M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Canevet, rapporteur. La disposition proposée vise les bénéficiaires du fonds de solidarité mis en place par l’État, mais ce fonds s’adresse à une clientèle professionnelle. La présente proposition de loi ne concerne toutefois que les particuliers, non les professionnels. Cette disposition ne s’inscrit donc pas dans l’esprit du texte. La commission a donc émis sur cet amendement un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Il est également défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié quater.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article unique - Amendement n° 5 rectifié quater
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié quater, présenté par M. Féraud, Mme Rossignol, MM. Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. P. Joly, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, M. Bérit-Débat, Mme Blondin, M. M. Bourquin, Mme Conway-Mouret, MM. Daudigny et Daunis, Mme de la Gontrie, M. Duran, Mme Féret, M. Fichet, Mme Grelet-Certenais, M. Jacquin, Mme Jasmin, M. Kerrouche, Mmes Lepage, Lubin, Meunier, Monier et Préville, MM. Roger, Tissot, Todeschini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 312-1-3 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 312-1-… ainsi rédigé :

« Art. L. 312-1-. – Les bénéficiaires des aides mentionnées aux articles L. 262-2 du code de l’action sociale et des familles, L. 821-1 du code de l’habitat et de la construction et L. 821-1 du code de la sécurité sociale, les personnes bénéficiant des bourses sur critères sociaux des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires ainsi que les personnes en situation de fragilité financière définies au deuxième alinéa de l’article L. 312-1-3 du code monétaire et financier sont exonérées des commissions perçues par un établissement de crédit à raison du traitement des irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire durant toute la période de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, ainsi que durant les trois mois suivants. »

La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. En déposant cet amendement, nous avons voulu faire confirmer par notre assemblée l’adoption, il y a deux semaines, d’un amendement similaire déposé par Mme Rossignol lors de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire.

Cet amendement visait à protéger contre les commissions d’intervention pour incidents bancaires les personnes les plus fragiles, c’est-à-dire les bénéficiaires des minimas sociaux, du RSA et de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), mais aussi les jeunes, notamment les étudiants, qui bénéficieront en juin de l’aide versée par l’État, public que nous avons déjà évoqué au cours de notre débat. Nous avions veillé à limiter le champ de cette disposition aux frais bancaires pour incidents de paiement.

Il serait à mes yeux d’une logique imparable de confirmer le vote alors exprimé par le Sénat. Par ailleurs, nous nous honorerions à vraiment prendre en compte les effets de l’état d’urgence sanitaire en la matière.

Le coût de cette mesure pour les banques ne serait d’ailleurs pas considérable ; elles ne pourraient pas l’invoquer pour justifier des fermetures d’agences, d’autant qu’elle serait très limitée dans le temps.

Cette mesure aurait en revanche une importance considérable pour l’intérêt public. Elle permettrait d’éviter que l’argent versé par la collectivité ne serve qu’à arroser le désert. Ainsi, on doit verser aux étudiants 200 euros, une seule fois, au mois de juin ; s’ils ont dû s’acquitter d’un montant à peu près équivalent en commissions d’intervention pour incidents bancaires au cours des trois mois précédents, quelle serait donc l’utilité de cet argent ? Nous pouvons demander aux banques de participer au soutien apporté aux Français les plus modestes et les plus fragiles dans la période si grave et particulière que nous traversons.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Canevet, rapporteur. Cet amendement part certainement d’une très bonne intention : porter une attention particulière aux plus fragiles de nos concitoyens. C’est tout à fait légitime.

Cela dit, il faut quand même déterminer l’opérationnalité des dispositifs que nous adoptons. Mettre en place des dispositifs qui ne peuvent être opérationnels ne me semble pas être utile ou de bon sens.

Il est question dans cet amendement de la période d’urgence sanitaire, mais cette proposition de loi ne sera pas adoptée avant le 10 juillet prochain. Si de telles dispositions devaient être ainsi mises en place, ce serait a posteriori. Il me semble que ce serait extrêmement compliqué.

