcement des normes en la matière. Ainsi, il n’existe pas de norme pour ce qui concerne, singulièrement, les taux d’encadrement, ce qui semble étonnant.

Le contrôle n’exclut pas la confiance et les liens, qui doivent être forts entre les départements et les établissements. Au contraire, le contrôle est même une condition de la confiance, pour le bien de nos enfants. C’est la raison pour laquelle j’ai saisi en janvier dernier le Conseil national de la protection de l’enfance pour qu’il puisse me faire, d’ici au mois d’octobre, des propositions d’évolutions législatives et réglementaires visant à mieux définir les taux d’encadrement des enfants dans les lieux d’accueil.

Parallèlement, j’ai demandé à l’ensemble des préfets de me faire remonter, d’ici à l’été, un état des lieux précis des plans de contrôle des structures existantes – cela est prévu dans la loi, mais qu’en est-il dans les faits ? – et des démarches conjointes que peuvent mener État et département quand ils sont face à un dysfonctionnement.

Enfin, sachez que j’ai saisi l’inspection générale des affaires sociales d’une mission de contrôle pour mieux connaître la situation précise des jeunes relevant de l’aide sociale à l’enfance et qui sont actuellement accueillis et hébergés dans des hôtels. Un drame s’est produit en janvier dernier entre deux jeunes dans un hôtel du département des Hauts-de-Seine. Je veux qu’on comprenne ce qui s’est passé. Au-delà, je veux que ce soit l’occasion de connaître le nombre d’enfants logés dans les hôtels. Car nous l’ignorons, et c’est inadmissible. Je veux aussi que nous essayions, ensemble, de trouver des voies de sortie et d’amélioration pour ces situations.

Vous avez évoqué, madame la sénatrice, le sujet des mineurs non accompagnés et des jeunes majeurs. La sécurisation des statuts et des parcours des mineurs non accompagnés, notamment la facilitation de leurs conditions de séjour et de travail, constitue pour moi un point de vigilance, et même d’engagement. Christophe Castaner, Muriel Pénicaud et moi-même y travaillons depuis plusieurs mois. Mes collègues m’ont confirmé leur souhait de faciliter les parcours, en activant de manière prioritaire les outils de droit commun. J’estime en effet que c’est le droit commun qui doit être mobilisé, probablement plus fortement pour ces jeunes.

Je pense notamment au Pacea, le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie, à la garantie jeunes – en la matière, les réflexions se sont élargies, et nous faisons en sorte que les jeunes de l’aide sociale à l’enfance soient au centre de ces dernières – ou au service civique.

Nous souhaitons partir d’expériences territoriales concrètes, identifier et évaluer avant de généraliser. Ainsi, des coopérations ont été engagées dans le Haut-Rhin, entre département, associations, Pôle emploi et les services d’aide à la personne, pour favoriser l’emploi des mineurs non accompagnés qui sont devenus majeurs. Et elles marchent !

Au-delà de la problématique des mineurs non accompagnés, je partage votre préoccupation concernant les jeunes sortant à leur majorité de l’aide sociale à l’enfance. Je le rappelle, l’attention sur ce point s’est traduite, lors de la mise en place de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, par un volet obligatoire de lutte contre les sorties non accompagnées de l’aide sociale à l’enfance, une fois la majorité atteinte. Ainsi, 12 millions d’euros ont été alloués à l’ensemble des départements en la matière. En effet, à deux exceptions près, ces derniers ont contractualisé dans le cadre du plan de prévention et de lutte contre la pauvreté. Ces 12 millions d’euros servent à financer – je vous donnerai des chiffres plus précis tout à l’heure, si vous le souhaitez – le maintien d’un lien – c’est en effet un aspect fondamental – ou un complément pour le logement.

Par ailleurs, sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous expérimentons nationalement avec l’Unhaj, l’Union nationale pour l’habitat des jeunes, un fonds de solvabilisation à destination des jeunes, pour aider ceux-ci à payer leur reste à charge ou leur fournir une avance en attendant des paiements d’aide personnalisée au logement. Je travaille en outre avec Julien Denormandie à affiner les besoins des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance pour ce qui concerne les volets logement et hébergement. Nous le savons tous, créer un droit au logement, qu’il soit ou non opposable, ne le rend pas forcément effectif. Or, ce qui compte, c’est de trouver des dispositifs qui changent véritablement le quotidien de ces jeunes.

Nous faisons le pari de projets et d’expérimentations que nous menons dans les territoires, notamment avec la Banque des territoires, acteur majeur en la matière, qui accompagne des projets de résidences sociales en Rhône-Alpes, à Marseille ou à La Seyne-sur-Mer, qui intègrent spécifiquement des jeunes sortant de l’ASE en France. Il faut bien entendu amplifier ces démarches et sécuriser la situation de ces jeunes.