En outre, cet amendement vise les seules commissions d’intervention, alors qu’il aurait fallu évoquer l’ensemble des frais bancaires.

La mise en œuvre du dispositif proposé me paraît par ailleurs difficile. Pour identifier la clientèle concernée, il faudrait prendre bien des mesures et, notamment, élaborer des fichiers pour lesquels l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) serait nécessaire, dans la mesure où il s’agirait de l’identification de personnes par un processus complexe qui risque d’être stigmatisant. En tout cas, je vois mal comment tout cela pourrait être rapidement mis en œuvre : c’est pourquoi je juge que ce dispositif n’est pas opérationnel.

Enfin, une telle mesure risque de rendre difficile la situation de La Banque postale, dont la clientèle compte nombre de personnes figurant parmi les plus fragiles. Le président de La Banque postale m’a prévenu qu’il fallait veiller à ne pas priver cet établissement des moyens de continuer sa mission de service public au service de la population et, en particulier, des plus fragiles. Cette mission coûte de l’argent ; il faut donc lui donner les moyens de la remplir.

Selon moi, ce dispositif n’étant pas opérationnel, il ne serait pas bon de le faire figurer dans la loi. Je suggérerais plutôt au Gouvernement de mener des discussions avec les établissements bancaires pour bien leur faire comprendre que, dans cette période difficile, ils doivent se montrer attentifs aux situations des plus fragiles. Les publics qui bénéficient d’aides pourraient ainsi être exonérés de facto de commissions d’intervention et autres frais bancaires, de manière à ce que leur situation ne se détériore pas plus encore : tout cela relève des discussions à mener avec la Fédération bancaire française et les établissements de crédit.

Il me semble que les banques ont déjà pris des dispositions permettant de prendre en compte la situation de ces publics, comme je l’ai rappelé dans mon propos liminaire : des échéances de prêts ont été reportées, certaines cotisations ont été annulées, comme me l’ont confirmé certains établissements bancaires. Cela atteste que les banquiers ont compris la difficulté de la situation ; ils ne sont pas non plus ennemis de la bonne santé financière de leurs clients.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. L’argumentaire très complet M. le rapporteur me dispense d’apporter une autre justification à l’avis défavorable du Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je comprends bien les difficultés techniques soulevées par M. le rapporteur, mais il me semble que les banques peuvent les affronter, les gérer et les lever ; le dispositif peut également être affiné par la voie réglementaire.

Il est surtout important, selon moi, que ceux qui sont mis en difficulté dans la période actuelle, que ce soit, au mieux, parce qu’ils sont au chômage partiel, ou parce que, n’étant pas salariés et ne relevant donc pas de ce régime, ils connaissent une importante perte de revenus, soient accompagnés, au-delà de cette période, au cours de la sortie de crise, qui sera particulièrement difficile pour eux. On sait très bien que la crise actuelle constitue une trappe à pauvreté : on peut y tomber très vite et peiner à en sortir.

C’est pourquoi empêcher les banques de prélever ce qu’on appelle communément des « agios » pendant la crise sanitaire me paraît être une mesure à caractère social, de lutte contre l’accroissement et l’approfondissement de la pauvreté. Elle mérite donc d’être adoptée par notre assemblée comme elle l’a été à l’occasion de l’examen de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Nous avions été étonnés, puis choqués, de voir la majorité de l’Assemblée nationale, qui se dit souvent sociale, accepter l’injonction du Gouvernement de revenir sur cette mesure adoptée par le Sénat.

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. Il me faut dire quelques mots, puisque j’avais défendu, il y a deux semaines, lors de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, la position favorable du groupe Les Républicains sur un amendement à l’objet identique. J’avais porté cette idée et j’avais été suivi par mes collègues, ce dont je les remercie.

Je souhaitais vraiment saluer l’initiative de cette réflexion sur la situation des membres plus pauvres et les plus en difficulté de notre société, ceux qui touchent les minima sociaux, au regard du contexte actuel. C’est pourquoi nous avions voté, presque à l’unanimité, en faveur de cet amendement.

Cela dit, depuis deux semaines, des éléments importants sont apparus. Nous avons travaillé sur le dispositif de cet amendement, sur ses aspects techniques. La commission des finances nous a apporté son éclairage, la CNIL a également été sollicitée pour que nous puissions disposer, en quelque sorte, de son avis sur l’application d’une telle mesure.

Au regard des informations ainsi reçues, deux réelles difficultés apparaissent. D’une part, le délai qui s’impose est très court, puisque la fin de l’état d’urgence sanitaire se rapproche, même si trois mois supplémentaires sont proposés. D’autre part, une incertitude juridique demeure qui n’a pu être levée.

Pour ces raisons, le groupe Les Républicains suivra l’avis de M. le rapporteur et votera contre cet amendement, bien qu’il s’agisse selon moi d’un vrai sujet de préoccupation. Je tiens en revanche à vous saluer, mes chers collègues, pour avoir porté ce débat au sein de la Haute Assemblée ; je voulais simplement vous faire comprendre pourquoi notre vote sera différent de celui qui a eu lieu il y a deux semaines. La logique de cette maison, qui tient à adopter des lois pragmatiques, et non pas simplement des déclarations d’intentions, doit prévaloir sur le regard que vous pouvez porter sur notre vote.

Mme Laure Darcos. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Je tiens à répondre à l’intervention de M. Mouiller. Qui peut dire, mon cher collègue, que le 10 juillet l’état d’urgence sanitaire sera levé ? Personne, à ce stade ! Pour notre part, nous estimons qu’il vaut mieux prévenir que guérir ; c’est pourquoi nous avons déposé cet amendement.

Dès lors, non seulement nous le maintenons, mais nous demandons qu’il soit mis aux voix par scrutin public, de manière à ce que les choses soient claires. J’ai bien noté, mon cher collègue, que vous estimiez qu’il n’y avait pas de contradiction entre votre vote à venir et celui d’il y a deux semaines ; quant à nous, nous jugeons qu’il vaut mieux persister dans la défense de celles et ceux qui sont le plus en difficulté.

Cet amendement est très important : il est plus que symbolique, il répond à une demande très forte. Les raisons qui vous ont amenés, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, à voter en faveur d’une disposition identique il y a quinze jours, existent toujours ; la situation est même pire encore ! Alors, ne soyez pas frileux ! J’espère au moins qu’une partie d’entre vous, dans le cadre d’un scrutin public, saura nous soutenir sur ce point.

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.

M. Rémi Féraud. M. le rapporteur n’a pas tort : la responsabilité de cette situation incombe avant tout au Gouvernement.

Le Sénat a adopté un amendement, à l’unanimité, ou presque, de manière à exprimer une préoccupation sociale qui a été jugée très légitime au-delà des clivages politiques.

Dans un deuxième temps, le Gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale un amendement de suppression de cette disposition. Il l’a d’ailleurs défendu de manière incohérente. En effet, l’exposé des motifs de cet amendement de suppression présentait un argument de fond, selon lequel ceux qui auraient dû payer des frais d’incidents bancaires pourraient profiter d’un effet d’aubaine si ces frais étaient annulés, ce qui serait très grave, mais M. le ministre des solidarités et de la santé, lors de son examen en séance publique, a déclaré regretter cet exposé des motifs, qu’il disait découvrir en même temps que les députés : il a préféré invoquer à l’appui de la suppression de cette disposition l’argument selon lequel il s’agirait d’un cavalier législatif. Ce n’était pas, selon M. Véran, le bon moment pour adopter cette mesure, qu’il affirmait approuver sur le fond. Je résume ses propos, mais je ne crois pas les dénaturer profondément.