Il convient également de renforcer, vous l’évoquiez madame la rapporteure pour avis, la connaissance et la bonne appropriation du dispositif de consignation de l’allocation de rentrée scolaire, dispositif prévu et instauré par la loi du 14 mars 2016, soutenu notamment par Laurence Rossignol. Il a concerné l’année dernière plus de 47 000 enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance. Si plus de 3 000 jeunes ont récupéré l’année dernière leur pécule auprès de la Caisse des dépôts et consignations, près de 12 000 jeunes disposant d’un compte n’ont pas, depuis la mise en œuvre du dispositif voilà quatre ans, entamé de démarches. Cet argent dort, alors que, probablement, certains jeunes en ont besoin.

Il faut donc renforcer la connaissance des droits, voire aller vers une automatisation de l’attribution de droits à la majorité. Nous avançons sur ces sujets. Il n’est en effet pas normal que ces droits, qui sont nécessaires, ne soient pas activés.

L’adoption, à laquelle est consacrée une grande partie des articles de cette proposition de loi, fait également partie intégrante de la stratégie que nous sommes en train de déployer. À la suite des conclusions d’une enquête menée par l’IGAS sur l’ensemble de la procédure d’adoption dans le département de Seine-Maritime, vous vous en souvenez probablement, j’ai souhaité faire de ce sujet sublime – je le dis devant Corinne Imbert – une priorité de mon action.

Ce rapport rappelait qu’aucun système discriminatoire systématique n’avait été institutionnalisé – c’était la question qui était posée à l’époque et que se pose encore un certain nombre de nos concitoyens. Toutefois, un ensemble d’usages et de pratiques, comme les propositions d’enfants à des couples homoparentaux ou à des célibataires ou les demandes d’informations, pouvaient, pour leur part, s’avérer discriminatoires. Nous en sommes arrivés là par le biais de procédures d’adoption insuffisamment transparentes, de modes de désignation et de fonctionnement des conseils de famille parfois trop opaques et de l’absence d’outils de pilotage de la politique de l’adoption.

Il fallait ouvrir les portes et les fenêtres, afin que la puissance publique reprenne légitimement la main aux niveaux national et territorial.

L’une de mes premières actions a été d’élaborer une charte de déontologie rappelant certains principes fondamentaux et devant être signée par l’ensemble des membres des commissions d’agrément et des conseils de famille. Ce fut le cas pour chaque conseil de famille entre septembre 2019 et janvier 2020.

Nous ne pouvions évidemment pas nous arrêter là. C’est pourquoi les mesures visant à améliorer l’adoption font partie de la stratégie que je défends. Elles font l’objet d’une mission bipartite avec l’Assemblée des départements de France, qui a été conduite par la sénatrice Corinne Imbert – je la salue et je la remercie encore de son excellent travail – et par la députée Monique Limon.

Vous avez raison, madame la sénatrice, de vouloir agir sur ce sujet, dans la mesure où 50 % des enfants pupilles qui ne sont pas confiés en vue d’adoption ont pourtant un projet d’adoption. Le conseil de famille n’a pas réussi à leur trouver une famille. On le sait, 14 000 familles ont reçu un agrément, alors que seulement 1 500 à 1 600 enfants sont adoptables. Cela signifie qu’il faut attendre dix ans ! Au même moment, des enfants à besoins spécifiques, qu’ils soient en situation de handicap, âgés ou appartenant à une fratrie, ne trouvent pas de famille.

Il faut donc renforcer l’accompagnement des projets d’adoption, en fluidifiant le processus de délaissement, suivant ainsi la voie des sénatrices Rossignol, Meunier et Dini, et mieux accompagner l’adoption simple, je vous rejoins sur cet objectif. Cela relève plus des pratiques, de la formation, de l’accompagnement et des usages que de la loi.

Les pistes mentionnées sont les suivantes : un outil national relatif à l’adoption, des référentiels nationaux, la consolidation de la formation de l’ensemble des professionnels intervenant auprès des enfants et des familles. Les procédures d’agrément, d’adoptabilité et d’accompagnement des parents adoptants doivent être également davantage précisées et sécurisées.

Je veux que l’on facilite l’adoption des enfants à besoins spécifiques. Monique Limon et moi-même avons fait un déplacement dans le Pas-de-Calais. Voilà quinze ans, le psychologue du service d’adoption du Pas-de-Calais a décidé que le département allait « se spécialiser » sur l’adoption des enfants à besoins spécifiques. Il a élaboré un discours d’accompagnement des parents, leur expliquant que, même s’ils adoptent non pas un enfant de trois mois en bonne santé, mais un enfant plus âgé éventuellement en situation de handicap, ils seront tout de même de vrais parents et auront de vrais enfants, qui les aimeront et qu’ils aimeront. Il faut faire cheminer les parents vers ce type d’adoption.

Nous avons rencontré des parents qui s’étaient engagés dans cette démarche. Ils étaient les plus heureux des parents. C’est ce vers quoi il faut aller. L’adoption consiste à donner non pas un enfant à des parents, mais des parents à un enfant.