Enfin, aujourd’hui, alors que le Sénat revient sur ce sujet, à l’occasion de l’examen de notre proposition de loi, on nous affirme que c’est trop tard et que le dispositif n’est pas opérationnel. Eh bien, je sais que la responsabilité de la situation qui nous a conduits à déposer cet amendement revient au Gouvernement, mais j’estime qu’il n’est pas trop tard, comme l’a bien dit Patrick Kanner. Surtout, le sujet est suffisamment important pour que nous affirmions notre volonté d’avancer sur ce dispositif à l’occasion de l’examen de ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je regrette de contrarier notre cher rapporteur, mais je soutiendrai cet amendement.

En effet, premièrement, invoquer l’inopportunité de cette mesure quand on sait dans quelle situation se débat une partie de la population la plus fragile ne me paraît pas juste. On a parlé d’effet d’aubaine : il me semble qu’il n’est pas forcément là où on l’imagine ! J’ai beaucoup travaillé sur la fraude et je ne suis pas sûre que les populations dont il est aujourd’hui question profiteraient d’un tel effet d’aubaine.

En deuxième lieu, le Sénat a déjà voté en faveur de cette disposition ; nous n’avons aucune raison de nous déjuger.

Enfin, si notre vote doit être un vote de cohérence, on nous objecte l’argument du pragmatisme : on ne sait pas quand ce texte sera examiné par l’Assemblée nationale, s’il y arrive jamais. Quoi qu’il en soit, c’est le moment d’envoyer un signal fort aux populations que nous voulons aider : nous soutenons une mesure visant à les exempter de ces frais pendant la période d’urgence sanitaire. De toute façon, ce texte n’a presque aucune chance d’être examiné par l’Assemblée nationale avant la fin de l’état d’urgence ; je le soutiens simplement par principe.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.

M. Olivier Henno. Édouard Herriot disait : « Une bonne argumentation m’a parfois fait changer d’opinion, plus rarement de vote. » Eh bien, l’argumentation de M. le rapporteur, que je considère pourtant comme un ami, ne m’a fait changer ni d’opinion ni de vote ! Par cohérence avec mon intervention dans cet hémicycle il y a deux semaines, je voterai à nouveau en faveur de cette disposition.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié quater.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 106 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 307
Pour l’adoption 108
Contre 199

Le Sénat n’a pas adopté.

Vote sur l’ensemble

Article additionnel après l'article unique - Amendement n° 6 rectifié quater
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Nous voterons le texte amendé, mais nous aurions bien évidemment souhaité aller plus loin, notamment grâce à l’adoption de l’amendement n° 6 rectifié quater, dont l’objet semblait en cohérence avec les intentions que nous avions exprimées sur l’ensemble de ces travées voilà quinze jours, à l’occasion de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Nous le voterons, parce que toute avancée en faveur des plus défavorisés est utile pour notre pays, dans cette période de crise sociale. Nous le ferons en responsabilité.

Notre ambition était plus grande. Elle a malheureusement été ramenée à des objectifs plus restreints. Néanmoins, et tout le monde l’a rappelé dans cet hémicycle, il a été utile que nous puissions collectivement discuter et adresser des messages, notamment en direction du monde bancaire. Celui-ci doit comprendre qu’il lui faut aussi prendre sa part de l’effort national, dans le cadre de l’unité que nous souhaitons pour notre pays.

Je remercie M. le rapporteur d’avoir permis que nous examinions un texte, je le répète amoindri par rapport à notre ambition initiale, mais utile pour le pays et les plus défavorisés de nos concitoyens.

Madame la secrétaire d’État, vous avez, au nom du Gouvernement, systématiquement émis des avis défavorables sur les propositions qui ont été présentées. C’est ainsi : vous étiez d’emblée contre ce texte et les amendements déposés. Ce choix, vous devrez l’assumer, alors même que nous pensions que, dans cette période, le Gouvernement serait attentif à nos arguments. Je regrette qu’il en soit ainsi.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, modifiée.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires
 

6

Conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire

Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, sur le thème : « Les conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire. »

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que nous devrons suspendre ce débat au terme du délai de quatre heures réservé à l’espace du groupe socialiste et républicain, soit à dix-huit heures quarante-cinq.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Monique Lubin, pour le groupe socialiste et républicain. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, débattre aujourd’hui des conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire, c’est aussi définir le monde d’après.

Selon Jean-Jacques Rousseau, le souverain, c’est le peuple. La Constitution française témoigne que celui-ci s’est choisi une République sociale. Ce sont ces fondamentaux qui sont au principe de notre pacte social et qui doivent guider la politique qui nous permettra d’affronter la terrible crise qui se profile.

Le confinement a fait apparaître les vices de notre organisation sociale et économique.

Il n’a fallu que deux mois pour voir des milliers de Français basculer de la précarité dans la pauvreté ou de la pauvreté dans l’extrême pauvreté. D’ores et déjà apparaissent ceux que l’on appelle les « nouveaux vulnérables », qui représentent 4,3 millions de personnes issues des rangs des salariés les plus durement et immédiatement touchés par la crise, ceux de l’hôtellerie-restauration, de la culture, des transports entre autres. Ils viennent s’ajouter aux 400 000 pauvres supplémentaires dénombrés en 2019, du fait de la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL), de la désindexation des pensions de retraite en 2019, de la diminution de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), de la suppression du complément de ressources – jusqu’à 170 euros par mois – aux bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), de la réforme de l’assurance chômage.

De l’alimentation au logement, la satisfaction des besoins vitaux et le respect de la dignité humaine sont des prérequis non négociables pour la septième économie mondiale. Ils n’ont pas été votre priorité.

Avant la crise, vous vous glorifiiez de résultats économiques en progression, mais, au lieu d’en élargir les bénéfices, vous en profitiez pour immédiatement réduire non pas les inégalités, mais les mesures de solidarité ou de redistribution, et pour revoir, en même temps, une politique fiscale en faveur des plus riches dans l’espoir d’un vain « ruissellement ».

Comme le dit Alain Supiot, « seul le choc avec le réel peut réveiller d’un sommeil dogmatique ». Nous y sommes. Il faut réparer maintenant. Notre pacte social national doit réhabiliter quelques fondamentaux.

Les premières mesures s’imposent et sonnent comme une évidence : rétablissement de l’impôt sur la fortune et de la compensation des dépenses à la sécurité sociale, restitution de leurs moyens aux associations, suppression de la réforme de l’assurance chômage…

Il faut aussi agir sur les inégalités structurelles par des politiques innovantes et commencer par la considération de ceux qui exercent les métiers dont la crise a révélé l’utilité immédiate et indispensable, ceux que certains croisent sur le quai d’une gare en disant qu’ils « ne sont rien » ou ceux que les mêmes renvoient implicitement parmi les « derniers de cordée », en mettant en avant les « premiers de cordée ». Bien évidemment, la considération passe par la rémunération.

Pourquoi ne pas s’intéresser à ce qui se fait au Québec depuis de très nombreuses années autour du concept d’équité salariale ? Ce principe va plus loin que le principe « à travail égal, salaire égal », puisqu’il exige un salaire égal pour un travail différent, mais équivalent. De manière générale, tous les emplois doivent être évalués à l’aune, d’une part, de leur utilité sociale, d’autre part, de quatre facteurs déterminés, qui sont les qualifications requises, les responsabilités assumées, les efforts exigés et les conditions dans lesquelles le travail est réalisé.

Le résultat conduit à une augmentation sensible des salaires correspondant aux emplois d’ordinaire les plus mal payés, parce que l’utilisation de cette grille de lecture démontre à la fois la primauté de leur utilité sociale, mais aussi les conditions souvent difficiles dans lesquelles ils sont exercés.

Ce concept a une autre vertu, et non des moindres, celle de donner toute leur place aux emplois dits féminins. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a été au départ conçu.

Je rappelle que les héros de la lutte contre le Covid-19 sont en majorité des héroïnes, structurellement en charge des emplois à la fois mal payés et indispensables au fonctionnement de notre société. Le personnel soignant est majoritairement féminin et huit dixièmes des vendeurs et caissiers sont des femmes, sans parler des personnels de l’aide à domicile et d’entretien. La place des femmes doit faire partie intégrante de l’évolution de notre pacte social.

En France, la démarche de rémunération appropriée des professionnels est au contraire assez mal engagée. Le Gouvernement a en effet répondu à l’enjeu qui s’est imposé à la suite de cette crise par la multiplication anarchique de primes à destination de certaines des différentes catégories de personnels qui ont été en première ligne.

Pour notre part, ce que nous voulons, c’est au contraire très exactement ce qu’a promis le Président de la République le 13 avril dernier : que soit mieux prise en compte l’utilité sociale des métiers, pour tous, hommes et femmes. L’enjeu est de tourner le dos à la libéralisation du marché du travail et de restaurer la démocratie sociale au sein des entreprises et de la fonction publique.

Pour rebâtir un pacte social qui nous convienne, l’enjeu du rapport à nos aînés est également central.

Le Covid-19 a ouvert les portes des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) : ce que nous y avons découvert n’est pas toujours glorieux, quand ce n’est pas carrément sordide, à l’image de ce que l’on a trouvé dans certains établissements du secteur privé lucratif.

Nous attendons le contenu de vos propositions au travers d’un projet de loi relatif au grand âge et à la dépendance et nous espérons que, contrairement à d’autres projets de loi, nous serons pleinement associés dans un temps suffisamment long pour produire un travail et, à la fin, une loi de qualité.

Quelles stratégies pour prévenir la dépendance ? Quelle implication du secteur public ? Comment offrir un service de prévention, puis de traitement de la dépendance égal, quels que soient les revenus ?

Après la survenue de la dépendance, pourquoi ne pas imaginer des transitions plus douces et la prise en compte du lien entre les différentes générations ? Il me semble qu’il serait par exemple intéressant de réfléchir à des Ehpad intégrés au domicile.

Quelles formations pour les personnels dédiés, et pas uniquement pour les personnels soignants ? La vie d’une personne âgée dépendante ne peut s’articuler seulement autour du soin et des besoins vitaux. Nombreuses sont les personnes âgées qui survivent, mais qui ne vivent plus !

Il est évident que toutes les générations doivent faire l’objet d’une attention spécifique. Or les plus démunis se trouvent aux deux extrémités de la pyramide des âges : les personnes âgées et les plus jeunes.

Alors que nous avons eu le spectacle désespérant de résidences étudiantes devenues des zones de parcage de jeunes économiquement fragiles et n’ayant pas nécessairement les moyens de se nourrir, la mise en place d’un revenu de base d’un montant suffisant s’impose comme une nécessité, pour les jeunes comme pour d’autres.

Un nombre croissant de jeunes sont laissés sur le côté pour de multiples raisons, dont la transmission intergénérationnelle de la pauvreté, avec un ascenseur social en panne et une éducation nationale qui, malgré l’implication et le dévouement de ses personnels, ne parvient pas à briser le mur séparant enfants issus d’une famille au capital socioculturel élevé et ceux qui sont pourvus d’autres richesses.

Il faut casser à la base la spirale infernale du déterminisme social. Cela passe, nous le savons tous, par des politiques d’accompagnement dès la petite enfance et par l’amélioration perpétuelle des dispositifs en faveur des jeunes tels que la garantie jeunes mise en place sous le quinquennat précédent, qui a fait largement ses preuves et dont il va falloir ouvrir les vannes pour aider les primo-demandeurs d’emploi dès maintenant. Nous savons en effet que la génération des jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi cette année sera la première sacrifiée.

Je ne peux bien évidemment pas ici brosser le tableau de tout ce qu’il est nécessaire de mettre en place dès aujourd’hui pour que n’explose pas notre vivre ensemble à la sortie de cette crise.

Je conclus en rappelant que la redéfinition de notre pacte social national doit faire coexister dans l’harmonie les différentes composantes de notre société, en assurant toujours plus de justice entre classes sociales et générations. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)